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Francesco Dendena et Stéphanie Roza, Une histoire immédiate de la Révolution

Stéphane Olivesi
Une histoire immédiate de la Révolution
Francesco Dendena, Stéphanie Roza, Une histoire immédiate de la Révolution. Antoine Barnave, textes choisis, 1790-1792, Paris, CNRS, 2025, 270 p., ISBN : 978-2-271-14193-4.
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Texte intégral

1La Révolution française a enfanté de figures mythiques et énigmatiques : philosophes et hommes d’action, aventuriers et publicistes, idéalistes et conspirateurs, patriotes et prévaricateurs. Antoine Barnave n’est peut-être pas la plus connue de ces figures mais ce n’est certainement pas la moins intéressante. L’ouvrage proposé par Francesco Dendena et Stéphanie Roza fait porter la lumière sur ce personnage sans omettre les ombres et les incertitudes d’une destinée hors du commun. Il se compose ainsi d’une édition critique de textes choisis, quatre au total, rédigés durant la période révolutionnaire antérieurement à 1793. Ces textes sont précédés d’une biographie politique et intellectuelle rédigée par Francesco Dendena, et suivis d’une postface de Stéphanie Roza, consacrée à la pensée de cet « auteur-acteur » de la Révolution.

2Comme le soulignent les éditeurs dans leur présentation, Barnave appréhende très tôt la Révolution comme le produit d’une dialectique opposant la vieille aristocratie à la bourgeoisie montante. Rien de très original en apparence : on retrouve un schéma historiographique, diffusé par la réaction nobiliaire au travers du thème de la guerre des races, puis discuté pour être renversé par ceux qui, à l’image de l’Abbé Sieyès, n’appréciaient guère les prétentions de la noblesse à s’ériger en nation. Ce qu’ajoute Barnave, c’est un supplément d’ordre quasiment ontologique puisqu’avec la Révolution, ces constructions historiographiques, d’abord mythologiques, tendent à s’incarner et à donner une forme concrète à ce qui n’était qu’une construction intellectuelle.

3Par son origine sociale comme par son parcours professionnel, Barnave était porté à devenir le personnage que l’on connaît. Né au sein d’une famille aisée, de religion réformée, il dispose à la fois de propriétés foncières dans le Diois, de ressources sociales par l’appartenance de son père au Parlement du Dauphiné, et de ressources symboliques par sa mère, issue de la petite noblesse d’épée. Le jeune Barnave s’inscrit dans les pas de son père et commence à plaider dès 1781 au sein d’un parlement de province qui, si l’on suit le point de vue de Montesquieu et d’une bonne partie de la noblesse de robe, avait souffert de l’emprise croissante du pouvoir monarchique. Trajectoire familiale et socialisation professionnelle le portent par conséquent à dénoncer l’absolutisme et le conduisent à s’engager dans ce qui n’est pas encore la Révolution mais en constitue les prémisses. Élu du Dauphiné aux États généraux, il s’inscrit initialement dans le premier réseau jacobin, s’érigeant en fervent défenseur de la constitution et de la primauté de l’Assemblée nationale. Mais, parallèlement, Barnave se fait aussi le défenseur des colonies et de l’esclavage qui y règne. Son pragmatisme, ancré dans la peur de voir l’Angleterre reléguer la France au rang de puissance subalterne, le conduit à restreindre l’universalité du message révolutionnaire au seul territoire hexagonal. Et la conjoncture évoluant plus encore, Barnave en vient à conseiller la reine et à défendre le roi après leur fuite et leur retour contraint. Au nom de la constitution et du maintien de l’ordre, pour parachever la Révolution et par défiance aussi à l’égard des milieux populaires, il prend le parti d’une monarchie qu’il juge alors nécessaire pour parvenir à un certain équilibre des pouvoirs au sein de la société. C’est ce qui le conduira à son arrestation et à la prison en août 1792, puis à son procès en novembre 1793, suivi de son exécution.

4Les textes choisis, comme l’explique Stéphanie Roza dans la postface de l’ouvrage, l’ont été sur la base d’une œuvre composite, largement inachevée, composée d’une collection d’écrits de nature variée, ayant ultérieurement fait l’objet d’entreprises éditoriales. Le premier parti pris n’était pas de proposer une édition exhaustive ou représentative de tous ses écrits, demeurés en grande partie à l’état d’archives. Un deuxième parti pris consistait à tirer profit d’éditions antérieures, focalisant l’attention sur les écrits les plus représentatifs de sa pensée et les plus significatifs. Un troisième parti pris portait sur la mise en lumière des écrits révolutionnaires, témoignant de sa réflexion mais aussi de son engagement politique. Enfin, un dernier parti pris visait à souligner la posture duale de Barnave, à la fois théoricien engagé et observateur distancié du phénomène révolutionnaire.

5En quelque sorte, Barnave inaugure un nouveau type d’écrit consistant à esquisser l’histoire politique du présent. Plus tard, Marx reproduira ce geste avec plus de succès lorsqu’il commentera la Révolution de 1848 et le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Avant Barnave, historiens et observateurs avaient certes déjà le souci de rendre compte des événements historiques dont ils étaient les contemporains, mais ils le faisaient comme témoins, chroniqueurs officiels ou mémorialistes. Chez Barnave, il s’agit de saisir l’événement et de l’interpréter, de l’évaluer et d’en saisir la signification à l’aune d’une trame historique. On a voulu voir dans le XIXe siècle une époque où les êtres s’ordonnaient exclusivement à l’histoire, par opposition au siècle précédent. Mais déjà au XVIIIe siècle, ne serait-ce que dans le domaine de la pensée politique, aux marges des théories du contrat et du droit naturel, l’historicité s’était imposée comme schème d’intelligibilité de la vie politique. En témoignent la thèse de l’Abbé Dubos sur l’établissement de la monarchie, celle antérieure de Boulainvilliers sur la noblesse française, et celle ultérieure de l’Abbé Mably sur l’histoire de France. Sous ce jour, Barnave apparaît comme un point de bascule. S’adossant aux interprétations historicistes préexistantes, il cherche à lire et à comprendre le présent, c’est-à-dire la Révolution, en se situant dans une histoire politique globale.

6Pour Barnave, la Révolution s’explique ainsi par la mise au jour des causes dont elle résulte. Ces causes profondes, enfouies, relèvent de la structuration économique de la société, mais il existe aussi des causes politiques ou accidentelles, liées à la conjoncture. Et l’origine du processus révolutionnaire résulterait plus précisément de l’inadéquation entre les institutions politiques et le corps social dans sa structuration économique, de l’impossibilité d’adapter l’un à l’autre, si ce n’est par une crise nécessairement violente. Dans son « Principe des révolutions », Barnave souligne l’importance de la propriété foncière autour de laquelle s’organise la production économique et la domination politique. Se décèle au fil de ses analyses à la fois la mobilisation de savoirs largement diffusés au XVIIIe siècle, autour de l’importance de la propriété foncière, du rôle de l’agriculture dans la production de richesses, de la division sociale du travail (à la manière de Turgot) et de l’esprit des lois… Mais il introduit aussi l’idée d’une historicité, c’est-à-dire d’une nécessité historique dont découlent les événements au premier rang desquels la Révolution. De plus, il émet l’idée d’une démocratisation au sens d’un élargissement de la base sociale impliquée dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir politique. Et ce processus s’adosse selon lui au progrès de la civilisation dont a pu bénéficier le tiers état. Cette démocratisation dont aurait été porteuse la Révolution se heurte cependant chez lui à une forme d’aversion pour le bas peuple, facilement manipulable, devant être tenu à une distance raisonnable de l’exercice du pouvoir. Non seulement il s’opposera aux jacobins par sa défense de la monarchie, mais il n’identifiera guère le mouvement populaire et sa dynamique, au point de finir par se positionner à contre-courant du processus révolutionnaire.

7Les écrits de Barnave donnent donc à lire trois choses : un témoignage engagé des événements révolutionnaires ; une réflexion située cherchant à en rendre compte ; un point de vue largement conditionné à la fois par la trajectoire sociale de leur auteur et par le jeu politique dans lequel il fut pris au point de finir par en être la victime. Dans une certaine mesure, les auteurs auraient donc pu aller jusqu’à proposer une réflexion plus approfondie sur la nature même de textes tels que ceux de Barnave. Comme d’autres écrits émanant de figures mythiques de la Révolution française, ils s’appréhendent de diverses manières : discours politiques, discours philosophiques, mais aussi témoignages d’événements historiques. Dire cela revient à suggérer que certains textes répondent d’abord d’une exégèse théorique, plus ou moins sous-tendue par la prise en compte de l’histoire sociale dont ils sont les produits et de l’histoire des idées avec laquelle ils dialoguent. D’autres textes relèvent par contre d’une compréhension centrée sur le jeu politique et les profits que, dans une conjoncture donnée, les participants cherchent à en tirer, non plus comme « auteurs » mais bien comme « acteurs ». N’aurait-il pas été judicieux de différencier davantage le « Cahier X », rédigé par Barnave peu avant sa mort, qui s’apparente à un ensemble de réflexions d’ordre philosophique et politique sans finalité éditoriale précise, au regard d’autres textes comme son discours prononcé le 15 juillet 1791 devant l’Assemblée nationale puis imprimé ? Manifestement, des textes aussi différents ne peuvent être amalgamés à l’auteur « Barnave » qu’au prix d’une forme relative de cécité sur ce qu’est un texte, son élaboration, ses fonctions sociales, et les conditions de sa production, de sa diffusion et de sa réception.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Stéphane Olivesi, « Francesco Dendena et Stéphanie Roza, Une histoire immédiate de la Révolution », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67768 ; DOI : https://doi.org/10.4000/148u2

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