Collectif Langevin Wallon, L’éducation prioritaire. Une politique féconde pour le système éducatif

Texte intégral
1La question de l’éducation est centrale dans toute société — en particulier dans toute société qui se veut démocratique. En témoigne son occurrence au cœur des travaux de théoriciens du politique à travers les âges, de la Grèce ancienne à aujourd’hui. Selon ce que l’on enseigne et la manière dont on éduque les personnes, celles-ci se voient ouvrir une voie plus ou moins large à l’autonomie individuelle et collective. Le Collectif Langevin Wallon montre une conscience aigüe de cet enjeu dans son ouvrage de synthèse critique au sujet de la politique d’éducation prioritaire.
2Partant du constat de l’absence, après une quarantaine d’années de politiques publiques, d’un travail de synthèse compréhensif, scientifique et critique à ce sujet, le Collectif s’est attelé à combler le vide. Grâce à un travail transdisciplinaire rigoureux, fondé sur l’analyse croisée de textes de lois, de rapports d’inspection, d’évaluations, de retours de terrain et de recherches scientifiques, les auteurs parviennent à une conclusion sans appel : « tant que le système éducatif français produira de la ségrégation sociale et scolaire dans le secteur public, une politique de l’éducation prioritaire se justifiera » (p. 775). Le Collectif critique une conception de la justice fondée sur l’égalité des chances, qu’il juge inadéquate, et lui oppose une politique fondée sur l’égalité des acquis, reposant sur le postulat d’éducabilité de tous les élèves : la justice, pour le Collectif, associe égalité et diversité sans se laisser prendre au jeu sélectif de la méritocratie. Le regard des auteurs de l’ouvrage se pose à la fois sur le passé de l’éducation prioritaire et sur l’avenir du système éducatif en France.
3Dans un premier temps, ils s’emploient à retracer l’histoire de l’éducation prioritaire en France depuis ses débuts, ce qui leur permet de la définir et d’en esquisser déjà plusieurs enjeux cruciaux : le manque de continuité, la dimension profondément idéologique, les différentes temporalités qui coexistent, les difficultés de l’évaluation, l’ambigüité des ambitions d’excellence, la tension entre le besoin d’une politique à l’échelle nationale et des besoins différenciés à l’échelle locale. Au fil des pages, nous pouvons suivre et comprendre les différentes mutations et inflexions de la politique d’éducation prioritaire depuis la première circulaire de 1981 qui formulait l’objectif initial dans ces termes : « contribuer à corriger [l’inégalité scolaire] par le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et les milieux sociaux où le taux d’échec scolaire est le plus élevé ». La logique partenariale instituée entre les différents niveaux d’action de l’éducation prioritaire y est soulignée comme l’occasion d’une ouverture du système sur son milieu et du placement du travail enseignant, de terrain, au cœur de l’entreprise. Au terme de ce parcours, l’éducation prioritaire apparait déjà comme toujours nécessaire à la démocratisation d’un système qui n’aura pas été transformé en profondeur et continue de produire de la ségrégation.
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4Après avoir retracé les évolutions historiques de l’éducation prioritaire, le Collectif se consacre dans un deuxième temps à l’analyse approfondie de sa refondation de 2013-2014, en tant que seule politique qui se soit voulue à la hauteur de ses enjeux en ce qu’elle met en œuvre une approche plus systémique.1 Une telle approche tente effectivement de rendre compte de l’ensemble du système dans lequel se déploie le problème auquel on se confronte, en identifiant les éléments qui la composent, dans leur ensemble, à même leurs interactions les un vis-à-vis des autres et dans le rapport au tout. Le Collectif entend bien montrer, par conséquent, que « seul un cadre d’analyse systémique peut permettre d’aborder la complexité des interactions à l’œuvre, qui font ou défont les réussites, d’éclairer les éléments en interdépendance » (p. 293) pour agir dans l’environnement complexe que constitue le milieu éducatif. C’est qu’il faut donner toute son importance à la question sociale pour lutter contre les inégalités scolaires, en ce que l’origine socio-économique et culturelle des élèves est l’élément le plus déterminant de leur réussite scolaire. La mixité sociale se cristallise alors comme un facteur décisif (quoiqu’inséparable des autres) dans la poursuite des objectifs d’égalité de l’a politique d’éducation prioritaire.
5De même, les auteurs de l’ouvrage mettent en évidence l’importance du référentiel et de la logique de réseau dans la refonte de 2013-2014. Le référentiel, structuré en six axes, sert de guide commun aux acteurs de terrain. Il vise à articuler les pratiques pédagogiques avec les objectifs de la politique d’éducation prioritaire, tout en valorisant l’expertise des enseignants. Ce référentiel et ses six axes doivent permettre de définir, identifier et inclure l’expertise du terrain en constituant un outil utile à toutes les échelles de mise en œuvre de la politique d’éducation prioritaire dans une triple intention : rendre disponibles et diffuser des savoirs patiemment construits, pensés et présentés de manière systémique et dans une optique d’évolution. Autrement dit, l’ambition du référentiel est de rassembler, au sein d’un même outil et dans une perspective de développement, les savoirs existants, épars, constitués au fil des ans grâce à la recherche scientifique, les rapports d’inspections, les diverses évaluations réalisées, sans oublier les expérimentations menées sur le terrain. Ainsi, le pédagogique est remis au cœur d’une politique qui doit s’effectuer dans les classes, sans pour autant penser que l’école agit seule. D’où l’importance aussi de la logique de réseau qui, en reliant des écoles autour de collèges par son principe de zone, met l’accent sur les problématiques locales, le partenariat, le travail collaboratif et la continuité pédagogique, plutôt que le tri des individus méritants.
6Dans la troisième et dernière partie, le Collectif aborde la politique d’éducation prioritaire d’un point de vue critique et engagé en lui adressant des questions vives, qu’ils jugent essentielles à atteindre l’objectif poursuivi : la réussite scolaire de tous les élèves, ou une réelle démocratisation de l’éducation. Divers enjeux sont abordés par les auteurs de l’ouvrage, d’égale importance. Nous en choisissons deux qui nous paraissent illustrer au mieux l’engagement du Collectif Langevin Wallon. Nous soulignerons ici l’emphase mise sur la difficulté de mettre en œuvre une telle politique à hauteur de ses enjeux, au regard des différentes temporalités qui entrent en concurrence. En effet, le temps politique de l’échéance des mandats et de la lenteur du travail législatif, lui-même paradoxal, ne correspond pas aux temps de l’école et de la scolarité qui doivent servir de références dans l’évaluation de la politique publique, ni même encore au temps médiatique, plus soudain. Le Collectif Langevin Wallon insiste ainsi sur la nécessité d’un véritable courage politique, en soulignant que l’un des principaux obstacles aux politiques éducatives reste leur manque de continuité, souvent lié aux alternances politiques. Dans son engagement démocratique, les auteurs contestent qu’un dispositif d’égalité des chances puisse être considéré comme l’équivalent d’une réelle politique publique de lutte contre la reproduction sociale des inégalités scolaires, en substance parce que ce principe se contente de viser à neutraliser les effets des inégalités sans les combattre en vue de les supprimer. Or, l’exigence démocratique d’égalité requiert bien plus.
- 2 Cour des comptes, L’éducation prioritaire, Rapport d’évaluation d’une politique publique, octobre 2 (...)
7Tout au long de leur ouvrage, le Collectif Langevin Wallon ne nie pas l’efficacité limitée ni les résultats mitigés de la politique d’éducation prioritaire. Ils reprennent d’ailleurs à leur compte la formule de la Cour des comptes, d’après laquelle « si l’éducation prioritaire n’a pas atteint son objectif de réduction des écarts de niveau scolaire, elle a cependant réussi à les contenir au collège, dans un environnement socio-économique qui s’est dégradé sur de nombreux territoires. Ce dernier constat doit être porté à son crédit, sans pour autant être considéré satisfaisant »2.
8Cela n’empêche pas ces auteurs militants de qualifier l’éducation prioritaire de féconde pour le système éducatif dans son ensemble. En quoi, dès lors, cette politique peut-elle être qualifiée de la sorte ? En raison de ce qu’elle a permis de faire émerger : une importance redonnée aux professionnels de l’enseignement et à leur formation, les expérimentations et leur évolution en expériences à diffuser, les nombreuses recherches scientifiques, les rapports et autres enquêtes qui forment, ensemble, un corpus de savoirs essentiels à l’évolution de tout un système vers plus de démocratie. Ce corpus doit permettre d’avancer vers une politique publique d’ampleur, systémique, qui s’attaque pour toute l’Éducation nationale aux inégalités scolaires et à la ségrégation sociale, en mobilisant l’ensemble de la communauté nationale. C’est toute l’ambition de l’ouvrage du Collectif Langevin Wallon. C’est également ce qui fait de cet ouvrage une lecture essentielle en France, mais aussi ailleurs, pour tous professionnels de l’éducation, à tous les niveaux. La rigueur scientifique et l’engagement autocritique de ce Collectif, composé de personnes ayant été impliquées dans la politique d’éducation prioritaire, les ont autorisés à produire une composition inédite transdisciplinaire au sujet de l’éducation prioritaire dont les résultats et les interrogations dépassent les simples limites d’une politique publique nationale. Restent deux questions qui se posent aux auteurs, à savoir celle de la manière de convaincre chacun de la nécessité d’aller vers toujours plus de démocratie, c’est-à-dire d’égalité et de liberté réelles, d’une part, et celle de la manière d’amener une communauté nationale hétérogène à se percevoir et se reconnaître comme telle, d’autre part.
Notes
1 Pour un exposé détaillé de ce qu’on appelle l’approche systémique, nous renverrons par exemple à l’ouvrage d’Arlette Yatchinovsky, L'approche systémique : Pour gérer l'incertitude et la complexité, ESF Sciences humaines. https://doi.org/10.3917/esfsh.yatch.2020.01.
2 Cour des comptes, L’éducation prioritaire, Rapport d’évaluation d’une politique publique, octobre 2018.
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Référence électronique
Arnaud Van Dam, « Collectif Langevin Wallon, L’éducation prioritaire. Une politique féconde pour le système éducatif », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 septembre 2025, consulté le 15 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/68319 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14oho
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