1À partir de 1947 en France, une succession de « plans » réorganise la production des mines de charbon qui viennent d’être nationalisées. Le « plan Monnet » d’abord, puis la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier créée en 1952 obligent les mines à augmenter la productivité du travail et à réduire les coûts de production. À compter du « plan Jeanneney », en 1959, il leur faudra en plus réduire la production domestique de houille : on vient de découvrir que les hydrocarbures prenaient le pas, comme source d’énergie, sur le charbon, qui se voit donc condamné à terme. Le bassin minier des Cévennes est composé d’un nombre important de petits puits, dans un arrière–pays montagneux – donc difficile d’accès – et éloigné des principaux lieux d’utilisation. Considérés comme peu rentables, ces puits vont, à partir de 1954, être fermés les uns après les autres. En 1979, dans le bassin cévenol, il n’en reste plus que deux en activité : Destival à Alès et Les Oules à La Grand-Combe. Maintes fois annoncée, plusieurs fois repoussée, pour les mineurs d’Alès, en alerte depuis des années, et pour la population d’une ville dont l’activité repose essentiellement sur l’exploitation de la houille, la fermeture de Destival semble imminente…
- 1 Clinton, n°78, juin 1976, p.5. Ce petit journal imprimé à la maison par la famille André diffuse, d (...)
2Des photos datant de 19761 attestent déjà d’une certaine proximité, dans une manifestation de soutien à la viticulture, entre la CGT qui proteste contre « la liquidation du bassin minier » et de jeunes porteurs d’une pancarte proclamant « Cevenas, de trabalh, pas de Parc National, Cevenas, volem pas crebar », [Cévennes, du travail, pas de Parc National, Cévennes, nous ne voulons pas crever].
- 2 Ce travail ne serait pas ce qu’il est sans les archives conservées au CIRDOC et l’aide toujours bie (...)
3Dans quelle mesure le mouvement occitaniste, qui s’est fortement développé pendant les années 68, a-t-il été partie prenante du conflit social qui va éclater : tel a été le point de départ de notre recherche. En cours de route, il nous est devenu nécessaire de voir comment le mouvement de soutien à cette grève a été construit et de comprendre comment une contribution occitaniste à une grève menée par la seule CGT a été possible. Durant ces années, les liens entre la confédération syndicale et le Parti communiste sont encore très étroits. C’est ainsi que notre travail s’est logiquement orienté vers l’étude d’un moment, entre 1976 et 1981, de rapprochement entre le Parti communiste et une partie des militants occitanistes2.
- 3 Entrevue du 25 novembre 2021.
4Fin décembre 1979, la CGT de Destival prend l’initiative de démarrer seule le conflit : Radio-Castagne commence une première fois à émettre. À cette date, les radios « libres » sont interdites par la loi. La CGT choisit ce moyen de populariser les luttes qu’elle initie pour résister à la désindustrialisation. On peut ainsi citer Radio-Lorraine Cœur d’Acier à Longwy et Radio-Quinquin à Auby dans le Nord. Le mot castanha, en occitan, signifie à la fois « châtaigne », ce fruit qui symbolise les Cévennes et, par métaphore, « bagarre ». Le micro est ouvert à la population, pas uniquement aux mineurs. Et déjà on peut y entendre des chansons en occitan. Bernard Vire3 qui alors était déjà militant de la CGT et adhérent du PCF se rappelle que c’est lui qui a prêté ses disques en occitan à cette radio de la CGT.
- 4 En septembre 1979, elle organise, au Havre, avec des mineurs venus de toute la France l’occupation (...)
- 5 Il est question de cette lutte dans la fresque en ligne « 50 ans de borbolh occitan », fruit de la (...)
- 6 Conférence de presse de Georges Marchais, L’Humanité, 5 décembre 1979, Le Monde, 6 décembre 1979.
- 7 On trouvera, sur cette manifestation, un reportage de la télévision régionale dans la Fresque en li (...)
5Début mai 1980, la direction des Houillères commence à parler de mutations des mineurs de Destival à La Grand-Combe, la fermeture se précise… Pour la CGT, il n’est plus temps d’attendre. Le 5 mai 1980, la grève avec occupation du fond est décidée. Débute alors un mouvement social qui va durer 13 mois. Des mois pendant lesquels il y aura toujours des mineurs au fond du puits. La décision a été prise conjointement par la section syndicale de la mine et son délégué, Francis Iffernet, et par Augustin Dufresne, le secrétaire national de la Fédération du sous-sol de la CGT. La Confédération, quant à elle, a décidé de tenter l’épreuve de force contre un gouvernement qui a programmé la fin de toute exploitation de charbon sur le sol national4. Le 8 mai, Henri Krasucki est présent à Alès pour apporter le soutien de toute l’organisation aux mineurs grévistes. Et le Parti communiste n’est pas en reste : dirigeants nationaux, rassemblements régionaux, maires communistes d’Alès et de Saint Martin de Valgalgues et députés communistes du Gard sont omniprésents tout au long du conflit5. Le 4 décembre 1979, à Paris, le Parti communiste présente un Mémorandum : le charbon ressource nationale, énergie d’avenir6. Cinq jours après le début de l’occupation de Destival, le 10 mai 1980, le parti communiste organise une grande marche régionale, Viure/Vivre, sur Montpellier pour revendiquer le droit de vivre au pays. Les mineurs y auront, déjà, leur place7.
Image 1 : Claude Alranq en tête de la manifestation. Photo Jean-Louis Estèves. Tous droits réservés
6CGT et PCF mettent tout leur poids pour tenter de gagner. Ils veulent obtenir la poursuite de l’exploitation de la houille à Alès grâce à l’ouverture du gisement de l’Adrech qui se situe au nord de Destival et est accessible depuis les installations déjà existantes.
Image 2 : Le gisement de l’Adrech , schéma du géologue Michel Wienin (Clinton, n° 255 du 13 au 23 mars 1980). Tous droits réservés
- 8 Selon le Dictionnaire Historique de le Langue Française (Robert) ce terme occitan devenu « adret » (...)
7Le mot Adrech, adreit, signifie « versant exposé au sud, au soleil »8, il deviendra avec la grève qui commence Ladrecht. Dès lors on parle de « la grève de Ladrecht ». Le mot sera un des marqueurs symboliques de ce conflit social. Un marqueur occitan, donc. Et si CGT et PCF sont à l’initiative de cette lutte, s’ils ont le contrôle de ce mouvement revendicatif, on peut noter l’utilisation récurrente du slogan « Vivre, travailler et décider au pays/ Viure, trabalhar e decidir al país » présent sur les murs, sur les banderoles et comme slogan dans les rassemblements.
- 9 Mouvement d’Intervention Viticole Occitan créé en 1975 dans l’Hérault.
8Pendant ce combat des mineurs de Destival, certains occitanistes sont souvent présents à Alès ou à Montpellier, dans les manifestations et les meetings… C’est tout particulièrement le cas de Robert Lafont. Ce dernier est souvent accompagné de Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé. Il faut aussi citer une des figures de la Nòva cançon Claude Marti, ou l’homme de théâtre Claude Alranq, ainsi que le viticulteur Jean Huillet, fondateur et animateur du MIVOC9. Les photos de Jean-Louis Estèves, photo-reporter à La Marseillaise au Travailleur du Languedoc, témoignent de la participation de ces figures occitanistes.
Image 3 : Photo Jean-Louis Estève (tous droits réservés).
Sur cette image, prise au fond de la mine, le 19 juillet 1980 on reconnaît, de gauche à droite, Claude Alranq, du Théâtre de la Carrièra, Emilien Soulié viticulteur du MODEF, puis Jack Ralite, alors responsable de la Culure au PCF, au-dessus Paul Laurent, membre du Comité Central, du Bureau Politique et du Secrétariat du Parti, Claude Mazauric, historien communiste, la députée communiste Myriam Barbera avec, derrière elle, Emmanuel Maffre-Baugé puis Robert Lafont et à droite Jean-Pierre Chabrol. La main qui désigne Gilbert Millet, député du Gard, qui est devant, est assurément celle d’un délégué CGT de la mine. Ce jour-là un drapeau occitan a été déposé sur le mur interdisant l’accès au gisement de Ladrecht depuis Destival. Cette photographie illustre parfaitement ce moment de rapprochement entre militants occitanistes et communistes.
9Localement, des militants occitanistes popularisent aussi la grève. On peut ainsi citer l’équipe rassemblée autour d’Alain et Suzanne André, qui sont membres du PSU et du mouvement Volem viure al païs, et qui fabriquent, aux Mages près d’Alès, le petit hebdomadaire Clinton. Dans les manifestations de soutien, les drapeaux occitans sont très nombreux, tout particulièrement lors des grands rassemblements régionaux. Et partout, on retrouve le slogan : « Vivre, travailler et décider au pays », en français et en occitan.
10La participation d’occitanistes prestigieux contribuera à rassembler des foules importantes. Plus de quarante ans après, le délégué CGT de Destival, F. Iffernet, se souvient que les grévistes ont alors pu compter sur la solidarité de la « Région » pour tenir aussi longtemps.
- 10 Sud, n°8, du 8 au 14 mars 1976, interview de Maurice Verdier
11Pourtant, jusque-là, pour beaucoup de membres de la CGT et/ou du Parti communiste, les militants occitanistes étaient souvent vus comme faisant partie de la mouvance « gauchiste » issue des années 68. Ainsi le secrétaire de la fédération de l’Hérault du PCF disait-il en mars 1976 : « Pour beaucoup d’entre nous l’occitanisme s’identifiait au gauchisme »10. Ces occitanistes étaient regardés avec méfiance, on craignait qu’ils entraînent les mouvements sociaux sur des chemins aventureux… Pourtant, au moment du conflit de Ladrecht, non seulement la présence de Robert Lafont est devenue possible, mais des liens avec des dirigeants locaux du PCF se sont noués. Comment un tel revirement a-t-il pu avoir lieu ?
- 11 Organisée par le Règlement communautaire 816/70 qui entre en vigueur le 1er juillet 1970
- 12 Sud, n°17, mai 1976, p. 3
12À partir de 1970, la libéralisation du marché du vin11 au sein du Marché commun conduit à une accentuation de la concurrence intracommunautaire, à une baisse des prix et à la fréquente mévente, en particulier des vins de table, à la mécanisation et à l’endettement des exploitations, à un processus de concentration qui va s’accélèrant et à la disparition d’une grande partie des petits et moyens exploitants. De 1970 à 1976, les viticulteurs languedociens, souvent soutenus par les élus locaux, multiplient manifestations et actions coup-de-poing en particulier contre les importateurs et les négociants qui profitent de la situation. L’exaspération monte, dans l’Aude en particulier. En même temps, des contacts sont pris entre viticulteurs et syndicats de salariés, dont la CGT avec son secrétaire régional Émile Grevoul. Et les vignerons, surtout les plus jeunes, ne sont pas imperméables aux analyses et aux revendications du mouvement occitaniste. Quelque chose comme une convergence régionale semble commencer à se construire. Le Parti communiste ne peut pas rester en marge de ce mouvement social régional. Dès le 5 février 1976, il soutient la journée « villes mortes » organisée par les syndicats de vignerons et de salariés. En mai 1976, le secrétaire général du Parti, Georges Marchais, vient de Paris pour rencontrer les responsables du Comité Régional d’Action Viticole (CRAV). Parmi eux, Michel Romain indique alors que le PCF est le seul parti qu’il a pu rencontrer12.
- 13 Sud, n°8, du 8 au 14 mars 1976, interview de Maurice Verdier
13Dans le même temps le PCF s’est rapproché d’une fraction des militants occitans. Le secrétaire de sa Fédération de l’Hérault, Maurice Verdier, a finalement su se faire le messager des aspirations languedociennes du moment et convaincre Georges Marchais qu’un tel rapprochement était une occasion à ne pas manquer. Ce n’était certes pas évident au départ : début mars 1976, M. Verdier répondait au journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait « des analyses de Robert Lafont et de la revendication autonomiste » : « Nous ne leur portons pas beaucoup d’intérêt. La thèse de l’autonomie est inacceptable. Remettre en cause la nation française nous semble aberrant. Ce serait retourner à un passé complètement liquidé »13. Robert Lafont raconte la suite dans Pecics de mièg-sègle :
Despend, aquesta [seguida] de la mobilizacion montpelhieirenca del 29 d’abril de 1976 e d’un petit libre, Autonomie, de la région à l’autogestion, que Gallimard publica pas gaire aprèp, amb de fotòs de la manifestacion en cubèrta. Sul libre, la negociacion es menada per ma collaboratritz en linguistica e sociòlinguistica, Francesa Gardès-Madray, membre del Partit. Es aital que me tròbi un jorn, sota las voltas d’un restaurant de Montpelhièr que datan del Palais de Jaume d’Aragon, davant aquel petit òme torçut que me contestava fa pas gaire, confrontat a aquel agach d’un negre de jaiet ont lusís une intelligéncia fòra l’ordinari. Estalinista de carrièra, manobrièr, aprofechaire d’escasenças, tot çò que voldretz. Dempuèi un brieu, soi despiuselat en politica. Çò que li expliqui. E pas lest a prene ges de carta enluòc. N’es d’acòrdi. L’essencial es que sus lo libre, ara se ditz el d’acòrdi, e sabi pas se prèn sas riscas dins lo Partit, o se i a ja presas sas precaucions. Li laissi sas coladissas, e las li daissarai sempre, fins a aquela autra manjada, al Faisan Doré aquesta, a dos cents mètres de l’Elisèu, ont m’atròbi temptar d’explicar, mandat per Maurici, l’occitanisme a un Georges Marchais que sembla fòra lo menut als autres dinnaires. « Les camarades disent que vous avez raison » : tot lo mistèri del rescontre es dins aquela frasa.
[Elle dépend, cette[suite], de la mobilisation montpelliéraine du 29 avril 1976 et d’un petit livre, Autonomie : de la région à l’autogestion, que Gallimard publie peu après, avec des photos de la manifestation en couverture. Sur le livre, la négociation est menée par ma collaboratrice en linguistique et en socio-linguistique, Françoise Gardès-Madray, membre du Parti. C’est ainsi qu’un jour je me trouve devant ce petit homme tordu qui me critiquait il y a peu, confronté à ce regard d’un noir de jais où luisait une intelligence hors de l’ordinaire. Stalinien de carrière, manœuvrier, opportuniste, tout ce que vous voudrez. Depuis un moment, je suis deniaisé en politique. Ce que je lui explique. Et prêt à ne prendre de carte nulle part. Il en est d’accord. L’essentiel est que sur le livre, maintenant, il se dise d’accord, et je ne sais pas s’il prend le risque vis-à-vis du Parti ou s’il a pris ses précautions avant. Je lui laisse ses coulisses, et je les lui laisserai toujours, jusqu’à cet autre repas, au Faisan Doré celui-là, à deux cents mètres de l’Elysée, où je me retrouve, envoyé par Maurice, à tenter d’expliquer l’occitanisme à un Georges Marchais qui semble un peu décalé par rapport aux autres clients.« Les camarades disent que vous avez raison. » : tout le mystère de cette rencontre est dans cette phrase. »] (Lafont, 1999, 93, 94)
14Jean-Marie Guillon, dans un article intitulé « De Maurin des Maures à Maffre-Baugé, le récit occitan de l’Humanité », montre comment ce rapprochement avec les occitanistes languedociens est visible à la lecture du quotidien du Parti :
- 14 GUILLON, Jean-Marie, 2005, « De Maurin des Maures à Maffre-Baugé, le récit occitan de l’Humanité », (...)
[…] la grande césure, la prise en compte totale du discours occitan des communistes languedociens par le Parti, se situe entre 1976 et 1977. La progression du nombre d’articles consacrés à cette région est spectaculaire. Le Languedoc, l’Occitanie, paraît avoir joué un rôle de déclencheur dans la « prise de conscience » régionale du PC14.
15Après la fusillade de Montredon en mars 1976, écrit-il :
- 15 GUILLON, Jean-Marie, 2005, p. 89
Le PC contribue à la désescalade qui commence aussitôt. Il cherche à rendre le mouvement plus politique. C’est alors que le « droit de vivre et de travailler au pays » apparaît pour la première fois dans les colonnes du quotidien, le 30 avril, dans le compte rendu de la grande manifestation de Montpellier.15
16J-M Guillon montre ensuite comment cette position « régionaliste » reste ambiguë :
- 16 Interview de Georges Marchais, secrétaire général du Parti.
- 17 Guillon, Jean-Marie, 2005, p. 89
Dans le même numéro, est reprise une interview16 donnée au Midi Libre sous le titre « Comment nous sommes régionalistes ». Le « droit de vivre et de travailler au pays » s’impose désormais comme une antienne. Il triomphe tout au long de 1977 jusqu’à la Fête de l’Humanité, qui en est en quelque sorte la consécration. Mais, s’il reste étroitement lié à la vigne et au Bas-Languedoc, il commence à s’élargir à la défense de l’emploi sur tout le territoire.17
17Entre 1975 et 1980, l’hebdomadaire Sud édité à Montpellier par une équipe rassemblée autour de Jacques Molénat permet également de suivre, semaine après semaine, les relations entre communistes et militants occitans. Ainsi, par exemple, son numéro 8, du 8 au 14 mars 1976, introduit ainsi l’interview, évoquée plus haut, de Maurice Verdier, le responsable du Parti dans l’Hérault :
Occitanisme : jusqu’où va le Parti Communiste ?
Les communistes de la région n’identifient plus occitanisme et gauchisme. Un responsable du PCF s’explique sur la nouvelle analyse de la revendication occitane.
18Ce rapprochement, espéré par une partie significative des militants communistes du Languedoc-Roussillon, apparaît comme le produit d’un virage inattendu compte-tenu des positions nationalistes du PCF depuis la Libération. On en soulignera ici la pluralité des facteurs explicatifs :
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Localement, les militants du PCF et de la CGT, en particulier les plus jeunes, ne pouvaient être totalement imperméables au « borbolh occitan » qui caractérise les années soixante-dix. Dans l’Hérault, la fête du Parti qui se tenait chaque année à Issanka voyait passer, le temps d’une fin de semaine, de 40 000 à 50 000 personnes. Durant cette période, c’était aussi une fête « occitane », avec stands de presse et de livres occitans, spectacles, chansons et drapeaux occitans.
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Entre 1976 et 1977, la position officielle du PCF sur la question régionale évolue un peu. Au départ, il prône un strict partage des rôles : aux mouvements nationalitaires la culture, au Parti la politique. Mais en décembre 1977, il prend parti pour un véritable pouvoir régional. Et il va déposer une proposition de loi allant dans ce sens.
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3. Des résultats électoraux décevants pour le PCF vont transformer l’union avec le PS en un « combat » et mener à la rupture de l’Union de la gauche en septembre 1977. Ce recul électoral va aussi conduire le PC à s’appuyer sur les mobilisations sociales (viticoles et ouvrières) pour tenter de regagner son audience, longtemps forte dans le Languedoc.
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4. Parallèlement, le relatif isolement de la CGT, après le « recentrage » de la CFDT, en 1978, l’a amenée à rechercher d’autres alliés pour élargir le soutien : c’est le cas pour la grève des mineurs de Ladrecht.
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5. La préparation des élections européennes de juin 1979 est l’occasion d’afficher à la fois une stratégie contrastant avec celle du PS et un rapprochement avec le mouvement occitaniste.
19C’est dans ce cadre que le manifeste « Mon païs escorjat » est présenté le 27 octobre 1978 et publié le lendemain dans L’Humanité. Il est écrit par Robert Lafont, Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé. La Marseillaise rendra régulièrement compte de l’évolution du nombre des signatures de ce manifeste qui dénonce les dangers pour l’agriculture occitane de l’entrée prévue de la Grèce, puis de l’Espagne et du Portugal dans le Marché commun. Le texte est édité sous forme de tract, en deux versions, occitan et français. Il donne lieu à l’édition d’une très belle affiche
Image 4 : Version française du texte « Mon païs escorjat »,
Image 5 : Affiche créée par un graphiste, collection particulière
20Sa diffusion, qui utilise les moyens militants d’avant internet (courrier papier notamment) se fait aussi lors de plusieurs meetings dont voici un exemple
Image 6 : Affiche annonçant un meeting de la section d’Arles du PCF lié au manifeste « Mon païs escorjat ». Outre Lafont, Maffre-Baugé et Chabrol, on repère Marcel Bonnet « Majoral du Félibre » [sic], les militants communistes Claude Mazauric et René Merle, ainsi qu’Émile Breton, journaliste à l’Humanité.
- 18 Entretien du 19 juin 2022
21En parallèle, un certain nombre de militants occitanistes se prêtent au jeu. Parmi eux, Robert Lafont a le rôle principal. Il travaille alors à l’Université Paul Valéry, entre autres choses, à des travaux de sociolinguistique avec Françoise Gardès-Madray qui est militante communiste et fait le lien entre le Parti et lui. Durant cette deuxième moitié des années soixante-dix, si l’on en croit Henri Meynadier18 (qui était alors avec Myriam Barbera une sorte de bras droit du secrétaire de la fédération du Parti dans l’Hérault), il y avait, entre ces responsables du PCF, les principaux syndicalistes de la viticulture et le monde local de la culture des relations personnelles et des échanges très fréquents. Lafont était une des figures de ce monde local de la culture. Il était régulièrement présent, comme s’il ne voulait pas manquer une occasion d’être aux côtés du peuple occitan en lutte.
22Élargir la base sociale du mouvement occitan, sortir de l’entre-soi intellectuel est en effet une préoccupation constante de Robert Lafont. Dès les années cinquante, sa volonté de coller au mouvement social est explicite : pour lui c’est une nécessité pour construire une véritable renaissance occitane. Dans le numéro 6, d’avril 1957 de la revue Occitània, il commémore le cinquantenaire de la révolte viticole de 1907 :
Il ne fut jamais d’année comme 1907. Il n’en est pas de plus chère à notre cœur d’occitan. Une année pleinement occitane, en dehors de toutes les idéologies successives de l’occitanisme. Les mouvements immenses des foules languedociennes signifièrent cette année-là l’existence d’une Occitanie que l’on avait oubliée à Paris, que l’on croyait peut-être évadée dans des songeries félibréennes, mais qui se réveillait, faite de milliers d’hommes affamés, qui affirmait sa voix à l’heure de son fameux « darrièr crostet ».
23Et, un peu plus loin, il ajoute qu’il y voit :
- 19 Le titre Occitania a été repris plusieurs fois durant le 20ème siècle. En 1905, c’était une revue c (...)
[…] Ce que pouvait l’Occitanie pour affirmer qu’elle existait, au début de ce siècle, et, peut-être, ce qui serait encore possible aujourd’hui dans des circonstances exceptionnelles.19
24Avec la grève de Decazeville, en 1962, cet espoir d’être partie-prenante d’un mouvement occitan réellement populaire semble se concrétiser. Les militants occitanistes n’y voient pas seulement une grève ouvrière contre une fermeture de mine, mais aussi une alliance entre ouvriers, paysans, petits commerçants et classes moyennes intellectuelles qui se soulèvent pour que leur région vive, qui refusent le « colonialisme intérieur ». Dins Pecics de mièg sègle, Lafont écrit à propos de ce mouvement social « Le temps de la solidarité populaire et de l’analyse intellectuelle commença » (Lafont 1999, 21). Peu après, en 1962 aussi, le Comité Occitan d’Études et d’Action est créé. Il rassemble les occitanistes qui ne se satisfont pas d’une approche uniquement culturelle de la revendication occitane. C’est ce Comité qui publie la revue Viure à partir de 1965. En 1971, le COEA donnera naissance à Lutte Occitane. Dans le même ouvrage, Lafont rapproche la « joie » qu’il a eu à être partie prenante du mouvement populaire qui a soutenu la grève de Ladrecht de celle qu’il avait éprouvée le 24 juin 1973 à Montségur où « cinq mille jeunes se sont rassemblés » à l’appel de Lutte Occitane. Et il remercie les communistes qui ont permis ce moment de bonheur :
Mas me devi d’evocar per dever de memòria los òmes e las femnas que tornavi trobar après quaranta ans de divòrci. Los meteisses, parièr coratge, parièra solidaritat elementara, parièra fisança dins la consciéncia de classa, qu’aviá sempre lo gost d’una ceremoniá de familha entorn de l’afachada. Parièra insercion populara occitana tanben. E la gaug ! Es per conviccion qu’escriguèri en prefaci a las fotòs de la grand lucha dels carbonièrs cevenòls : « Le rire de Ladrecht ». (Lafont, 1999, 94)
[Mais je me dois d’évoquer par devoir de mémoire les hommes et les femmes que je retrouvais après quarante ans de divorce. Les mêmes, le même courage, la même solidarité élémentaire, la même confiance dans la conscience de classe, qui avait toujours la saveur d’une cérémonie de famille en train de se préparer. La même insertion populaire occitane aussi. Et la joie ! C’est par conviction que j’ai écrit en préface des photos de la grande lutte des mineurs cévenols : « Le rire de Ladrecht ».]
25Depuis sa jeunesse, Robert Lafont a une claire conscience de la nécessité pour les occitanistes de s’appuyer sur un large mouvement populaire pour faire progresser la revendication occitane. Il ne veut pas manquer une occasion, comme Mistral avait manqué, selon lui, le rapprochement avec les vignerons de 1907. À partir de la fin de 1976 et jusqu’en 1981, pour Lafont, c’est encore une telle occasion qui se présente. Le moment où « la lutte relaie la proclamation intellectuelle, où la revendication occitane n’est plus celle des occitanistes, mais celle des masses populaires d’Occitanie. » (Lafont 1974, 315)
26Finalement, le Parti communiste, avec la CGT, trouva son compte à ce rapprochement qui lui offrit un soutien de poids pour espérer gagner à Destival dans une période de relatif isolement et de fragilité électorale. Ce fut aussi un moment où il put montrer sa sensibilité aux aspirations à plus de démocratie et à une plus grande autonomie régionale.
27Parallèlement, cela permit au mouvement occitan de prolonger, pour un temps, élan et poids social, alors que le « borbolh occitan » commençait à faiblir et que la crise entre les militants occitanistes était à son paroxysme.
28Quarante ans après, l’émotion des militants qui étaient alors communistes et occitanistes est toujours aussi vive lorsque l’on évoque avec eux ce moment d’unité qu’ils et elles n’avaient pas osé espérer, même s’ils regrettent qu’il n’ait été que de courte durée.
29En effet, cette période de rapprochement ne s’est pas prolongée au-delà de 1981. La participation au gouvernement de la gauche unie à partir de 1981 ou le départ des ministres communistes en juillet 1984, après le tournant de la « rigueur », ont-ils conduit le parti communiste à passer à autre chose ? La poursuite des délocalisations et de la désindustrialisation générale de la France a-t-elle relativisé la question régionale, entraînant avec elle les mouvements nationalitaires et parmi eux le mouvement occitaniste ?