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Vu d'Occitanie : parler d'une seule voix, mission impossible ?

De Lutte occitane à Volèm Viure Al Païs : vers un (in)certain nationalisme

Yan Lespoux

Résumés

Les années 1970 marquent le retour du politique dans l’occitanisme, d’abord à travers le mouvement Lutte occitane, organisation d’extrême-gauche autogestionnaire, puis, à partir de 1974, avec les comités Volèm Viure Al Païs. Ces derniers deviennent eux-mêmes un mouvement, socialiste et autonomiste qui laisse apparaître certaines tendances nationalistes. Cet article a pour objectif de proposer de premières pistes de compréhension sur les liens et les divergences entre ces deux mouvements durant la décennie 1970.

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Texte intégral

1Plus qu’une analyse précise de cette transition, nous allons essayer de la contextualiser et d’ouvrir quelques pistes préliminaires à une recherche plus large sur ce pan jusqu’ici peu abordé par la recherche de l’histoire politique du mouvement d’oc post 1968. On ne peut d’ailleurs que se féliciter que des doctorants comme Catherine Gossez, Camille Courgeon, Damien Canavate ou Guillaume Genoud que l’on retrouve dans ce dossier se saisissent en partie de ce sujet.
Ce que nous allons essayer de comprendre à travers cet article, c’est comment le mouvement politique occitan glisse progressivement vers la division puis vers la quasi hégémonie d’une de ses tendances attirée par une certaine forme de nationalisme et/ou de populisme. Comment, aussi, structures politiques et culturelles tendent à se fondre après avoir tenté de bien séparer leurs champs d’action.
Nous essaierons enfin de déterminer les chantiers à venir pour une connaissance plus fine de cette période charnière de la revendication d’oc contemporaine.

2Le débat est ancien, pour ne pas dire éternel, dans la Renaissance d’oc quant à la place à donner aux questions de culture et de politique. Si l’on se contente de considérer la question à partir de la Libération et de la création de l’Institut d’études occitanes (1945), on pourrait penser que, pour un moment au moins, ce débat est dépassé. Comme dans le mouvement breton évoqué par Tristan Loarer dans ce numéro de Lengas, la voie culturaliste semble être la seule possible dans une France à nouveau unie après la guerre et dans laquelle toute revendication politique régionaliste sonnerait comme une provocation. Le problème est bien entendu moins grave pour les Occitans que pour les Bretons puisqu’ils n’ont jamais mis en place jusqu’alors de véritable parti politique – à l’exception d’un éphémère et peu actif Parti occitaniste dans les années 1930 – et que, s’ils ont régulièrement montré des velléités fédéralistes, ils ont toujours donné la priorité à la revendication culturelle. Ils n’ont par ailleurs pas, comme les Bretons, à payer la dérive collaborationniste d’un organisme comme Breiz Atao. Ainsi la position de l’IEO dans les années d’après-guerre pourrait-t-elle se résumer à cette phrase de Félix-Marcel Castan dans son rapport à l’assemblée générale de l’IEO d’avril 1950, repris dans le n° 177 de la revue OC : « Nòstra fòrça vendrà pas d’èsser los representants d’una nacion menora, mas d’una cultura superiora. » [Notre force ne viendra pas du fait d’être les représentants d’une nation mineure, mais d’une culture supérieure].

3Certes, la revue L’Ase negre – Occitania, fondée par Léon Cordes, Hélène Gracia et Robert Lafont, tous membres de l’IEO, en 1946 ne dissimule pas son fédéralisme inspiré de la précédente revue Occitania fondée par Charles Camproux, mais elle reste confidentielle et ne revendique jamais un nationalisme occitan.

  • 1 LAFONT, Robert, « Raport moral. La vida provinciala e la cultura populara », OC, juillet 1952.

4Néanmoins, le temps passant, la question régionaliste émerge au sein de l’IEO. Elle donne lieu à de nombreux débats entre tenants d’une voie culturaliste menés par la figure de Félix-Marcel Castan qui tiennent à conserver pour l’IEO une mission seulement culturelle, et les tenants d’une ouverture de l’Institut aux questions socio-économiques, menés par Robert Lafont. Une pensée régionaliste se développe au sein de l’Institut sous l’impulsion notamment de Charles-Pierre Bru dès 1950, mais elle esquive en partie les questions socio-économiques pour s’en tenir au culturel. Ces débats suscitent des tensions qui débouchent sur des crises, en particulier en 1954 lorsque Félix-Marcel Castan démissionne de ses activités au sein de l’IEO. Néanmoins, Castan comme Lafont rejettent vigoureusement tout nationalisme occitan pour s’inscrire clairement dans un cadre national français comme l’a démontré Laurent Abrate (Abrate, 2001) et comme le disait explicitement Lafont, en tant que secrétaire général de l’IEO, dans son rapport moral de 1952 : « Occitania es una part integrada a la nacion francesa1 » [L’Occitanie est une part intégrée à la nation française]. Pour Abrate, toujours, ce rejet du nationalisme occitan est en grande partie le reflet d’un réel nationalisme français mais aussi, chez beaucoup d’occitanistes, d’un nationalisme occitan impensé ou que l’on se refuse à penser. Dès lors, des brèches peuvent s’ouvrir pour qui affirmerait ce nationalisme. C’est le cas de François Fontan dont Robert Lafont dit qu’il « commence à exposer la thèse sans fard d’un nationalisme séparatiste » dès 1954, thèse qui débouche l’année suivante sur un manifeste nationaliste lu lors de l’Assemblée générale de l’IEO de 1955 (Lafont, 1974, 263). Ainsi les thèses de Fontan qui donnent naissance en 1959 au Parti nationaliste occitan (PNO) font-elles leur chemin chez une partie des occitanistes comme Pierre Bec ou Yves Rouquette. Robert Lafont le dit lui-même : « nous admettons la pression latérale que le PNO a exercée » (Lafont, 1974, 269), exprimant ainsi le fait que, si l’IEO rejette l’ethnisme de Fontan et de son parti nationaliste, celui-ci pousse néanmoins l’Institut à ne pas se contenter d’investir le champ culturel ou la théorisation des faits socio-économiques. De fait, la voie socio-économique qui l’a emporté en 1954 face à Castan s’ouvre peu à peu au politique. C’est là à la fois la suite logique de cette pensée socio-économique actée par l’échec de l’expérience du journal Occitania fondé en 1956 par Pierre-Louis Berthaud, Ismaël Girard et Robert Lafont et qui tentait d’envisager ces questions au seul prisme des régions économiques françaises et sans doute aussi une réaction visant à ne pas laisser le monopole du politique au PNO.

5Le Comité occitan d’étude et d’action (COEA) fondé en 1962 à la suite de la grève des mineurs de Decazeville se saisit donc des questions politiques. Le COEA apparait comme indépendant de l’IEO mais y est étroitement lié puisque ses membres appartiennent aussi à l’Institut et que Robert Lafont a démissionné de ses fonctions de dirigeant de l’IEO pour le créer. En lien avec les clubs et partis de la deuxième gauche, an particulier avec le PSU de Michel Rocard, le COEA élabore tout un corpus de réflexion régionaliste sous la direction de Lafont.

Figure 1. « Principes d’une action régionaliste progressiste », seconde édition (1966) chez l’incontournable Barnier à Nîmes

  • 2 « Sur la France e sus Occitània. Debat amb Joan David, Joan Larzac, Ives Roqueta e Robèrt Lafont », (...)

6Or, il se trouve qu’en mai 1968, dans le n°12 de la revue Viure, que l’on pourrait présenter comme organe officieux du COEA, les thèses néo-régionalistes que Robert Lafont a développées dans La révolution régionaliste (Gallimard, 1967) et Sur la France (Gallimard, 1968) sont remises en cause par Yves Rouquette, Jean Rouquette – dit Jean Larzac – et Jean David2. Pour résumer la position de Lafont, dans Sur la France, Lafont, distingue deux types de nations. Il y a d’abord des nations primaires ou ethno-linguistiques qu’un processus historique (conquêtes, annexions…) regroupe dans le cadre d’un État (la monarchie capétienne, dans le cas français). Dans un second temps, cet État devient « nation secondaire », ou État-Nation, à la suite d’un événement historique (la Révolution de 1789 pour la France) à travers lequel « la classe dirigeante du pays qui, dans son activité économico-politique, crée la culture vivante, l’institutionnalise, la pare de toutes les surestimations habituelles pour en faire une foi publique, l’insère dans l’enseignement officiel et couronne ainsi l’édifice national » (Lafont 1968, 55). La France serait ainsi une nation secondaire inaboutie et tiraillée par un conflit latent entre justement son désir d’être une nation secondaire universelle et son incapacité à intégrer les nations primaires préexistantes qu’elle a fini par aliéner. C’est de cette impossibilité à se réaliser en tant que nation secondaire que serait né le nationalisme français en particulier à cause de la bourgeoisie capitaliste qui a confisqué la Révolution française à son profit.

Figure 2. Viure n° 12, 1ère et 4ème de couverture, OURS, sommaire, début de l’article David, Rouquette, Larzac.

7Les frères Rouquette et Jean David portent quant à eux une vision plus nationaliste occitane. Pour Yves Rouquette, la France n’est pas une nation. Il s’agit seulement d’un État qui désire accéder à ce statut de nation mais qui, pour cela, doit uniformiser sa population. L’étape inévitable est alors celle de la destruction de ce que Rouquette voit comme des nations allogènes par rapport à l’ethnie dominante. L’État, pour mener son projet national, lutte donc contre ces langues et cultures minorisées. Aussi, en réaction – en défense, en somme – Rouquette présente un projet clairement nationaliste :

  • 3 « Sur la France e sus Occitània. Debat amb Joan David, Joan Larzac, Ives Roqueta e Robèrt Lafont », (...)

Fins ara avèm tengut a tot lo mond, a nosautres, a l’esquèrra francesa e a l’esquèrra d’Occitània, un lengatge prudent, rassegurant e timid. Avèm vestit de regionalisme nòstra revindicacion nacionala. Aquel temps s’acaba e es astruc que siá lo libre de Lafònt que ne sone lo clas. Podèm ara parlar boca doberta, e, donant a la realitat França sa clara definicion d’Estat, avèm desenant lo dever de militar per que l’esquèrra de França se risque a far lo pas que l’esquèrra d’Espanha ven de far per son compte : la reconeissença de fach que França es un Estat multinacional e que se deu tornar organizar coma tal, dins la perspectiva d’un passatge a terme a un Estat Europenc, multinacional el tanben e de contengut socialista3.

[Jusqu’à présent nous avons tenu à tout le monde, à nous-mêmes, à la gauche française, à la gauche d’Occitanie un langage prudent, rassurant et timide. Nous avons habillé de régionalisme notre revendication nationale. Ce temps s’achève et il est heureux que ce soit le livre de Lafont qui en sonne le glas. Nous pouvons maintenant parler la bouche ouverte, et, en donnant à la réalité France sa claire définition d’État, nous avons dorénavant le devoir de militer pour que la gauche de France se risque à faire le pas que la gauche d’Espagne vient de faire pour sa part : la reconnaissance de fait que la France est un État multinational et qu’il doit se réorganiser comme tel, dans la perspective d’un passage à terme à un État Européen, multinational lui aussi et avec un contenu socialiste].

8Dans le même temps, lors de son assemblée de Muret en 1968, l’IEO affirme son désir de « décoloniser les études occitanes ». L’organisme culturel et scientifique se donne ainsi une mission sociale et politique de désaliénation du peuple occitan. Si la ligne économiste et politique était à ce moment-là assumée au sein de l’Institut, ce dernier avait jusqu’alors tenté de bien séparer le champ de l’action culturelle (qui lui était dévolu) et le champ de l’action politique (laissée au COEA). 1968 marque ainsi non pas l’irruption mais à tout le moins l’infusion plus forte de ce champ politique au sein de l’IEO.

9La question régionale vient un moment au cœur du débat politique national, par le biais du référendum sur la régionalisation d’avril 1969. Il s’agit cependant d’une régionalisation… très centralisée puisque le projet envisage de confier l’autorité régionale à un préfet nommé par le gouvernement. De toute manière, on le sait, ce référendum est avant tout prétexte à un plébiscite pour ou contre de Gaulle qui se solde par un vote de rejet et la démission du chef de l’État. Toutefois, les résultats donnent au moins une information aux occitanistes : le non a été majoritaire dans l’espace occitan. Cela conforte les positions du mouvement, ancré à gauche, et vient ajouter à ses prétentions de s’affirmer comme un mouvement non plus seulement culturel mais bel et bien politique.

  • 4 Le journal est disponible en version numérique sur le site du CIRDOC-Institut occitan de cultura : (...)

10Le COEA s’auto-dissout en 1971 et laisse la place à Lutte occitane dont il fournit une partie des meneurs. Lutte occitane ne se présente pas explicitement comme un parti, mais comme un mouvement, agrégation de collectifs locaux qui ont en commun d’être gauchistes. On y dénombre toutefois quelques absents à commencer, explique Lafont (Lafont, 1974, 309), par Yves Rouquette. L’organisation édite une revue éponyme dont paraîtront 39 numéros entre 1972 et 1980. Il s’agit d’un journal bimestriel publié à Toulouse sous la direction de Gaston Bazalgues, alors assistant d’occitan à l’Université Paul-Valéry4.

Figure 3. Première page du numéro 1 de Lutte occitane, archives CIRDOC.

11Une synthèse entre l’internationalisme et une forme de nationalisme est néanmoins tentée. Dans Le petit livre de l’Occitanie publié en 1971 (encore sous l’étiquette du COEA malgré la dilution de ce dernier dans Lutte occitane) apparait ainsi énoncé cet axiome selon lequel « Il n’y a pas d’internationalisme si on nie les nations » (Larzac, 179).

Figure 4. Le petit livre de l’Occitanie, 1ère éd. 1971, 4 Vertats (éditions dirigées par Larzac à Ardouane (34) ; sommaire ; 2ème éd. 1972, Maspero.

12Pour autant, et si en d’autres occasions des positions nationalistes peuvent être évoquées comme lors de cette réunion du PSU à Narbonne en 1971 sur le thème du problème nationalitaire dont Robert Lafont dit qu’elle « donne au "nationalisme révolutionnaire" une caution certaine (elle a pour thème le problème nationalitaire en France et conclut "au droit de séparation" des nationalités) » (Lafont, 1974, 304), le mouvement éprouve une certaine méfiance vis-à-vis de ce qui pourrait être interprété comme une dérive nationaliste. De fait, les penseurs, ou du moins une partie d’entre eux, du COEA, se veulent prudents en la matière. C’est ce que dit Philippe Gardy, rédacteur en chef de Viure, dans un article du numéro spécial de la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes, consacré en 1973 aux minorités nationales en France :

  • 5 Gardy, Philippe, « Nationalisme ou libération », Les Temps Modernes, n° 324-325-326, 29ème année, a (...)

[…] il n’y a pas en fait, dans un processus entamé de libération, d’opposition, comme certains voudraient le faire croire, entre l’idée-France et l’idée-Occitanie. Pour la bonne raison que ces deux idées, de quelque façon qu’on les tourne et les retourne, ne sont que les cadavres – hélas fort encombrants – d’une seule et même idéologie.
Se fabriquer à partir de la réalité foisonnante des « cultures nationales » n’est en fait rien d’autre que s’engouffrer dans le vieux mythe bourgeois de l’Un, de l’assimilation réductrice5.

13C’est aussi ce que dit très explicitement Lutte occitane dans le n° 9 de sa revue datée de mai-juin 1973, dans son « Texte d’orientation » où le nationalisme occitan est fortement rejeté, y compris ce qui avait pu en être dit par Jean Larzac dans Le petit livre de l’Occitanie en 1971 :

Nous condamnons le nationalisme occitan comme un paravent pouvant servir à une politique de collaboration de classes, au nom d’une nouvelle idéologie mythifiant les travailleurs celle du mythe de l’Occitanie éternelle et incréée car pouvant permettre toutes les récupérations possibles par les forces sociales et politiques les plus rétrogrades. […]
Nous condamnons enfin les entreprises de mystification intellectuelle qui circulent déjà dans le mouvement occitan (de certaines analyses du Petit livre de l’Occitanie à l’Encyclopédie Occitane) car la nation occitane en tant que telle n’a jamais existé. « Lutte Occitane » reconnaît l’existence d’une nationalité occitane mais qui n’a jamais eu le temps de s’identifier à une nation, c’est-à-dire à la construction d’un appareil étatique, ni même à la période préalable de prise de conscience. Mais nier la réalité passée de la « nation » occitane (au sens que les révolutionnaires bourgeois français du XVIIIe ont donné à ce concept qu’ils ont élaboré comme théorisation de leur pratique) ne veut pas dire pour autant qu’il n’existera pas un jour une nation occitane socialiste. Et, en conséquence, l’objectif magique d’indépendance ne peut rien résoudre à lui seul. La nation occitane est simplement en devenir mais dépend essentiellement de l’issue que prendra la lutte des classes dans cette partie du monde. Les ethnies n’ont rien d’éternel. L’histoire dans son développement tumultueux a connu bien des naufrages de peuple [sic] et de leur culture (les étrusques ou les ligures par exemple). Seuls survivront dans leur réalité nationale les peuples qui auront identifié leur combat à un authentique socialisme libérateur.

14Le socialisme d’abord, donc, et la nation ensuite, peut-être. Quelle nation ? Lutte occitane ne le dit pas. Laurent Abrate avait remarqué en ce qui concerne le COEA que le Comité ne définissait jamais clairement l’Occitanie. Loïc Basset fait le même constat pour Lutte occitane. Pour lui, le mouvement

d’una man aviá per objectiu la bastison d’una entitat occitana autonòma socialista apiejada sus la defensa del territòri, l’afirmacion d’un pòble, d’una cultura e d’una lenga dins l’encastre d’una França e quitament d’una Euròpa socialista, e […] de l’autra man dins l’encastre de son ideologia anti-nacionalista èra plan embestiat per definir aquela entitat (Basset, 116).

[d’un côté avait pour objectif la construction d’une entité occitane autonome socialiste appuyée sur la défense du territoire, l’affirmation d’un peuple, d’une culture et d’une langue dans le cadre d’une France et même d’une Europe socialiste, et […] d’un autre côté dans le cadre de son idéologie anti-nationaliste, était bien embêté pour définir cette entité.]

15On peut considérer que, dans une certaine mesure, les liens noués avec le PSU permettent de limiter les tentations nationalistes au sein de Lutte occitane. Toutefois, les élections législatives de 1973 changent la donne. En effet, le PSU remporte seulement 2% des suffrages, largement supplanté par le Parti socialiste qui a mis en place un programme commun avec les communistes. Se tourner vers le PS ? Ce n’est pas une option pour Lutte occitane comme l’écrit Gaston Bazalgues dans le numéro spécial des Temps modernes :

Figure 5. Les Temps modernes, Couverture du n° 324-325-326, « Minorités nationales en France »

  • 6 « Texte d’orientation générale de Lutte occitane – Assemblée Générale, mai 1973 », in BAZALGUES, Ga (...)

La gauche traditionnelle prétend simplement gérer la crise et son objectif ultime se réduit à essayer de s’en servir pour arriver électoralement au pouvoir d’État. C’est la démarche habituelle de la social-démocratie. Éloignée des bénéfices du pouvoir par la bipolarisation de la vie politique hexagonale qui est conséquente du gaullisme, elle entend y revenir en gauchissant son style et son vocabulaire dans le cadre d’une alliance avec le P.C.F. […]
Quant à la nouvelle extrême-gauche, au-delà de ses clivages traditionnels qui font que ses différentes chapelles s’excommunient réciproquement (spontanéistes et léninistes ; trotskystes et maoïstes) on ne peut constater qu’un bilan général d’échec. Qu’a-t-elle fait du vaste mouvement né en mai 68 ou plus près de nous dans la jeunesse lycéenne et étudiante du printemps 1973 ?6

  • 7 Ibid., p. 160.

16Gaston Bazalgues ajoute d’ailleurs que les militants de Lutte occitane tendent de plus en plus à « refuser le principe de la double appartenance »7 à un parti hexagonal et au mouvement occitan.

17Dans le même temps Lutte occitane devient le parti fort du mouvement occitaniste et même de l’occitanisme en général, puisque ses membres entrent massivement dans le Conseil d’études de l’IEO à partir de 1972, année où le rapport présenté à l’assemblée générale, intitulé « orientation d’une recherche occitaniste » prône la rupture avec le système universitaire bourgeois afin de pouvoir mener une recherche critique. C’est cette ligne qui va désormais être suivie par un Institut qui, après des débats qui culminent en 1974 sur la question de la cooptation des membres du Conseil d’études, finit en 1976, alors qu’Yves Rouquette devient secrétaire général de l’organisme, par ouvrir ce dernier à l’ensemble des membres de l’IEO. Il s’agit de transformer ce qui était vu par une partie de l’occitanisme comme un cénacle de mandarins à la tête d’un organisme seulement tourné vers l’érudition en un véritable mouvement de masse. Celui-ci doit être susceptible d’accueillir celles et ceux qui dans les années précédentes, à travers la Nouvelle chanson occitane et Lutte occitane, ont pris conscience de leur occitanité.

18L’échec de Robert Lafont à se présenter à l’élection présidentielle de 1974 – analysé dans ce dossier par Damien Canavate – a une double conséquence : le recul de l’option politique régionaliste ou nationalitaire portée par Lutte occitane et l’avènement des comités Volèm viure al païs (VVAP). Ceux-ci ont été initialement constitués pour récolter les signatures d’élus nécessaires à la candidature de Robert Lafont à l’élection présidentielle. Robert Lafont qui incarne Lutte occitane doit endosser son échec tandis que les comités VVAP prennent rapidement leur indépendance et adoptent un nouveau positionnement, plus autonomiste et même nationaliste.

19Dès lors, le conflit idéologique latent entre Lafont et les frères Rouquette se fait plus prégnant et se greffe par ailleurs sur la relation complexe qui existe entre Yves Rouquette et Robert Lafont qu’a étudiée Marie-Jeanne Verny (2023)

20Ce qui compte, en fait, c’est bien que deux conceptions différentes du rôle de l’IEO s’opposent au milieu des années 1970 en même temps que recule un occitanisme politique à la peine. Les rassemblements de plusieurs milliers de militants à Montségur organisés par Lutte occitane, qui accueillaient les chantres de la Nouvelle chanson, commencent à faire figure de glorieux mais lointains souvenirs. Le mouvement politique n’arrive pas à dépasser un stade théorique inspiré de modèles gauchistes dans lesquels, tant bien que mal, il essaie de placer une ébauche de projet occitan. Sans réelle forte assise militante ou théorique, il n’arrive qu’à se diviser, y compris dans sa partie culturelle. Car, même si cela complique singulièrement la tâche de compréhension de cette époque, il convient de toujours tenir compte du fait que la couche politique (Lutte occitane, VVAP) se superpose à la couche culturelle, à savoir l’IEO. Les deux partis ont conscience que l’occitanisme est avant tout culturel, politique ensuite. Il faut dès lors « tenir » l’IEO pour toucher une masse plus importante et renforcer son influence.

21De là naît en grande partie l’opposition entre les projets de VVAP et de Lutte occitane.

22Lafont, dans la foulée de ce entrepris avec Lutte occitane au début des années 1970, ne voit de salut pour l’Occitanie qu’au sein de la République française et de ses structures politiques. Mais la tentation nationaliste que Lutte occitane discerne dans VVAP est pour elle une impasse et même un dévoiement de la cause. C’est ce qu’énonce la plate-forme d’orientation générale de Lutte occitane présentée à Carmaux en novembre 1974 :

  • 8 « Plateforme d’orientation. Congrès de Carmaux », Lutte Occitane, n° 17, janvier-février 1975, p. 1 (...)

Les véritables frontières de notre nationalité populaire sont autant celles des classes sociales que celles de la Langue d’Oc sur une carte de l’hexagone.
Ceux qui ne retiennent que nos frontières géographiques tombent dans une illusion dangereuse : celle du nationalisme occitan. Ils ne sont révolutionnaires qu’en apparence. L’union de tous les occitans (gros et petits) contre tous les français (y compris les travailleurs) ne ferait que reproduire les idées que la bourgeoisie a voulu inculquer aux travailleurs dans tous les pays pour mieux les diviser et mieux les enchaîner8.

23Lutte occitane ne se prive pas non plus de dénoncer le confusionnisme et même le poujadisme qu’elle discerne dans une forme de nationalisme occitan de la petite bourgeoisie occitane :

  • 9 Ibid., p. 18 (les mots en gras de la citation sont présentés ainsi dans l’article original).

Sur un air connu, celui du nationalisme, elle met de nouveaux couplets, ceux de l’Occitanie éternelle ! […] Par le populisme elle se met à exalter les valeurs réactionnaires antérieures à la Révolution démocratique bourgeoise. Si elle glorifie ainsi les comportements intellectuels et moraux les plus traditionnels, c’est pour renforcer l’enveloppe réactionnaire qui emprisonne l’énergie révolutionnaire des masses. Elle espère dévoyer ainsi cette énergie dans l’impasse de la xénophobie.
[…] C’est une opération confusionniste. […] Elle applique le vocabulaire des luttes de libération nationale du Tiers-Monde aux problèmes intérieurs de l’hexagone. Cette phraséologie révolutionnaire fournit le camouflage politique nécessaire pour « piéger » l’enthousiasme de la jeunesse. C’est une « passerelle idéologique » commode : à partir d’une impatience révolutionnaire initiale, on peut devenir un aventurier politique. En réalité, il s’agit d’une tentative de collaboration de classe, menée sur des bases chauvines et poujadistes9.

  • 10 « Congrès de Luta Occitana a Caramaus », Vida Nòstra Revolum, n° 22, 15 novembre-15 décembre 1974, (...)

24Une question se pose là : qui est visé par cette diatribe ? L’aventure politique est-elle celle dans laquelle s’engage VVAP ? Ses militants peuvent-ils être vus comme des membres de la petite bourgeoisie occitane (comme le sont d’ailleurs pour bonne partie ceux de Lutte occitane) ? Cette attaque vise-t-elle alors d’autres groupes et/ou partis comme le PNO ou Pòble d’òc ? En 1974, comme l’explique Guillaume Genoud dans le présent dossier l’opposition entre Lutte occitane et Pòble d’òc a culminé avec la parution d’une brochure intitulée Mise au point sur le groupe Jeune Languedoc-Poble d’oc et, en août, sur le Larzac, avec des affrontements physiques entre militants des deux mouvements. Pourquoi ne pas alors citer nommément cet adversaire ? Y a-t-il une volonté de laisser planer le doute sur les personnes visées ? On ne saurait le dire aujourd’hui sans avoir recueilli de témoignages de militants de l’époque. Il est en tout cas clair que VVAP ne se sent pas visé. La rédaction de la revue Vida Nostra Revolum, organe de VVAP, a été conviée à assister – en observateur – au congrès de Lutte occitane de Carmaux. Dans le compte-rendu qu’elle propose (probablement sous la plume de son rédacteur en chef Michel Berthoumieux), elle analyse ces critiques de Lutte occitane comme étant destinées au mouvement culturel qui « representa l’essencial del moviment occitan, mès qu’es nacionalista d’esperit perqué es pas que lo rebat, al revèrs, de l’ideologia francesa. »10 Or, la plateforme de Lutte occitane ne fait pas explicitement référence au mouvement culturel. Cela ne veut pas dire que celui-ci n’a pas été évoqué lors des débats auxquels a assisté Vida Nòstra qui cite notamment les propos des dirigeants de Lutte occitane en conférence de presse, qui ont qualifié le mouvement culturel occitan de « néo-Félibrige » et ont accusé la production culturelle occitane d’être réactionnaire. Mais là encore, rien n’est clair. Le mouvement culturel occitan n’est guère représenté que par l’IEO et ce qui se fait en dehors de l’Institut reste marginal, tant dans la production que dans la diffusion (à l’exception du Félibrige, certes, mais dont on doit bien convenir qu’il serait hasardeux de l’accuser de former un néo-Félibrige). Et on l’a dit, la frontière entre l’IEO et le mouvement politique représenté par Lutte occitane et VVAP est bien poreuse. N’est-ce pas alors aller un peu loin dans l’autocritique que de qualifier ce mouvement de « néo-Félibrige » produisant une idéologie réactionnaire ? Le chercheur qui se penche aujourd’hui sur ces débats ne peut que tirer le constat que ces mouvements qui ne cessent d’appeler à la clarification de leurs positions respectives adoptent une prose cryptique pour qui n’y est pas directement impliqué. Quelques réponses, on le verra plus loin, pourraient cependant apparaître quelques années plus tard dans la revue Dire.

25Ce qui est en tous cas certain, c’est que les positions antinationalistes de Lutte occitane ne sont pas forcément celles de VVAP et que c’est ce dernier qui porte l’essentiel des critiques à l’égard du mouvement culturel longtemps dominé par la figure de Lafont (donc, partant, par un certain nombre de militants de Lutte occitane) et sur lequel il prend la main depuis plusieurs années à travers notamment l’action des frères Rouquette. La conclusion de l’article de Vida Nòstra ne laisse d’ailleurs pas planer de doute à propos des positions de VVAP :

  • 11 Ibid., p. 5

Enfin me cal notar la clartat de la pausicion de L. Oc. sus la question de l’accion culturala, que se deu explicar per l’istòria del moviment occitan e per la compausicion de Luta Occitana. Es plan vertat que l’accion politica passa tanben pel front cultural, se que non parlariam pas de moviment politic occitan, tanplan caldriá pas que siague aquí lo signe d’una feblessa sul front socio-economic e que la batèsta dels Occitans entre eles sus aquel front empache l’accion politica dels Occitans coma es estat trop longtemps lo cas, sul front socio-economic. Es un dangièr [de] remarcar per pas s’i daissar embarrar. Es a dire qu’espèri qu’espelirà una dinamica pro fòrta sul front socio-economic per que la cultura cambie e sièja.11

[Enfin je dois noter la clarté de la position de L. Oc sur la question de l’action culturelle, qui doit s’expliquer par l’histoire du mouvement occitan et par la composition de Lutte Occitane. Il est bien vrai que l’action politique passe aussi par le front culturel, sinon nous ne parlerions pas de mouvement politique occitan, mais il ne faudrait pas non plus que ce soit là le signe d’une faiblesse sur le front socio-économique et que la bataille des Occitans entre eux sur ce front empêche l’action politique des Occitans comme cela a été trop longtemps le cas, sur le front socio-économique. C’est un danger à garder en vue pour ne pas s’y laisser enfermer. C’est-à-dire que j’espère que naîtra une dynamique assez forte sur le front socio-économique pour que la culture change et existe]

26Les débats sur la place du mouvement culturel, il faut le redire, sont essentiels. Plus encore après 1974 qui apparaît comme la première étape nette du délitement du front politique. Et il faut sans doute lire dans le texte de Vida Nòstra que VVAP l’a bien compris. C’est pour cela que la prise de pouvoir d’Yves Rouquette au sein de l’IEO en 1976 et le changement de statuts qui s’ensuit est le véritable moment de bascule. Plus encore que 1974, 1976 est le moment de la rupture définitive entre les deux tendances que l’on peut, si l’on est adepte du jeu collectif, qualifier de Lutte Occitane et de VVAP, ou, si l’on regarde les jeux de pouvoir individuels mus autant par les engagements politiques que par les relations interpersonnelles, de lafontienne et rouquettienne.

27Ce changement radical à la tête de l’IEO entraîne en 1976 la création de la revue Dire, sous-titrée « revista de critica occitana », réponse d’une équipe d’intellectuels parmi lesquels Philippe Gardy, Philippe Martel ou Robert Lafont qui pensent que l’occitanisme est en train de se dévoyer. Dire se veut en fait la continuation de Viure – qui avait cédé la place à Lutte occitane – dont elle reprend plus ou moins la maquette et la ligne éditoriale : questions socio-économiques, culturelles et, plus directement que Viure, politiques. Car si le titre de Viure était un programme à lui seul, un appel au réveil, Dire en fait de même et porte une autre injonction : ne pas se taire et dissimuler sous le tapis les problèmes occitans au sein de la société française mais aussi au sein même du mouvement.

Figure 6. Dire, couverture du n° 1 ; sommaire du n° 3

28Le ton est donné dans l’éditorial du premier numéro, signé Joèu Meffre et l’on retrouve là l’expression des reproches faits par Lutte Occitane à l’occitanisme lors du congrès de Carmaux. Meffre commence par dire que la vague révolutionnaire occitaniste d’après 1968 est retombée :

  • 12 MEFFRE, Joèu, « Dire », Dire, n° 1, 1976, p. 2.

Lo vam es tombat. E de aut. Ne’n siám pèr l’ora, après la casuda, lo nas dins lei realitats. E s’avisam pèr exèmple qu’una consciéncia occitana fonsa, larga, populara, rèsta de se bastir, sus de basas politicas justas. Ne’n siám ara a cavar, sènsa bruch, dins l’espés e lo dur dei lendemans de fèsta ò de glòria12.

[L’élan est tombé. Et de haut. Nous en sommes pour l’heure, après la chute, le nez dans les réalités. Et nous prenons conscience par exemple qu’une conscience occitane profonde, large, populaire, reste à bâtir, sur des bases politiques justes. Nous en sommes maintenant à creuser, sans bruit, dans l’épais et le dur des lendemains de fête ou de gloire.]

29Puis il joue cet air déjà entendu du félibréisme d’une petite bourgeoisie occitane tentée par le nationalisme :

  • 13 Ibid., p. 2-3.

Evidentament, aquesta situacion es pas acceptada pèr tótei. I a un occitanisme que vòu totjorn negar aquélei fachs pasmens pron simples, e que s’embarra cada jorn un pauc mai dins lei fantasmas e lo refús gaireben felibrenc. Es la patologia de l’occitanisme. A pèr consequéncias l’espetament, l’esparpalhament, lei fòrças s’esbaudrèlan. N’empacha pas que coma se ditz « la ròda vira ».
[…] Sèmbla adonc propici lo moment, pèr una pichòta borgesiá occitana en cèrca, dins son mau, de tornar prene alen, d’un triomfalisme, d’un ròtle « istoric », pèr avançar. Lo tèma occitan pòt capitar demièg lei victimas dau sistèma capitalista. E aquela borgesiá pòt o faire capitar. Volèm simpletament dire dire que lo pojadisme e lo populisme son la clau dau nacionalisme occitan. E aqueu nacionalisme n’a plus ges besonh d’un Partit Nacionalista Occitan pèr temptar d’existir. Rapelèm-se lo crit recènt d’un menaire a Montpelhièr davant 15.000 viticultors : « Peuple occitan, réveille-toi ! »
Mai lo nacionalisme occitan, pèr fins d’espelir e de grelhar trobarà bèn, quauque moment, lei capitaus necessaris (forastiers ò non) qu’una certana borgesiá voudrà ben i balhar.
13

[Évidemment, cette situation n’est pas acceptée par tous. Il y a un occitanisme qui veut toujours nier ces faits pourtant bien simples, et qui s’enferme chaque jour un peu plus dans les fantasmes et le refus pour ainsi dire félibréen. C’est la pathologie de l’occitanisme. Elle a pour conséquence l’éclatement, l’éparpillement, les forces s’effondrent. Mais il n’empêche que, comme on dit, « la roue tourne ».
[…] Le moment semble donc propice, pour une petite bourgeoisie occitane qui cherche, dans sa souffrance, à reprendre son souffle, un triomphalisme, un rôle « historique », pour avancer. Le thème occitan peut fonctionner parmi les victimes du système capitaliste. Et cette bourgeoisie peut le faire réussir. Nous voulons tout simplement dire que le poujadisme et le populisme sont la clé du nationalisme occitan. Et ce nationalisme n’a plus besoin d’un Parti Nationaliste Occitan pour tenter d’exister. Rappelons-nous le cri récent d’un meneur à Montpellier devant 15.000 viticulteurs : « Peuple occitan, réveille-toi ! »
Mais le nationalisme occitan, pour éclore et germer, trouvera bien, à un moment donné, les capitaux nécessaires (étrangers ou non) qu’une certaine bourgeoisie voudra bien lui donner.]

  • 14 Ibid. p. 3

30L’ambigüité que l’on relevait dans la plateforme de Carmaux en 1974 est ici en grande partie levée. C’est bien VVAP et l’IEO d’Yves Rouquette qui sont visés. Avec force qui plus est, même si Meffre croit bon de préciser : « Avèm pas de noirir la patologia dei clans qu’a fach tota l’actualitat occitanista d’aquéstei darriers tèmps »14 [Nous n’avons pas à nourrir la pathologie des clans qui a fait toute l’actualité occitaniste de ces derniers temps]. Dans le numéro 3 de la revue, Gaston Bazalgues est encore plus direct : l’occitanisme politique est inactif et l’IEO des frères Rouquette est un nouveau Félibrige.

E los organismes occitans me diretz, qué fan ? Costat Volèm viure al païs et Lucha Occitana ren de nòu. A l’amassada generala de l’I.E.O. totes los problèmas foguèron escafats per de mandarins que pensavan solament de gardar un poder bufèc. E se faguèt una fèsta de l’I.E.O. a Besièrs : una mena de Santa Estèla ont se manjèt de sardas… Lo rapòrt moral de l’I.E.O. parlava de trabalh. Encara mai trabalh, familha, patria occitana foguèt l’intervencion de Joan Larzac dins l’omenatge de l’I.E.O. a Jòrdi Rebol. Lo poëta de Marselha, per sos 75 ans, s’ameritava pas una lausença ont ronflava tota l’ideologia felibrenca de la debuta del sègle.

[Et les organismes occitans me direz-vous, que font-ils ? Côté Volèm viure al païs et Lucha Occitana rien de nouveau. À l’assemblée générale de l’I.E.O. tous les problèmes ont été effacés par des mandarins qui pensaient seulement à garder un pouvoir stérile. Et on fit une fête de l’I.E.O. à Béziers : une sorte de Sainte Estelle où l’on mangea des sardines… Le rapport moral de l’I.E.O. parlait de travail. Encore plus travail, famille, patrie occitane fut l’intervention de Jean Larzac dans l’hommage de l’I.E.O. à Georges Reboul. Le poète marseillais, pour ses 75 ans, ne méritait pas une louange où ronflait toute l’idéologie félibréenne du début du siècle.]

31Et de mettre ensuite dans le même panier toutes les réalisations en lien avec les frères Rouquette depuis 1968, qu’il s’agisse de la collection 4 Vertats dirigée par Jean Larzac de 1968 à 1973 ou de la Nouvelle chanson occitane et de la maison de disques Ventadorn dont Yves Rouquette est l’un des premiers artisans :

  • 15 Bazalgues, Gaston, « La consciéncia occitana en Lengadòc », Dire, n° 3, 1976, p. 13.

Sabèm que lo nacionalisme de Filadèlfa de Gèrdas la menèt a Mauras [sic]. I a pas gaire de diferéncia entre aquel nacionalisme e lo dels poëtas de 4 Vertats o de la debuta de la novèla cançon occitana. La mòda uèi es simplament a senèstra. Alara la question de pausar ara, en Lengadòc, es aquela : es que l’occitanisme es pas un còp de mai dins una carrièra òrba ? Pojadisme economic e pojadisme cultural occitan son aquela carrièra òrba.15

[On sait que le nationalisme de Philadelphe de Gerde la mena à Maurras. Il n’y a aucune différence entre ce nationalisme et celui des poètes de 4 Vertats ou du début de la nouvelle chanson occitane. La mode aujourd’hui est simplement à gauche. Alors la question à poser aujourd’hui, en Languedoc, est celle-ci : est-ce que l’occitanisme n’est pas une fois de plus dans une impasse ? Poujadisme économique et poujadisme culturel occitan sont cette impasse.]

32La rupture est là, indéniable, entre Lutte occitane et VVAP mais aussi, donc, entre deux factions qui cohabitent au sein de l’IEO et qui relèvent du même clivage.

33Dire ne dure guère qu’une année, le temps de publier trois numéros. Lorsqu’il évoque la disparition de la revue avec son comité de rédaction quelques mois après son arrêt, Robert Lafont fait part de sa vision de l’occitanisme d’alors :

  • 16 Lettre de Robert Lafont au comité de Dire, 12 avril 1978. Archives de Philippe Martel.

34Mon idèa es que lo movement occitan es dins una caréncia minabla. Jamai leis esperanças foguèron tan grandas, que lei massas occitanas comènçan de metre dins l’idèa occitanista, e d’autre costat lei patriotismes d’organisme, lo caciquisme de mistralets rosegan lei pàureis estructuras autonomas dau movement16.

[Mon idée est que le mouvement occitan se trouve dans une carence minable. Jamais les espérances que les masses occitanes commencent à mettre dans l’idée occitaniste ne furent aussi grandes, et d’un autre côté les patriotismes d’organisme, le caciquisme de petits Mistral rongent les pauvres structures autonomes du mouvement.]

35Pour autant, et cela ajoute à la complexité de l’analyse de cette période, Robert Lafont ne cesse jamais de collaborer aux revues de VVAP, qu’il s’agisse de Vida Nòstra ou, plus tard, de la revue mensuelle des comités VVAP du Languedoc. Sans doute faut-il voir là la volonté de Lafont de continuer à partager sa réflexion avec tous les militants et d’infléchir un tant soit peu les positions de VVAP, mais aussi, de la part de Rouquette et de VVAP, une certaine conscience qu’il serait difficile de se passer définitivement des analyses de Lafont, même si elles ne vont pas forcément dans le sens des orientations de VVAP.

36Le principal point d’achoppement est celui des liens à tisser avec les appareils des partis nationaux. Robert Lafont avait, dans les années suivant la création du COEA, établi des contacts étroits avec le PSU et la Convention des institutions républicaines (CIR) dont le COEA était cofondateur. L’échec de ce dernier aux élections législative de 1973 (2% des voix) après son refus de signer le Programme commun de la gauche pousse une partie du mouvement d’oc, dont Lafont, à se rapprocher du Parti socialiste de Mitterrand et du PCF dans les années suivantes, et particulièrement après l’échec de Lafont à se présenter aux présidentielles de 1974. Du côté de VVAP, les réticences vis-à-vis d’un tel rapprochement sont importantes. Yves Rouquette l’exprime sans fard en mars 1978. Les municipales de 1977 ont une fois de plus démontré un fort ancrage à gauche de l’espace occitan, mais Rouquette reproche aux appareils de ne pas tenir compte des particularités de cet espace du point de vue socio-économique, dans leurs programmes et d’évacuer la question de l’autonomie. Il s’adresse ainsi aux militants du PS et du PCF auxquels les appareils centraux ont imposé leurs programmes :

  • 17 Rouquette, Yves, « Gauche et Occitanie », Volèm Viure Al Païs, n° 2, mars 1976, pp. 8-9.

Pourquoi de cela et du reste n’avez-vous pas débattu ensemble, socialistes, communistes et radicaux avec vos autres partenaires de progrès au niveau régional ? Au niveau occitan ?
C’est triste à dire : c’est parce que vous êtes restés des provinciaux, des aliénés, des colonisés du dedans, des minoritaires de France, en attendant de devenir des minoritaires de l’Europe17.

  • 18 Ibid. p. 9.

37Et d’ajouter plus loin « que si l’Occitanie était autonome, elle serait déjà socialiste » et que « on osera regarder du côté de Barcelone par exemple, plutôt que vers Paris »18. L’autonomisme de VVAP se nourrit – dans une ancienne tradition bien établie depuis le début de la renaissance d’oc au 19e siècle – de l’exemple catalan mais aussi des exemples breton, corse, au basque quand bien même les situations peuvent y être différentes.

  • 19 CIRDOC, fonds Robert Lafont, LAF 0/69.

38Après l’éclatement de l’union de la gauche, Lafont se tourne pour sa part vers le PCF. De ce nouveau positionnement naît le manifeste Mon païs escorjat, rédigé à la fin de 1978 et cosigné par Emmanuel Maffre Baugé, Jean-Pierre Chabrol et Robert Lafont. Philippe Martel (Martel, 131) a montré combien ce manifeste très défensif démontre l’incapacité du mouvement politique occitaniste à dépasser le seuil de la théorisation pour mobiliser les masses, ce qui l’oblige à chercher des soutiens dans les mouvements politiques et sociaux nationaux. Yves Rouquette, de son côté, s’il se montre plutôt en accord avec le manifeste qui s’oppose à l’élargissement du marché commun, est réticent à laisser de côté le PS dans lequel il voit encore, malgré la méfiance qu’il peut lui inspirer, une possibilité de prise en compte des questions des minorités nationales. C’est pourquoi dans une lettre adressée à Lafont, Maffre Baugé et Chabrol en date du 24 octobre 1978, il regrette que le PS soit laissé de côté et propose un addendum concernant la mise en place d’états généraux durant lesquels les minorités nationales pourraient « publiquement poser les vrais PRÉALABLES : la relance de la vie économique sur des options rigoureusement socialistes, l’abolition du marché commun des capitalistes, l’autonomie des peuples », avant d’ajouter « que ce sont là les positions que défend Volèm viure al païs dont Lafont fut l’initiateur »19. Ce faisant, Rouquette pointe du doigt ce qu’il considère comme une compromission de Robert Lafont avec le PCF qui irait à l’encontre de ses engagements antérieurs.

39Toutefois, dans les mois suivants, le PS semble laisser de côté les questions des minorités nationales. Cela ne pousse néanmoins pas VVAP à se tourner vers le PCF. Au contraire, la rédaction de la revue Volèm Viure Al Païs (qui est la revue du comité du Languedoc de VVAP), dans son numéro 26 de mai 1980, publie un article intitulé « P.C.F. : O.P.A. sur le mouvement occitan » dans lequel l’appel du 10 mai 1980 du PCF à « une autonomie régionale dans un état unitaire décentralisé » est vu comme la patte de Robert Lafont. Pour VVAP, cela est révélateur d’une entente entre les communistes et Lafont ; les premiers dans l’objectif de prendre des voix au PS pour « placer Marchais au second tour » des élections présidentielles de 1981, le second afin de « ramener une partie non négligeable du mouvement culturel vers le régionalisme ». Les tensions sont d’autant plus fortes entre les camps Rouquette et Lafont qu’une ultime tentative de fusionner une Lutte occitane moribonde et VVAP à Figeac en 1979 s’est soldée par une bataille de mandats et, finalement, un échec des négociations, tout cela s’étendant bien entendu à l’IEO où s’affrontent les eux tendances en 1980 et 1981. D’un côté l’Alternative incarnée par Lafont et taxée de « succursalisme » par ses opposants et, d’un autre côté les « Non-dépendants » (d’un parti français) menés par Rouquette, ces derniers l’emportant par deux fois lors des assemblées d’Aurillac en 1980 et de Montauban en 1981. L’option populiste et, dans une certaine mesure qu’il est difficile d’estimer faute d’un corpus théorique solide, nationaliste l’emporte à ce moment-là.

40De ce rapide et forcément incomplet tour de la situation de l’occitanisme politique des années 1970, nous tirons pour l’instant moins des conclusions que des questions, quelques constats et des perspectives de recherches à mener.

41Il y a d’abord l’énorme déséquilibre des sources. Lutte occitane a produit beaucoup de textes théoriques, articles ou plateformes diverses. Si elles sont souvent d’une lecture un peu aride et si elles essaient parfois de faire rentrer au chausse-pied des modèles gauchistes dans un projet occitaniste, elles ont le mérite d’exister et d’être assez facilement accessibles. Il n’en va pas de même de Volèm Viure Al Païs dont le fonctionnement même, en groupes autonomes disséminés dans l’espace d’oc, a empêché à la fois le développement d’une revue unitaire et, même sans doute, d’une ligne politique adoptée d’une manière commune. À l’excès de théorisation de Lutte occitane semble répondre une carence importante de socle théorique chez VVAP qui rend ses positionnements mouvants et flous.

42Cette première approche ne fait finalement que débroussailler un peu le maquis des liens complexes entre ses organisations et militants et révéler les grandes lignes de leurs positionnements au fil d’une décennie. Il reste encore bien du travail à effectuer pour mieux saisir – plus finement en tout cas – les liens et les divergences entre ces deux mouvements. Cela passera nécessairement par l’étude d’autres sources : on pense notamment à une meilleure exploitation des correspondances entre les militants et à des entretiens qu’il conviendrait de mener avec les acteurs de ces mouvements dont beaucoup sont encore en vie. On a vu lors de ce colloque que de jeunes chercheurs commencent à se pencher sur cette période. Peut-être est-ce l’occasion d’initier quelques liens et projets communs sur les particularités de l’occitanisme – politique et culturel – de cette époque.

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Bibliographie

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Verny, Marie-Jeanne, 2023, « L’escrivèire public. Poèmas d’Ives Roqueta (1958), matrice d’une vie d’écriture et d’engagement », Plumas, n° 3. https://plumas.occitanica.eu/669

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Notes

1 LAFONT, Robert, « Raport moral. La vida provinciala e la cultura populara », OC, juillet 1952.

2 « Sur la France e sus Occitània. Debat amb Joan David, Joan Larzac, Ives Roqueta e Robèrt Lafont », Viure, n° 12, 15 mai 1968, pp. 1-11.

3 « Sur la France e sus Occitània. Debat amb Joan David, Joan Larzac, Ives Roqueta e Robèrt Lafont », op. cit., p. 8.

4 Le journal est disponible en version numérique sur le site du CIRDOC-Institut occitan de cultura : https://occitanica.eu/items/show/21630

5 Gardy, Philippe, « Nationalisme ou libération », Les Temps Modernes, n° 324-325-326, 29ème année, août-septembre 1973, p. 71.

6 « Texte d’orientation générale de Lutte occitane – Assemblée Générale, mai 1973 », in BAZALGUES, Gaston, « Les organisations occitanes », in Les Temps Modernes, août-septembre 1973, op. cit., p. 165-166.

7 Ibid., p. 160.

8 « Plateforme d’orientation. Congrès de Carmaux », Lutte Occitane, n° 17, janvier-février 1975, p. 17.

9 Ibid., p. 18 (les mots en gras de la citation sont présentés ainsi dans l’article original).

10 « Congrès de Luta Occitana a Caramaus », Vida Nòstra Revolum, n° 22, 15 novembre-15 décembre 1974, p. 4. [représente l’essentiel du mouvement occitan, mais qui est nationaliste d’esprit parce qu’il n’est que le reflet, à l’envers, de l’idéologie française.]

11 Ibid., p. 5

12 MEFFRE, Joèu, « Dire », Dire, n° 1, 1976, p. 2.

13 Ibid., p. 2-3.

14 Ibid. p. 3

15 Bazalgues, Gaston, « La consciéncia occitana en Lengadòc », Dire, n° 3, 1976, p. 13.

16 Lettre de Robert Lafont au comité de Dire, 12 avril 1978. Archives de Philippe Martel.

17 Rouquette, Yves, « Gauche et Occitanie », Volèm Viure Al Païs, n° 2, mars 1976, pp. 8-9.

18 Ibid. p. 9.

19 CIRDOC, fonds Robert Lafont, LAF 0/69.

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Table des illustrations

Légende Figure 1. « Principes d’une action régionaliste progressiste », seconde édition (1966) chez l’incontournable Barnier à Nîmes
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Légende Figure 2. Viure n° 12, 1ère et 4ème de couverture, OURS, sommaire, début de l’article David, Rouquette, Larzac.
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Légende Figure 3. Première page du numéro 1 de Lutte occitane, archives CIRDOC.
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Légende Figure 4. Le petit livre de l’Occitanie, 1ère éd. 1971, 4 Vertats (éditions dirigées par Larzac à Ardouane (34) ; sommaire ; 2ème éd. 1972, Maspero.
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Légende Figure 5. Les Temps modernes, Couverture du n° 324-325-326, « Minorités nationales en France »
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Légende Figure 6. Dire, couverture du n° 1 ; sommaire du n° 3
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Pour citer cet article

Référence électronique

Yan Lespoux, « De Lutte occitane à Volèm Viure Al Païs : vers un (in)certain nationalisme »Lengas [En ligne], 95 | 2024, mis en ligne le 29 juin 2024, consulté le 07 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lengas/8348 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11yl3

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