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AccueilNuméros41Colloque de rentrée 2015La lumière dans le tableau

Colloque de rentrée 2015

La lumière dans le tableau

Philippe Walter
p. 26

Texte intégral

1La peinture classique a longtemps été dominée par une représentation qui s’attache à l’expression sensible des objets, du corps humain et des mouvements dans l’espace. Elle repose sur des innovations dans le domaine de la couleur et dans la technique des ombres et lumières, dont les auteurs gréco-romains nous racontent que les pionniers furent, dans l’Antiquité, Apollodore d’Athènes puis Zeuxis. Cela a permis de créer l’effet du réel - la mimesis – avec toujours plus de précision. Pline l’Ancien (Histoire Naturelle livre 35, 29) a ainsi commenté, au 1er siècle de notre ère, les premières évolutions majeures de l’art de la peinture : « L’art finit par acquérir sa propre autonomie et découvrit la lumière et les ombres qui permettent l’exaltation réciproque des couleurs par leur contraste. Puis vint s’ajouter l’éclat (splendor), autre valeur encore que la lumière (lumen). Ce qui les sépare de l’ombre, on l’appela tension (tonos), l’endroit où les deux couleurs se rencontrent et passent de l’une à l’autre harmonisation (harmogè). »

2Cette théorie antique de la peinture est en lien direct avec les pratiques des peintres des XVe, XVIe et XVIIe siècles. Les analyses chimiques des ombres marquant le relief sur les visages et les corps présents sur les différentes œuvres de notre corpus nous renseignent sur des changements techniques intervenus durant ces époques. Une peinture à l’huile noire a été employée par Hans Memling pour réaliser les zones sombres sur les carnations : il s’agit d’une couche opaque dont le pigment est constitué de noir de carbone et d’une terre. Quelques années plus tard, Léonard de Vinci préféra utiliser des glacis pour améliorer les effets de modelé et adoucir ses ombres sur le visage de Mona Lisa. Les mesures par spectrométrie de fluorescence des rayons X ont permis d’envisager que le peintre avait appliqué une quinzaine de telles couches, très fines, chacune d’une épaisseur d’environ deux millièmes de millimètres, pour réaliser les ombres les plus soutenues. Le glacis est une matière picturale étendue avec un liant transparent très abondant pour obtenir une profondeur similaire à celle d’un verre teinté. Il est obscurci par des pigments qui pouvaient être, chez Léonard de Vinci, composés de noir de carbone, de noir d’os, d’ivoire brûlé, de terres colorées sombres telle la terre d’ombre, ou d’un oxyde de manganèse. Ces couches légèrement colorées, qui absorbent et diffusent la lumière, étaient ainsi mieux adaptées au projet de réalisation de subtils détails et de transitions douces entre les formes placées dans la lumière ou dans l’ombre. Cette nature de la matière fournit un des éléments essentiels pour comprendre la perception visuelle des œuvres du Maître et de ce que l’on a l’habitude d’appeler aujourd’hui le sfumato.

  • 1 Philippe Walter, « Pratiques d’atelier de peintre et diffusion des savoirs techniques au début du X (...)

3Cette idée d’employer un glacis sombre plutôt qu’une matière noire et opaque pour marquer les ombres et les lumières - et ainsi le relief - a ainsi marqué un tournant technique important au début du XVIe siècle. Si cet usage des glacis est plus complexe et nécessite un travail minutieux et prolongé de la peinture, l’effet produit modifie considérablement la perception du relief et de la lumière qui éclaire le visage des personnages. La mise en œuvre prenait beaucoup de temps, jusqu’à plusieurs années dans le cas de La Joconde, d’après un commentaire célèbre de Giorgio Vasari1.

  • 2 Léonard de Vinci, Traité de la peinture, textes traduits et présentés par André Chastel, éditions B (...)

4En outre, il était utile d’étendre une couche d’impression (ou imprimatura) plus ou moins claire sous les couleurs pour en améliorer le rendu : dans le Traité de la peinture, Léonard de Vinci conseillait une préparation claire, constituée principalement de blanc de plomb, « pour les couleurs auxquelles tu veux donner leur plus grande beauté2 », puis une seconde sous-couche brune était déposée dans les parties qui allaient correspondre aux ombres. Cette pratique est encore visible sur deux de ses œuvres inachevées, L’Adoration des Mages (vers 1481, Galerie des Offices, Florence) ou le Saint Jérôme (1483, Musée du Vatican).

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Notes

1 Philippe Walter, « Pratiques d’atelier de peintre et diffusion des savoirs techniques au début du XVIe siècle. » in Regards croisés sur la Lorraine et le monde à la Renaissance. Édité par Laurent Jalabert et Jean El Gammal, Les Annales de l’Est, N°2014-1, pp. 241-256 (2014).

2 Léonard de Vinci, Traité de la peinture, textes traduits et présentés par André Chastel, éditions Berger-Levrault, traduction André Chastel, p. 120 (1987).

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Walter, « La lumière dans le tableau »La lettre du Collège de France, 41 | 2016, 26.

Référence électronique

Philippe Walter, « La lumière dans le tableau »La lettre du Collège de France [En ligne], 41 | 2015-2016, mis en ligne le 01 novembre 2016, consulté le 19 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/lettre-cdf/3313 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lettre-cdf.3313

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Auteur

Philippe Walter

Innovation technologique Liliane Bettencourt
2014

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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