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Bulletin bibliographique

Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, 327 p. (première édition 2003)

Christian Hottin

Texte intégral

  • 1 On peut considérer son témoignage publié dans Le débat en 1994 comme une première esquisse de ces H (...)

1Relire Michel Laclotte ? La première édition des Histoires de musées remonte à plus de vingt ans1, mais le choix a été fait d’une nouvelle publication à la suite du décès de l’auteur en 2021, et celle-ci a bénéficié des soins attentifs de Natalie Coural, Pierre Coural, Jean-Pierre Cuzin et Paul Salmona. Dans la courte note qui introduit l’ouvrage, ces derniers insistent sur la valeur de ce « document sans équivalent », dont se dégage une « une conception profondément humaniste de la fonction scientifique, culturelle et sociale du musée ». Peu de différences, au demeurant, entre les deux éditions successives, mais la plus récente réserve une belle surprise : une lettre inédite du jeune Michel Laclotte, adressée en 1946 à André Chamson, alors directeur du musée du Petit Palais, à propos de l’exposition « Chefs d’œuvre de la peinture française du Louvre. Des primitifs à Manet ». On y voit tout l’aplomb d’une personnalité déjà confiante en elle-même, ainsi que les prémices d’un regard très professionnel.

2Pourvus d’un apparat critique succinct, d’un index et de quelques pages rassemblant de courtes notices biographiques consacrées aux principaux personnages mentionnés au fil des chapitres, ces « souvenirs » – en fait des mémoires précises et bien documentées – prennent la forme d’un entretien au long cours, divisé en chapitres, où les questions successives fonctionnent comme autant de titres de paragraphes. La trame du livre est clairement, fidèlement, chronologique et déroule toutes les étapes de la formation et de la vie professionnelle de Michel Laclotte : études, travail à l’Inspection des musées de province, direction du département des peintures du Louvre, préfiguration du musée d’Orsay, direction du Louvre et conduite du grand chantier voulu par François Mitterrand, retraite active enfin, employée à faire naître l’Institut national d’histoire de l’art.

  • 2 On renvoie ici aux pages tout à fait éclairantes sur le fonctionnement des services d’inspection au (...)

3S’il reste à manier avec les précautions qui s’imposent pour ce type d’ouvrage, à commencer par le « risque d’autocélébration » que l’auteur lui-même mentionne dès son avant-propos, le livre de Michel Laclotte n’en est pas moins précieux et utile. En le refermant, on se prend à penser que, décidément, on dispose de trop peu de témoignages de conservateurs sur leur parcours de vie. Bien des fils pourraient être déroulés à partir de sa lecture : l’historiographie de la peinture italienne, la construction de l’expertise par l’entrainement du regard, l’histoire des expositions, le fonctionnement de l’administration des musées2, les formes de sociabilité savante dans le champ de l’histoire de l’art, entre musées, galeries et université… On choisit de n’en tirer ici que deux, dont l’un conduit directement à la pelote de notre dossier des LHA. Commençons toutefois par l’autre.

4On parlera ici de formation et de conception du métier. Le livre s’achève sur les portraits de quatre maîtres. Non pas des peintres, mais des historiens d’art, universitaires ou conservateurs : Jean Vergnet-Ruiz (1896-1972), Charles Sterling (1901-1991), Roberto Longhi (1890-1970) et André Chastel (1890-1970). Outre sa formation académique, à l’Université de Paris et à l’Ecole du Louvre, et son travail d’imprégnation personnelle (grâce à la fréquentation incessante des œuvres pour acquérir un regard d’expert), l’apprentissage suivi par Michel Laclotte passe par la confrontation avec la pensée et les actes de figures inspirantes. De celles qui, par l’admiration, l’assimilation, mais aussi le débat, permettent de construire un point de vue original, c’est-à-dire nécessairement critique, sur toute question d’ordre intellectuel. Ce point est sans doute le plus important, et pourrait – devrait – être médité par tout professionnel de la conservation pour penser son parcours professionnel et réfléchir sur sa manière d’agir. Inutile de dire qu’une appréhension des compétences réduite à des « savoirs », « savoir-faire » et « savoir-être » n’y incite guère.

  • 3 Philippe Durey en a retracé l’histoire à grands traits dans sa monographie très complète consacrée (...)
  • 4 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, (...)
  • 5 Michel Laclotte soutient, dans ses souvenirs, qu’à partir d’une solide spécialisation peuvent s’eff (...)

5S’agissant de la formation académique en elle-même, le témoignage de Michel Laclotte se révèle tout à fait pertinent pour comprendre ce que fut, quelques années durant, la « section supérieure de l’École du Louvre », créée sous le régime de Vichy, supprimée en 1961 et dédiée à la formation des futurs conservateurs des musées nationaux3. Cette formation initiale, marquée pour lui par une claire spécialisation sur l’histoire de la peinture italienne médiévale, constitue le socle de la pratique professionnelle de Michel Laclotte, un socle à partir duquel, sans jamais abandonner ce domaine premier d’expertise, il développe une capacité d’analyse et d’action toujours plus large et variée. Un regard rétrospectif sur son parcours le conduit4, comme il le fit ailleurs, à penser le conservateur comme étant fondamentalement un scientifique – et donc, au départ, un spécialiste5 – capable, en outre, de lier cette compétence première avec d’autres, constitutives de l’amour du métier : la confrontation à la matérialité des œuvres, le soin attaché au public, l’instinct patrimonial enfin (qui peut être tenu ici, avant tout, pour le goût de la collecte et de l’enrichissement des institutions publiques). Vingt ans après leur première publication, à l’heure de la contractualisation de l’emploi public et de l’étalonnage des corps d’encadrement supérieur de l’État sur un modèle unique, ces pages restent une utile matière à penser.

  • 6 Je laisse de côté celles dépourvues de références aux biens culturels, qui insistent avant tout sur (...)
  • 7 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, (...)

6L’autre fil qu’on va suivre, pour le relier directement au propos de notre dossier, est bien entendu celui de la relation entre le professionnel de la conservation et les lieux de la conservation. Une remarque iconographique, à ce propos : les représentations – essentiellement photographiques – des conservateurs dans la presse spécialisée ou sur les réseaux sociaux (quand il ne s’agit pas de purs exercices d’auto-promotion) paraissent pouvoir être rangées en deux grandes catégories6. Celles qui mettent en avant les compétences d’exégète ou de médiateur du professionnel, en le plaçant à côté, ou, plus rarement, derrière les biens culturels (en pareil cas souvent de petites dimensions et tenus en main). Et celles qui, en lui faisant prendre la pose devant les œuvres, le désignent avant tout comme gardien du temple et maître des lieux. Incontestablement, pour cette nouvelle édition des Histoires de musées, c’est bien en maître des lieux qu’on a choisi de représenter celui qui présida aux destinées du Louvre au temps de sa grande transformation : de face, assis, affectant un certain détachement, tandis que se déploie derrière lui la perspective de la Grande galerie. De fait, dans la longue carrière de Michel Laclotte le soin des œuvres a entretenu un lien constant avec la maîtrise des lieux qui les abritent, depuis les questions d’aménagement intérieur (au département des peintures, où il remet à plat l’organisation de l’ensemble des espaces, revenant sur les travaux entrepris sous la direction de Germain Bazin mais laissés inachevés) jusqu’au pilotage des plus grands projets (le Louvre, Orsay), en passant par son implication dans la naissance du Centre Pompidou7 en tant que membre du jury (Michel Laclotte dirige alors le département des peintures du Louvre).

  • 8 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, (...)
  • 9 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, (...)
  • 10 Ibid.

7Pour ce qui concerne le Centre Pompidou, Michel Laclotte dit avoir plébiscité le projet de Piano+Rogers Architects, mais qualifie son parti-pris de flexibilité et de modularité des espaces intérieurs de « mirage »8. Il juge du reste « logique » le travail de restructuration confié quelques années plus tard par Dominique Bozo à Gae Aulenti… Et se montre tout autant enthousiaste à l’égard du travail de cette dernière à Orsay. Orsay et Le Louvre sont les grands projets dans lesquels il est le plus directement impliqué. Moins technique et documenté que ne le serait un ouvrage fondé sur des archives, son propos, qui fourmille d’anecdotes (par exemple l’interminable feuilleton à propos de l’éventuelle installation de la Victoire de Samothrace sous la pyramide de Pei), nous offre quelques belles pages sur les luttes de pouvoir entre conservateurs ou entre conservateurs et architectes autour de l’aménagement des musées et de la répartition des collections, avec à la clef, des savoureuses expressions, telles que le « Yalta »9 organisé à Arcachon avec les chefs des différents départements du Louvre pour réfléchir à la future implantation des œuvres, ou encore la mélancolique qualification de l’Aile de Flore en « Finistère »10 du musée à partir du moment où l’implantation de la pyramide modifie son centre de gravité.

8Michel Laclotte aime rappeler, au fil des chapitres, ses fréquentes rencontres avec les personnalités politiques et les hommes d’État, jusqu’à nous montrer toute l’importance qu’un Valéry Giscard d’Estaing semblait accorder l’installation de La liberté guidant le peuple à Orsay. Un intérêt du politique pour le musée qui ne s’est jamais tari, la continuité des grands et moins grands projets présidentiels en ce domaine en atteste, jusqu’aux récents soubresauts du musée mémorial du terrorisme et plus récentes encore déclarations sur la « nouvelle renaissance du Louvre ».

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Notes

1 On peut considérer son témoignage publié dans Le débat en 1994 comme une première esquisse de ces Histoires de musées : Michel Laclotte, « Une chance folle », Le Débat, n° 81, 1994-4, p. 4-18. Disponible en ligne, https://doi.org/10.3917/deba.081.0004 [lien valide en janvier 2025].

2 On renvoie ici aux pages tout à fait éclairantes sur le fonctionnement des services d’inspection au sein des administrations de l’État dans les années d’après-guerre (« À l’Inspection des musées de province », p. 41-85), un témoignage qui fait écho à l’édition, il y a quelques années, d’une « tournée » menée par Georges Henri Rivière dans le midi de la France. Laurent-Sébastien Fournier, La tournée des musées. Une mission d’inspection de Georges Henri Rivière dans le Sud-Est de la France en mars 1946, Aix-en-Provence, Éditions du CEM, 2018.

3 Philippe Durey en a retracé l’histoire à grands traits dans sa monographie très complète consacrée à l’École du Louvre. Philippe Durey, École du Louvre. Jalons pour une histoire (1882-1998), Paris, École du Louvre et Fage éditions, 2021, 543 p.

4 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, p. 225-226.

5 Michel Laclotte soutient, dans ses souvenirs, qu’à partir d’une solide spécialisation peuvent s’effectuer des montées en généralité fructueuses mais que l’inverse est plus difficile à obtenir. Dès 1994, dans une contribution au Débat, il exprime un point de vue semblable, sur un ton plus polémique, se livrant au passage à une forte critique à l’égard de la jeune École nationale du patrimoine : « Le gros danger de cette tendance depuis quinze ans, c’est que l’on pousse les jeunes conservateurs à devenir des généralistes. Ils sauront qu’il ne faut pas mettre une chemise blanche à la télévision et quantité de choses sur les budgets, la gestion des musées dans le monde, la manière de parler à un surveillant ou à un préfet et, bien entendu, sur les inventaires, la restauration et la muséographie – et tout cela est bien, indispensable même –, mais ils seront incapables de reconnaitre une tasse d’une soucoupe. Pour ma part, je suis sûr qu’on devient généraliste en étant spécialiste, mais jamais le contraire ». Michel Laclotte, « Une chance folle », Le Débat, n° 81, 1994-4, p. 4-18. Disponible en ligne, https://doi.org/10.3917/deba.081.0004 [lien valide en janvier 2025].

6 Je laisse de côté celles dépourvues de références aux biens culturels, qui insistent avant tout sur la qualité d’encadrant, de manager ou de chef de projet du professionnel : en réunion, devant un ordinateur, participant à une table ronde….

7 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, p. 161-165. Voir la contribution de Boris Hamzeian dans les présentes LHA : Boris Hamzeian, « La conception du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou. De l’espace vide au village vernaculaire pour l’art (1971-1977) », Livraisons d’histoire de l’architecture, n° 47, 2024, [en ligne], http://journals.openedition.org/lha/14267 [lien valide en janvier 2025].

8 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, p. 162. Sur ce choix, voir la contribution de Boris Hamzeian dans les présentes LHA, op. cit.

9 Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, p. 233.

10 Ibid.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christian Hottin, « Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, Lyon, Nouvelles éditions Scala, 2022, 327 p. (première édition 2003) »Livraisons de l'histoire de l'architecture [En ligne], 47 | 2024, mis en ligne le 28 février 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lha/14517 ; DOI : https://doi.org/10.4000/141se

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Auteur

Christian Hottin

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