Maddalena Napolitani, Les pierres de la Nation. Les collections minéralogiques de l’École des mines de Paris (1760-1860), Paris, éditions Mare et Martin, 2025, 362 p. (collection « Thèses illustrées »)
Texte intégral
« Il existe deux entités vitales dans et pour l’École des Mines de Paris : la cafétéria et le Musée de minéralogie. »
- 1 Docteur en géologie de l’École des mines de Paris, Didier Nectoux a dirigé le musée de minéralogie (...)
Didier Nectoux1
- 2 Maddalena Napolitani, Les pierres de la nation : les collections minéralogiques de l’École des mine (...)
1Le premier livre de cette jeune chercheuse est issu d’une thèse soutenue en 20202. Les cinq années – un temps bien long – qui séparent la remise du travail académique et la parution de l’ouvrage ont permis à l’autrice de compléter sa recherche en poussant l’étude de son sujet, initialement borné en 1825, jusqu’en 1860. Il y a là une publication importante, qui se situe au croisement de plusieurs domaines de recherche : l’histoire des sciences, celle des arts, celle de l’enseignement supérieur et la muséologie, entendue ici comme la discipline qui étudie les musées dans toutes leurs dimensions et non comme l’ensemble des techniques qui concourent au bon fonctionnement de ces institutions.
2Le musée de l’École des mines de Paris, situé boulevard Saint-Michel, n’est sans doute pas de ceux qui retiennent le plus l’attention des passants, et les touristes y sont relativement rares, en dépit des travaux importants dont il a bénéficié ces dernières années, avec une nouvelle muséographie aménagée en 2016. Pour qui longe l’interminable façade, l’image de l’établissement d’enseignement supérieur l’emporte de beaucoup sur celle du lieu de conservation d’un patrimoine et, dans les représentations collectives, l’École des mines est associée au monde de l’industrie et de l’énergie (notamment nucléaire) ou – plus rarement sans doute – au grand corps de l’État qui lui est attaché du fait de sa formation initiale. Le travail de Maddalena Napolitani permet de saisir toute la densité historique du lien qui existe, depuis plus de deux siècles, entre ces différentes réalités administratives ou économiques, et une collection dont le destin ne saurait être dissocié de celui de l’école qui l’abrite et dont elle constitue la part la plus intime, la moins connue, mais certainement pas la moins importante. Étudier les « collections minéralogiques de l’École des mines » revient en fait à étudier deux collections et deux écoles. Le livre de Maddalena Napolitani suit un plan simple et clair, nous faisant d’abord découvrir l’une, née sous l’ancien Régime, puis l’autre, issue de la Révolution.
3Voici d’abord l’École royale des mines, une création des dernières années de la monarchie (1784) étroitement liée à la personnalité de son créateur, Balthazar-Georges Sage. Chimiste assez médiocre, éperdument attaché à la théorie du phlogistique, mais doté d’un certain entregent et d’un réel sens du placement, enrichi par la faveur royale et bientôt à la tête d’une importante et éclectique collection de minéraux et d’œuvres d’art. Son École des mines, installée au cœur de la Monnaie de Paris, gravite tout entière autour de son cours et de sa personne, grâce à un fascinant dispositif, que Maddalena Napolitani analyse avec une grande précision : l’orateur au cœur d’un amphithéâtre qu’entourent les meubles accueillant les collections de Sage. Royaliste fervent – il n’hésitera pas à se revendiquer tel devant le premier Consul – Sage perd positions et possessions pendant la Révolution, puis parvient plus ou moins à se rétablir, mais sans l’établissement fondé par lui ; il fait en sorte, toutefois, de demeurer avec sa collection au sein de l’hôtel de la Monnaie. À sa mort, en 1825, la collection, pour partie, rejoint l’École des mines, pour partie, est mise en vente.
4Entretemps, l’École des mines a connu une nouvelle fondation, la République puis l’Empire ne pouvant se passer d’ingénieurs disposant de compétences aussi spécifiques et d’un intérêt si stratégique. Dès 1794, une « Maison des mines » est fondée, entité complexe, qui regroupe l’administration proprement dite, l’Agence des mines, une revue (Le journal des mines), une école, et des collections. Revue et collections jouent un rôle de grande importance dans la constitution de l’identité de corps des mines en tant que corps savant, plutôt que technique ou administratif. Nous suivons avec Maddalena Napolitani les tribulations de cette « Maison » et des minéraux qu’elle conserve. D’abord implantée dans deux hôtels contigus de la rue de l’Université, ceux de Mouchy et de Talleyrand-Périgord, elle doit tenir tout entière dans le premier après la restitution du second à ses propriétaires. En 1802, l’école est transférée à Peisey, dans la partie de la Savoie annexée par la France. Elle y demeure jusqu’en 1814. Il faut alors restituer l’hôtel de Mouchy au prince de Poix, héritier des propriétaires guillotinés pendant la Révolution. L’école et ses collections déménagent rue d’Enfer, dans l’hôtel de Vendôme, d’abord loué par l’État, avant d’être acheté en 1837. C’est toujours aujourd’hui le siège de l’école, et de son musée.
5L’hôtel de Mouchy ayant été détruit et aucune iconographie n’existant sur l’aménagement des collections en son sein, Maddalena Napolitani use de toutes les ressources archivistiques et bibliographiques disponibles, mais aussi des points de comparaison mobilisables (Muséum, Louvre), pour restituer l’agencement de ces galeries, nous livrant de passionnantes analyses sur les méthodes de classement adoptées. Très originales, celles-ci sont avant tout géographiques, les roches étant disposées dans les armoires en fonction de leur département d’origine (« en tranches »), mais aussi en fonction de la nature des minéraux (« en bande »), le but étant, selon l’ingénieur Arsène-Nicolas Baillet, inventeur du dispositif, de « former une grande esquisse du tableau minéralogique de la France ». Bien que servie par un conservateur voué à son enrichissement (Tonnelier) et décrite dans les guides à l’usage des visiteurs de la capitale de l’Empire, la collection demeure confidentielle, moins célébrée que celle du Muséum, où que celle de la Monnaie, sur laquelle Sage règne toujours. Elle joue un rôle avant tout scientifique et technique, et participe en outre largement à la consolidation de notions appelées à une belle fortune : celles de « sol national » et de « patrimoine minier » de la France.
6C’est avec l’installation dans l’hôtel de Vendôme, aux limites du quartier Latin, et grâce aux travaux qui s’ensuivent que l’on peut véritablement parler de « musée » de l’École des mines. Celui-ci bénéficie de nombreux et prestigieux enrichissements (donation d’objets sculptés par Jean-Pierre Alibert, attribution de certaines pierres précieuses ayant appartenu aux joyaux de la Couronne de France). Les expositions universelles de 1855 et 1867 contribuent à accroître la notoriété du musée. Grâce aux importantes commandes d’œuvres faites par l’administration des Beaux-arts, le grand escalier de l’école conduisant aux collections offre une mise en scène propre à éblouir les touristes. Là encore, Maddalena Napolitani nous offre de fines et érudites analyses sur les plafonds allégoriques d’Abel de Pujol et les paysages de Claude Hugard de La Tour disposés sur les murs de l’escalier.
7Formée à l’histoire et de l’art et non à l’histoire des sciences ou à la minéralogie, Maddalena Napolitani nous livre un travail qui est différent, certainement, de celui qu’aurait fourni un spécialiste de ces domaines. Pour autant, de ce qui aurait pu paraître comme une faiblesse, elle sait faire une force. Sa connaissance de l’histoire de l’art et des avancées récentes de la recherche dans ce domaine (notamment en histoire des collections) donne de la profondeur à ses analyses. Ainsi, Sage n’est pas seulement un savant (même mineur), il est aussi, et peut-être surtout, un grand collectionneur, ses centres d’intérêt sont variés, et critères esthétiques et scientifiques se mêlent souvent dans ses choix. Pour accroitre sa collection (qui est en partie acquise par la monarchie dès 1784), il sait s’appuyer sur des réseaux de mécènes, en France et à l’étranger. Pour la présenter, c’est avec le plus grand soin qu’il veille à l’agencement de meubles luxueux, qui sont tout à la fois, pris séparément, l’écrin de ses pierres et, considérés dans leur ensemble, celui de l’amphithéâtre où il officie. De même, dans les espaces du musée aménagés rue d’Enfer, la recherche d’une présentation scientifiquement rigoureuse ne saurait se passer d’un discours pictural qui place l’art au service de la science et rend sensible les beautés de cette dernière. C’est aussi en historienne rompue à l’histoire des collections que Maddalena Napolitani nous présente les accroissements successifs des galeries de l’École des mines : la saisie du cabinet d’Henri Bertin, les apports de la manufacture de Sèvres grâce à Alexandre Brongniart ou encore les dons d’Alexandre Lenoir, « entre enjeux techniques et enjeux patrimoniaux », au nombre desquels figure, par exemple, une plaque de marbre coquillier lumachelle provenant du tombeau de Dagobert à Saint-Denis !
- 3 Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation. Le service des monuments historiques d (...)
- 4 De manière fort suggestive, Maddelana Napolitani élargit le cadre de sa réflexion sur les relations (...)
8Le livre de Maddalena Napolitani tient le pari de son titre. Les pierres de la Nation ne peut manquer d’évoquer Quand les monuments construisaient la Nation, la thèse d’Arlette Auduc consacrée à l’histoire du service des monuments historiques3. Tout autant que les architectes et les inspecteurs, les ingénieurs ont apporté leur pierre, c’est le cas de le dire, à l’édification du sentiment national en construisant cette notion de « sol national » dont la collection de minéralogie constitue le monument le plus insigne4.
Notes
1 Docteur en géologie de l’École des mines de Paris, Didier Nectoux a dirigé le musée de minéralogie de celle-ci jusqu’en 2023. Il a publié avec Héloïse Gallou : Le musée de minéralogie de l’École des mines de Paris, Paris, éditions Gallimard, 2022, 60 p. (collection « Découvertes Gallimard », hors-série). Cette citation de Didier Nectoux est publiée sur une page du site de l’école rassemblant les hommages rendus à Claude Riveline, ingénieur du corps et professeur au sein de l’établissement, décédé en 2024. Le contexte de son énonciation ne permet pas de savoir si la phrase est une réflexion de Didier Nectoux ou la reprise d’un propos de Claude Riveline. Voir : Mines Paris Alumni, « Hommages à Claude Riveline (1936-2024) », publié le 4 janvier 2025, disponible en ligne, https://mines-paris.org/fr/article/hommages-a-claude-riveline-1936-2024/04/01/2025/384 [lien valide en mai 2025].
2 Maddalena Napolitani, Les pierres de la nation : les collections minéralogiques de l’École des mines de Paris (1760-1825), thèse de doctorat sous la direction de Dominique Poulot et Nadeije Laneyrie-Dagen, Université Paris Sciences et Lettres, soutenue le 7 novembre 2020. Voir : https://theses.fr/2020UPSLE062 [lien valide en mai 2025].
3 Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation. Le service des monuments historiques de 1830 à 1940, Paris, Comité d’histoire du ministère de la culture, 2008, 640 p. (collection travaux et documents, n°25).
4 De manière fort suggestive, Maddelana Napolitani élargit le cadre de sa réflexion sur les relations et mises en tensions entre musées et monuments dédiés au sol national en revenant sur le projet d’érection à Paris, au temps du Consulat, d’une colonne nationale, dont les matériaux n’auraient été constitués « que de granits et de marbres de France ». Les communications présentées dans le cadre de l’atelier « Curating and Exhibiting Geology. Past Practices and Future Challenges » ont montré d’autres exemples de réalisations architecturales qui peuvent être lues comme autant de représentations de l’idée nationale à travers les choix des matériaux employés pour leur construction. Voir par exemple : Christine Casey and Patrick Wyse Jackson (eds.), The Museum Building of Trinity College Dublin. A Model of Victorian Craftsmanship, Dublin, Four Courts Press, 2019.
Haut de pageTable des illustrations
![]() |
|
---|---|
URL | http://journals.openedition.org/lha/docannexe/image/14522/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 915k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Christian Hottin, « Maddalena Napolitani, Les pierres de la Nation. Les collections minéralogiques de l’École des mines de Paris (1760-1860), Paris, éditions Mare et Martin, 2025, 362 p. (collection « Thèses illustrées ») », Livraisons de l'histoire de l'architecture [En ligne], 47 | 2024, mis en ligne le 29 mai 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lha/14522 ; DOI : https://doi.org/10.4000/141sf
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page