• 1 Voir à ce propos Pauline Chougnet et Jean-Philippe Garric, La ligne et l’ombre. Dessins d’architect (...)
• 2 Voir David Van Zanten, « Semper, Hittorff, Labrouste, Jones et la polychromie en architecture », Re (...)
• 3 Voir notamment William W. Braham, Modern Color/Modern Architecture : Amédée Ozenfant and the Geneal (...)
• 4 Notamment le Répertoire du goût moderne, 1928-1929.
• 5 Voir Nathalie Boulouch, Le ciel est bleu. Une histoire de la photographie couleur, Paris, Textuel, (...)

1Quels furent les usages de la couleur dans les publications architecturales ? Les dessins originaux des architectes comportaient souvent des couleurs aux statuts variés, comme l’ont récemment montré plusieurs travaux à propos de la période classique1. Cependant, dans la littérature architecturale, le recours à la gravure comme technique d’impression a installé de longue date des codes de représentation monochrome, confortant des théories qui considéraient la couleur comme une donnée relativement accessoire de l’art de bâtir. Le milieu du XIX^e siècle apparaît comme un moment particulier où des discours positifs sur la polychromie des bâtiments antiques ou contemporains s’appuyèrent sur l’invention de la chromolithographie, qui permit à Owen Jones ou à Jacques Ignace Hittorff de diffuser visuellement leurs travaux2. Hormis cet épisode, les publications architecturales ont très majoritairement négligé la couleur des édifices, privilégiant des représentations imprimées en noir sur papier blanc, longtemps contraintes par les techniques de reproduction. Au début du XX^e siècle, la photographie s’est peu à peu imposée et a propagé l’image d’une architecture moderne en nuances de gris, quand bien même certains architectes, Bruno Taut ou Le Corbusier, développaient des théories chromatiques ambitieuses3. Une revue comme L’Architecture vivante fit figure d’exception, en faisant l’effort de relayer certaines tentatives, comme celles de De Stijl ou d’Eileen Gray, par l’apposition de couleurs au pochoir sur des documents graphiques en noir et blanc, ce que faisaient aussi certaines publications d’art décoratif4. Les promoteurs de la polychromie architecturale se sont trouvés confrontés à diverses difficultés techniques. Celle de capter les couleurs fut peu à peu résolue par la commercialisation de nouveaux films photographiques dans les années 1930 (Agfacolor, Kodachrome) ; celle de les imprimer à faible coût le fut grâce au développement de l’impression en trichromie puis en quadrichromie dans la presse de l’après-guerre. L’histoire générale de la diffusion progressive de l’image photographique en couleur est maintenant bien connue5. Elle s’est effectuée par l’intermédiaire de la publicité et des magazines de mode, de décoration et d’actualité, stimulant peu à peu l’évolution d’un milieu photographique resté longtemps attaché aux valeurs esthétiques du noir et blanc. Mais cette histoire reste encore mal cernée pour ce qui concerne spécifiquement l’image architecturale, de l’apparition des clichés colorés dans la presse spécialisée au fil des années 1940, plus précoce en Amérique qu’en France, jusqu’à leur banalisation entre 1960 et 1980, coïncidant avec l’essor du postmodernisme et le développement du métier de coloriste.

• 6 André Bloc dirigea trois revues : L’Architecture d’aujourd’hui (fondée en 1930), Art d’aujourd’hui (...)
• 7 L’Architecture d’aujourd’hui (AA dans les notes qui suivent), n° 13-14, septembre 1947.

2Dans ce moment charnière du milieu du XX^e siècle, comment la couleur imprimée a-t-elle interagi avec des théories et pratiques de la polychromie des édifices ? Sous la direction d’André Bloc, L’Architecture d’aujourd’hui apparait comme un bon terrain pour examiner cette question. Après 1945, cette revue fut un lieu de promotion de réalisations associant architectes et plasticiens, français ou étrangers6. En 1947, les premières photographies couleur qu’elle publie, dans un numéro double consacré au Brésil, montrent entre autres les mosaïques bleues créées par Cándido Portinari pour l’église de Pampulha conçue par Oscar Niemeyer (Ill. 1), ainsi que les paysages imaginés par Roberto Burle Marx7. L’Architecture d’aujourd’hui portait également son attention aux travaux du Groupe Espace, que Bloc avait fondé en 1951 avec l’artiste Félix Del Marle et dont elle avait publié le manifeste. L’équipe de rédaction s’efforçait de montrer, grâce à la photographie couleur, certaines réalisations polychromes emblématiques du groupe. Cependant, autour de 1950, de tels documents demeuraient rares, c’est pourquoi la photographie ne fut pas le principal vecteur de la couleur dans la revue. Les numéros de L’architecture d’aujourd’hui de l’après-guerre se distinguaient de ceux des années 1930, où la bichromie restait cantonnée aux pages de publicité, par leurs couvertures vives et par la présence d’une grande diversité d’éléments colorés rythmant les articles : titres et légendes, plans trichromes, aplats surimprimés et autres signes graphiques. Tout en accompagnant l’introduction des premiers clichés colorés, ces mises en pages faisaient évoluer les façons d’appréhender les projets architecturaux, en chargeant la couleur de significations multiples, en écho aux réflexions sur la synthèse des arts portées par le Groupe Espace. Peut-on envisager que l’objet imprimé ait été un laboratoire des usages de la couleur dans la médiatisation des projets ?

• 8 Aujourd’hui art et architecture prenait en 1955 le relais d’Art d’aujourd’hui. La date correspond a (...)
• 9 Basile Baudez, Inessential Colors, op. cit.

3Nous avons porté plus spécifiquement notre attention sur dix années de L’Architecture d’aujourd’hui, entre 1945, date où elle reparaît après l’interruption causée par la guerre, et 1955, date de la création par André Bloc d’une autre revue, Aujourd’hui art et architecture8, traitant plus spécifiquement des interactions entre ces domaines. En nous inspirant des catégories élaborées par Basile Baudez9 pour l’analyse de dessins d’architecture colorés du XVI^e au XIX^e siècle, nous proposons dans les trois parties qui suivent de distinguer trois niveaux d’utilisation de la couleur imprimée. Premièrement, la couleur dite conventionnelle, à l’instar des légendes utilisées en cartographie, permettait de signifier différentes informations (éléments de programme, matériaux ou autres) dans les plans. Deuxièmement, la couleur dite affective jouait un rôle clé dans l’esthétique des mises en page. Des aplats abstraits ou figurant des éléments annexes, comme le ciel ou la végétation, installaient une ambiance chromatique autour de représentations du projet souvent monochromes. Seul le troisième registre, la couleur dite imitative, renvoyait directement aux couleurs réelles des édifices, par la photographie ou par d’autres types de documents graphiques.

• 10 « Densités urbaines », AA n° 1, mai-juin 1945, p. 17-20.
• 11 AA n° 32, octobre-novembre 1950.
• 12 « Caisse centrale d’allocations familiales à Paris », AA n° 58, février 1955, p. 32-39.
• 13 AA n° 15, novembre 1947 et n° 17, avril 1948.
• 14 Elle ne sera présentée dans la revue qu’une fois l’édifice achevé. Voir Aurélie Barnier, « Paul Nel (...)
• 15 AA n° 25, mai 1949, p. 5-6.

4L’impression en bichromie puis en trichromie semble avoir été initialement mise au service de la présentation de démarches fonctionnalistes. Dans le contexte de l’urbanisme moderniste de la Reconstruction, elle fut utilisée sur un registre conventionnel dès le premier numéro de 1945, « Construire la France », où des cartes schématiques en noir et rouge figuraient les « densités urbaines »10. Dans le numéro « Reconstruction France 1950 »11, des aplats jaunes et bleu distinguaient circulations, industries et espaces « verts ». Utilisées pour traduire le zonage des villes, les conventions colorées le furent aussi pour expliquer diverses analyses préalables au projet. Raymond Lopez expliquait ainsi, par trois « organigraphes » bleu, jaune et rose, comment l’analyse des différents circuits internes avaient guidé le dessin de la caisse centrale d’allocations familiales de Paris. Il en schématisait la distribution verticale par une axonométrie simplifiée dans les mêmes tons12 (Ill. 2). Figure majeure du fonctionnalisme, Paul Nelson, qui coordonna les numéros dédiés à la « Santé publique » en 1947 et 194813, proposait des organigrammes en couleur de services complexes, bloc opératoire ou maternité. L’examen du projet pour l’hôpital de Saint-Lô se concentrait sur l’efficacité programmatique, sans évoquer encore l’idée de la polychromie extérieure et intérieure qui fut confiée au peintre Fernand Léger14. Une autre étude de Paul Nelson, dans le numéro « Architecture et enfance » de mai 1949, exposait visuellement la place des services dédiés à la jeunesse dans « l’organisation fonctionnelle de la cité » en un tableau vert, jaune et bleu occupant une double page dépliante15.

• 16 « Le Bosquel, village de la Somme, AA n° 22, mars 1949, p. 51. Les originaux de ces dessins en coul (...)

5Un autre usage informatif de la couleur concernait l’indication des éléments constructifs. Le numéro dédié aux constructions agricoles en mars 1949 reproduisait notamment des études de Jean Bossu pour la reconstruction du village du Bosquel16. Dans un « tableau référentiel des constituants types », des teintes conventionnelles symbolisaient les matériaux (rouge pour le bardage, bleu pour les menuiseries, gris pour le béton de caillou etc.), sans rapport avec leur apparence réelle.

• 17 « La grande façade du palais de la foire de Lille », AA no 38, décembre 1951, p. 53-55.

6Cette couleur conventionnelle, qui distinguait les matériaux dans les documents projectuels, pouvait parfois être utilisée pour les édifices eux-mêmes et rendre ainsi visible leur rationalité constructive (Ill. 3). Ce fut le cas de certaines réalisations des membres du Groupe Espace. En 1951, la mise en couleur par Félix Del Marle de la grande façade du Palais de la foire de Lille, conçue par Paul Herbé et Maurice-Louis Gauthier et réalisée par les ateliers Jean Prouvé, s’attachait à souligner les différentes composantes matérielles, appliquant la couleur informative au bâtiment lui-même. Dans la revue, le dessin perspectif explicatif accentuait les éléments constructifs par des couleurs proches de celles utilisées, comme en attestait la photographie en vis-à-vis : les structures Vierendeel en rouge « accusant les lignes de force »17, les portes en bleu outremer, bandeaux horizontaux gris ou noir, les échelles en blanc ainsi que les balcons, bordés de bleu, les panneaux en aluminium naturel blanc ou teintés de jaune par les parcloses.

• 18 Voir Catherine de Smet, Vers une architecture du livre. Le Corbusier : édition et mise en pages 191 (...)
• 19 Voir par exemple « Groupe d’habitations collectives à Picville », AA n° 20, octobre 1948, p. 53.
• 20 « Hôtel à Mykonos », AA n° 55, septembre 1954, p. 36-37.

7Parallèlement à ces utilisations informatives, les mises en page ont développé une esthétique de la couleur que l’on peut qualifier d’affective. L’impression en bichromie permit de restituer un environnement coloré en dépit d’une documentation architecturale majoritairement fournie en noir et blanc, qu’il s’agisse de plans ou de photographies. Cette technique était déjà utilisée dans les années 1930 pour les couvertures et dans les pages de publicité, attirant l’œil par des aplats vifs. Dans les premières années de l’après-guerre, les compositions colorées se diversifièrent pour les couvertures et quelques titres, lignes ou aplats imprimés à l’encre rouge ou bleue commencèrent à relever les niveaux de gris des articles. En avril 1948, le numéro hors-série « Le Corbusier » marqua un tournant dans l’emploi de la couleur. L’architecte en assura la mise en page avec de grands motifs en aplat vifs apposés en surimpression, imitant une pratique des papiers découpés parallèlement développée dans son œuvre plastique18. Dans les numéros qui suivirent, les traitements chromatiques initialement réservés aux couvertures et aux publicités gagnèrent peu à peu les articles, avec des couleurs diversifiées. En juin 1948 (n^o 18-19, « Habitations individuelles »), les compositions des pages associaient d’une part des aplats rectangulaires, rehaussant certains pavés de texte ou documents graphiques, et d’autre part des dessins surimprimés en couleur, insérant ainsi les représentations monochromes dans une ambiance chromatique. Le numéro suivant (« Tunisie ») contenait des photographies où le ciel était colorisé en bleu, en détourant le sol et les immeubles restés en niveaux de gris19. Suggérant ainsi le climat méridional, la bichromie magnifiait la blancheur d’une architecture moderne méditerranéenne accordée à celle de la pierre locale, comme dans la présentation, en 1954, d’un « Hôtel à Mykonos » rapproché de l’architecture cycladique20 (Ill. 4). Certaines photographies colorisées insistaient sur d’autres éléments de l’environnement, notamment la végétation parfois rehaussée en vert, faisant ainsi percevoir le blanc comme une couleur.

• 21 AA n° 22 « Constructions agricoles », mars 1949 ; n° 25 « L’architecture et l’enfance », mai 1949 ; (...)
• 22 AA n° 23 « Spectacles », mai 1949 ; n° 26 « Laboratoires de recherche », juin 1949 ; n° 27 « Archit (...)
• 23 AA n° 28, février 1950.

9Les mises en page furent plus sophistiquées entre 1949 et 1951, période pendant laquelle la composition de quelques numéros fut confiée à des personnalités du graphisme. Pierre Faucheux, futur membre du Groupe Espace, assura la réalisation de trois d’entre eux21 et Georges Lafaye, plus connu comme homme de théâtre, signa les couvertures et les mises en page de six autres22. Ce dernier conçut également, dans un ton gris-vert, le chapitre sur l’enseignement dans un volume de 1950 consacré à « Walter Gropius et son école »23 (Ill. 5). La mise en page du reste de ce numéro fut réalisée par Paul Rudolph qui en coordonna également le contenu.

• 24 AA n° 44, septembre 1952 (une maison de Marcel Breuer) ; n° 46, février 1953 (l’unité d’habitation (...)
• 25 Voir Thierry Gervais et Gaëlle Morel, La photographie : histoire, techniques, art, presse, Paris, L (...)
• 26 « Renaissance d’une ancienne technique ibérique. Azuleijo », AA n° 13-14, septembre 1947, p. 7. La (...)
• 27 « Jardins d’esprit nouveau. Burle Marx paysagiste » AA n° 13-14, septembre 1947, p. 34-35.
• 28 AA n° 42-43, août 1952, p. 124-125.
• 29 « Une maison dans les dunes », AA n° 18-19, juin 1949, p. 14. Sur l’utilisation précoce de la coule (...)
• 30 AA n° 50-51, p. 24-25.

11Publier des photographies couleur était un des moyens de documenter des environnements colorés. Dans le contexte français, l’apparition des premiers clichés dans L’Architecture d’aujourd’hui, dès 1947, se révèle avoir été assez précoce et trois numéros, en 1952 et 1953, arboraient des photographies couleur en couverture24. Rappelons que dans la presse illustrée, la photographie en couleur fit son apparition d’abord dans les journaux féminins liées à la mode, (Elle, dès 1945, sur le modèle des magazines américains comme Harper’s Bazaar ou Vogue) ainsi que dans le photojournalisme (Réalités et Paris Match dès leur création, respectivement en 1946 et 1949)25. Pour ce qui concerne L’Architecture d’aujourd’hui, son utilisation coïncidait avec la volonté de médiatiser les collaborations entre plasticiens, architectes et paysagistes, bien illustrées par les exemples brésiliens26. Les commentaires insistaient sur la dimension « plastique » des compositions murales et spatiales ainsi que sur « l’interpénétration de la nature et de l’architecture »27. La photographie avoisinait les autres usages de la couleur, dessins ou photos imprimés à l’encre bleue ou rouge, aplats et plans masses quadrichromes, comme dans une grande double page dépliante consacrée à l’unité d’habitation de Pedregulho à Rio de Janeiro28. Certaines des images publiées étaient l’œuvre de grands photographes américains qui pratiquaient déjà la couleur, tels Ezra Stoller, auteur de clichés montrant, en 1948, les teintes vives d’une maison de Marcel Breuer29 ou, en 1953, une église unitarienne à Madison réalisée par Frank Lloyd Wright30. Nombre d’entre elles étaient empruntées à des revues étrangères : Architectural Review pour les azulejos de Portinari publiés en 1947, Domus pour des jardins de Bernard Rudofsky en 1953, Arts and Architecture pour une maison de Craig Ellwood en 1954, Architectural Forum pour le General Motors Technical Center d’Eeero Saarinen en 1956.

• 31 AA, n° 46, février 1953 et n° 47, avril 1953.
• 32 « Polychromie de la cité de Flins », AA, n° 46, février 1953, p. 76-79.
• 33 « Usine Renault à Flins », AA, n° 47, avril 1953, p. 23-26.
• 34 Ibid.

12Aux côtés des projets internationaux, la revue d’André Bloc documentait la polychromie de la nouvelle architecture française. Certaines photographies, anonymes, furent peut-être effectuées en amateur par les architectes eux-mêmes, d’autres furent commandées à des photographes professionnels. C’est le cas des images couleur de la propre maison de Bloc à Meudon, présentées dans le n^o 49 de 1953 et signées par Sabine Weiss ou par Étienne Bertrand Weill. Le commentaire s’attardait sur l’adoption des principes du néoplasticisme pour le découpage coloré des murs. Parmi les autres bâtiments décrits par la photographie, plusieurs sont directement liés à l’idée de synthèse des arts, comme l’unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier. Les travaux du groupe Espace figuraient en bonne place dans les deux numéros de 1953 dédiés à la « Contribution française à l’évolution de l’architecture »31. Le parti d’une polychromie non pas « ornementale » mais « architecturale », adoptée à l’usine Renault à Flins et à la cité ouvrière attenante, était expliqué en associant des documents d’étude (plans, élévations) et des photographies. Résultat d’une collaboration entre Bernard Zehrfuss, Félix De Marle et Simone Servanes, les compositions chromatiques visaient « l’équilibre de la fonction et de la plastique »32 (Ill. 6). Commentant les logements, Félix Del Marle invoquait la « chromothérapie »33 et l’action bénéfique d’une coloration rationnelle sur la psychologie des habitants. Les discrètes lignes colorées horizontales des poutres, conjuguées aux stores dans les mêmes tons, apportaient, soulignait-il, une « graphie » relevant la « puissante massivité des volumes » enduits de blanc et posés sur des rez-de-chaussée « neutralisés par des couleurs négatives, en particulier du gris »34.

• 35 AA, n° 58, février 1955, p. 97.
• 36 « Immeuble à Paris », AA, n° 58, février 1955, p. 82.
• 37 AA, n° 57, décembre 1954, couverture.

13Une autre réalisation mise en avant était la maison de la Tunisie à la Cité universitaire de Paris. L’architecte Jean Sebag y avait orchestré un programme artistique intégrant du mobilier de Charlotte Perriand, des surfaces textiles de Sonia Delaunay et une mise en couleur par Pierre Faucheux et Alain Richard. D’autres types de programmes étaient remarqués : grandes opérations d’habitation aux façades multicolores, comme celle réalisée par André Sive à Aubervilliers, vitraux des édifices religieux (Fernand Léger pour l’église d’Audincourt conçue par Maurice Novarina), usines, bureaux, y compris des agences d’architecture comme celles de Sive ou de Sebag, dont « la polychromie générale [avait] été étudiée en vue de créer une ambiance très vivante et favorable au travail »35. L’architecture colorée s’observait aussi en Afrique du Nord, autour de Zehrfuss en Tunisie ou des travaux de l’ATBAT au Maroc. Quand les clichés couleurs faisaient défaut, ceux disponibles en noir et blanc se trouvaient parfois colorisés par des aplats ponctuels, comme pour un immeuble de Lionel Mirabaud, square Mozart à Paris. Le rédacteur vantait les interventions réalisées par l’artiste Noël Émile-Laurent jusque dans la chaufferie, déplorant la monochromie des images : « les canalisations sont de diverses couleur. Nous n’avons pu, dans ce document, que souligner les éléments peints en rouge »36. De même l’ensemble d’habitations à Casablanca « Nid d’abeille », conçu par Georges Candilis avec l’ATBAT Afrique, était présenté en couverture avec des aplats colorés qui restituaient l’effet chromatique37, tout en s’inscrivant dans la lignée des compositions graphiques qui caractérisaient la revue depuis 1945.