• 1 Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favo (...)
• 2 Datés de 1,8 million d’années, ces fossiles appartiennent aux premiers représentants du genre Homo (...)

3Les biologistes et anthropologues n’ont eu de cesse de chercher à préciser et à améliorer l’arbre phylogénétique proposé par Charles Darwin, qui constituait l’unique illustration de son livre fondateur L’Origine des espèces1. Où situer les nœuds représentant les « chaînons manquants » desquels partiront de nouvelles branches et un changement d’aiguillage dans l’arbre du vivant ? Claudine Cohen fait l’historique des métamorphoses de cet arbre, d’abord conçu verticalement comme une « aristogenèse » menant à l’Homme au sommet de la Création, avant que, sous le coup des découvertes paléontologiques et des progrès de la génétique, il ne s’étoffe en un buisson aux ramifications plus complexes. La polémique se déplace ensuite de l’origine de l’Homme et des « races » humaines à celle d’Homo sapiens en particulier, longtemps associé à l’« Homme blanc, européen et civilisé » (p. 88). Puis, la cladistique va révolutionner notre approche des relations de parenté entre les êtres vivants avec l’apparition des cladogrammes, arbres sans tronc ni racine ne montrant que les résultats de l’évolution, c’est-à-dire en rangeant les espèces suivant l’acquisition de caractères communs sans rechercher d’ancêtre. Pourtant cela ne va pas sans soulever d’autres problèmes. En effet, face à la diversité des fossiles humains, comment être sûrs des rapports de filiation entre les espèces identifiées : quelle espèce du genre Australopithecus a donné naissance au genre Homo ? Peut-être n’y a-t-il aucun lien entre eux et que seule la découverte d’un nouveau crâne, de nouveaux squelettes, dans un site africain encore insoupçonné pourrait le confirmer ou l’infirmer. Si les crânes d’Homo georgicus de Dmanissi (Géorgie)2 avaient chacun été mis au jour dans des sites différents, nul doute qu’ils auraient été classés comme des espèces distinctes, tant ils présentent des variations morphologiques individuelles. Aujourd’hui, ce n’est donc plus que l’« ombre d’un arbre » (p. 60) que nous proposent les anthropologues, dont les branches et les racines ont été coupées : « la prudence voudrait peut-être, en effet, qu’on cesse de construire des arbres d’évolution en attendant que tout ce savoir soit enrichi, précisé et élagué. L’abondance des fossiles pose plus de questions qu’elle n’en résout. Un arbre ne fait souvent que cacher la forêt » (p. 62).

• 3 Du nom d’une grotte des montagnes de l’Altaï en Sibérie (Russie), l’« Homme de Denisova » est une e (...)

4Claudine Cohen nous éclaire ensuite sur les grands débats passés et actuels autour des hommes fossiles. Quels liens avons-nous avec Néandertal ? Qui sont les Dénisoviens3 dont une partie des caractères génétiques se retrouve chez certaines populations d’Hommes modernes, tels que les Mélanésiens ou les Tibétains ? Dans le chapitre III, l’autrice rappelle comment les anthropologues sont parvenus à sortir des ornières du racisme en démontrant que les races humaines n’existent pas. Mais l’arbre est aussi le support de récits étiologiques construits autour de l’hominisation, notre descente des arbres et notre sortie prédéterminée de l’animalité : un « conte merveilleux » (p. 112), remis en question par les primatologues et les éthologues. Les scénarios s’efforçant « de relever les innovations anatomiques, les événements biologiques, culturels, environnementaux qui ont pu rendre possibles la constitution et le développement, au cours des millions d’années de son existence, d’une famille représentée par une radiation évolutive riche et touffue, dont l’espèce Homo sapiens est aujourd’hui la seule survivante » (p. 114) n’échappent pas aux présupposés idéologiques de leurs auteurs. Or, les motifs que sont le rôle moteur de la chasse (expliqué à partir d’un scénario « non raciste… mais machiste », Id.), les modifications du climat, ou l’évolution de l’encéphale et de la cognition doivent être assortis de deux éléments trop longtemps négligés : le hasard – « s’il est un trait certain dans tout ce que nous savons aujourd’hui de l’évolution humaine, c’est bien le caractère non linéaire et hasardeux du processus évolutif » (p. 126) – et l’enracinement de nos comportements dans le monde animal, interdisant d’y voir une « “exception” humaine absolue » (p. 154).

• 4 Cf. La Femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris, Belin-Hersche (...)

6Claudine Cohen fait également un détour par les rapports de genre chez nos ancêtres, qu’elle a contribué à populariser avec ses livres sur la femme préhistorique4. La perte des signes de l’œstrus, « en rendant la vie sexuelle possible en permanence, partout, avec tous » (p. 210), imposa sans doute un contrôle social, sans toutefois que nous ayons la preuve d’un asservissement de la femme réduite à un rôle sexuel et à la procréation. Ici encore, il faut se défier de toute idéologie, dans un sens comme dans l’autre : ainsi que le rappelle l’autrice, l’énigme de l’égalité ou de l’inégalité des sexes au Paléolithique est très loin d’être résolue et l’existence d’un matriarcat primitif est à ranger dans les mythes scientifiques.