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Comptes rendus

Per Brandström, Mhola – The Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania

Yvan Droz
p. 177-179
Référence(s) :

Per Brandström, Mhola – The Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania. Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 2021, 264 p., bibl., ill., index (« Uppsala Studies in Cultural Anthropology » 59).

Texte intégral

1Publié par les éditions de l’Université d’Uppsala, Mhola – The Utopia of Peace reprend et synthétise plus de cinquante ans de recherches menées par Per Brandström dans le nord de la Tanzanie auprès des groupes d’autodéfense sungusungu parmi les Sukuma-Nyamwezi. C’est donc un ouvrage qui résume – si l’on peut employer ce terme – une vie entière dédiée à l’anthropologie. En effet, l’auteur est issu d’une famille de missionnaires protestants de la Swedish Free Mission qui, accompagnée de ses enfants, officiait dans la région de Mwanza, Shinyanga et de Tabora, au sud du lac Nyanza, autrefois connu sous le nom de « lac Victoria ». Écrit sans fioriture, avec une franchise qui dévoile les conditions d’enquête, ce livre raconte comment l’auteur s’est progressivement intéressé aux Sungusungu, même s’ils n’entraient pas dans ses thématiques initiales. Dès le début des années 1980, ces groupes d’autodéfense se sont formés pour lutter contre le vol de bétail qui affectait les troupeaux de la région, mais aussi pour remédier à l’incurie du gouvernement tanzanien d’alors : c’est ainsi qu’ils sont rapidement devenus incontournables pour Per Brandström qui a fini par leur consacrer ses dernières enquêtes de terrain dans la région.

2Un premier chapitre intitulé « What Can We Know and How to Interpret ? » donne le ton de l’ouvrage. Après avoir brièvement défini les concepts principaux, l’auteur analyse, avec la distance et la sagesse de l’anthropologue accompli, les différentes interprétations dont les groupes sungusungu ont fait l’objet dans la littérature anthropologique et politique. Il présente de manière succincte l’histoire de ces groupes d’autodéfense qui ont surgi comme des mouvements sociaux spontanés, avant de s’institutionnaliser progressivement pour devenir une milice reconnue par le gouvernement tanzanien. Grâce à des décennies de terrains ethnographiques, Per Brandström a su nouer des liens avec des chefs sungusungu auxquels il donne la parole (chap. II). En reconstituant les parcours biographiques fort différents de trois d’entre eux, illustrés de quelques photographies, il donne chair à cette histoire locale. On découvre ainsi que ces groupes d’autodéfense s’employaient non seulement à protéger les villages, mais également à améliorer les infrastructures et à régler les différends qui pouvaient surgir entre les villageois. Le troisième chapitre synthétise l’histoire locale des Sungusungu et souligne la manière dont ils se sont insérés dans les anciennes structures sociales générationnelles et d’autorité des Sukuma-Nyamwezi, ainsi que dans les récits qui y sont associés.

3Cette microhistoire est replacée dans la perspective plus large de l’histoire nationale tanzanienne post-indépendance, en particulier dans le projet de villagisation cher au président Julius Nyerere (chap. IV). Celui-ci transforma, parfois brutalement, le mode de vie de ces populations, contraintes de passer d’un habitat dispersé à un habitat groupé en villages, avec des voisins que l’on n’avait pas choisis. Il n’est donc pas surprenant de voir les rumeurs sorcellaires enfler sur les conflits qui surgirent parmi ces nouveaux proches. Les Sungusungu trouvèrent là une des raisons de leur action : apaiser les tensions à l’intérieur de ces communautés récentes, victimes du mirage de la modernisation à la tanzanienne. Per Brandström revient ensuite sur la question de l’ethnicité pour examiner la formation des groupes sukuma-nyamwezi à la lumière des récits des premiers « explorateurs ». En les confrontant à la façon dont ces groupes locaux se représentaient leur propre identité ethnique, il note la fluidité des formes identitaires et l’importance de ce que l’on appelle aujourd’hui l’« intersectionnalité ». L’auteur poursuit cette prudente exploration des concepts d’« ethnicité » et de « culture » qui expliquent en partie la diffusion rapide des Sungusungu au sein des Sukuma-Nyamwezi (chap. VI). Le septième chapitre est consacré à la mhola qui donne le titre du livre. Inscrit dans la cosmovision des Sukuma-Nyamwezi, cet idéal de paix a guidé les groupes de Sungusungu : « Life is thus an incessant quest for mhola. In everyday life this is expressed in various forms of being together, in the daily exchange of greetings […]. The idiom of mhola, its creation and recreation, constitutes a theme, which infuses a cosmological aspect into the performances, whether formal or informal, and tunes them toward ritual » (p. 128). L’auteur insiste sur son son rôle essentiel dans les différents rituels et sacrifices qui émaillent les parcours de vie et permettent de restaurer la paix et de repousser les attaques sorcellaires.

4Dans le chapitre suivant, Per Brandström montre comment le mouvement sungusungu est passé d’un mouvement social à une institution reconnue par l’État, ce qui le changea profondément. En effet, alors qu’il était initialement constitué comme un mouvement spontané d’autodéfense, il finit par se transformer en milice gouvernementale associée aux structures du pouvoir locales et, bien sûr, à sa corruption. Dans un neuvième chapitre, l’auteur aborde sa diffusion, souvent favorisée par les migrations intérieures des groupes sukuma-nyamwezi, au-delà des régions d’origine, en milieu rural ou dans les villes du reste de la Tanzanie. La « fin » du mouvement en raison de cette institutionnalisation et de son expansion qui, en quelque sorte, l’ont dénaturé en l’extirpant de son inscription locale est traitée dans le chapitre X. Le mouvement sungusungu est en effet devenu une forme de community policing au sein des structures de contrôle du parti au pouvoir, censé pouvoir offrir de futurs emplois dans les compagnies privées de sécurité qui ont proliféré. Dans l’avant-dernier chapitre, Per Brandstörm s’interroge sur ses éventuelles racines précoloniales – puis postcoloniales – et s’il correspond à un mouvement de résistance face aux autorités extérieures. Il répond par la négative à ces questions, avant de conclure son ouvrage par un court chapitre rétrospectif dans lequel il donne à entendre le témoignage d’un ancien Sungusungu quelque peu désabusé par l’histoire récente de la région : « How could we know what to do ? […] [F]irst came the Germans and they told us what to do […] then came the British and told us what to do, finally our own government was here to tell us what to do and, in the meantime, over decades, the missionaries have been around telling us what to do. So, how could we ever know what to do ? » (p. 235). L’auteur voit dans ces propos savoureux les échanges constants entre le local – les groupes sungusungu – et le global, entre la microhistoire et la macrohistoire, ainsi que les interrelations ambiguës qui traversent la vie sociale.

5Fondé sur des décennies de recherches, ce bel ouvrage représente un exercice pratique d’anthropologie réflexive ancrée dans une connaissance minutieuse et profonde de l’histoire locale et des théories anthropologiques.

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Pour citer ce document

Référence papier

Yvan Droz, « Per Brandström, Mhola – The Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania »L’Homme, 246 | 2023, 177-179.

Référence électronique

Yvan Droz, « Per Brandström, Mhola – The Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania »L’Homme [En ligne], 246 | 2023, mis en ligne le 22 août 2023, consulté le 25 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/47269 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.47269

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Auteur

Yvan Droz

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