1Le présent ouvrage est la publication des actes du xx^e congrès de l’association Danses macabres d’Europe (Dme), qui s’est tenu à l’Université de Bretagne-Occidentale en septembre 2023. Son titre « Hirie dime, varchoas dide » est une expression bretonne dérivant du latin Hodie mihi, cras tibi et signifiant « Aujourd’hui c’est moi, demain c’est toi ». Cette sentence orne le catafalque de l’église de Saint-Gilles-Pligeaux (Côtes-d’Armor). Elle résume parfaitement le contenu de l’ouvrage, en ce qu’elle traduit la peur des femmes et des hommes, du Moyen Âge jusqu’à nos jours en Occident, face à la mort qui rôde (épidémies, guerres, accidents, mortalité infantile) et qui frappe sans distinction de classes sociales ou de genres, mais aussi en ce qu’elle offre un exemple de motif macabre destiné à se protéger spirituellement de la « grande faucheuse ». Le livre se divise en quatre grandes parties composées de 31 articles écrits par des chercheurs en histoire de l’art, en histoire, en littérature et en linguistique, mais aussi par des amateurs du patrimoine et de la littérature macabre.

2La première partie, « Mort et société », est partagée en deux sous-parties et donne à voir différentes façons par lesquelles les sociétés anciennes, confrontées à l’omniprésence de la mort, choisissent de se tourner vers la religion ou la médecine pour y trouver protection, réponses et réconfort. La première, « Intercession et épidémies » contient trois articles qui articulent la peur des hommes face aux épidémies, notamment la peste. Jyrki Nissi (pp. 23-34) s’intéresse aux saints protecteurs et salvateurs dans la Suède des xiv^e et xv^e siècles et à leur rôle essentiel dans le salut de l’âme des malades. Timothée Sébert (pp. 35-42) expose l’ambivalence du bubon pesteux, à la fois symptôme d’une mort imminente ou d’une possible guérison, dans les sources textuelles françaises de la fin du Moyen Âge. Enfin, Cristina Bogdan (pp. 43-56) se penche sur la figure protectrice de saint Charalampe, invoqué contre la peste en Roumanie lors des xviii^e et xix^e siècles. La seconde sous-partie, « Droit du sang, testament, obit et devoir de mémoire », rassemble quatre textes qui abordent les questions du testament et des gestes commémoratifs, du Moyen Âge à l’époque contemporaine : le sang des vivants et le corps des défunts en tant que révélateurs de la filiation légitime dans les récits médiévaux (Marco Piccat, pp. 57-70) ; les fondations de messes pour les morts dans la ville de Dinan à la fin du Moyen Âge-début de l’ère moderne et, plus particulièrement, les origines et les critères socio-économiques des fondateurs de ces célébrations (Laurent Guitton, pp. 71-86) ; les gwerzioù de l’Ancien Régime, des chansons testamentaires en langue bretonne transmises oralement de génération en génération, et leur portée ethnographique et documentaire (Éva Guillorel, pp. 87-102) ; enfin, la pratique du rite de proëlla sur l’île de Ouessant, restituée par les ethnologues et écrivains depuis le xix^e siècle, et la question du rituel funéraire en l’absence du corps d’un proche disparu en mer (Yann Celton, pp. 103-118).

3La deuxième partie, « Le macabre dans l’art », oriente le propos vers les multiples personnifications artistiques de la mort. Elle s’organise autour de trois thèmes. Le premier, « Danses macabres en France », traite de l’iconographie de ce motif populaire illustrant une forme de sarabande où des squelettes entraînent des vivants de toutes conditions sociales vers la mort. Ilona Hans-Collas (pp. 121-144) étudie les danses des morts peintes en Bretagne entre la fin du xv^e et le début du xvi^e siècle, ainsi que leurs restaurations actuelles et les types d’architectures dans lesquels se trouvent ces peintures. Justine Dufresne (pp. 145-162) met en lumière la figure singulière de la sorcière dans la Danse macabre des femmes (1491) de l’imprimeur Guyot Marchant et la compare avec des éditions parues à la toute fin du xv^e siècle. Fabrice Granouillet (pp. 163-174) commente la danse macabre réalisée sur papier peint par l’historien et poète Albert Boudon-Lashermes, après la Première Guerre mondiale, dans sa résidence à Brives-Charensac. Cette frise représente notamment des personnalités de la région du Velay caricaturées en tenue militaire. Les deux thèmes suivants – « Thèmes et arts macabres au Moyen Âge » et « Thèmes macabres aux xvii^e-xviii^e siècle » – portent sur l’art macabre au Moyen Âge, puis à l’époque moderne. À partir d’un tableau datant de la fin du xv^e siècle présent dans l’église Saint-Jacques-le-Majeur de Bar-le-Loup (Alpes-Maritimes) et d’autres peintures provençales, Francesc Massip Bonet (pp. 175-192) met en relation une danse funeste avec l’art macabre dans la culture occitano-catalane. Laurent Ungeheuer (pp. 193-206) présente les caractéristiques des enluminures dépeignant la mort, exécutées par l’atelier parisien du Maître de Bedford, entre les années 1420 et 1450, ainsi que celles des textes les accompagnant. Sophie Oosterwijk (pp. 207-226) s’intéresse à la mise en scène dramatique de la mort de femmes célèbres dans l’ouvrage Treur-tooneel der doorluchtige vrouwen (1699) de Laurens von Zanten. En s’appuyant sur le thème de la danse macabre développé dans le livre Freund Heins Erscheinungen in Holbeins Manier (1785) du peintre et poète suisse Johann Rudolf Schellenberg, Monica Engel (pp. 227-240) montre de quelle façon l’auteur offre une production avant-gardiste et singulière dans le contexte de l’Europe des Lumières. Puis, grâce à la sculpture funéraire flamande baroque, Élise Philippe (pp. 241-258) dévoile comment la composition allégorique de la mort, bien que lugubre, met l’accent sur le salut de l’âme des défunts.

4La troisième partie, « La mort dans les livres », comprend trois sous-parties traitant de la figure de la Mort ou des questionnements sur le trépas dans la littérature de la fin du Moyen Âge au xix^e siècle. La première section, « La mort dans la littérature édifiante », débute par le texte de Johnatan Marin Gallo (pp. 261-278) à propos des sermons eschatologiques de saint Vincent Ferrier et de leur lien avec les représentations macabres se trouvant notamment dans l’église Notre-Dame de Kernascléden (Morbihan). Thierry Claerr (pp. 279-294) évoque le salut de l’âme dans les œuvres réalisées par l’éditeur Gilles de Kerampuil dans les années 1570. Anca Elisabeta Tatay et Cornel Tatai-Baltă (pp. 295-312) analysent un corpus restreint de gravures roumaines comportant des éléments macabres et produit à partir de la seconde moitié du xvi^e siècle. La deuxième sous-partie, intitulée « Allégories littéraires », commence par l’article de Maxime Kamin (pp. 313-324) sur l’ambivalence de la symbolique du jeu d’échecs dans les lettres médiévales des xii^e-xv^e siècles, à la fois perçu comme une image harmonieuse de l’univers créé par Dieu, mais aussi comme le reflet des vanités humaines et de la toute-puissance de la mort. De son côté, Danielle Quéruel (pp. 325-338) se penche sur le roman allégorique du Chevalier délibéré d’Olivier de La Marche, paru en 1483, où un vieil homme part combattre les deux serviteurs d’Atropos, la déesse de la mort, Accident (la mort violente) et Débile (le décès par maladie). Mary Beth Winn (pp. 339-354) évoque les « figures de la Mort » dans les Loups ravissans de Robert Gobin, publié au début du xvi^e siècle. Ces gravures, accompagnées d’un texte, représentent des personnages (bibliques, mythologiques, littéraires ou historiques) saisis par le trépas chacun leur tour, et non à la file indienne comme dans les danses macabres. La dernière sous-partie de cette section, « Mythes et littératures », est introduite par la légende du Bonhomme Misère, un homme pauvre qui, grâce à sa ruse, parvient à tromper la Mort. Marie-Dominique Leclerc (pp. 355-368) fournit plusieurs versions de cette histoire popularisée par la littérature de colportage, la Bibliothèque bleue, et explique comment elle fut reprise au xix^e siècle dans la littérature, l’art et le folklore oral, notamment breton. Gianluca Ruggeri Ferraris (pp. 369-380) se concentre sur une œuvre de jeunesse de Gustave Flaubert, La Danse des morts, où l’auteur joue avec les mots comme les morts dansent en ronde. Fabienne Pomel (pp. 381-394) s’intéresse à L’Enchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire et à ses inspirations médiévales liées au mythe arthurien, mais aussi à l’influence de la danse macabre, un autre thème médiéval, au sein de ce conte poétique.

5La dernière section du livre, « Monuments funéraires », est subdivisée en deux sous-parties consacrées à différents types d’édifices funèbres, de la fin du Moyen Âge à nos jours, à leurs fonctions et à la notion de mémoire qui leur est associée. Dans la première sous-partie, « Ossuaires en Bretagne » : Michèle Boccard (pp. 397-416) s’attache à dresser la liste des ossuaires bretons datant de la fin du Moyen Âge à l’époque moderne, tout en soulignant leurs caractéristiques pratiques et architecturales ; Didier Jugan (pp. 417-434) se focalise sur deux monuments en particulier, ceux de Ploudiry et de la Roche-Maurice (Finistère), et sur un aspect de leur ornementation, à savoir les états et la mort ; Fany Eggers (pp. 435-456), quant à elle, examine les dernières heures des ossuaires bretons à partir de plusieurs types de sources. Dans la seconde sous-division, « Tombeaux, monuments funéraires et cimetières » : Anne Lafran (pp. 457-472) porte son attention sur un nouveau genre de sculpture funéraire apparu à la fin du Moyen Âge, le transi (ou la figuration du corps du défunt en décomposition) et, plus spécifiquement, sur celui de Jeanne de Bourbon Vendôme (décédée en 1511) ; de même, Christine Leduc-Gueye (pp. 473-490) explore la représentation de la mort peinte sur les monuments commémoratifs de la Première Guerre mondiale dans les églises des Pays de la Loire ; Christine Berthou-Ballot et Katia Le Gall (pp. 493-512) s’intéressent aux formes de transmission mémorielle dans les deux cimetières historiques de Brest ; enfin, l’article d’André Chabot (pp. 513-522) conclut l’ouvrage en faisant un tour pictural et textuel des pratiques funéraires singulières à travers l’Europe contemporaine, en rappelant que ces gestes servent surtout aux vivants.

6Cette riche publication montre combien l’art et le patrimoine macabres en Europe et la recherche sur ces sujets sont féconds. En découvrant différentes manières d’agir pour faire face à la mort, le lecteur perçoit la variété des pratiques funéraires au cours des siècles, en fonction du statut du défunt, de la cause de son décès et du lieu de son trépas. Bien que l’accent soit mis principalement sur la Bretagne, d’autres régions de France et d’Europe sont étudiées au travers de nombreux supports : sculptures, peintures, monuments, peintures murales, manuscrits, gravures, littératures. Cette multiplicité des media donne ainsi un large aperçu de la façon dont les femmes et les hommes ont tenté de prévenir et d’expliquer la maladie, les épidémies ou les accidents. En outre, l’impact de la religion chrétienne est ici indéniable dans la mesure où tous ces gestes funéraires et toutes ces formes d’expression de la mort préparaient au Jugement dernier tant redouté. En définitive, les actes de ce colloque sont autant une initiative s’employant à rendre visibles et à interpréter cet art et ce patrimoine des temps passés qu’une invitation à en conserver la mémoire pour nos sociétés actuelles.