Le 10 octobre 2008, vers 17 heures, une vingtaine de militaires entrent chez Alfredo Piñon, 73 ans, qui vient de terminer de nourrir les animaux de sa petite ferme à Lomas del Poleo, un quartier informel situé à l’extrême périphérie nord-ouest de Ciudad Juárez, à quelques centaines de mètres de la frontière avec les États-Unis. Après avoir fouillé sa maison, les soldats déclarent avoir trouvé un pistolet et un paquet de marihuana et embarquent Alfredo. Les yeux bandés et allongé sur le ventre, il est transporté dans un pick-up de l’armée, jusqu’à une caserne où il reconnaît la voix de l’un de ses voisins. Tous deux sont ensuite emmenés par d’autres hommes (les soldats leur indiquent qu’il s’agit de policiers fédéraux) dans une maison où ils sont séparés. Alfredo, qui est obligé de se laver avec de l’eau froide sous la menace d’un bâton, entend des cris au loin, puis la voix d’un policier : « Tu verras, la même chose va t’arriver, on verra si tu ne vas pas crever, espèce de salaud ! ...
Pratiques de prédation à Ciudad Juárez : naissance et disparition d’un quartier irrégulier au Mexique
Résumés
En suivant l’histoire de l’installation et de l’expulsion des habitants d’un quartier informel de la périphérie de Ciudad Juárez, Lomas del Poleo, cet article aborde les pratiques prédatrices à travers lesquelles s’impose et se reproduit le modèle économique centré sur la sous-traitance des services productifs dans cette région du Mexique à la frontière avec les États-Unis. Restés à l’écart pendant plusieurs décennies, les terrains sur lesquels s’était développé Lomas del Poleo connaissent un processus de valorisation dans le cadre d’un nouveau projet de développement urbain, en vue de l’installation de nouvelles maquiladoras. Le conflit foncier qui oppose les habitants et une famille de grands propriétaires fonciers réclamant la propriété des terrains montre que les entreprises multinationales ne sont que l’un des acteurs qui interviennent dans l’imposition de ce modèle d’accumulation. Dans les pratiques de la prédation coexistent des mécanismes directs, qui passent par la destruction de lieux et de vies, mais aussi indirects, qui agissent dans les interstices du droit et de la loi et de leur application.
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Mots clés :
Lomas del Poleo, Ciudad Juárez, Mexique, question foncière, quartier irrégulier, maquiladoras, dépossession, expulsion, logiques de prédation, accaparement des terresKeywords:
Lomas del Poleo, Ciudad Juárez, Mexico, land question, irregular neighborhood, maquiladoras, dispossession, expulsion, logics of predation, landgrabNotes de l’auteur
Cet article n’aurait pas été possible sans l’aide précieuse de nombreuses personnes au Mexique auxquelles j’adresse ma plus sincère gratitude. Je souhaiterais également remercier Adèle Blazquez et Martin Lamotte pour leur suivi attentif et enrichissant tout au long de la rédaction du texte, ainsi que les trois relecteurs anonymes qui m’ont aidée, par leurs commentaires stimulants, à mieux définir ma problématique et à affiner ma pensée. Merci enfin à Isabelle Nony pour sa relecture minutieuse.
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Référence papier
Chiara Calzolaio, « Pratiques de prédation à Ciudad Juárez : naissance et disparition d’un quartier irrégulier au Mexique », L’Homme, 251-252 | 2024, 165-188.
Référence électronique
Chiara Calzolaio, « Pratiques de prédation à Ciudad Juárez : naissance et disparition d’un quartier irrégulier au Mexique », L’Homme [En ligne], 251-252 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2028, consulté le 22 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/50603 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134c2
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