Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos & Boris Valentin, eds, Préhistoire. Nouvelles frontières
Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos & Boris Valentin, eds, Préhistoire. Nouvelles frontières. Paris, Éd. de la Msh, 2023, 468 p., bibl., ill., fig., cartes (« 54. Préhistoire, archéologie »).
Texte intégral
1La Préhistoire – les « Préhistoires » devrait-on désormais dire – est la période de l’Humanité la plus longue et paradoxalement encore aujourd’hui la moins connue, mais dont la compréhension est sans cesse renouvelée, grâce aux dernières découvertes archéologiques et à la pluridisciplinarité au cœur même de travaux alliant les savoirs et techniques des sciences dites « dures » (géologie, climatologie, zoologie, paléoanthropologie, chimie, etc.) avec la méthodologie des sciences humaines. Ce sont donc les frontières, bien que toujours floues, d’une spécialité en constante évolution, qui sont et ont été régulièrement dépassées depuis sa création en véritable science préhistorique, il y a deux siècles. Cette science, finalement assez récente, est périodiquement traversée par de nouvelles hypothèses qui s’affrontent au contact de la culture matérielle, de mieux en mieux appréhendée et documentée grâce à des fouilles archéologiques dont la qualité et la rigueur sont unanimement louées.
2Dirigé par Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos et Boris Valentin, l’ouvrage collectif Préhistoire. Nouvelles frontières a été conçu comme un prolongement et un approfondissement des réflexions menées à l’occasion de deux journées d’études : « Que faire avec la préhistoire ? », organisée au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2rmf) le 20 novembre 2020, et « Quelle place pour l’art préhistorique ? » à l’auditorium du musée du Louvre le 15 octobre 2021. Il s’ouvre par une préface (pp. 13-14) du directeur régional des affaires culturelles d’Île-de-France, Laurent Roturier, suivie d’une introduction rédigée par les trois coordinateurs de l’ouvrage (pp. 15-21). Quatre parties, de tailles inégales et systématiquement introduites par Boris Valentin pour les deux premières (pp. 25-26 et 101-102) et Philippe Grosos pour les deux dernières (pp. 263-264 et 383-384), rassemblent 49 contributions de divers spécialistes (archéologues, anthropologues, ethnologues, philosophes, ainsi qu’un physicien, un documentariste et un journaliste), français et européens (Belgique et Espagne), sollicités car résolument engagés dans la recherche préhistorique au sein d’institutions variées (Centre national de la recherche scientifique, universités, collectivités, musées, archéologie préventive), ou comme chercheurs indépendants.
3La première partie, « Préhistoire : sonder le temps » (pp. 23-98), est composée de huit articles, dont l’approche épistémologique interroge la problématique de la chronologie en Préhistoire, de sa constitution et de son développement en tant que science depuis 200 ans avec, notamment, l’invention de la stratigraphie, des termes employés pour définir cette période de l’Humanité et des rapports disciplinaires compliqués entretenus entre préhistoire, archéologie, histoire et histoire de l’art au sein des institutions nationales, en particulier à l’université. Les auteurs démontrent que la question de la chronologie n’est clairement pas l’aspect le plus simple à traiter pour cette période, dès lors que l’on continue de penser qu’elle ne se présente que d’un point de vue continu et sans différences notables entre les régions du globe. De plus, l’impérieuse nécessité de recourir à des analyses scientifiques faisant appel à des datations absolues, et non plus relatives, est là aussi affirmée.
4La deuxième partie, « Préhistoire : percées en cours » (pp. 99-259), comprend dix-huit contributions sur les récentes découvertes et les avancées majeures qui ont marqué la science préhistorique ces dernières années, en particulier dans les domaines de la paléogénétique, de la climatologie, du paléoenvironnement et de l’art pariétal (gravé et peint, dont la méthodologie des relevés a connu de grands changements). Cette partie constitue un indéniable point fort de l’ouvrage en raison de la grande qualité iconographique des articles qui traitent de l’art pariétal. En archéologie, et donc dans le cadre de la recherche préhistorique, cet aspect doit être constamment valorisé. La culture matérielle est, en effet, au cœur de ces disciplines qu’elle définit. La représenter de façon pertinente est tout aussi efficient que la qualité littéraire du texte auquel elle est attachée. L’art pariétal, gravé, peint ou « sculpté », est au cœur de la recherche préhistorique depuis toujours, à tel point qu’il en est devenu un véritable étendard. Face à cette situation, l’un des écueils souvent rencontré est de penser qu’un tel sujet a déjà été traité à de multiples reprises et ne mérite plus qu’on s’y attarde, d’autant qu’il est et restera intrinsèquement lié à l’histoire de l’art, dont un certain nombre d’archéologues essaient, à notre avis à tort, de se détacher.
5La troisième section de l’ouvrage, « La Préhistoire : dons et contre-dons » (pp. 261-280), est constituée de quinze textes qui confrontent la préhistoire comme discipline aux apports des autres sciences humaines (histoire, anthropologie, philosophie, histoire de l’art, iconographie, iconologie, linguistique, poésie) et élargissent le regard, en dépassant l’espace des habituelles recherches centrées sur le monde occidental pour se porter vers le Brésil notamment. L’intérêt de cette partie est d’illustrer les approches transdisciplinaires qui permettent à la Préhistoire d’être en constante évolution, de renouveler les connaissances à son sujet et de trouver une cohérence globale. S’il n’est nullement question de remettre en cause la qualité des textes rassemblés ici, nous remarquons qu’en raison de la diversité épistémologique et du caractère synthétique (en si peu de pages !), il s’agit probablement du chapitre le moins facilement accessible.
6Enfin, le quatrième et dernier chapitre, « Partager la Préhistoire » (pp. 381-452), est composée de neuf articles consacrés à la diffusion du savoir et de la connaissance issus des études préhistoriques, grâce à différents intervenants, par le biais de plusieurs médias (médiation culturelle dans les musées, documentaires au cinéma, création de véritables institutions culturelles dédiées à la préhistoire), et auprès de publics variés. La réception d’une période historique est également un point capital pour évaluer le chemin restant à parcourir pour que les nouvelles découvertes et connaissances soient assimilées par le grand public. Ainsi, la multiplicité des points de vue et des expériences convoquées dans ce chapitre témoignent de l’importance de la Préhistoire dans l’imaginaire collectif, des avancées dans sa compréhension, mais également des efforts encore nécessaires à fournir pour donner à cette période capitale de l’Humanité sa juste place dans le récit collectif.
7Dans leur conclusion, « Frontières ouvertes » (pp. 453-455), Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos et Boris Valentin soulignent que la connaissance du monde préhistorique est constamment en mouvement, avec des données parfois rapidement obsolètes face aux nouvelles découvertes et études qui bouleversent certaines certitudes ou frontières établies de longue date : « Où dès lors situer les frontières de la prétendue préhistoire ? Nouvelles, celles-ci le sont toujours par rapport à l’état ancien de nos propres présupposés. Mais ouvertes, et dès lors bien délicates à fixer, elles le sont, de fait, lorsque nous prenons le temps d’y réfléchir. Travailler sinon à les transgresser, du moins à ne pas les figer, et le faire savoir, est une tâche qui doit désormais pouvoir s’imposer au temps présent » (p. 455).
8Cet ouvrage ambitieux, remarquablement écrit et savamment organisé, démontre que la Préhistoire, peut-être encore plus qu’un autre moment de l’histoire de l’Humanité, doit être absolument abordée de façon pluridisciplinaire sur le temps long. Au sein de la science préhistorique, encore relativement jeune, ce n’est qu’en combinant l’étude de la culture matérielle et celles issues des sciences de la vie et de la terre que l’on peut rassembler toutes les données utiles à la compréhension de cette période et esquisser de nouvelles frontières (pour faire écho au sous-titre), sans cesse repoussées, de la Préhistoire, des Préhistoires.
Pour citer ce document
Référence papier
Nicolas Delferrière, « Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos & Boris Valentin, eds, Préhistoire. Nouvelles frontières », L’Homme, 253 | 2025, 207-208.
Référence électronique
Nicolas Delferrière, « Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos & Boris Valentin, eds, Préhistoire. Nouvelles frontières », L’Homme [En ligne], 253 | 2025, mis en ligne le 01 avril 2025, consulté le 20 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/52254 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13olq
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