1Sébastien Marengo est chargé de cours en linguistique aux universités de Sherbrooke et de Montréal (Québec) et membre régulier de l’Observatoire de linguistique Sens-Texte. Ses travaux se concentrent sur les adjectifs en français. L’ouvrage collectif qu’il dirige porte sur la Théorie Sens-Texte (notée dorénavant ST), théorie initialement développée par Igor Mel’čuk et encore parfois méconnue des linguistes. La présence plutôt modeste de l’approche ST dans les publications est peut‑être liée à son formalisme rigoureux qui demande au chercheur un investissement initial important, comme l’indique Agnès Tutin dans sa préface de l’ouvrage. Cependant, c’est cette rigueur, associée à une approche globale prenant en compte les différents niveaux de l’analyse linguistique, qui fait de la Théorie ST une « approche qui gagne à être connue » (p. 19).

2L’ambition de l’ouvrage, présentée dans l’introduction, est double : « jeter un éclairage sur certains concepts-clés de la Théorie Sens-Texte et sur les applications qu’ils sous‑tendent » (p. 13). L’ouvrage commence par une introduction suivie de trois contributions théoriques avant d’être consacré à trois applications respectivement en pragmatique, didactique des langues et terminologie. Cette structure binaire allant de la théorie à la pratique sert un second objectif, plus ambitieux, celui de s’adresser à un public hétérogène de linguistes initiés à l’approche ST et de linguistes non initiés. Pour ces derniers, l’auteur espère « que la prise de contact, axée sur le côté pratique, leur donnera envie d’en savoir plus » (p. 19).

3Nous prenons ici le point de vue du linguiste non préalablement initié à l’approche ST et considérons que l’objectif défini par Marengo, à savoir l’« envie d’en savoir plus » (p. 19), est atteint : les trois premières contributions, bien que complexes à appréhender au premier abord, acquièrent une signification au fur et à mesure de la lecture, à condition de « s’accrocher », et posent des questions que le lecteur voudra sûrement approfondir par d’autres lectures. Le premier chapitre, signé Mel’čuk, donne le ton en proposant une épigraphe présentant une représentation sémantique volontairement illisible pour le néophyte. L’approche reste didactique puisque toute la contribution permet au lecteur d’acquérir les compétences pour comprendre cette épigraphe, au moins partiellement, et ainsi se familiariser avec le formalisme ST. La seconde contribution, consacrée à la paraphrase sémantique approximative, permet d’approfondir certaines notions‑clés de l’approche ST en se confrontant au travail et au formalisme d’une seconde auteure, Milićević, qui nous offre un chapitre incluant beaucoup d’exemples analysés et modélisés selon le formalisme ST. Enfin, la troisième contribution, de Mel’čuk et Polguère, introduit des outils de modélisation et d’analyse en proposant une liste mise à jour des principales fonctions lexicales. Ce chapitre, correspondant à un tiers de l’ouvrage et occupant la place centrale dans sa structure, semble avoir un double objectif : descriptif et pratique. En effet, en première lecture, il donne des informations générales sur la notion de fonction lexicale, fondamentale dans l’approche ST, ainsi qu’une liste à jour des fonctions principales. En outre, le chapitre, avec ses données systématiques sur les fonctions lexicales, invite, tel un manuel, à des lectures ultérieures pour accompagner des modélisations dans le cadre d’un travail qui adopterait une approche ST.

4Les trois contributions finales présentent des applications plus ou moins directes. Dostie et Jobin-Tessier s’intéressent aux pragmatèmes de l’affichage semi‑public en les analysant selon la théorie des actes de langage. L’approche ST y est donc discrète, présente uniquement dans la notion de pragmatème liée aux travaux de Mel’čuk, et le formalisme ST est absent. Le chapitre de Tsedryk repose lui aussi sur des fondamentaux de l’approche ST, avec la notion de phrasème, appliquée cette fois à la didactique des langues. La Théorie ST est aussi présente dans la discussion puisque son intérêt pour la didactique, et notamment celui des compétences de paraphrasage, est introduite. Enfin, l’ouvrage se conclut par une contribution de L’Homme en terminologie qui interroge la notion de lexique spécialisé selon différentes approches incluant la Théorie ST.

5Dans les faits, il y a rupture entre les chapitres théoriques et les contributions appliquées de l’ouvrage pour plusieurs raisons. Tout d’abord, alors que le formalisme de l’approche ST est omniprésent dans les trois premiers chapitres, il est absent des applications telles qu’elles sont présentées au lecteur. Par ailleurs, comme les trois contributions intègrent d’autres approches théoriques à leurs analyses, à savoir la théorie des actes de langage (Dostie et Jobin-Tessier), la métaphore conceptuelle (Tsedryk), l’approche lexicographique, les micro‑sens et la sémantique des cadres (L’Homme), le choix de Marengo pour ces contributions peut paraitre étonnant. Cependant, cela semble servir l’objectif de mettre en valeur la Théorie ST et son opérationnalité : en effet, ces trois contributions montrent que celle‑ci peut être compatible avec d’autres approches.

6L’ouvrage dirigé par Marengo est une présentation parfois technique de la Théorie Sens-Texte qui offre toutefois une structure didactique permettant au lecteur non initié une montée en compétence au cours de sa lecture. L’objectif d’accessibilité pour un public hétérogène semble être atteint et le lecteur non initié pourra trouver une liste complète de ressources pour enrichir sa lecture. Le second objectif consistant à allier théorie et application est, il nous semble, partiellement atteint. Malgré l’intérêt de ces contributions, nous regrettons que les applications ne mettent pas directement en jeu les concepts‑clés développés dans les chapitres théoriques.