1Spécialiste en argumentation rhétorique, sémantique et sémiotique, Jean‑Claude Guerrini présente dans cet ouvrage son engagement passionné envers l’œuvre de Chaïm Perelman, chercheur reconnu en tant que refondateur de la rhétorique dans l’espace francophone et dont les travaux sont le point de départ réflexif. L’attention et la discussion se concentrent sur l’aspect particulier des valeurs dans l’argumentation, notion initialement explorée par Perelman dans sa série d’ouvrages dédiée à l’étude de la rhétorique et de l’argumentation.

2Que veut dire la notion de valeur dans le domaine des sciences du langage ? Dans le préambule, Guerrini pose cette question et trace l’évolution de la notion dans le contexte discursif depuis le xix^e siècle. Au cœur des études approfondies sur l’argumentation, les valeurs se trouvent à la conjonction de la subjectivité langagière et de l’ancrage dans les discours, servant de repères langagiers. L’auteur met en exergue l’impact de Perelman et examine sa contribution dans la sphère philosophique afin de stimuler la réflexion et de fournir des outils pour une analyse empirique des textes et des discours.

3L’auteur commence par une enquête lexicographique et une approche synchronique du terme valeur, une notion au cœur de la renaissance de la rhétorique, qui a souvent suscité des débats parmi les chercheurs en rhétorique. L’objectif de cette première partie est d’éclaircir le rôle joué par les valeurs dans la discipline de l’argumentation afin de rendre compte du positionnement et de l’innovation de Perelman sur le sujet. La présentation de la lexie se déploie en trois étapes : (1) une analyse synchronique des valeurs ; (2) l’évolution des valeurs au xix^e siècle ; (3) une exploration approfondie des termes valeur et jugement de valeur.

4Le deuxième chapitre traite du contexte qui donne naissance à la nouvelle rhétorique de Perelman, marquée par l’influence du néo‑positivisme et des évènements politiques du xix^e siècle. Guerrini souligne les efforts de Perelman pour reconstruire les études sur l’argumentation en s’appuyant sur la rhétorique aristotélicienne. Pour lui, Perelman s’est confronté à divers défis, parmi lesquels la dichotomie entre valeur et fait, ainsi que la motivation des décisions de justice. Par ailleurs, l’auteur traite de l’intérêt de Perelman pour le domaine juridique à travers son changement rhétorique.

5L’auteur dédie le troisième chapitre au concept de valeur selon le point de vue de Perelman dans son ouvrage célèbre Traité de l’argumentation, publié en 1958. La question des valeurs dans le travail scientifique de Perelman est marquée par son analyse, alors inédite, qui se focalise sur la schématisation des arguments et de la logique. La triade classique logos, éthos et pathos est délaissée, limitant ainsi l’espace dévolu à la subjectivité de l’orateur et aux émotions de l’auditoire. Avec la collaboration de Olbrechts-Tyteca, Perelman s’engage dans une approche dynamique des études sur l’argumentation, rétablissant ainsi le lien avec la rhétorique aristotélicienne. L’auteur de l’ouvrage consacre aussi toute une partie de l’ouvrage à s’interroger sur les valeurs dans l’argumentation dans les études britanniques et met en évidence une forte convergence entre la pensée de Perelman et le schéma de Toulmin. Ce dernier est envisagé comme un instrument logico-argumentatif fondé sur le développement logique des arguments, et l’analyse de la justification d’un argument est articulée à travers une étude approfondie du discours.

6Dans la quatrième et dernière partie, l’auteur s’attache à dresser un bilan exhaustif des valeurs de l’argumentation au cours des quarante dernières années. Il émet quelques critiques par rapport aux œuvres de Perelman qui s’intéressent davantage aux textes juridiques et à la schématisation des arguments et du topoï, laissant de côté la tripartition des genres et la triade des moyens rhétoriques d’Aristote. Guerrini note également un aspect positif, soulignant que les perspectives dans le Traité offrent de nouvelles voies et suscitent l’inspiration chez les chercheurs en rhétorique.

7Structuré de manière concise pour exposer le rôle de la notion de valeur dans le champ de la rhétorique et de l’argumentation, cet ouvrage se clôture par une conclusion et un panorama approfondi sur la problématique des valeurs en rhétorique. Dans cette optique, l’auteur souligne que, selon lui, une cohérence des connaissances s’avère indispensable pour répondre aux mutations sociétales et politiques. Guerrini reconnait pleinement l’importance de l’œuvre du Traité de l’argumentation qui se situe à l’interaction de diverses disciplines telles que la philosophie, la rhétorique, la logique et la littérature. Enfin, il est incontestable que cet ouvrage revêt une dimension extrêmement théorique en matière de rhétorique, ce qui le rend ardu à appréhender pour les lecteurs n’ayant pas une spécialisation dans ce domaine. Cependant, il propose une exploration approfondie et enrichissante pour ceux qui sont intéressés par la rhétorique et souhaitent approfondir leur compréhension de l’argumentation, de son développement historique, ainsi que des notions importantes dans le contexte rhétorique.