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La ville sans fin : enjeux d’une conquête suburbaine de la banlieue chez Jacques Réda

Théo Soula
p. 139-159

Résumé

Jacques Réda, en flâneur et en poète, arpente une banlieue parisienne en pleine mutation. Son œuvre couvre une période charnière de l’histoire urbaine au cours de laquelle le « Paris suburbain » connaît des réaménagements et des dynamiques géographiques qui en modifient le paysage en profondeur. Cet article se propose d’étudier les reconfigurations de ce que l’on a nommé une « expérience des limites » de la ville, qui correspond à une fonction historique de la banlieue, mais dont la pérennité ne semble pas assurée dans le contexte contemporain.

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Texte intégral

Je tiens à adresser un remerciement tout particulier à Muriel Rosemberg pour sa relecture attentive et éclairante de ce texte.

1Sait-on bien quand est-ce que l’on sort de la ville ? Les urbanistes ont fréquemment abordé la question des « entrées de ville », ces paysages marqués par la densification plus ou moins soudaine du bâti et, surtout, par la présence massive, aliénante, indélicate d’immenses panneaux publicitaires que la loi du 12 juillet 2010 essaie tant bien que mal de réguler. Mais on ne parle pas tant des sorties de ville. Certes, pour une part, les deux problématiques sont réversibles, et ce dont nous parlons bien ici, c’est bien de la question des frontières de la ville : à partir de quand sommes-nous hors ou dans la ville ? L’enjeu des limites de la ville se pose concrètement dans cet espace périphérique que l’on nomme de manière générique « la banlieue ». Diverse, multiple, en constante évolution, la banlieue a toujours été placée sous le sceau de l’ambivalence, comme le rappelle par exemple Céline Barrère :

  • 2 Céline Barrère, « L’imaginaire en marge », Textes et documents pour la classe (TDC). Banlieue et po (...)

Malgré leur autonomisation dans la représentation et leur croissance urbaine tout au long du XXe siècle, les banlieues conservent toujours leur ambivalence essentielle dans le discours politique et médiatique, dans la mesure où elles abritent ce qui échappe, ce qui n’est pas encore dicible, ce qui s’entête à défier les catégories et les normes instituées2.

  • 3 Jean-Michel Maulpoix, « Échappées contemporaines », TDC, op. cit., p. 18.
  • 4 Julien Gracq, « Entretien avec Jean-Louis Tissier - 1978 », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, (...)
  • 5 Jacques Réda, La Citadin, Paris, Gallimard, 1998, p. 75.
  • 6 Ibid., p. 21.

2La banlieue incarne, particulièrement en France, ce qui dé-range : elle est à la fois le lieu qui remet en cause l’ordre établi (et partant, qui incarne le chaos), mais encore le lieu depuis lequel on remet en cause l’ordre établi. De tous les points de vue, intellectuel, social, géographique, la banlieue est cet espace de l’urbanité moderne où l’on fait l’expérience de la marge, où les limites de la ville, dans tous les sens du terme, se font sentir. Dans l’œuvre du flâneur qu’est Jacques Réda, la banlieue incarne en partie cette fonction : lieu de déambulation privilégié d’un poète qui se plaît à passer « hors les murs », elle est l’espace où s’épanouit un certain « goût des lisières3 », une attirance pour les « zones de transition4 » où se perçoivent et surgissent les éléments d’une géographie autre, exotique, sauvage ; lieu, finalement, où se brise la ville et où se font sentir les parfums qui renvoient le narrateur à son «  rêve natif d’ornières, de lisières, de bois muets et de champs plats5 », autrement dit à un espace débarrassé de références urbaines trop prégnantes, voire dépris de tout signe d’anthropisation avancée. Mais la banlieue connaît une évolution historique rapide, et son devenir n’assure pas forcément la permanence de ce rôle d’aération et de dilution de l’emprise urbaine. Au contraire, nous postulons ici que les poèmes et récits de Réda font état d’un changement de nature profond de la banlieue, à l’occasion duquel celle-ci se voit délestée des qualités qui faisaient d’elle le support d’une expérience de la marge : urbanisé, recomposé, planifié ou densifié, l’espace périphérique n’offre plus au visiteur que le spectacle d’une ville tentaculaire qui s’étend toujours plus et « dont on ne sortira plus6 ». Réda explore donc cette banlieue en pleine mutation et guette les signes des limites de la ville, parfois en vain.

3Le parcours que nous nous proposons de suivre ici part donc d’une étude de ce qui fait marge dans la banlieue rédienne, correspondant en partie à une expérience « traditionnelle » ou « moderne » de la banlieue, avant de renverser cette vision, et de voir dans quelle mesure cette ouverture à l’imaginaire et à l’Autre de la ville est remise en cause. Nous formulerons enfin l’hypothèse selon laquelle, moins que d’une disparition de l’expérience de la marge, il s’agit d'un déplacement : depuis les lieux périphériques vers certains lieux mineurs comme le terrain vague, la gare, ou encore l’espace du rêve.

La banlieue et l’expérience de la marge

4Dans un premier moment, il s’agit de revenir sur cette idée selon laquelle la banlieue incarne le lieu d’une expérience des marges de la ville et représente, pour les flâneurs, une forme traditionnelle de l’écriture de la ville. Des textes théoriques permettent en premier lieu d’appuyer cette hypothèse. Si l’on se réfère à la définition géographique de la banlieue :

  • 7 Hervé Vieillard-Baron, « Banlieue », Hypergeo.eu, consulté le 10/04/2017.

Le mot « banlieue » est polysémique puisqu’il recouvre trois significations qui se suivent chronologiquement : une signification juridique se rapportant aux droits et devoirs d’une partie des habitants à l’époque médiévale, une signification géographique, celle de ceinture urbanisée dépendante du centre, une signification symbolique relative à la marginalité et au discrédit qui pèsent sur ceux qu’on qualifie « d’exclus » par réduction hâtive7.

  • 8 Voir par exemple : http://cnrtl.fr/definition/marge
  • 9 Ce schéma est repris dans le modèle géographique bien connu sous le nom de modèle « centre-périphér (...)
  • 10 « C’est un terme de féodalité désignant l’espace, d’environ une lieue, autour d’une ville, dans leq (...)
  • 11 Jacques Lévy et Michel Lussault (éd.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, P (...)

5Du point de vue juridique, géographique et axiologique, la banlieue se situe en marge de la ville. Elle est un espace géographique défini relativement à un autre, avec qui elle forme un couple inséparable : chaque ville, sauf à considérer les très grandes échelles, a sa banlieue. Pour une part, la conception de la banlieue française correspond à la définition que l’on trouve de la marge. Cette définition part du point de vue spatial : c’est ce qui correspond au pourtour d’un autre espace, défini par contraste comme le centre8. La marge, c’est donc ce qui est dé-centré ; d’où une définition en négatif de la marge : ce qui se comprend en relation de décalage et de dépendance (voire d’infériorité) avec un centre9. Comme l’affirmait Hervé Villard-Baron, cette définition correspond à l’acception géographique et étymologique du terme de banlieue : l’espace du ban, c’est l’espace qui, à l’époque du droit féodal, s’étendait à une lieue hors de la ville et qui relevait de la juridiction du seigneur10. On retrouve donc l’idée, dès l’origine du terme de banlieue, d’un espace qui environne un autre espace avec lequel il entre en relation de soumission, de dépendance. Mais cette définition en négatif n’épuise pas les propriétés de la banlieue. Que l’on se rappelle que la marge est aussi cet espace paginal qui est dépourvu de toute inscription (la marge du livre), et l’on comprend alors une des autres grandes caractéristiques de la marge : elle est un espace vierge, vide, encore dépourvu de toute appropriation, et donc ouvert aux possibles de l’invention, de l’imagination, du rêve. Les géographes sont eux-mêmes d’accord sur ce point. Si l’on prend le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés dirigé par Michel Lussault et Jacques Lévy, on trouve ceci à l’entrée « Marge » : « La marge contient une idée d’espace blanc, vide, libre : écrire dans les marges ; avoir de la marge est avoir la liberté dans l’espace ou dans le temps11. » On peut d’ailleurs remarquer en passant que cette définition géographique de la marge emprunte en réalité sa conception au langage courant, puisque l’auteur de l’article cite, pour étayer ses propos, deux expressions lexicalisées.

  • 12 Jacques Van Waerbeke, « Poétique spatiale de la banlieue », Géographie et Cultures, n° 19, 1996, p. (...)
  • 13 Voir, par exemple, Alain Faure (éd.), Les premiers banlieusards : aux origines des banlieues de Par (...)
  • 14 Jacques Van Waerbeke, « Poétique spatiale de la banlieue », art. cit., p. 52.
  • 15 Voir, par exemple, Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. 3, La Ville de l'âge indu (...)
  • 16 Il reste vrai que, si ces représentations infernales de la banlieue s’affirment dans les années 192 (...)

6Cette marginalité s’est toujours manifestée dans l’histoire relativement récente de la banlieue – celle que nous qualifierons de « traditionnelle » ou de « moderne ». Avant la révolution industrielle et l’exode rural au profit de la ville, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la banlieue est un lieu de divertissement et d’évasion, à la fois populaire et aristocratique. Les classes les plus riches de la population urbaine y rencontrent une occasion de « purification par le retour à la nature12 » lors de promenades, de « parties de campagne »13, ou dans leurs résidences secondaires. Les classes populaires vont aux fêtes organisées par les guinguettes qui se situent hors des barrières d’un Paris encore relativement peu étendu. C’est ainsi que la banlieue incarne encore à ce moment un « ailleurs proche », un « exotisme sans la distance », selon les expressions de Jacques Van Waerbeke14. La révolution industrielle, les différentes politiques d’aménagement vont affecter lourdement cette configuration et les usages de la banlieue vont être bouleversés. Sans perdre complétement sa fonction récréative, celle-ci se trouve largement diminuée au bénéfice de fonctions nouvelles : des fonctions de production (implantation des usines) et des fonctions résidentielles pour décharger les centres-villes15. Cette fonction résidentielle atteindra son apogée après la Seconde Guerre mondiale. Cette urbanisation avancée de la banlieue a contribué à faire basculer sa représentation : de lieu champêtre, bucolique, nous sommes passés à des représentations bien plus négatives de cette zone (banlieue noire, rouge, sale, dangereuse, etc.16). Pour autant, le lien qu’entretient l’espace banlieusard avec la ruralité et avec la « nature » n’a pas disparu. En témoigne l’invention du néologisme « rurbain » pour désigner l’espace périurbain essentiellement résidentiel qui combine les attraits de la campagne et les commodités de la ville. La rencontre avec la nature, le soupçon de sauvagerie que l’on rencontre dans cet espace environnant incarne alors idéalement cette expérience des marges que nous avons évoquée : la ville fait sentir ses limites, ouvre sur un « ailleurs » disponible, sur un espace non-urbanisé. Ainsi, jusqu’à la période contemporaine, la banlieue occupe systématiquement ce statut ambivalent : de Victor Hugo à Blaise Cendrars, elle est l’espace où se déploie la ville mais aussi où elle s’achève, espace de claires-voies dans le tissu urbain qui laisse pressentir sa fin prochaine.

7Réda prolonge en partie cette représentation traditionnelle de la banlieue. Chez lui, elle est l’espace idéal où se développe ce « goût des lisières » qu’il tient en partage, selon Jean-Michel Maulpoix, avec de nombreux autres poètes contemporains, et en particulier avec Julien Gracq. Dans une certaine mesure, ce « goût des lisières » reprend en effet la forme assez traditionnelle d’un attrait pour le bucolique, d’une sensibilité exacerbée aux signes de l’ailleurs urbain. En ce sens, Réda fait à plus d’un titre en banlieue l’expérience des limites de la ville. Si nous reprenons l’intitulé de l’article de Céline Barrère, « L’imaginaire en marge », nous voyons directement l’association qui est faite entre la banlieue et l’expérience de la marge, ici considérée dans son rapport à l’imagination. Réda dit d’ailleurs strictement la même chose dans un poème essentiel qui s’intitule « Aux banlieues » :

  • 17 Jacques Réda, Hors les murs : poèmes, Paris, Gallimard, 1982, p. 113.

Votre artifice fut pour moi le naturel,
Et vos combinaisons, où l’ordre dégénère,
Une contrée enfin tout à l’imaginaire
Vouée17.

8On retrouve là ce que l’on disait précédemment de la définition de la banlieue : une triple remise en cause de l’ordre humain (à travers le « naturel »), urbain (à travers l’existence de « combinaisons »), rationnel (à travers le règne de l’imaginaire). Dans la banlieue de Réda, qui est aussi la banlieue de Paris, ce qui fait rupture, ce sont tous les éléments qui sont associés à la représentation du rural, voire du naturel, et qui en cela s’opposent à une certaine conception de l’urbain :

  • 18 Jacques Réda, Moyens de transport, Saint-Clément-de-Rivière, Fata Morgana, 2000, p. 26.

Mais en même temps le moindre signe d’un reste de sauvagerie
(Entre deux routes dans les jardins aux pavillons masqués,
Avec les friches qui envahissent le gravier des emprises)
Fait battre le cœur un peu plus vite, comme si tous ces lambeaux
De la vieille nature propageaient l’espoir d’une reconquête18.

9Par cette expression d’« un reste de sauvagerie », Réda signifie qu’il trouve dans la banlieue ce qui s’oppose directement à la « civilisation ». Et la « civilisation », c’est bien, étymologiquement, la ville, la civitas, qui s’oppose à la « barbarie ». De plus, Réda insiste sur la façon dont la nature vient s’immiscer dans les marges de la « culture » urbaine (l’interstice, la friche). La marge, c’est bien ce qui se fissure dans la ville, et ce qui réouvre le champ de la croissance naturelle, de la vie spontanée et de l’inversion du développement de la civilisation. Cette citation restitue enfin parfaitement à quel point la banlieue est le lieu d’une tension entre la ville et la non-ville, tension qui est représentée sous la forme d’une lutte : conquête versus reconquête, emprise versus déprise. La banlieue serait ainsi le lieu où se pense et s’imagine un envers de la ville, et l’expérience de la banlieue coïnciderait avec l’expérience d’une préfiguration de la sortie de la ville, vers un ailleurs, quel qu’il soit. La banlieue donnerait ainsi à voir et à sentir une fin de la ville.

10Toutefois, l’œuvre de Réda comporte son historicité propre : la banlieue n’a pas toujours occupé et n’occupe pas toujours la même place. Cette chronologie interne à l’œuvre donne un bon indice de l’évolution historique de la banlieue qu’elle contribue à refléter. De ce point de vue, un livre de Réda marque l’entrée explicite et massive de la banlieue dans son œuvre : il s’agit de Hors les murs, publié en 1982. Dans ce recueil, Réda passe ainsi une « année à la périphérie ». À Asnières, ville qui se situe au Nord-Ouest de Paris, au-delà de Clichy, le flâneur est sensible à cet appel de l’ailleurs :

  • 19 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 38.

La corde en béton musical, de Clichy vers Asnières,
Vibre au ciel pur de tout fantôme et, badaud comme un chien,
Je file en amont sur la berge aux odeurs buissonnières19.

  • 20 François Bon, Décor ciment, Paris, Les éditions de Minuit, 1988.
  • 21 La représentation de la campagne que convoque Réda est ici largement irréaliste : aux terres agrico (...)

11Bien qu’il circule dans ce que François Bon a appelé un « décor ciment20 », Réda, les sens en éveil, reconnaît dans le dernier vers (qui clôt d’ailleurs le poème dans une sorte de pointe finale) les indices de la campagne, bien que celle-ci bien sûr se situe encore à des kilomètres de là. Les odeurs « buissonnières » font surgir le buisson comme symbole de la friche, c’est-à-dire comme première étape vers le bosquet, le bois puis la forêt, qui incarne ici l’espace champêtre21. L’expression « odeurs buissonnières » en appelle aussi en écho une autre, celle d’« école buissonnière », qui consiste justement à manquer la classe imposée pour aller chercher son enseignement directement auprès de la nature. Enfin, on entend encore des échos lointains de cette nature dans le substantif « amont » qui introduit une forme de poésie des sources dans laquelle se reconnaît le profil des « montagnes » de l’« a-mont » qui font naître les cours d’eau, par opposition à l’« a-val » de la vallée dans laquelle ils s’écoulent. Un autre passage de Hors les murs pourrait même donner lieu à une lecture équivoque qui irait dans ce sens :

  • 22 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 72.

Et, parmi les poteaux rigides, l’ébahi
Coquelicot en proie à sa flamme qui pèse
Tout l’espace : les bois aux énormes sourcils
Froncés sur la vallée où la ville s’apaise…22

  • 23 Céline Barrère, « L’imaginaire en marge », art. cit., p. 10.

12D’une part, on retrouve la référence aux « bois », qui sont là encore les symboles d’une nature approchante. Mais un double sens peut être relevé au vers suivant : « Froncés sur la vallée où la ville s’apaise ». Dans ce poème, nous sommes cette fois un peu plus loin de Paris, en direction de Versailles, près de ce qui correspond aujourd’hui à la forêt domaniale de Fausses Reposes. Cet « apaisement » de la ville peut être pris dans le sens moral d’un retour au calme ; et dans ce cas, la personnification qui cible la ville n’a rien de surprenant dans le contexte de la poétique rédienne. Mais cette image des bois comme d’un visage sévère dirigé vers la ville peut aussi, de manière assez imagée, reproduire la tension qui existe entre ville et campagne, et la faire basculer, dans ce cas, du côté de la campagne : le bois et la vallée sont deux symboles « bucoliques » qui « apaisent », c’est-à-dire « diminuent », « atténuent » la dimension urbaine de l’espace. Le « coquelicot » précédemment cité serait lui aussi un élément de nature introduit discrètement en milieu urbain. On se trouverait donc ici, à une échelle relativement importante (l’échelle d’une vallée), devant la restitution d’une parfaite expérience de la marge : le basculement d’un équilibre, d’une tension entre ville et campagne ; l’annonce d’un espace champêtre ; les prémices d’un environnement bucolique. Pour reprendre l’idée de Jacques Van Waerbeke d’un « exotisme sans distance », ce qui définit ici l’expérience de la marge, c’est bien un mélange d’altérité et de proximité : l’ailleurs de la ville se fait sentir immédiatement. C’est encore Céline Barrère qui remarque, à propos de la banlieue : « Ce ne sont pas des lieux géographiques, mais plutôt un milieu aux découpages flous et aux caractéristiques présentées comme homogènes, vivant dans une complémentarité avec Paris, à la fois hors et près de la ville, dans une double relation d’étrangeté et de proximité23. »

13L’expérience périurbaine des marges, c’est donc l’étrange dans le commun, l’ailleurs dans l’ici, le lointain dans le proche. Une fois encore, la poésie de Réda restitue cette conception traditionnelle de la banlieue. Alors qu’il parcourt sous la pluie une route près de Vélizy, se fait sentir l’approche du bois de Meudon :

  • 24 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 45-46.

Déjà l’ardoise neuve et la proximité des bois
De Meudon rendent nécessaire un effort de prudence24.

14La prudence à laquelle s’astreint le promeneur correspond sans doute au risque de se perdre. Sous la pluie, Réda ne voit pas et n’est pas vu : il décide alors d’attendre le bus pour emprunter le chemin de retour vers la ville. Ce qui alerte le promeneur, au-delà de l’ardoise neuve, c’est cette « proximité » du bois de Meudon. Autrement dit, le bois intervient ici comme le signe d’une limite de la ville, limite au-delà de laquelle on s’aventure dans un espace qui n’est pas totalement régi par les mêmes lois que celles de la ville, en l’occurrence ici par l’assurance de trouver partout un moyen de transport en commun. Le bois est bien cet élément-seuil à partir duquel se conçoit la double proximité qui fait toute la tension propre à l’expérience des marges : proximité de la ville, proximité de l’ailleurs.

15En partie, la banlieue incarne donc cet espace en tension où la ville, lorsqu’elle s’apaise, lorsqu’elle se fissure, laisse entrevoir les prémices de ce qui n’est pas elle, de ce qui ne sera bientôt plus elle. En cela la banlieue permet une expérience de la marge urbaine : elle ré-ouvre la ville à un imaginaire bucolique, à une poésie des lisières. Les derniers exemples que nous avons vus sont tous extraits de ce recueil de 1982 qu’est Hors les murs. À travers notre propre sélection, ce recueil pourrait très bien être un parfait représentant de la poésie des banlieues restée fidèle à une tradition ancienne : celle qui réenchante l’urbain par une certaine tonalité pastorale. Mais, depuis trente-cinq ans, cette poésie est-elle encore valide, du point de vue de l’évolution des paysages et des territoires ? En réalité, le recueil lui-même n’est pas homogène. Déjà, en son sein, nous voyons poindre des fausses notes, des passages qui viennent nuancer cet appel de l’ailleurs. Et significativement, on trouve une bonne partie de ces perturbations à la fin du recueil. La dernière pièce poétique, intitulée « Exode », ne désigne pas tant l’exode du poète que celui de l’espace de sa déambulation. Autrement dit, selon une inversion des perspectives chère à Réda, c’est l’espace lui-même qui s’enfuit, dans un poème qui restitue une certaine forme de mélancolie et d’angoisse :

  • 25 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p.107-108.

[…] L’espace
comprend bien qu’on l’étrangle et qu’il doit s’en aller tout de suite, vite avant que les longs doigts pleins d’ongles des ponts et ces tresses de coton dans le ciel se rejoignent, abrégeant le dernier quoi de la dernière grenouille du marais25.

  • 26 Marc Augé, Pour une anthropologie de la mobilité, Paris, Payot & Rivages, 2009, p. 17.
  • 27 Voir, par exemple, Jacques Réda, Beauté suburbaine, Périgueux, P. Fanlac, 1985.

16Nous avons là la représentation d’une scène crépusculaire que Réda anticipe : l’avancée, le grignotage d’un espace encore mixte (le marais est là pour symboliser la « sauvagerie ») par l’urbanisation contemporaine, incarnée par la figure cauchemardesque des « ponts » aux « longs doigts pleins d’ongles », image qui rappelle parfaitement celle de « l’emprise » que nous avions trouvée plus haut. Les grenouilles, la « nature », sans comprendre ce qui lui arrive (le « quoi ») sont chassées de la banlieue, repoussée plus loin, mais on ne sait trop où. Est-ce à dire que Hors les murs se situe à un moment de basculement historique où la banlieue se déleste des derniers vestiges agrestes ? En tout cas, il semblerait possible de voir dans les œuvres de Réda un écho de ces changements qui affectent à la fois l’aménagement concret de la banlieue, les modalités de son expérience, et sa représentation. Si la banlieue servait traditionnellement de zone de transition urbaine, qu’en est-il aujourd’hui ? Le flâneur peut-il toujours y rechercher l’expérience de la marge ? Trouve-t-il toujours de quoi préfigurer la sortie de ville dans les interstices et les limites de cette dernière ? Le temps ne serait-il pas plutôt à l’emprise toujours plus avancée de l’urbanité sur toute autre forme d’appropriation de l’espace ? Dans un autre contexte, Marc Augé postule ainsi « l’urbanisation du monde », c’est-à-dire à « la fois l’extension du tissu urbain au long des côtes et des fleuves et la croissance sans fin des mégapoles26 ». Si la « périurbanité » désigne cette forme spécifique de l’appropriation territoriale et culturelle de la banlieue contemporaine, cela revient finalement à se demander ce que le périurbain, ou le « suburbain27 », pour employer un terme cher à Réda, fait à l’expérience de la marge. Les œuvres postérieures de l’auteur vont confirmer cette tendance à l’urbanisation opaque et sans faille de la banlieue, au point qu’il deviendra de plus en plus difficile de rencontrer ces interstices de nature dans ce qui n’est pas complétement la ville.

La suburbia ou la marge perdue

17Pour répondre à cette question, on peut donc reformuler l’hypothèse suivante : la progression de la banlieue sous sa forme contemporaine, « périurbaine », l’extension des villes à partir de leur marge, n’a paradoxalement pas pour effet de conserver ou d’accentuer l’expérience des marges mais de la faire reculer au point de la faire disparaître. Cette hypothèse a plusieurs implications : l’une d’elles serait que ce qui sert de support, de condition de réalisation à l’expérience des marges disparaîtrait concrètement de l’environnement urbain ; que ce qui constituerait la périurbanité contemporaine empêcherait, inhiberait l’expérience des marges. Dans ce second temps, il s’agit donc de voir en quoi la banlieue contemporaine s’oppose à cette banlieue « moderne », porteuse de l’expérience des marges.

18Pour reprendre une dernière fois le recueil Hors les murs, le poème final dédié « Aux banlieues » se clôt sur une réflexion hautement significative :

  • 28 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 114.

[…] Mais je rêve à d’immenses labours
Où m’en aller tout droit, de colline en colline,
À l’écart des hameaux pris par l’indiscipline
Pavillonnaire qui les rend pareils à vos
Débordements, et finiront pas s’y confondre,
Laissant le monde entier, par monts, routes et vaux,
Tourner en rond sur soi comme un vieil hypocondre28.

19On retrouve ici, formulées sur un mode poétique, des remarques qui correspondent tout à fait aux analyses géographiques : « l’indiscipline pavillonnaire », c’est bien ce que par ailleurs Le Corbusier nommait le pavillonnaire « anarchique », c’est-à-dire une implantation non concertée de petits pavillons familiaux en milieu rural, qui crée un « mitage », une implantation d’édifices dispersés dans un paysage « naturel ». Cela constitue une progression rampante du mode de vie urbain sur un territoire initialement rural, le plus souvent agricole (aux abords des villes), que l’image d’un « débordement », qui est aussi le rejet qui désorganise le vers, représente parfaitement. Mais ce que la vision de Réda ajoute, c’est l’extrapolation de ce processus à un paysage total où hameaux et ensembles pavillonnaires auraient fusionné. On aboutit alors à un paysage complètement « périurbanisé » qui entre en opposition frontale avec ce à quoi le poète aspire : « d’immenses labours où m’en aller tout droit ». Dans le poème, l’opposition entre les termes qui relèvent plutôt du registre bucolique et ceux qui relèvent plutôt du registre urbain est systématique : le « pavillon » et la « route » se heurtent aux « labours », aux « collines », aux « monts » et aux « vaux ». L’opposition est comme radicalisée, systématisée par la confrontation de deux mouvements antithétiques : l’un, la ligne droite qui permet d’avancer, de progresser, de s’enfuir (« m’en aller tout droit »), et qui correspond au mouvement d’exode, de sortie, donc de passage d’une limite ; l’autre, le mouvement circulaire (« tourner en rond sur soi »), qui correspond à la non-progression, à la désorientation, à ce qui constituerait une expérience de la fin impossible, du parcours indéfiniment sans issue, et qui caractériserait cette périurbanité devenue totale. Cette banlieue totale entre en conflit avec l’idée d’une sortie de la ville vers la campagne. Hors les murs se terminerait donc, dans un paradoxe éclatant, sur l’impossibilité aujourd’hui de sortir des murs de la ville. Il semble que l’on puisse reconnaître, dans cette tendance à la totalisation que Réda perçoit dans la périurbanisation moderne, un des premiers facteurs d’inhibition de l’expérience des marges.

20L’individu perdu dans le dédale sans fin des couronnes périphériques en vient peu à peu à radicaliser sa vision : sans préfiguration de la fin de la ville, qui dit au citadin que la ville se finit bien quelque part ? Que lui reste-t-il pour croire que la planète entière n’est pas devenue un tout-urbain ? C’est bien d’un changement d’échelle qu'il s’agit ici : des limites de la commune à la planète sans limite, par laquelle nous retrouvons le motif de la circularité. Dans la poésie de Jacques Réda, ce que l’on commençait à pressentir avec la fin du poème « Aux banlieues » se confirme par la suite : l’idée d’un pavillonnaire global prend la forme d’une angoisse. Réda y revient à plusieurs reprises, dans des recueils de textes plus prosaïques comme Le Citadin, ou même dans un entretien qu’il a accordé en 2000 à la revue d’architecture Le Visiteur. On trouve notamment dans Le Citadin une remarque qui condense la représentation de ce qui va devenir un véritable schéma d’interprétation pour le poète. Alors qu’il parcourt Montreuil, qui a significativement perdu son nom composé « Montreuil-sous-bois » au fil des décennies :

  • 29 Jacques Réda, Le Citadin, op. cit. p. 21.

Une fois de plus je me demande où sont passés les habitants. De rares voitures, aux deux ou trois croisements que j’ai franchis, semblaient fuir la région à toute vitesse. Pour aller où, alors que le monde entier n’est plus qu’une zone pavillonnaire dont on ne sortira plus29 ?

21Se découvre donc là, condensée, l’essence de l’angoisse rédienne de la banlieue : la banlieue est un désert que l’on ne peut fuir car elle ne comporte plus de limite. Il s’agit donc à la fois d’un désert et d’un labyrinthe, deux motifs-clés dans l’œuvre de Réda ; mais un labyrinthe d’un genre particulier, qui se rapproche d’une sorte de comble du labyrinthe : on ne peut en sortir à la fois parce que le dédale est compliqué (les croisements, les feux, les impasses, etc.), mais aussi et surtout parce qu’il n’y a pas d’issue finale. Et la condition de ce labyrinthe, c’est bien l’extension in-finie de la banlieue contemporaine, l’annexion par la métropole grandissante des communes limitrophes, et ce jusqu’à la planétarisation du phénomène. Dans le changement de nom qui affecte la commune (de Montreuil-sous-bois à Montreuil), et sur lequel s’attarde Réda au début de ce même texte, on voit bien que la périurbanisation de la ville ne constitue pas qu’un phénomène annexe et circonstanciel : il affecte la nature même de la ville, de ce qui la définit, c’est-à-dire son nom : Montreuil a clairement perdu son attribut pastoral.

22Cette progression aliénante de la ville en vient à être théorisée par Réda dans l’entretien précédemment évoqué. Ainsi modélise-t-il en effet cette progression à l’aide de l’image, relativement péjorative, de la « flaque » :

  • 30 Jacques Réda, « L’enveloppement et l’apparition », Le visiteur, n° 6, coll. « Société française des (...)

La flaque n’est pas tout à fait une image, plutôt une espèce de concept. Son support matériel, ou encore mieux : graphique, pourrait être une de ces cartes routières de la région parisienne où les zones bâties apparaissent en rose ou en jaune, et le reste (quand il reste quelque chose) en vert pâle jusqu’à l’évanouissement. […] Pour revenir à la « flaque », je constate qu’elle s’étend sans arrêt, et pas seulement autour de l’agglomération parisienne. Le moindre bourg veut son HLM et sa zone pavillonnaire30.

23Il est intéressant de remarquer au passage combien, si les textes poétiques de Réda tendent souvent vers la théorisation, du moins vers la réflexion, les textes réflexifs sont toujours empreints d’une certaine tonalité poétique. Ici, le « concept » de « flaque » reprend en fait le modèle de la « tache d’huile » employé en géographie pour représenter l’urbanisation diffuse des périphéries urbaines qui se fait hors des grands axes de transport. Ce que Réda remarque, c’est que ce phénomène est comme récursif : les villes d’échelle inférieure le reproduisent à leur tour, ce qui multiplie les sources d’étalement des « flaques ». On peut avoir une idée de la représentation graphique d’un tel phénomène à partir d’une étude réalisée par le NYU Stem Urbanization Project31. Sans revenir en particulier sur le contenu scientifique de l’étude, il s’agit de remarquer que l’idée de « l’évanouissement » est particulièrement pertinente d’un point de vue graphique : en extrapolant cette dynamique de diffusion, on en perd clairement les contours. « L’évanouissement » dont il est question désigne d’abord la disparition de la couleur verte (tellement pâle qu’elle en devient blanche) : et c’est précisément là que disparaît aussi l’idée d’une limite. Le « floutage » des contours désincarne la frontière, et l’on retrouve la manière anarchique et indisciplinée qu’a la ville de gagner sur la campagne. Mais cet « évanouissement » est aussi là pour rappeler la source d’angoisse que constitue une telle vision ; et la parenthèse ne dit rien d’autre : ce qui est mis en suspens, ce qui est menacé dans cette dynamique d’urbanisation, c’est le reste, le laissé-pour-compte, en d’autres termes, le vide.

  • 32 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 17.
  • 33 Jacques Réda et Marc Riboud, Gares et trains, Paris, ACE éditions, coll. « Le piéton de Paris », 19 (...)

24Après l’extension du phénomène suburbain, un autre critère sur lequel se fonde l’empêchement de l’expérience de la marge paraît être la disparition des zones vierges, le remplissage des vides, des trous. C’est en effet dans les lacunes du tissu urbain que peut s’expérimenter la marge : lorsque faiblit l’emprise urbaine réapparaît la possibilité d’un ailleurs. Si l’on repense à l’exemple précédemment cité, le « marais » des grenouilles constitue une interruption de l’étendue urbaine. Or ces lacunes, dans la périurbanisation contemporaine, tendent toutes à être comblées par les plans d’aménagement. L’un des passages les plus marquants du texte sur Montreuil, dans le recueil Le Citadin, qui reprend ce motif de la disparition des « restes », nous le montre : « Mais que reste-t-il de la vie agreste des banlieues ? Généralement, à part les noms eux-mêmes, presque plus rien. Tel “sentier” a été retracé au cordeau entre des remparts de béton sans pitié pour l’émotion de vivre32. » Une certaine mélancolie se dégage de ces propos, qui relèvent en grande partie d’une poésie des ruines. Ici, les ruines sont les noms de rue qui rappellent cette origine agreste de la banlieue : « rue du Ruisseau », « rue des Champs », etc. Mais s’il ne reste de la campagne que le nom de rue, c’est que la rue elle-même s’est débarrassée de ses « restes de sauvagerie », à l’occasion des réaménagements récents qui se sont faits essentiellement, selon les dires de Réda, sur le mode de la bétonisation. Cette urbanisation contemporaine vient inverser le processus d’évasion propre à l’expérience des marges de la ville. On arriverait alors d’une certaine façon à la confirmation de l’hypothèse initiale : le comblement des vides, l’extension planétaire de la banlieue viendrait annuler la possibilité d’une expérience de l’évasion, de l’oubli de la ville, la possibilité d’un ailleurs qui soit de nature plutôt agreste voire bucolique. Comme Réda le dit par ailleurs dans Gares et trains : « C’est que tout espace un peu vide et surtout creux déclenche, à notre époque, un réflexe de comblement33 ». La périurbanité contemporaine n’est pas une urbanité marginale (une sorte de gradient minimal d’urbanité), elle n’est plus l’entre-deux de la banlieue, elle est une pleine urbanité située à l’extérieur de la ville-centre, sans que cette position d’extériorité ne corresponde à une perte de la qualité urbaine du milieu.

  • 34 Une note de Beauté suburbaine nous en informe : « Le titre de ce recueil est emprunté à une composi (...)
  • 35 Bruce Bégout, Suburbia : autour des villes, Paris, Éditions Inculte, 2013, p. 24.

25Il paraît intéressant dès lors de convoquer la notion de suburbia dont fait usage Bruce Bégout dans son livre du même nom. Même s’il se fonde sur l’observation de la ville américaine (le terme de suburbia est d’ailleurs un terme employé couramment en langue anglaise, et à partir duquel Réda fonde son propre usage du mot34), il semblerait que certaines caractéristiques qu’il y reconnaît fonctionnent particulièrement bien par rapport à notre cas d’étude. Dans un passage consacré à des tentatives isolées de définition de la suburbia, qu’il compose comme des « pensées urbaines », on trouve notamment : « Nous sommes dans la suburbia si le sens de la limite ne signifie plus rien35. » Peut-être l’expression « sens de la limite » est-elle une autre façon de formuler cette « expérience des marges » dont nous parlons ? Si l’on ne peut dire que Réda n’a pas le sens de la limite (les contre-exemples sont légion dans son œuvre), il semblerait en revanche possible de dire que cette périurbanité qui s’étend comme une « flaque » et qui est source d’angoisse constitue le contexte idéal d’une atténuation du sens de la limite. Une des caractéristiques de la suburbia serait donc d’être « sans fin », in-finie, il-limitée. En attendant que cet infini se réalise concrètement à l’échelle de la planète, on peut en voir les prémices dans l’empêchement de l’expérience des marges. Dans un autre registre scientifique, Olivier Mongin, qui tente de saisir ce qui fait la « condition urbaine », fait aussi de la perte de la limite un des critères majeurs de reconnaissance de cette urbanité périphérique « à l’heure de la mondialisation » qui constitue, quantitativement, la part la plus importante de l’urbanité contemporaine :

  • 36 Olivier Mongin, La Condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, 2007, (...)

L’urbain généralisé renonce donc à l’esprit de l’urbain que la culture des limites définissait jusqu’alors, mais du même coup il trouble le lien avec un environnement proche qui assurait une liaison entre un dedans et un dehors. Il peut repousser ses limites au dehors (la ville-masse qui se déplie) comme au-dedans (la ville qui se replie à l’intérieur sous la forme de la ville globale qui condense et contracte). […] La représentation de l’urbain en termes de continuité, et non plus de discontinuité, est une inflexion majeure. Si les flux sont hégémoniques, ils nourrissent également l’idée que le monde s’offre en continu et en temps réel, ce qui va de pair avec le caractère illimité de l’urbain. Cette « continuité » spatiale, territoriale, géographique, selon laquelle il y a de l’urbain partout, a pour corollaire la disparition du clivage entre l’urbain et le non-urbain, longtemps symbolisé à tort par la campagne. Désormais, les représentations de la ville oscillent entre ces versions de l’illimité et de l’informe qui ont pour point commun de repousser les limites et de briser la relation à un environnement proche36.

  • 37 Dans l’avant-propos qu’il a rédigé pour l’anthologie Les Poètes et la ville, Jacques Réda postule l (...)

26Dans des contextes approchants, au tournant du XXIe siècle, alors même que la globalisation et la mondialisation sont reconnus comme des phénomènes de première importance concernant l’évolution des territoires et de l’expérience individuelle dans quelque milieu géographique que ce soit, il semblerait que cette question de la disparition de l’expérience des marges s’inscrive dans une crise de l’urbanité et des représentations de la ville, dont la poésie et la prose de Réda se font l’écho37.

  • 38 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 17.

27Si nous prolongeons la lecture de l’extrait précédemment cité du Citadin, nous trouvons toutefois matière à nuance : « […] telle avenue Gabriel-Péri a gardé au contraire, ici et là, de furtives échappées sur le secret mille fois éventé mais toujours agissant des baraques, des jardins38. » Une « échappée » ? C’est-à-dire quelque part une trouée, une perspective ouverte… comme le signifie le sens même du terme : une possibilité de fuite. Des « baraques » et des « jardins » ? L’inverse même du plein et du solide du bâti urbain. Ce que Réda en viendrait ici à suggérer, c’est qu’il existe une possibilité de retrouver, au cas par cas, et dans un environnement qui ne se prête pas d’abord à cela (le nom Gabriel-Péri ne renvoie pas à une quelconque origine agreste), une configuration propre à déclencher une expérience de la marge. Dès lors, cette expérience de la marge serait comme déterritorialisée, délocalisée, détachée du lieu originel de la marge, en tout cas en relation d’indépendance par rapport à lui. L’expérience de la marge ne serait plus forcément marginale mais ponctuelle, furtive, éphémère.

Points de fuite

28Nous consacrerons une dernière partie de notre étude à trois lieux qui présenteraient les caractéristiques suivantes : lieux qui peuvent se trouver en banlieue, mais qui n’y sont pas irrémédiablement attachés ; lieux qui peuvent être considérés comme mineurs en ce qu’ils ne présentent aucune caractéristique officielle (mémorielle, politique, touristique, etc.) ; lieux qui pourtant réunissent les conditions suffisantes à l’expérience des limites, et qui proposent ainsi de sonder des ruptures d’urbanité consenties, dérobées ou imaginées. Ces trois lieux sont en l’occurrence le terrain vague, la gare et le lieu onirique, l’utopie du rêve. Il s’agit donc de voir comment ces différents lieux, pris à la fois dans leur singularité et dans le caractère générique qu’ils dégagent, incarnent en partie les valeurs et les possibles de ce que représentait traditionnellement pour le flâneur la marge de la banlieue.

29Il est en effet étonnant de remarquer certaines coïncidences entre ces lieux et ce que l’on a d’abord dit de la banlieue. Si l’on s’arrête d’abord sur l’affection particulière que Réda porte aux terrains vagues, on peut comprendre qu’une des raisons tient précisément à cette force disruptive qu’ils incarnent. Chez Réda, les terrains vagues ont effectivement tendance à se présenter comme des survivances d’un autre temps et d’un autre monde. Ils proposent un espace de réappropriation, la plupart du temps mystique, que la ville tend à empêcher. Dans Gares et trains, partant d’une réflexion sur l’inutilisé que nous avons déjà rencontrée précédemment, il en vient à constater :

  • 39 Jacques Réda, Gares et trains, op. cit., p. 40.

Car plus encore que son aïeul enfoui dans les cavernes, l’homme de l’informatique redoute l’inutilisé. Les Anciens lui avaient accordé son statut et son code, le peuplant de dieux, et peut-être encombrant d’une autre manière un monde de moindre densité humaine, mais où chaque étape s’assortissait de salamalecs, péages, bakchiches aux tyrans locaux des sources et des bois. On subodore d’ailleurs encore leur existence, quand on a la manie de visiter – comme d’autres les églises – les terrains vagues et les chantiers. C’est là qu’en dernier recours se sont réfugiées ces puissances, dans un abrutissement adoucissant leur amertume et leur méchanceté, exaspérées par des siècles de persécutions et puis d’indifférence. […] Mais, quelque sort qu’ils nous réservent, tout devrait inciter à maintenir en offrande propitiatoire aux dieux rancuniers de l’inutile, la Ceinture qui protège Paris d’un retranchement de songe et de liberté39.

30Ce passage contient beaucoup d’éléments importants. La forme de généalogie des lieux mystiques que Réda nous propose fait des terrains vagues des espaces de refuge de puissances déchues. Par l’usage qu’il fait d’un vocabulaire quasi belliqueux, ce repli se fait sous le coup d’une chasse : « réfugiées », « persécution »… Paradoxalement, la Petite ceinture aujourd’hui désaffectée et qui incarne dans le site la limite parisienne (sorte de nouveau « mur » de Paris) devient le lieu d’une rupture d’urbanité. Le terrain vague qui l’occupe incarne la valeur qui s’oppose peut-être le plus frontalement à l’utilitarisme qui régit presque tyranniquement les aménagements urbains : l’inutile, « l’inutilisé », autrement dit le vierge, le vide. Ce qui s’y réfugie alors, ce sont des états particuliers de la conscience humaine, à savoir le rituel, qui correspond à une posture mystique, l’état onirique et le sentiment de liberté. Mais plus encore que le lieu d’une expérience alternative, le terrain vague propose un site sur lequel développer des aménagements qui font eux-mêmes rupture avec la ville :

  • 40 Ibid., p. 19.

Cette bonne volonté municipale s’est longtemps heurtée à une résistance passive de terrains vagues, coupés d’une longue allée pavée à portail. […] Au-delà, contre un des derniers murs, quelques gitans ont disposé leur mobilier près de leur tente trop étroite. […] Des clôtures en planches de sapin toutes neuves s’implantent, se déplacent ; on sait bien que tout cela ne durera pas40.

31La « bonne volonté municipale » représente ici la puissance publique qui aménage l’espace urbain, et contre laquelle se dressent « passivement » les terrains vagues. En ménageant des espaces justement non encore aménagés, ils sont le lieu d’une autre occupation des sols : occupation éphémère puisqu’elle ne « durera pas », occupation de populations marginales qui ne trouvent pas à s’implanter dans les parcelles normées du cadastre de la commune. Sur cette question du terrain vague, la pensée de Jean Rolin rencontre idéalement celle de Jacques Réda, mais en prolonge aussi la réflexion :

  • 41 Jean Rolin, Zones, Paris, Gallimard, 1995, p. 58.

[Le parc] présente presque autant d’avantages, ménage presque autant d’opportunités, qu’un terrain vague, ce qui est bien le plus haut degré de perfection qu’un parc puisse atteindre désormais. Comme une lande, ou un marais, ou le bord de mer, il permet d’embrasser une étendue de ciel assez vaste pour qu’on y sente le temps passer, la vie s’écouler, les saisons se succéder. Il est presque aussi bien que rien, qu’un grand trou dans la ville41.

  • 42 Voir par exemple François Béguin, « Vagues, vides, verts », Le Visiteur, n° 3, 1997.
  • 43 Ibid., p. 56.

32Le « trou » de la ville devient une de ses marges, un de ses envers, ce qui permet de vivre ce que la ville empêche de vivre : une expérience particulière du temps et de l’espace. Il est significatif, une nouvelle fois, que le terrain vague rejoue le dispositif du marais que l’on a déjà retrouvé plusieurs fois ici. De manière plus générale, le terrain vague, qui se situe ici à la lisière du centre-ville, est aussi un lieu caractéristique de la banlieue moderne : il renvoie la banlieue à un temps où des espaces encore inoccupés se situaient aux abords des agglomérations, espaces déjà plus agricoles et pas encore découpés en parcelles habitables42 ou en toute autre zone d’occupation. Comme le dit François Béguin, le terrain vague incarne le « visage de la banlieue moderne43 », visage que l’on peut retrouver dès lors ailleurs que dans la banlieue, en l’occurrence dans le quartier Montparnasse.

  • 44 Jacques Réda, La Liberté des rues, Paris, Gallimard, 1997, p. 131.

33Avec le terrain vague, on voit combien l’expérience de la marge peut se déplacer. Mais c’est encore ici déplacer le lieu avec l’expérience qui s’y attache. Du terrain vague banlieusard au terrain vague urbain, il s’agit toujours du même terrain vague, aux mêmes propriétés. Qu’en est-il si l’on souhaite détacher plus franchement l’expérience de son lieu ? Si l’on souhaite voir combien les valeurs et les modalités de l’expérience de banlieue peuvent se transférer sur des lieux distincts ? C’est peut-être ce qui se passe avec un des autres lieux : la gare. Jacques Van Waerbeke parlait au sujet de la banlieue d’un « exotisme sans distance ». Chez Réda, la gare permet de présager l’exotisme. Outre son rôle concret de vecteur, de point de départ à une circulation potentiellement lointaine, la gare comme lieu non pas fonctionnel mais symbolique permet d’anticiper le voyage. Alors qu’il attend un bus de la ligne 80, Réda se positionne au-dessus d’un pont, à partir duquel s’offre à lui une vue surplombante sur ce qui correspond vraisemblablement à la gare Saint-Lazare : « J’attendrai le 80 un peu plus bas, au-dessus des voies dont le mouvement se réduit à cette heure un dimanche, mais j’assisterai bien au départ d’un ou deux trains. Peu importe qu’ils aient pour destination Argenteuil ou Achères : il y a toujours ce glissement émouvant du départ44. »

34Ce que préfigure ici la gare, c’est l’élan vers l’ailleurs, le mouvement d’« exode » hors de la ville. Certes, les destinations ne sont pas encore exotiques (Argenteuil et Achères font finalement partie de la grande banlieue de Paris), mais l’émotion à laquelle permet d’accéder le seul spectacle de la gare est une première étape vers la sortie de ville. D’ailleurs, comme le dit Réda, ce n’est pas la destination qui importe, mais le « mouvement », le « glissement ». L’expérience du train de banlieue prolonge et accentue par ailleurs parfaitement cet avant-goût du voyage :

  • 45 Jacques Réda, Gares et trains, op. cit., p. 11.

On songe à Schönbrunn, à Potsdam quand on roule encore modestement le long de la Marne, dont la vallée progressivement se transforme en large plaine crayeuse où tranche le vert noir des sapins. La cadence rythmique entretenant cette exaltation, le grelot des stations qu’on brûle, aux environs de Vitry-le-François, préfigure les « sonnailles de ce troupeau galeux » que Cendrars écoutait dans les haltes de la Sibérie…45

35Certes, nous sommes ici déjà à bord d’un train, et l’immersion urbaine est rompue. Mais cette dynamique d’amplification que Réda reconnaît au train, on peut déjà la lire au sujet de la gare elle-même, qui quelque part préfigure, anticipe l’expérience du train. Voyage immobile, voyage cartographique, voyage de bibliothèque, la gare comme lieu de la ville ouvre cette dernière à la possibilité d’un ailleurs. Et le flâneur de se muer, par référence littéraire, en « bourlingueur ». La gare « fait rêver », met en branle tout un imaginaire qui lui est lié. Bien sûr, cela implique une participation active de l’imagination. De là à basculer dans le songe, il n’y a qu’un pas.

36Le dernier « lieu » que nous souhaitons évoquer n’en possède pas toutes les caractéristiques. Cependant, chez Réda, le rêve paraît complètement localisé, et sa localisation autorise son classement dans la catégorie des lieux qui permettent l’expérience d’une sortie de la ville. La fin du poème « Aux banlieues » esquissait déjà une tonalité onirique : « … Mais je rêve à d’immenses labours / Où m’en aller tout droit, de colline en colline… ». Il s’agirait en fait ici de comprendre le verbe introducteur au sens fort : non pas « je désire » (sens qu’il actualise aussi), mais « je fais le rêve de… ». Dans l’entretien au Visiteur, Réda explique ce point :

  • 46 Jacques Réda, « L’enveloppement et l’apparition », op. cit., p. 8. C’est l’auteur qui souligne.

[…] une image de rêve, et de rêve récurrent qui se déroule ainsi : je monte vers Montmartre et, quand j’arrive près du sommet, la basilique s’efface, je vois s’ouvrir en creux devant moi une étendue infinie et infiniment réjouissante de campagne, infinie mais quand même à l’intérieur de Paris46.

37Voilà ce que l’on peut appeler un adynaton. Le caractère infini que l’on reconnaissait à la ville se métamorphose ici en une illimitation de la trouée, en une béance. Béance au sens fort : c’est un des symboles de la ville (un lieu majeur), le Sacré-Cœur, qui s’efface, qui « fait le vide », qui s’ouvre sur son envers. Nous retrouvons ici toutes les oppositions qui faisaient de la banlieue un entre-deux : ouverture/fermeture, vide/plein, ville/campagne, intérieur/extérieur, joie/mélancolie, et qui s’inverse dans un rêve qui a tout de la réalisation fantasmée et impossible d’un envers parfaitement symétrique de la ville au sein même de la ville. La récurrence de ce rêve dans l’esprit de Réda se réalise à l’échelle de son œuvre, puisqu’il en parle à plusieurs reprises dans différents recueils. Dans Le Citadin, la dimension disruptive de ce rêve par rapport à l’urbain est mise en valeur :

  • 47 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 75.

On aimerait qu’au moins une de ces avenues ne conduisît à rien d’autre qu’à sa brusque interruption au seuil d’une campagne infinie, et maintînt la vérité du rêve et du désir. Alors je m’éloignerais de la ville. Tout citadin que je suis, j’irais retrouver mon rêve natif d’ornières, de lisières, de bois muets et de champs plats sur lesquels roulent au loin des villes de rayons et de nuées47.

  • 48 Jacques Réda, La Liberté des rues, op. cit., p. 127.

38Tout un imaginaire bucolique est ici convoqué, et associé à une dimension originelle de la poésie. L’authentique poésie naît de l’éloignement de la ville, et la « lisière » incarne, chez Réda, le lieu de cette rupture de l’urbain d’où naît l’inspiration artistique. Elle est un lieu source qui, au même titre que « l’ornière », le « bois », ou le « champ », est progressivement chassé de la ville. Le mouvement même de l’élan vers l’ailleurs de la ville est source de désir, principe actif de la poésie rédienne. Pour pousser le paradoxe à son comble, Réda répète dans La Liberté des rues ce même rêve, mais donne à la campagne infinie une nouvelle fonction : « Dans un rêve récurrent où je découvre le centre de la ville (et c’est toujours une campagne riante qui s’étend à l’infini), je monte toujours d’abord sous la garde de son campanile et de ses mamelles célestes48. »

39Le lieu utopique du rêve contradictoire finit l’inversion qu’elle ne faisait d’abord que suggérer : ce qui faisait la marge de la ville (la campagne infinie) est devenu ce qui en fait le centre. Comment mieux dire le déplacement qui a eu lieu ici, et que nous avons essayé de montrer : l’expérience de la marge s’est détachée des lieux marginaux, non pour se perdre à jamais, mais pour s’accrocher à d’autres lieux de la ville qui acceptent, en creux, son héritage.

  • 49 Jean-Michel Maulpoix, « Celle qui vient à pas légers s’en retourne en dansant », in Micolet Hervé, (...)
  • 50 François Béguin, « Vagues, vides, verts », op. cit., p. 68.

40Il semblerait donc que la conclusion à laquelle nous arrivions soit de nature à la fois à interroger la dimension poétique des textes de Réda, et en même temps à apporter une certaine contribution à la réflexion autour des mutations que subissent aujourd’hui la ville et son expérience. Ainsi, on ne devrait pas négliger la puissance d’étouffement que recèle l’aménagement « suburbain » des banlieues contemporaines. Les POS (Plans d’Occupation des Sols), ZUP (Zones d’Urbanisation Prioritaire) et autres ZUC (Zones d’Urbanisation Concertées) deviennent le nouveau lexique d’un urbanisme planifié à grande échelle, divisant l’espace en catégories étanches d’aménageurs, et brouillant finalement ainsi l’expérience ordinaire de la marge. Sans que celle-ci en vienne à disparaître absolument, elle se retire néanmoins des lieux traditionnels et se retrouve, remaniée, transférée à d’autres lieux qui n’ont plus rien de marginaux. Dès lors, ce que dit Jean-Michel Maulpoix du poète s’applique à notre cas d’étude : « Ainsi le piéton-cyclomotoriste Jacques Réda propose-t-il de Paris une lecture banlieusarde, furtive et hérétique49 ». Mais cette « lecture banlieusarde » de Paris a quelque chose à dire de Paris même, d’un Paris changeant, débordant. En son sein, lieux mineurs, lieux de rupture et de suspens, lieux fictionnels permettent sans doute d’apaiser en partie l’angoisse de celui qui se croit encerclé par une banlieue planétaire. François Béguin dit encore : « À l’heure où la ville, les banlieues et les paysages sont de plus en plus souvent associés à l’idée de projet, souvenons-nous que l’espace existe encore là où le plan s’arrête. Et qu’il n’y a sans doute de civilisation possible que si un dehors subsiste50 ». C’est peut-être là un des rôles du rêve rédien : faire subsister un dehors de la ville.

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Notes

2 Céline Barrère, « L’imaginaire en marge », Textes et documents pour la classe (TDC). Banlieue et poésie, Paris, CANOPE Editions, 2015, p. 15.

3 Jean-Michel Maulpoix, « Échappées contemporaines », TDC, op. cit., p. 18.

4 Julien Gracq, « Entretien avec Jean-Louis Tissier - 1978 », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. 2, 1995, p. 1198, cité par Muriel Rosemberg, « Relation paysagère et paysage de lisières dans La Forme d’une ville de Julien Gracq », Essays in French Literature and culture, n° 47, 2010, p. 162.

5 Jacques Réda, La Citadin, Paris, Gallimard, 1998, p. 75.

6 Ibid., p. 21.

7 Hervé Vieillard-Baron, « Banlieue », Hypergeo.eu, consulté le 10/04/2017.

8 Voir par exemple : http://cnrtl.fr/definition/marge

9 Ce schéma est repris dans le modèle géographique bien connu sous le nom de modèle « centre-périphérie ». Voir, par exemple, Christian Grataloup, « Centre/périphérie », in GEMDEV, Mondialisation. Les mots et les choses, Paris, Karthala, 1999.

10 « C’est un terme de féodalité désignant l’espace, d’environ une lieue, autour d’une ville, dans lequel l’autorité faisait proclamer les bans et avait juridiction » (Alain Rey (éd.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires le Robert, 2010).

11 Jacques Lévy et Michel Lussault (éd.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2013, p. 320.

12 Jacques Van Waerbeke, « Poétique spatiale de la banlieue », Géographie et Cultures, n° 19, 1996, p. 53.

13 Voir, par exemple, Alain Faure (éd.), Les premiers banlieusards : aux origines des banlieues de Paris, 1860-1940, Paris, Créaphis, 1991.

14 Jacques Van Waerbeke, « Poétique spatiale de la banlieue », art. cit., p. 52.

15 Voir, par exemple, Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. 3, La Ville de l'âge industriel, Paris, Seuil, 1998.

16 Il reste vrai que, si ces représentations infernales de la banlieue s’affirment dans les années 1920, elles naissent cependant dès les débuts de la révolution industrielle. À ce propos, voir, par exemple, Annie Fourcaut, Bobigny, banlieue rouge, Paris, Les Éditions Ouvrières-Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1986.

17 Jacques Réda, Hors les murs : poèmes, Paris, Gallimard, 1982, p. 113.

18 Jacques Réda, Moyens de transport, Saint-Clément-de-Rivière, Fata Morgana, 2000, p. 26.

19 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 38.

20 François Bon, Décor ciment, Paris, Les éditions de Minuit, 1988.

21 La représentation de la campagne que convoque Réda est ici largement irréaliste : aux terres agricoles effectivement présentes autour de Paris, Réda substitue un imaginaire bucolique qui tient d’une forme de « sentiment de la nature ».

22 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 72.

23 Céline Barrère, « L’imaginaire en marge », art. cit., p. 10.

24 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 45-46.

25 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p.107-108.

26 Marc Augé, Pour une anthropologie de la mobilité, Paris, Payot & Rivages, 2009, p. 17.

27 Voir, par exemple, Jacques Réda, Beauté suburbaine, Périgueux, P. Fanlac, 1985.

28 Jacques Réda, Hors les murs, op. cit., p. 114.

29 Jacques Réda, Le Citadin, op. cit. p. 21.

30 Jacques Réda, « L’enveloppement et l’apparition », Le visiteur, n° 6, coll. « Société française des architectes », 2000, p. 8-10.

31 A ce propos, voir le site de l'université qui héberge le projet : http://www.stern.nyu.edu/ et le vidéogramme qui rend compte des résultats au sujet de la ville de Paris : https://www.youtube.com/watch?v=9ieL0A_icK0 (consulté le 05/06/2017).

32 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 17.

33 Jacques Réda et Marc Riboud, Gares et trains, Paris, ACE éditions, coll. « Le piéton de Paris », 1983, p. 40.

34 Une note de Beauté suburbaine nous en informe : « Le titre de ce recueil est emprunté à une composition de Duke Ellington : Suburban beauty » (Jacques Réda, Beauté suburbaine, op. cit., p. 41).

35 Bruce Bégout, Suburbia : autour des villes, Paris, Éditions Inculte, 2013, p. 24.

36 Olivier Mongin, La Condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, 2007, p. 151-154.

37 Dans l’avant-propos qu’il a rédigé pour l’anthologie Les Poètes et la ville, Jacques Réda postule la « disparition des villes, en tant que telles, par mitage intensif des campagnes et lente osmose des conurbations » (Jacques Réda, « Avant-propos », dans Les Poètes et la ville, Paris, Gallimard, 2006, p. 8-9). Selon lui, la disparition de cette tension propre à la banlieue serait un des symptômes d’une disparition plus vaste de la forme urbaine telle que nous la connaissons en Europe. Nous donnerons, dans notre thèse, une place de choix à cet élargissement problématique, qui ne peut être traité dans ce seul article.

38 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 17.

39 Jacques Réda, Gares et trains, op. cit., p. 40.

40 Ibid., p. 19.

41 Jean Rolin, Zones, Paris, Gallimard, 1995, p. 58.

42 Voir par exemple François Béguin, « Vagues, vides, verts », Le Visiteur, n° 3, 1997.

43 Ibid., p. 56.

44 Jacques Réda, La Liberté des rues, Paris, Gallimard, 1997, p. 131.

45 Jacques Réda, Gares et trains, op. cit., p. 11.

46 Jacques Réda, « L’enveloppement et l’apparition », op. cit., p. 8. C’est l’auteur qui souligne.

47 Jacques Réda, La Citadin, op. cit., p. 75.

48 Jacques Réda, La Liberté des rues, op. cit., p. 127.

49 Jean-Michel Maulpoix, « Celle qui vient à pas légers s’en retourne en dansant », in Micolet Hervé, Lire Réda, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1994, p. 185.

50 François Béguin, « Vagues, vides, verts », op. cit., p. 68.

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Pour citer cet article

Référence papier

Théo Soula, « La ville sans fin : enjeux d’une conquête suburbaine de la banlieue chez Jacques Réda »Littératures, 76 | 2017, 139-159.

Référence électronique

Théo Soula, « La ville sans fin : enjeux d’une conquête suburbaine de la banlieue chez Jacques Réda »Littératures [En ligne], 76 | 2017, mis en ligne le 20 juillet 2019, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/1613 ; DOI : https://doi.org/10.4000/litteratures.1613

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Auteur

Théo Soula

Théo Soula, ancien élève de l’ENS-Lyon, agrégé de Lettres modernes et doctorant à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, travaille actuellement sur l’œuvre de Jacques Réda. Inspirées de la « géographie littéraire », ses recherches portent sur les représentations et les usages de la ville de Paris dans son corpus, les reconfigurations de la figure du flâneur à l’époque contemporaine, et plus généralement sur le rapprochement des disciplines géographique et littéraire dans la perspective d’une étude critique de textes prosaïques et poétiques.

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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