Navigation – Plan du site

AccueilNuméros88Dossier : Relire Henri Bosco aujo...Le Mas Théotime ou la lutte ...

Dossier : Relire Henri Bosco aujourd'hui

Le Mas Théotime ou la lutte contre la sauvagerie
Sagesse paysanne et éthique de la terre

Nelly Robinet-Bruyère
p. 51-58

Résumé

Le Mas Théotimeest sans conteste l’œuvre de Henri Bosco la plus construite, la plus réaliste aussi, la seule qu’il acceptait de nommer « roman ». Le récit s’inscrit dans une temporalité « naturelle », celle de la consécution des saisons et des travaux agricoles propres à chacune d’elles. L’écrivain y noue les deux axes de sa poétique de la terre : rêveries autour de la sauvagerie, rêveries de fécondité, en un combat tenace qui prend dans la France des années 40 un sens éminemment symbolique. Le Mas Théotimeest aussi pour son auteur un combat intérieur, contre les délires de son imaginaire. Il propose de surcroît une vision de la nature holiste et écocentrée, au fondement d’une éthique de la terre étonnamment contemporaine.

Haut de page

Texte intégral

À Henri Bosco, en souvenir fervent de nos belles rencontres.

  • 1 « […] il n’y a que cela qui compte pour moi, la campagne. J’en ai gardé le besoin et l’amo (...)
  • 2 Henri Bosco, « Le refuge des bêtes », L’Habitant de Sivergues, précédé de Le Trestoulas, Paris, Ga (...)

1Dès l’enfance, le monde rural revêt pour Bosco un double visage : lieux observés, lieux rêvés. Autour de la maison familiale, blés et vignes, jardins potagers et vergers offrent des images amènes d’une féconde et bienfaisante nature qui donnent au futur écrivain l’amour de la campagne1. Les récits inventés par son père, à la veillée, le font cependant rêver d’un ailleurs, de la montagne lointaine, qu’il imagine rude et farouche, « lou sauvadou de la feruno2 », hantée de loups de lune…

2Terre nourricière, terre sauvage, deux poétiques qui se dessinent donc très tôt et que l’on retrouvera dans toute l’œuvre. L’espace y sera structuré autour de cette dualité : le monde des cultures vivrières, des fleurs et des fruits, qui incite à la sérénité et à la tendresse, celui des hauteurs inexplorées, des reliefs tourmentés et des profondeurs telluriques, qui inquiète et suscite la violence.

  • 3 Nous écrivons ces lignes en 2022, année du centenaire des premières rencontres de (...)
  • 4 Henri Bosco, Pierre Lampédouze, Paris, Gallimard, 1924, p. 361.
  • 5 Si l’usage moderne impose cette graphie, il faut noter que Bosco a le plus souvent (...)

3Plus tard, émerveillé à Lourmarin3 par la « divine beauté de la lumière4 », par l’esthétique émouvante des lieux, il rencontrera la mythique montagne de ses songes, le Luberon5, un monde d’ânes, de mulets et de troupeaux, de pigeonniers, de cabanons de vigne et de huttes de pierres sèches.

  • 6 Noëls et chansons de Lourmarin, Devant le mur de pierre, Le Roseau et la Source, Bucolique (...)

4Ses premiers poèmes en chanteront le charme bucolique6, avec une grâce naïve mêlée de nymphes et de dieux. De simples images d’amandiers et d’oliviers, de lavandes et de romarins, de mœurs villageoises pleines de bonhomie et d’hymnes à l’amitié…

5Mais il découvre aussi l’âpreté et la puissance terrifiante de cette « montagne », apparente suite harmonieuse de mamelons à la ligne de crête flexueuse, en fait échancrée de combes profondes et de sentiers rocailleux. Le calcaire y affleure entre buis et genévriers, les falaises abruptes d’argile roussâtre y voisinent avec houx épineux et argéras. Le poète-romancier, comme il aimait à se définir, l’explorera dans ses marches solitaires, de la combe des Cavaliers au vallon tourmenté de Saint-Symphorien, des tragiques falaises de Buoux au plateau désert des Claparèdes. Il y côtoiera sangliers, renards et toute la sauvagine. Il en connaîtra les sortilèges et l’appel à s’y fondre au risque de perdre son identité.

6De nouveaux songes naîtront, qui fécondent sa création poétique. Le Sanglier, Le Trestoulas et L’Habitant de Sivergues exalteront la sauvagerie de cette terre.

 

7Le Luberon devient alors le lieu réel de créations fictives et le lieu fictif d’une terre réelle mythifiée et narrée.

  • 7 Henri Bosco, « Provence », Revue des Deux Mondes, octobre 1970. Si Bosco récusait, à juste (...)
  • 8 Ce sont les propres mots de Bosco (lors de nos rencontres entre 1973 et 1976).

8Au fil des années, sous sa plume, les mentions gagnent en intériorisation. Bosco passe, de son propre aveu, « du spectacle à l’âme7 ». Il comprend que le Luberon, par « le magnétisme de la montagne », « la profondeur religieuse du paysage », « la gravité mystique des lieux8 », « suggère plus qu’il ne dévoile » et inspire, outre un grave songe minéral, une méditation continue sur la présence de l’être qui l’habite.

9Ce haut-lieu, dont il disait que tout y était différent de partout ailleurs, lui révèle sa vocation à contempler et à chercher la présence du surnaturel, voire du sacré, dans le sensible, dans l’intimité du visible.

  • 9 C’est le nom fictif que donne Bosco aux « Ramasses », bastide isolée, en pleins champs, ma (...)

10L’actualité dramatique de 1940 est telle qu’Henri Bosco décide de prendre la plume pour ne pas sombrer dans le désespoir, pour faire acte de résistance. La douloureuse nostalgie de Lourmarin, alors qu’il vivait au-delà des mers, et que les événements l’empêchaient d’y revenir, trouve une sublimation dans la re-création imaginaire des lieux aimés. Il y situe Le Mas Théotime9. Et c’est alors le meilleur de lui-même qu’il donne, estime-t-il.

11Sa réflexion sur la terre envahie le conduit à transposer dans ce roman campagnard la violence subie. Les frontières entre pays deviennent limites entre propriétés voisines, sources de conflits, de violations et d’actes de malveillance, parfois aussi de circulations amicales et solidaires. L’occupation de la France est symbolisée ici par l’hôte clandestin pour qui le personnage principal hésite entre hospitalité et haine…

12Bosco place Théotime, autant pastoral qu’agricole, dans l’ambivalence, entre sauvagerie de la montagne et douceur des premiers jardins, les deux pôles de sa géographie imaginaire. C’est un lieu fécond en céréales et en fruits, qui fournit aussi vin, huile et miel, mais que menacent les aléas du temps, les attaques dévastatrices des sangliers, la maladie qui décime les ruches… La vigilance de tous les instants est de mise pour en déjouer les méfaits.

13Pascal Dérivat, à l’image de ses terres, est un être ambigu en qui se mêlent goût de la beauté, besoin d’amour, de tendresse, et sauvagerie native, à l’origine de ses accès de maussaderie, de fureur et de désespoir, de ses envies de violence. Il est tiraillé entre goût de la solitude sur les hauteurs et appétence pour le travail avec les hommes dans les basses plaines. Il se refuse à ceux qu’il aime intérieurement et ne croit pas qu’on puisse l’aimer. Obstacle à lui-même, sa volonté doit accomplir un profond effort pour parvenir à la maîtrise de soi, sous le double signe du cœur et de la raison.

  • 10 Simplement indiquées entre parenthèses, ces indications de pages renverront désormais au M (...)

14Le combat en soi, comme hors de soi contre la sauvagerie, devient le thème moteur du roman. Pascal partage avec son cousin Clodius l’ivresse héréditaire qui monte de la nature sauvage à leur cœur farouche, mais ce dernier, « démon des terres incultes » (p. 11510), « mauvais fils de la terre » (p. 144), en aime jalousement la possession jusqu’à la misanthropie et la demi-démence. Aussi sur ses terres ne voit-on que maigres cultures, amandiers et oliviers laissés à l’abandon. La friche y reprend ses droits et ses moutons sont faméliques. Pascal, en revanche, qui a pour loisir favori l’herborisation, la cueillette du plus beau des dons spontanés de la nature, non régie par l’utilité, accordée aux saisons, a noué avec la glèbe un accord de raison et de sentiments (p. 87). Il l’aime, en connaît les goûts, sait où planter la vigne et l’orge… et lui octroie des jachères pour se régénérer. Il apprend à composer avec l’imprévu et la fréquente déception. Jardins, vignes, bois d’oliviers n’imposent-ils pas modestie et juste humilité ? Toutefois, comme le dit son métayer, grâce à un inlassable courage, la terre ne se refuse pas à l’amitié et même « on peut la faire chanter » (p. 219)…

  • 11 « Genèse du Mas Théotime, 16 juillet 1957 », par l’auteur, in Cahiers Henri Bosco, n° 22, (...)

15Bosco entreprend de montrer le labeur acharné des laboureurs qui « n’ont pas cédé aux attraits du sauvage » (p. 354) et opposent leur âme robuste, « leur raison, leur persévérance, leurs corps et leurs outils aux forces naturelles », redoutables, « quand on les laisse libres de se déchaîner »11. La terre, si elle peut, certes, être une mère secourable, n’a-t-elle pas aussi une rudesse, une puissance aliénante qui nous fait oublier les biens intérieurs de la raison et du cœur ? (p. 115). Ambiguïté pernicieuse… Aussi les paysans, modèle du raisonnable, l’aiment-ils avec prudence et luttent-ils patiemment contre ses forces obscures et malignes, ses maléfices et envoûtements, afin de lui imprimer la marque de leur travail.

  • 12 Id.

16En eux sont placés, durant les heures sombres de l’Occupation, les espoirs de résistance. Face à l’offensive, comme face à la sauvagerie de la terre, « chantons donc ces forces domptées, les champs fertiles, et la terre soumise au soc », « disons les vertus de patience » « de cette campagne obstinée à vivre », « ce sera déjà vaincre »12. Une réponse symbolique, digne et active de la France occupée à l’envahisseur, un effort de ténacité et de réappropriation. Le travail du romancier, celui de l’écriture, creuse sa trace sur le papier et dans les esprits comme le soc creuse le sillon avant les semailles, et répond, en outre, à une visée plus personnelle, celle d’exorciser démons, hantises et fantômes, autres intrus…

  • 13 Bosco fera, en 1945, de la misère et des besoins des fellahs du Maroc une analyse (...)

17L’écrivain s’attache à décrire avec une précision réaliste les travaux agricoles ou pastoraux et brosse des travailleurs de la terre un portrait minutieux, en action, au confluent de la psychologie du sens intime et de l’éthique13.

18Les Alibert incarnent une sagesse exemplaire, faite de gravité un peu sévère, de rigueur, de sens de l’honneur, de discrétion et de pondération. « Savoir s’arrêter » est pour le vieil Alibert la condition de la solidité de la vie. Aussi pose-t-il des bornes aux parcelles de glèbes et vit-il en se défiant de l’hybris. Prudent dans ses décisions, fin observateur, capable de concentration, il a de nombreuses qualités morales, dont le courage et la ténacité, pour mener à bien les tâches. Il parvient à maîtriser la glèbe, satisfait à la fois de sa force et de la grandeur de la terre soumise.

19Tout comme le berger, sa famille et lui montrent envers Pascal la plus grande loyauté et une délicatesse respectueuse. Avec un certain esprit de finesse, ils lui apportent de l’aide morale, discrètement, et lui redonnent confiance. Que l’on pense au contact de l’épaule d’Alibert durant un moment d’épreuves… Entre Pascal et la famille de métayers, qui travaillent côte à côte lors des grands travaux saisonniers – moissons, vendanges, labours, semailles… –, règne un esprit de convivialité, jusqu’à former une « communauté sentimentale ». Le maître dort, à côté de son berger dans la petite hutte de pierre au retour de la transhumance puis dans sa petite chambre de la Font-de-l’Homme, avant Noël. La plus grande solidarité s’exerce aussi entre fermiers voisins.

20On sait les vertus du silence, porte de l’ineffable et de l’invisible, pour Bosco. Taciturnes et discrets, les Alibert parlent « sobrement », par nécessité, des tâches utiles. Pas de courtoisie verbale, juste une discrète politesse. La communication avec eux se fait le plus souvent tacitement. Le vieil Alibert, paisible, méfiant et défiant, parle peu ou par allusions et sous-entendus et se tait pour que son interlocuteur décrypte ses arrière-pensées. Les silences d’Alibert sont pleins de « paroles intérieures » (p. 343), habités par une longue méditation continue, où ne sont absents ni le sentiment esthétique, ni le jugement moral.

21Le monde paysan, selon Bosco, réunit donc toutes les qualités nécessaires de prudence, de ténacité et de solidarité pour vaincre l’adversité extrinsèque et intrinsèque.

22Le combat mené contre la sauvagerie, dans le roman, est victorieux.

23La terre est « nourricière d’âme » (p.  37) : contempler à la fois les glèbes agricoles et les terres incultes porte l’esprit à une large et calme vue, au-delà des horizons, « à l’intelligence du monde et à l’amour de la création » (p. 143), à l’harmonie des contraires. La travailler forge une volonté rustique et virile, tout en rendant humble et raisonnable. C’est la terre qui sauve Pascal des souffrances de la passion, qui lui donne la paix du cœur, aux côtés de Françoise, une « fille de la terre », et l’annexion finale des terres de Clodius à Théotime, le projet d’implanter un verger sur d’anciennes terres stériles, symbolisent le triomphe du lien familial, de la raison et du cœur.

  • 14 Georges Raillard, « En Provence chez Henri Bosco », La Pensée française, n° 1, janvier (...)

24Le Mas Théotime, « c’est le roman de l’amour » expliquait Bosco à Georges Raillard14 : « Il s’agit de l’amour profond qui unit les parties de l’univers en voie de réalisation ». Un même rythme cosmique les anime, qui suggère la présence du divin dans la création, une grâce qui purifie les ardeurs sensuelles de Geneviève, qui incite Clodius à léguer ses biens à Pascal, son cousin ennemi, pour la réunification de leurs terres. Qui porte chacun et tous à plus de perfection.

25C’est cet amour qu’oppose Henri Bosco aux divisions de l’Histoire.

 

26Mais au-delà des vicissitudes humaines, c’est une éthique de la nature d’une étonnante actualité, holistisque et écocentrée, que dessine Bosco. Sa vision du monde n’est en aucun cas née d’une observation scientifique en quête d’objectivité. Aucune recherche de théories explicatives ni de lois, de classifications en espèces et en races. Aucune hiérarchie entre les éléments de l’univers. L’écrivain nous fait prendre conscience de notre relation consubstantielle à la création tout entière, proche des Anciens (Hésiode, Homère, Platon, Plotin) dans lesquels il aimait butiner, séduit par tel mot, telle idée, qu’il prolongeait par ses rêveries, sans méthode ni analyse conceptuelle. On ne dira pourtant jamais assez combien la quête incessante de sens de Bosco était personnelle et poétique. Ce serait se fourvoyer que chercher quel philosophe a inspiré à Bosco sa vision de la nature.

  • 15 « L’homme, le soc et l’animal sont plantés dans la terre », trouve-t-on déjà dans Devant l (...)

27Il considère la nature comme un tout, un écosystème, dirait-on aujourd’hui. Minéraux, végétaux, animaux et hommes sont traversés par la même énergie15, que Bosco ne nomme pas « biosphère » mais dont il a la vision intuitive. Tout se tient et est imbriqué dans une communauté harmonieuse de coopérations, de compétitions, de communications, lien organique que notre temps appelle biocénose. Expérience purement sensorielle et poétique chez Bosco.

28Ainsi, la pierre songe, désire, chante et pleure. Les fleurs sauvages et les fruits, le blé, la vigne et l’olive, font l’offrande de leurs couleurs, parfums et saveurs. Les animaux n’y sont pas considérés pour leur seule valeur instrumentale et d’usage mais ont une valeur intrinsèque et relationnelle. Ce ne sont pas pour Bosco des « machines, des « automates » dénués d’esprit et de sensibilité ! Les sangliers sont inquiets aux premiers frimas. Alibert est aimé de ses ruches. Anselme parle à son chien avec douceur, Arnaviel à ses brebis pour les rassurer, Pascal aux chevaux, très doucement, avant de tracer son sillon dans la terre froide et sauvage.

29Bosco tourne le dos aux principes fondateurs de la civilisation occidentale : rationalisme scientifique et technique, anthropocentrisme, narcissisme humain persuadé de régner avec supériorité sur les autres créatures. L’homme, pour lui, n’est pas au-dessus des végétaux et des animaux, mais avec eux, au sein de la nature.

  • 16 Descartes, Discours de la méthode, 6e partie, 1637, l’un des textes fondateurs du rational (...)

30Est réaffirmée l’alliance originelle entre l’homme et la nature brisée par le mécanisme moderne. Contre la volonté de puissance prométhéenne du « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature16 », il préfère se faire le chantre d’une éthique de la terre comprise dans son unité et sa globalité : « Tout se tient en ce petit monde des campagnes » (p. 320). C’est cette unité, cette union, que Bosco propose comme fondement et visée à la sagesse salvatrice.

31Une autre leçon du Mas Théotime, c’est l’accord entre temps cosmologique et temps de la conscience, entre temps de la nature et temps vécu. Une chronobiologie très actuelle… que l’on trouve déjà chez Théophraste au ive siècle avant notre ère…

32Le temps dont parle Bosco n’est pas le temps homogène, abstrait et spatialisé, des horloges, divisible et mesurable. C’est celui du mouvement incessant, du recommencement, de l’éternel retour du cosmos et de la vie, celui du rythme des saisons qui détermine les poussées vitales successives de la nature : germination, croissance, floraison, fructification. L’homme n’en est pas maître, c’est à lui de rendre synchrones à ce rythme les travaux agricoles : fauchage, dépiquage, battage, égrenage, labour, semailles, vendanges, hersage, cueillette des olives…

33Les états de l’âme eux-mêmes en dépendent. Chaque saison est un temps singulier pour l’âme : en hiver, la vie sensorielle allégée favorise le dialogue de chacun avec son âme, la pure pensée, les songes. Le trouble universel du printemps fait naître des désirs d’évasion dans la nature où tout sent l’innocence et inspire le goût du bonheur. L’été suscite l’intensité de l’exaltation. En octobre, Pascal sent dans ses veines l’alanguissement des sèves des arbres… Entre microcosme de la conscience et macrocosme s’établit une correspondance naturelle. Et s’accorder volontairement au temps du monde, à la pensée du monde, parce que c’est reconnaître son appartenance à la nature, assure paix et sérénité.

34Le Zodiaque (littéralement : « Roue de la Vie ») qui a servi de plan à l’auteur du Mas Théotime, englobe caractères, comportements des personnages et calendrier des travaux agricoles. C’est ce bel unisson qui assure à l’auteur, qui a surmonté ses déchirements intérieurs, une phase d’équilibre personnel conquis, un sentiment de plénitude, et de ce fait, la maîtrise ordonnée de son récit. Nulle œuvre de Bosco n’est aussi construite. La gravité de l’Histoire imposait de ne pas céder aux digressions et désordres de l’imaginaire.

Haut de page

Notes

1 « […] il n’y a que cela qui compte pour moi, la campagne. J’en ai gardé le besoin et l’amour toute ma vie […]. Je me dis donc parfois que j’ai été un bout de campagne jadis. » (Henri Bosco, Un oubli moins profond, Paris, Gallimard, 1960, p. 39).

2 Henri Bosco, « Le refuge des bêtes », L’Habitant de Sivergues, précédé de Le Trestoulas, Paris, Gallimard, 1935, p. 146.

3 Nous écrivons ces lignes en 2022, année du centenaire des premières rencontres de Bosco et de Lourmarin. Nous nous référons au récit qu’il nous a fait de cette découverte et de ses premiers séjours au pied du Luberon. Il a écrit, par ailleurs, des souvenirs fictifs de ces premières images, à l’âge de 8 ans, dans Un oubli moins profond (op. cit., p. 156-157), où il évoque le Chemin de Collongues et le Bastidon qu’il acquerra… bien plus tard, en 1947 ! L’Habitant de Sivergues situe quant à lui, ce premier séjour à la fin de sa quinzième année, soit… en 1903 ! Alchimie créatrice qui défie la chronologie et satisfait les rêves…

4 Henri Bosco, Pierre Lampédouze, Paris, Gallimard, 1924, p. 361.

5 Si l’usage moderne impose cette graphie, il faut noter que Bosco a le plus souvent écrit et prononcé : « Lubéron ».

6 Noëls et chansons de Lourmarin, Devant le mur de pierre, Le Roseau et la Source, Bucoliques de Provence.

7 Henri Bosco, « Provence », Revue des Deux Mondes, octobre 1970. Si Bosco récusait, à juste titre, qu’on le réduise à n’être qu’un écrivain régionaliste, sans ces lieux de Provence, son œuvre eût cependant été tout autre… Ne peut-on lui appliquer ce qu’il écrivait (dans Livres de France, mars 1965, n°3) au sujet de Marc Blancpain : puisant dans le fonds originel de la Thiérache, il l’aurait pétri, repétri, modelé, jusqu’à dire l’homme universel ? Bosco empruntant lui-même sa matière au terroir du Luberon ne l’a-t-il pas façonnée et transposée hors des limites régionales pour dire l’âme humaine et l’être dans leur plénitude ?

8 Ce sont les propres mots de Bosco (lors de nos rencontres entre 1973 et 1976).

9 C’est le nom fictif que donne Bosco aux « Ramasses », bastide isolée, en pleins champs, mais non loin de la montagne, où il avait passé avec ses parents « des étés heureux » : « c’était très beau, nous prenions l’eau à la source » m’a-t-il raconté avec émotion… J’ai pu, autrefois, guidée par ses indications orales, me rendre aux « Ramasses » et, une fois franchi le vieux portail, retrouver, près de la source, la table de pierre ceinte de buis et de pervenches, sur laquelle il écrivit, le grand pin multi-centenaire, les cyprès, la forêt, et les tombes, ces « champs de repos » protestants sur des terres familiales, tous éléments présents dans Le Mas Théotime.

10 Simplement indiquées entre parenthèses, ces indications de pages renverront désormais au Mas Théotime dans l’édition originale chez Charlot à Alger en 1945, qui valut à Bosco le Prix Renaudot.

11 « Genèse du Mas Théotime, 16 juillet 1957 », par l’auteur, in Cahiers Henri Bosco, n° 22, 1982, p. 18.

12 Id.

13 Bosco fera, en 1945, de la misère et des besoins des fellahs du Maroc une analyse documentée et lucide, manifestant une profonde compassion et un désir d’améliorer leur condition (« La France au Maroc », La Nef, novembre 1945, p. 73-79).

14 Georges Raillard, « En Provence chez Henri Bosco », La Pensée française, n° 1, janvier 1959.

15 « L’homme, le soc et l’animal sont plantés dans la terre », trouve-t-on déjà dans Devant le mur de pierre, Les Terrasses de Lourmarin, 1930. Leur destinée commune est de trancher la chair sanglante de la terre.

16 Descartes, Discours de la méthode, 6e partie, 1637, l’un des textes fondateurs du rationalisme qui sous-tendra l’avènement de l’ère scientifique et industrielle. Rationalisme fustigé par Bosco comme « un démon ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Nelly Robinet-Bruyère, « Le Mas Théotime ou la lutte contre la sauvagerie
Sagesse paysanne et éthique de la terre »
Littératures, 88 | 2023, 51-58.

Référence électronique

Nelly Robinet-Bruyère, « Le Mas Théotime ou la lutte contre la sauvagerie
Sagesse paysanne et éthique de la terre »
Littératures [En ligne], 88 | 2023, mis en ligne le 28 mars 2024, consulté le 15 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/4848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/121z6

Haut de page

Auteur

Nelly Robinet-Bruyère

Nelly Robinet-Bruyère, maître de conférences honoraire de l’université de Nantes, philosophe, éditrice de La Ramée, Maine de Biran, Cournot, Bergson…, a consacré de nombreux cours et communications à Bosco. On lui doit plusieurs études dans les Cahiers Henri Bosco. Impressionnée par la lecture de quelques lignes de Bosco dès l’âge de sept ans, elle a plus tard réalisé son rêve de rencontrer leur auteur et d’aller découvrir le pays de ses songes. Sa contribution dans ce volume s’enracine dans ces rencontres (1973-1976) qu’elle commémore avec ferveur.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search