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Dossier : Géographie sensible

Introduction

Sylvie Vignes
p. 11-13

Texte intégral

  • 1 Georges Vedel, « Préface », Droit et politique à la croisée des cultures. Mélanges Philipp (...)
  • 2 Id., p. VI.

1Dans sa préface aux Mélanges en l’honneur de Philippe Ardant, Georges Vedel écrit : « On dirait qu’un livre de Mélanges n’a pas d’objet, mais seulement un sujet qui est la personne que l’on veut honorer1. » Le juriste souligne en outre que ce terme de « Mélanges » n’est pas très heureux, dans la mesure où il semble désigner « un rassemblement hasardeux d’éléments hétéroclites2 », ce que confirment Philippe Hamon et Jean-Pierre Leduc-Adine justifiant, dans leur avant-propos, la préférence accordée au terme « miscellanées » pour désigner le volume d’hommage à Henri Mitterand en 1992. Plus précieux, cet autre vocable ne nous semble pas éviter pour autant l’écueil du soupçon de dispersion. Or, le volume que j’introduis ici a bien pour objectif premier, essentiel, d’honorer une personne : notre collègue et ami Jean-Yves Laurichesse, mais, comme son titre Géographie sensible l’indique, il a aussi une claire et ferme prétention à la cohérence, rassemblant une vingtaine d’articles autour d’une notion choisie justement parce qu’elle est centrale dans les écrits de Jean-Yves Laurichesse, qu’ils soient universitaires ou fictionnels, et chère à son cœur.

2L’admiration et la sympathie que Jean-Yves Laurichesse a su susciter durant ses années d’exercice à l’Université se lisent déjà dans le nombre des contributeurs. S’il a pris officiellement sa retraite, nous sommes nombreux à avoir encore le plaisir de travailler avec lui et nous ne pouvons que nous réjouir de voir, hors nos murs, des signes multipliés de son dynamisme et son talent.

3En tant que spécialiste de Jean Giono, de Claude Simon et de Richard Millet, et, plus largement, de la littérature narrative contemporaine, il a mis à l’honneur, dans ses essais et autres travaux, l’espace et les perceptions sensorielles, comme en témoignent déjà des titres comme « La Bataille des odeurs », « L’Invention du pays » ou « Écrire le monde rural aujourd’hui ».

4De front avec une carrière universitaire pourtant riche en fort prenantes responsabilités (direction de laboratoire de recherche, en particulier), il a su mener – et mène toujours ! –, comme on sait, une étincelante trajectoire d’écriture personnelle, avec à ce jour une dizaine de publications, couronnées par de nombreux prix, allant des récits de filiation à des romans à composante onirique et poétique en passant par des études de tableaux de Bruegel pollinisés par son imaginaire. On y retrouve cette attention passionnée portée aux lieux et aux espaces, qu’ils soient réels, peints ou rêvés, souvent lisible là aussi dès les titres : Place Monge, L’Hiver en Arcadie, La Loge de mer, Les Chasseurs dans la neige, Retour à Oppedette, et même, d’une certaine façon dans Les Pas de l’ombre et Un passant incertain. Pas moins de cinq des articles réunis ici – et ce n’est pas un des plus minces atouts de ce volume – prennent d’ailleurs pour corpus une ou plusieurs œuvres de Jean-Yves Laurichesse (Alastair Duncan & David Zemmour, Marie-Catherine Huet-Brichard, Lorna Milne, Patrick Marot, Isabelle Serça).

5Lesté à une extrémité par la substantielle étude que Joël Thomas consacre à ce monde virgilien si cher à Jean Giono, bondissant par-dessus un Ancien Régime sur lequel les travaux de Jean-Yves ne se sont pas concentrés (il ne saurait tout de même être partout !), ce dossier fait une part léonine à la littérature française de la Révolution jusqu’au plus récent xxie siècle français, avec un petit pas de côté géographique et linguistique – du côté d’Hemingway, en l’occurrence, dont on sait combien il a inspiré les auteurs français contemporains.

6Chateaubriand, Stendhal, Georges Sand et Fromentin sur leur terrain de chasse – au gibier, mais aussi et surtout aux savoirs et aux sensations (Fabienne Bercegol), Alphonse Karr en mystagogue du jardin (Nathalie Solomon), Jeanne Bemer-Savan (Pierre Schoentjes), Georges Saint-Clair (Jacques le Gall) et les héros de Bosco (Christian Morzewski), tous sens ouverts aux stimuli de leur environnement dans une fusion quasi mystique, Delteil construisant une très originale et sensible pensée « de Midi » aux accents orientaux (Anne Chamayou), Hemingway dérivant entre enfer et paradis sous les ciels cubains (André-Alain Morello), Romain Gary en précurseur de la conscience écologique (Denis Labouret), les éloquentes voix équines chez Claude Simon et Jean Giono (Michel Bertrand), la Micheline d’Escarpit sur les pas de Thérèse Desqueyroux parmi les vignobles bordelais et les pins landais (Philippe Baudorre), Michon sur ceux de Flaubert dans le vitrail de la cathédrale de Rouen (Agnès Castiglione), la « poétique de la broussaille » de Gisèle Fournier (Anne-Lise Blanc), David Bosc réinventant la Provence en la pimentant de japonisme (mon propre article), les rues d’enfance parisiennes de Georges Perec et Robert Bober, étranges et familières à la fois, hantées par les souvenirs de la guerre (Julien Roumette) et bien sûr Jean-Yves Laurichesse, de paysages en tableaux et de tableaux en paysages : autant de belles traces à suivre au cœur du monde sensible.

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Notes

1 Georges Vedel, « Préface », Droit et politique à la croisée des cultures. Mélanges Philippe Ardant, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence,1999, p. V.

2 Id., p. VI.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sylvie Vignes, « Introduction »Littératures, 89 | 2024, 11-13.

Référence électronique

Sylvie Vignes, « Introduction »Littératures [En ligne], 89 | 2024, mis en ligne le 02 avril 2024, consulté le 11 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/4967 ; DOI : https://doi.org/10.4000/121zg

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Auteur

Sylvie Vignes

Sylvie Vignes est professeure de littérature française à l’université Toulouse – Jean Jaurès où elle dirige le master Création littéraire. Elle a soutenu une thèse sur Julien Gracq et une thèse sur Jean Giono. Ses travaux et autres écrits portent essentiellement sur ces deux auteurs ainsi que sur Jean Proal et sur la littérature de langue française postérieure à 1980.

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