1Ce numéro spécial de LRF, placé entre deux parutions annuelles, rend compte d’une aventure éditoriale commencée voilà il y a dix ans.

5Un travail aussi long a permis de renforcer des synergies entre l’IHRF-IHMC, la BIS et Persée. Pour le plus grand profit des chercheurs, des séances de séminaire ont été organisées pour rendre accessible le portail au fur et à mesure de son enrichissement. Présentation du site, démonstrations, échanges d’expériences, critiques constructives, interrogations nouvelles, travaux communs se trouvaient au menu de ces séances utiles et dont les masters de M1 de M2 et les plus récentes thèses soutenues au sein de l’IHMC rendent témoignage.

6Ainsi fut réalisée une première mise en ligne sur le portail Persée en 2016. Elle permit l’édition des vingt premiers volumes. Puis, en 2018, l’accélération du projet fut permise grâce à l’obtention d’un financement important pour la « Numérisation enrichie et services à la recherche ». Ce programme était rendu possible grâce au groupement d’intérêt scientifique (GIS) CollEx-Persée. Enfin, depuis mars 2021, un nouveau portail permet de découvrir les Archives parlementaires de la Révolution française : https://archives-parlementaires.persee.fr/​.

7En mars 2021, se retrouvent en ligne les tomes 1 à 7, correspondant à l’ensemble des cahiers de doléances, ainsi que leur table ; les tomes 8 à 33, correspondant à l’ensemble des séances de l’Assemblée nationale constituante du 5 mai 1789 au 30 septembre 1791, ainsi que leur table ; les volumes 95 à 102, correspondant aux dernières séances de la Convention nationale publiées, du 26 thermidor an II (13 août 1794) au 12 frimaire an III (2 décembre 1794). Le travail se poursuit sur les volumes 91 à 94 en 2021. Il reste encore beaucoup à faire mais une dynamique est créée qui permet un travail en profondeur, une lecture de qualité.

8L’outil fonctionne. Ses potentialités sont grandes. Son aide est conséquente. L’ensemble de ce constat permet de reposer à nouveaux frais : comment et pourquoi lire et relire les Archives Parlementaires en 2021 ?

9Les articles de ce numéro spécial servent précisément à répondre à cette question, sans prétendre l’épuiser, loin de là. Ils sont des illustrations fort différentes des possibilités offertes par ce nouvel outil. L’inventivité démontrée des recherches proposées et la créativité des parcours de lecture proposée des séances de l’Assemblée par différents systèmes de repérage expriment la richesse des problématiques soulevées et leurs différences de perspective, relançant l’intérêt d’une histoire parlementaire réécrite et relue de façon originale.

10Anne Simonin par exemple, en réétudiant de façon fine les événements de « la Journée du 31 Mai-2 juin », parvient à proposer une vision entièrement renouvelée de la construction du rapport de force qui se joue entre les députés et les représentants des sections. L’histoire de la lutte entre Girondins et Montagnards en ressort profondément renouvelée. Plus même, en ne se limitant pas à la lecture de ces deux journées, mais surtout, en reconstruisant la genèse de la rédaction du procès-verbal plusieurs semaines après, elle interprète de façon radicalement nouvelle, la question de l’insurrection possible et du conflit qui taraude l’ensemble de la décennie entre ce qui est légal et ce qui est légitime, cœur même de l’activité des représentants de la Nation. L’article permet par là même de réinterroger la rédaction de la constitution de l’an I durant le mois de juin 1793.

11En interrogeant de façon plus fine le fonctionnement des Assemblées et des prises de paroles, se dessine également la manière dont se structure le travail des députés et les nouveautés parfois sémantiques qu’impliquent même leurs conditions de travail et celles de son application. Il en va ainsi du problème de la vitesse de réalisation et d’application de la loi, comme condition de réussite du travail des représentants, conscients de la bataille qu’ils ont engagée avec le pouvoir exécutif. Émilien Arnaud, grâce aux possibilité du moteur de recherche, découvre à son tour l’invention du néologisme « urgence » dans le débat parlementaire et en donne une chronologie fine qui permet d’interroger son emploi durant la Constituante. Il y a là un enjeu d’autant plus important que le travail parlementaire se préoccupe non seulement d’imaginer, de proposer, de discuter, de voter les lois, mais aussi de savoir comment elles sont appliquées localement, d’où l’importance de relire les Archives parlementaires comme une formidable caisse de résonnance entre le reste de la France et la salle de l’Assemblée. Lue de cette façon, la loi s’incarne différemment dans un rapport au réel qui intègre la notion complexe d’accélération, à commencer par celle de l’histoire, ce dont les Constituants ont fort conscience. Ils ont le souci de penser la loi, non plus comme un texte normatif, mais comme un texte dont les vitesses d’application et d’élaboration constituent les impératifs mêmes de son efficacité. Ces questions nouvelles permettent de replacer le travail des députés au cœur du processus révolutionnaire puis d’édification républicaine.

12Il en va de même dans l’article de Jean D’Andlau. Un état de la recherche sur le travail du comité de législation en l’an III et ses origines est proposé. L’édition des sept volumes les plus récemment publiés (95 à 102) revient à la volonté de Laurence Bobis, qui a heureusement suggéré ce sens de publication pour offrir à la communauté des chercheurs ces volumes encore sous droit. L’étude montre de façon convaincante comment la lecture croisée de sources différentes, dont les Archives parlementaires, s’avère nécessaire pour replacer le travail des députés au cœur de la compréhension de la mutation politique et institutionnelle qui se joue en l’an III.

13La vitesse efficace et performative ne fut pas le seul impératif de travail repérable par ces nouvelles recherches. La maturation et la densité des débats peuvent réapparaitre grâce au nouveau moteur de recherches. L’article de Valérie Sottocasa permet la réouverture du dossier des interactions entre l’Assemblée et le Comtat Venaissin entre 1790 et 1791 au moment clé des discussions posant la question de l’annexion de l’enclave papale à la nouvelle nation. Le balisage du texte permet de repérer de façon exhaustive les débats, les acteurs et les évolutions des prises de paroles et, ainsi, de mieux comprendre la prise de décision. La précision de l’étude rendue possible par la recherche désormais exhaustive des termes ciblés permet de comprendre la technicité du débat, le plus souvent réduit à quelques lignes dans les manuels, mais qui, sous la plume de Valérie Sottocasa, reprend toute sa dimension et démontre la profondeur, l’âpreté et la rigueur des débats contradictoires. La réunification du Comtat fut le contraire d’une spoliation précipitée, mais au contraire le résultat de longues discussions et d’un débat riche en controverses, prouvant non seulement la capacité de décision de l’assemblée des députés, mais aussi leur préparation et leur connaissance des enjeux au moment de voter.

14Il en va de même, dans un autre registre, avec la recherche concernant la place de la référence à la Grèce et son passé antique. La multiplicité des citations et des références ne peut qu’interroger tant les événements antiques, les cités, les personnages, les institutions reviennent. Sont-ils des marqueurs aisément repérables, fonctionnant comme une culture commune facile à mobiliser ? Ou bien fonctionnent-ils comme des références et des modèles dont les Constituants, puis les Conventionnels, après le 9 thermidor, doivent réellement s’inspirer pour fonder et écrire la loi ? À quoi peuvent servir les Grecs dans une Assemblée moderne de la fin du xviii^e siècle ? Là encore, une lecture nouvelle est proposée par le moteur de recherche, permettant une lecture exhaustive de l’apparition des Grecs parmi les joutes des députés orateurs.

15Les Archives parlementaires ne reflètent pas seulement un volet d’histoire politique. À partir du moment où les législateurs ont désiré refondé une société entière, il devenait évident pour eux de s’intéresser à un média aussi important que celui du théâtre. À la croisée de l’histoire des pratiques culturelles, de l’histoire sociale, de celle de l’opinion publique, l’étude de Philippe Bourdin offre un panorama complet des débats que les législateurs ont engagés sur le loisir par excellence de la société du xviii^e. La recherche permet de repérer, dans pas moins de quarante-et-un volumes (X-LI), les interventions concernant le théâtre. Le statut des acteurs et la question de leur citoyenneté, une fois l’égalité de tous décrétée, occupent les députés. D’autres aspects concernant les auteurs dramatiques, comme la protection de leurs droits, sont également discutés. La police des mœurs et les salles de spectacles, surtout parisiennes, ne sont pas ignorées. En un temps de réinvention de la loi pour fixer les cadres de régénération de toute la société, le théâtre doit continuer à plaire mais surtout servir à instruire, intégré dans un vaste plan d’éducation de tous les citoyens qui s’y rendent. Le théâtre rencontre pleinement l’ensemble des questions que se posent les représentants de la nation : « liberté individuelle, liberté de conscience, liberté d’entreprendre, relations entre l’Église et l’État, citoyenneté, propriété privée – y compris celle des biens de l’esprit -, interfèrent sans arrêt » finit par conclure l’auteur.

16Ce n’est là qu’un échantillon de tous les possibles qu’offre le nouveau site Persée. La tâche est encore longue pour numériser l’ensemble de la collection selon le balisage choisi. Les premiers résultats sont fort prometteurs. Ils permettent d’envisager, à plus long terme, la numérisation et la mise en synergie commune de plusieurs collections, telle celle de Baudouin qui présente l’ensemble des lois, celle du Moniteur, et, pourquoi pas ?, de l’ensemble de la presse.

17Du temps de la première histoire de la revue La Révolution française, à la fin du xix^e siècle et au début du xx^e siècle, le défi était de publier sur papier les documents hérités de la Révolution française. En ce début de xxi^e siècle, à l’instar de la nouvelle revue, La Révolution française, il apparait clairement que le défi pour les générations de chercheurs présents et à venir concerne la mise en ligne de ces collections éditées il y a un peu plus de cent ans, ainsi que de nouveaux documents à numériser, encore à l’état de manuscrits. Le défi n’en est pas moins important. Il peut être relevé, grâce à une volonté politique comme au temps de la Troisième République, lorsqu’il était évident pour les gouvernements que l’éducation et la recherche constituaient des priorités, d’abord par les historien·ne·s de la Révolution française soucieux d’intégrer ces nouvelles formes de recherches, ensuite par une coopération internationale qui doit réunir sur la toile internationale ces nouvelles façons de faire de l’histoire, afin de réinventer une narration possible de la Révolution française et des Révolutions de la fin du xviii^e siècle.