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Dossier d'articles

Aux sources médiévales et révolutionnaires du « républicanisme montagnard » des Lumières (1767-1788)

Jean-Loup Kastler

Résumés

Cet article vise à retracer l’histoire de l’idée républicaine dans les alpes française et plus particulièrement en Dauphiné avant et pendant la révolution. Nous y soulignons l’importance du droit romain sur le temps long en ce qui concerne l’organisation politique de la province. Nous montrons comment il rentre en résonance avec les problèmes environnementaux spécifiques de cette région de montagne notamment en ce qui concerne la gestion de la ressource en eau en tant que bien commun. Il s'agit ici pour nous de réaliser un premier pas en direction d'une « éco-histoire » de l’idée républicaine en France. Cela nous permet d’expliquer comment la défense des privilèges provinciaux issus du Moyen Âge ont pu s’accorder à l’occasion de la Révolution française avec la défense des intérêts concrets des communautés tant urbaines que rurales. En Dauphiné, le souvenir d’un Moyen Âge romanisé a servi de tremplin au processus révolutionnaire, qui est apparu davantage comme le prolongement de l’histoire originale de la province que comme une rupture. Cela explique sans doute pourquoi certains observateurs montagnards ont pu voir dans la révolution française un processus de « delphinisation » du Royaume de France.

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Texte intégral

« A sa mort, il lui laissa les cités florissantes du Royaume d’Arles… »
Günther, Ligurinus (xiie siècle)

Introduction

1Depuis 1897, il existe à Grenoble, sur la place Notre Dame, une fontaine dédiée aux origines dauphinoises et donc montagnardes au sens géographique du terme de la Révolution française. Son sommet est occupé par une allégorie des trois ordres et sa base est formée par un large bassin circulaire orné de tritons, mi-hommes mi-dauphins, soufflant dans une corne évasée dont jaillit de l’eau. A l’étage intermédiaire se trouvent quatre impressionnants dragons. Entre les ailes de celui qui regarde vers Genève, l’observateur attentif distingue les extraits d’un poème d’André Chénier rédigé en juillet 1790 : « Monts sacrés d’où la France vit naître le soleil avec la liberté ! ».

  • 1 François Walter, « La montagne des Suisses. Invention et usage d’une représentation paysagère (xvii (...)
  • 2 Sur le modèle montagnard dans l’œuvre de Rousseau, il existe déjà de nombreux travaux répertoriés p (...)
  • 3 Jean-Loup Kastler, « De la révolution de Genève à la révolution en Dauphiné : existe-t-il des “révo (...)

2De fait, le mouvement romantique a pu voir dans les montagnes la patrie de la liberté et parfois même de l’idée républicaine en Europe. C’est ce que montre par exemple la sacralisation de la prairie suisse du Rütli dans la poésie et la peinture occidentales du xixe siècle en écho au célèbre serment de 12911. Il n’y a de ce point de vue pas de rupture avec le siècle des Lumières mais plutôt une continuité. Ce que salue Chénier, ce sont les montagnes du Dauphinois Mably et du Genevois Rousseau2. Ces deux penseurs témoignent à eux seuls des indéniables origines montagnardes de l’idée républicaine en France3. Par idée républicaine ou républicanisme, nous entendons ici tout discours visant à limiter le caractère arbitraire du pouvoir royal en vertu de règles stables. De fait, l’idée républicaine ne s’oppose pas strictement, pour la philosophie des Lumières, au régime monarchique, qui peut faire l’objet d’une républicanisation plus ou moins subtile. Par ailleurs, le recours à une définition moins englobante du républicanisme renvoyant à une stricte séparation des pouvoirs ou au recours systématique à l’élection pour désigner des représentants aurait l’inconvénient d’exclure la plupart des régimes républicains de l’époque des Lumières du spectre de notre analyse, étant donnés leur nature oligarchique et leur recours quasi-systématique à la cooptation comme mode de désignation des dirigeants.

  • 4 Numa Broc, « Les Montagnes, vues par les géographes et les naturalistes de langue française au 18e  (...)
  • 5 Jean-Loup Kastler, « De la révolution de Genève à la révolution en Dauphiné… », art. cit.

3Loin de nous l’idée de renouer à travers cet article sur le républicanisme montagnard avec une tradition naturaliste en vertu de laquelle l’homme serait le produit du milieu. Depuis la fin du xixe siècle, la géographie humaine « à la française » s’est construite dans le sillage de Vidal de la Blache contre une telle forme de déterminisme. Elle n’a fait que prolonger en cela les premières intuitions de la géographie des Lumières, selon laquelle l’homme n’est jamais entièrement déterminé par son milieu4. C’est par le droit qu’il s’agit pour nous de définir le républicanisme en pays de montagnes. Dans un précédent article, nous avions insisté sur les aspirations « démocratiques » du républicanisme montagnard en partant de l’exemple genevois5. Nous souhaitons expliquer ici comment il s’ancre dans un environnement spécifique en focalisant notre étude sur le rôle clef de la préservation des biens communs hydrauliques (cours d’eau, moulins, ripisylves…) dans la construction même de l’idée républicaine en Dauphiné. Il s’agit ainsi d’initier un premier pas en direction d’une « éco-histoire » de l’idée républicaine à la fin du xviiie siècle. Précisons dès à présent d’ailleurs que nous ne nions pas que ce type de communs aient pu exister dans d’autres provinces bien éloignées de l’arc alpin, mais nous considérons que les communs hydrauliques sont garantis en Dauphiné par le droit de manière bien spécifique selon des modalités juridiques que nous allons tenter d’expliciter en nous appuyant sur un corpus composé des principaux textes de droit de la province mais aussi des actes du pouvoir royal dans le temps long.

  • 6 Marc Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel, 1994, p. 618.
  • 7 Michel Biard, Les lilliputiens de la centralisation : des intendants aux préfets, les hésitations d (...)

4De fait, les origines montagnardes et plus particulièrement dauphinoises de l’idée républicaine en France sont à rechercher dans l’histoire de longue durée qui relie les Lumières à un Moyen Âge profondément imprégné par le droit romano-canonique. C’est ce dont témoigne le statut delphinal, dont l’originalité fut soulignée dès 1940 par Marc Bloch dans son ouvrage consacré à la société féodale6. Il ne s’agira pas pour autant dans cette contribution de remplacer un déterminisme géographique par un déterminisme historique. Nous montrerons au contraire comment le républicanisme montagnard se construit à partir d’une réappropriation active de l’histoire médiévale de la province de Dauphiné par ses habitants engagés dans la pré-révolution dauphinoise en amont de la Journée des Tuiles du 7 juin 1788. Ce processus est motivé par le souci de trouver une légitimité à la quête d’indépendance des cités dauphinoises, et plus particulièrement de Grenoble, capitale de la province, face aux prétentions autoritaires de la monarchie absolue7. Il est d’après nous stimulé par la démarche, initiée dès les années 1760 par Rousseau à Genève, qui présente les statuts médiévaux de sa cité comme la base des revendications démocratiques de ses contemporains. Ces statuts sont d’ailleurs réédités en 1767, date retenue comme terminus post quem du segment chronologique de référence pour notre réflexion.

5De façon plus large, ce processus expliquerait pourquoi les événements révolutionnaires n’ont pas été systématiquement perçus en Dauphiné comme un déracinement ou une rupture avec l’histoire de la province mais plutôt comme le prolongement d’une tradition d’indépendance municipale organisée autour de solidarités concrètes renvoyant à un certain équilibre entre société et environnement. Or, c’est bien ce souci d’indépendance municipale qui constitue la base du patriotisme qui se trouve d’après nous au cœur du processus révolutionnaire en région de montagnes à la fin du xviiie siècle.

I – À la recherche d’une source d’altitude pour l’idée républicaine en France : Existe-t-il une Grande Charte des Montagnes ?

A. L’introuvable Constitution de la monarchie Française.

a) La Magna Carta n’est pas française.

  • 8 Peter Linebaugh, The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All, Berkeley, University of (...)

6L’histoire du monde anglo-saxon s’est conjuguée pendant toute la période des Lumières au futur antérieur. L’historien britannique Peter Linebaugh a montré, dans son célèbre ouvrage intitulé The Magna Carta Manifesto, le rôle fondamental qu’avait pu jouer la Grande Charte des libertés anglaises, ou Magna Carta, dans l’histoire des révolutions anglaise et américaine8.

  • 9 Edward Palmer Thompson, La guerre des forêts. Luttes sociales de l’Angleterre du xviiie siècle, La (...)

7Rompant en cela avec l’historiographie classique de la révolution anglaise, il a insisté sur la manière dont la référence au passé médiéval de l’Angleterre avait pu servir de support aux mouvements révolutionnaires tant d’un point de vue institutionnel que sur le plan social. Son analyse fine de la réception de la Grande Charte, rédigée entre 1215 et 1217, insiste sur la diversité d’interprétations des documents en fonction des intérêts et des commentateurs. Il consacre ainsi de nombreuses pages à la définition des droits de « l’homme libre » qui apparaît dans l’article 39 de la Grande Charte et à la définition ouverte ou fermée qui a pu en être proposée tout au long du xixe siècle. Mais le cœur de l’argumentation de Linebaugh concerne la façon dont se sont articulées la partie politique de la Grande Charte et la non moins célèbre Charte des forêts (1217-1225), qui protégeait les droits des communautés face aux empiètements de la monarchie et de l’économie de marché. Pour lui, comme pour le juriste Granville Sharp (1735-1813), les deux documents font système et la préservation des droits politiques de la nation anglaise ne peut être effective sans que soient respectés les droits des communautés vis-à-vis de leurs communs et plus particulièrement de leurs forêts. Ce n’est pas un hasard si les niveleurs anglais ont trouvé dans la Charte des forêts une base pour leurs revendications, comme le montrent non seulement le parcours révolutionnaire de John Lilburne mais aussi la Large Petition de 1648. La guerre des forêts, bien décrite par l’historien Edward Palmer Thompson9, ne fait en ce sens que poursuivre ce combat séculaire pour les « communs » que la théorie du droit a partiellement oblitéré, d’Edward Coke à William Blackstone. Peter Linebaugh considère que la révolution américaine parachève en un sens cette déconnexion entre la défense des libertés individuelles et celle des solidarités communautaires – aux dépens des Indiens, des Noirs et des femmes, dont l’existence et les révoltes se trouvent ainsi temporairement occultées. Il va même jusqu’à accuser Thomas Paine d’avoir dévoyé le sens du mot « commun » en le mettant au service du commerce et de la consommation dans son ouvrage intitulé Common sense.

  • 10 Filippo Ranieri, « Les traductions françaises des Commentaires de William Blackstone à la fin du xv (...)
  • 11 Edmond Dziembovski, La guerre de Sept Ans (1756-1763), Perrin, 2015.
  • 12 François Vermale, « Les années de jeunesse de Mounier (1758-1787). Documents inédits », AHRF, 1939.

8À bien lire Linebaugh, il est possible de se demander si la Magna Carta n’est pas tout simplement la Charte de l’humanité, tant l’auteur est habile à montrer comment tous les conflits du monde contemporain ont pu trouver dans ce document un utile miroir. Pourtant, la diffusion internationale du document a rencontré un certain nombre d’obstacles, plus particulièrement en France au xviiie siècle. Certes, les Commentaires sur les lois anglaises de William Blackstone furent traduits et connus en France dès les années 1760, comme l’a bien montré l’historien du droit Filippo Ranieri dans un récent article10. Des auteurs comme Voltaire ou le Président Hénault connaissaient la Grande Charte et n’ignoraient pas qu’elle était indissociable de la Charte des forêts. Il y eut par ailleurs un véritable moment anglophile de l’histoire de France sous l’Ancien Régime, dont l’historien Edmond Dziembowski estime qu’il commença au milieu des années 1750 pour se terminer à la fin des années 1760 avec le renvoi de Choiseul11. À partir de 1770, l’anglophobie et le conservatisme l’emportent contre la volonté de modernisation patriotique sauf peut-être dans quelques provinces, comme le Dauphiné, où certains continuent à se passionner secrètement pour l’Angleterre. L’intérêt du Dauphinois Mounier pour l’ouvrage du Genevois Delolme sur la Constitution anglaise est à ce sujet un cas documenté, même s’il est impossible de le dater12.

b) Les Français sont-ils Sarmates ?

  • 13 David Bien et Jeanine Rovet, « La réaction aristocratique avant 1789  : l’exemple de l’armée (suite (...)

9De fait, les deux dernières décennies de l’Ancien Régime sont marquées, tant d’un point de vue sociologique que politique, par un repli réactionnaire de la noblesse sur elle-même13 qui n’est qu’assez difficilement compatible avec un projet de redistribution du pouvoir au sein de la société d’ordres dont le Monarque est le garant. Le ministre Vergennes incarne ce moment conservateur par son action comme par la durée de son ministère en tant que secrétaire d’État aux Affaires étrangères (1774-1787). Rien ne semble pouvoir permettre une républicanisation de la monarchie, malgré l’intervention de cette dernière aux côtés des « insurgents » dans le cadre de la guerre d’indépendance américaine contre l’Angleterre.

10Pourtant dès le début des années 1770, la haute aristocratie, emmenée par le Duc de Chartres, revendique un rôle politique, comme le montre la Protestation des Princes du Sang (1771), hostile au coup de Maupeou contre les Parlements. Il est remarquable que ce texte ait pu être attribué à Mably14, alors que ce dernier le considérait comme trop timoré15. De fait, Mably rédige la même année son célèbre ouvrage intitulé Du Gouvernement et des Lois de Pologne. Le philosophe d’origine dauphinoise y développe l’idée d’une République nobiliaire sarmate, dont la dimension utopique n’a pas échappé à ses commentateurs. Il va jusqu’à développer dans son manuscrit des thèses germanistes, alors qu’il est habituellement associé à la tradition romaniste de l’histoire des institutions politiques françaises. Il ne faut pas oublier que, au début du xviiie siècle, Boulainvilliers faisait des Sarmates les cousins des Francs et leur attribuait la construction de la monarchie française, la noblesse française en étant ainsi l’héritière directe. Il serait donc possible d’associer le sarmatisme de Mably à un projet plus général de conversion de la noblesse au républicanisme en adoptant des codes et des symboles susceptibles de lui plaire. L’historien Pierre-Yves Beaurepaire a remarqué, dans un récent article, que cette vogue sarmate avait pénétré jusqu’aux loges aristocratiques du Grand Orient de France, dont certaines étaient jumelées avec la loge du « Vertueux Sarmate » à l’Orient de Varsovie16.

  • 17 En ce qui concerne la lieutenance de police à Grenoble, l’article de référence est celui de Clariss (...)

11Néanmoins, si ce modèle pouvait séduire la noblesse, il était de bien peu d’utilité pour répondre aux aspirations politiques du Tiers-État. Ces dernières étaient d’autant plus fortes que le développement du pouvoir monarchique avait affaibli sur le temps long la commune médiévale. Nous définissons cette dernière comme une aspiration à l’autonomie urbaine fiscale, policière et judiciaire garantie par des statuts règlementant l’accès au pouvoir dans la ville et dont l’acmé, en France, fut la révolte parisienne d’Étienne Marcel (1358). À proximité du segment chronologique qui nous concerne, la création de l’office de lieutenant de police, en 169517, ou l’instauration de la vénalité des offices municipaux malgré la tentative de réforme de ce système par Laverdy en 1764 avaient approfondi ce processus d’érosion du pouvoir communal en rencontrant une résistance plus ou moins efficace en fonction des provinces. Ce constat général nous semble a minima discutable pour les montagnes du quart sud-est de la France, où le combat pour l’indépendance et les revendications démocratiques des Genevois face à l’oligarchie des Conseils entraient en résonnance avec les franchises d’Adhémar Fabri et l’antique statut delphinal cher à Marc Bloch.

B. Le modèle genevois : un Moyen Âge d’or communal.

a) Rousseau et le Moyen Âge genevois : une piste méconnue.

  • 18 Jules Vuy, Origine des idées politiques de Rousseau, Trembley, Genève, 1889.

12S’il est communément admis que Rousseau associa étroitement dans ses travaux la démocratie avec l’échelle communale ou locale, son intérêt pour le Moyen Âge est une question beaucoup moins étudiée par la recherche contemporaine. Pourtant, le philosophe genevois voyait dans le Moyen Âge l’origine des libertés politiques et démocratiques de la cité montagnarde genevoise. C’est l’érudit Jules Vuy qui est le premier à avoir remarqué cet intérêt de Rousseau pour le Moyen Âge dans ses Lettres écrites de la Montagne (1765)18. Or, l’influence de ces dernières sur les mouvements politiques des années 1760 opposant Natifs, Représentants et Négatifs fut déterminante. Non sans malice, Rousseau s’y exprime en ces termes :

Voyez les articles 10, 11 et plusieurs autres des franchises de Genève. Ce monument n’est pas moins respectable aux Genevois que ne l’est aux Anglais la Grande Charte encore plus ancienne, et je doute qu’on fût bienvenu chez ces derniers à parler de leur Charte avec autant de mépris que l’auteur des Lettres écrites de la campagne ose en marquer pour la vôtre. Il prétend qu’elle a été abrogée par les constitutions de la République. Mais, au contraire, je vois très souvent dans vos édits ces mots : comme d’ancienneté, qui renvoient aux usages anciens, par conséquent, aux droits sur lesquels ils étaient fondés ; et comme si l’évêque eût prévu que ceux qui devaient protéger les franchises les attaqueraient, je vois qu’il déclare, dans l’acte même qu’elles seront perpétuelles, sans que le non-usage ni aucune prescription les puissent abolir.

13La dernière phrase de Rousseau est un clin d’œil érudit à tout lecteur de la Charte, qui sait bien que c’est le propre des documents de l’époque médiévale que de se proclamer éternels. Il n’en demeure pas moins que ce texte, joint à d’autres extraits tirés d’une Histoire de Genève qui ne nous est parvenue que par fragments, témoigne d’un intérêt profond de Rousseau pour le Moyen Âge. Dès lors, l’hypothèse de Jules Vuy selon laquelle Rousseau aurait tiré l’idée première du contrat social de l’article 78 des franchises d’Adhémar paraît plausible même si elle n’exclut en rien l’influence de la philosophie politique des Lumières sur la pensée de Rousseau.

  • 19 Archives d’État de Genève, Ms. Hist. 84.

14Dans un second mémoire, Jules Vuy montre que Rousseau n’était en réalité pas le seul à avoir pour référence le Moyen Âge et plus particulièrement les franchises d’Adhémar. Les partisans comme les contradicteurs du philosophe partagent cette perspective. Ainsi, le parti des Représentants, hostile à l’oligarchie des Négatifs, a le même intérêt que Rousseau pour les franchises d’Adhémar Fabri et le rôle que donnent ces dernières à l’Assemblée générale des Citoyens en ce qui concerne la levée de nouveaux impôts. C’est ce que montre l’ouvrage à la main intitulé Projet de réponse aux arrêtés du Conseil, tiré des réflexions de divers Citoyens et Bourgeois de Genève (1757), attribué traditionnellement au Représentant Jean-François Deluc19. À l’inverse, la référence aux franchises d’Adhémar Fabri est ouvertement combattue par les partisans de l’oligarchie à la tête de la cité genevoise. Jules Vuy mentionne, en guise d’exemple, un mémoire en date du 4 mars 1757 qui répond au précédent et s’en prend ouvertement à l’allusion aux franchises d’Adhémar. Ce mémoire est attribué à Jean-Robert Tronchin, qui poursuit quelques années plus tard la polémique sur les origines médiévales de la démocratie genevoise dans ses Lettres écrites de la campagne (1763), auxquelles Rousseau répond par ses Lettres écrites de la Montagne. Le débat révolutionnaire qui oppose, à Genève, Représentants et Négatifs se traduit donc bien par une polémique virulente sur le Moyen Âge et les franchises d’Adhémar Fabri, qui sont rendues accessibles au public en 1767 grâce à leur publication, la première depuis plus de deux cents ans.

  • 20 Jeanne Ceitac, Voltaire et l’affaire des natifs. Un aspect de la carrière humanitaire du patriarche (...)

15Mais, dès lors, ces franchises deviennent une référence pour l’ensemble des catégories de la population genevoise, en particulier les Natifs, ces pérégrins vivant à demeure à Genève sans avoir les droits de citoyenneté. Ainsi, dès 1766, avant même leur publication, les Natifs font allusion aux franchises d’Adhémar Fabri dans le cadre d’une requête qu’ils rédigent avec l’aide de Voltaire. Il y est dit que les Natifs font partie de l’Assemblée générale souveraine de Genève en vertu des Franchises de 1387 et d’un acte de l’Assemblée générale de 1420. À vrai dire, les Natifs ne sont pas nommément mentionnés par ces documents, comme l’a remarqué l’historienne Jeanne Ceitac, même s’ils peuvent être englobés dans la catégorie des Habitants ou des Jurés20. Leur exemple montre à quel point le renvoi aux libertés médiévales est devenu une démarche incontournable chez tous ceux qui s’impliquent dans les affaires politiques genevoises en cette fin de xviiie siècle.

  • 21 Michel Biard, Les lilliputiens de la centralisation…, op. cit.

16L’exemple genevois a cet avantage sur la Magna Carta de ne pas être anglais et de posséder une dimension locale et urbaine. Il n’est pas étonnant qu’il ait séduit certains représentants des élites locales des communes françaises en lutte contre la tentation centralisatrice de la monarchie française21, plus particulièrement, dans le Sud-Est de la France, en Dauphiné.

b) La fascination dauphinoise pour Genève.

  • 22 Voir sur ce sujet notre mémoire de M2 sous la direction de Pierre Serna, conservé à la bibliothèque (...)

17La proximité entre Grenoble et Genève et les tensions qui existaient alors entre la monarchie et la capitale du Dauphiné expliquent en partie l’intérêt que pouvaient trouver les Grenoblois dans la vie politique genevoise. Deux d’entre eux furent directement impliqués dans les affaires de Genève. Le marchand gantier Gaspard Bovier, mobilisé à Genève en tant qu’agent de la monarchie à la demande de Choiseul au cours de l’année 1768, y entraîna son beau-frère, l’avocat consistorial Barthélémy d’Orbanne. L’objectif était de se rapprocher de la population horlogère pour la convaincre de venir s’installer en France voisine à Versoix, où le principal ministre associé à Voltaire imaginait un projet de cité idéale fondé sur le principe de la liberté de conscience. Il ne s’agissait ni plus ni moins que de construire une Genève française sur le modèle de la colonie intérieure hérité du ministre Sully et de son utopie « politique » d’Henrichemont22.

18Cependant, la fréquentation régulière des Natifs poussa Bovier et d’Orbanne à prendre parti en leur faveur dans le cadre des affaires politiques de Genève et à rédiger un mémoire justifiant leurs revendications d’égalité économique et politique avec les autres Citoyens et Bourgeois. L’ouvrage, paru en 1770, faisait directement référence aux franchises d’Adhémar de 1387 et y voyait le fondement des prétentions politiques des Natifs. Il était en effet possible d’y lire le passage suivant :

  • 23 Gaspard Bovier, Mémoire Justificatif, pour les citoyens de Genève, connus sous le nom de Natifs, p. (...)

Adhémar, Evêque de Genève, reconnut par un acte authentique, et qui subsiste encore en original, que les franchises et les libertés de cette ville n’étaient point des concessions faites nouvellement, mais qu’il confirmait simplement les anciens usages et coutumes […] Je remarque d’avance qu’il n’est question que des Citoyens, Bourgeois, Habitants et Jurés, et non d’autres qui jouissent de ces franchises et libertés, droits et coutumes. C’était le pouvoir de créer des Syndics de la communauté, d’avoir la garde de la ville depuis le soleil couché jusqu’au soleil levé, de n’être jugés dans les affaires criminelles que par les syndics, etc. Ces actes ne donnent à aucun des Ordres de l’Etat des prérogatives particulières, ils pourraient prouver qu’ils avaient tous en général et chacun en particulier une égale part aux droits, franchises et libertés de la Cité23.

  • 24 Joël Cherbuliez, « Voltaire et les Natifs de Genève », Bibliothèque universelle de Genève, vol. 23, (...)
  • 25 Archives de l’Intendance du Dauphiné sous l’administration de Monsieur De Fontanieu, Mémoires d’obs (...)
  • 26 Gaspard Bovier fut l’hôte de Rousseau à Grenoble en 1768 et en fit le récit dans un manuscrit conse (...)

19Les deux Dauphinois reprennent donc le schéma argumentatif de Rousseau et de Deluc au sujet des Représentants mais ils l’appliquent aux Natifs sur le modèle de Voltaire, avec qui ils échangent à cette occasion24. Ils ajoutent donc une teinte encore plus démocratique aux raisonnements des Représentants. Cela leur a peut-être été inspiré par les statuts de la ville de Grenoble, qui donnaient, jusqu’en 1731, la possibilité à l’ensemble des habitants de la ville et de ses environs d’élire les consuls25. Bovier pour sa part explique avoir rédigé ce texte avec le Contrat social de Rousseau dans une main26 et L’Histoire de Genève rédigée par son ami Natif Jean-Pierre Bérenger dans l’autre.

  • 27 Gary Nash, The Urban Crucible: Social Change, Political Consciousness and the Origins of the Americ (...)

20Les événements de Genève occupent de fait une place centrale dans la prise de conscience par certains Dauphinois du rôle que peut jouer l’histoire dans la mobilisation patriotique d’une population urbaine autour de la défense de ses privilèges. En un sens, ils permettent à ceux qui y sont impliqués de faire l’expérience de ce que l’historien américain Gary Nash a appelé le « creuset urbain »27, expérience d’autant plus déterminante que le Dauphiné possède lui aussi une charte des libertés d’origine médiévale.

C – Le statut delphinal est-il un vecteur d’indépendance municipale ?

a) Statut parlementaire ou statut municipal ?

21Lors du transport de la province de Dauphiné en direction du royaume de France (1349), le dernier Dauphin Humbert II fixa un certain nombre de conditions. Elles résidaient dans plusieurs documents qui constituaient ce que les historiens ont pris l’habitude d’appeler le statut delphinal. L’un d’entre eux précisait que le Dauphiné resterait séparé du royaume de France. Un autre, nommé statut solennel, compilait l’ensemble des privilèges de la province que devait respecter le nouveau souverain. Parmi ces privilèges figurait l’obligation faite aux juges d’appel pour la province de Dauphiné de siéger à Grenoble (Article 37)28. Il est aisé de comprendre comment de tels principes purent être mobilisés au moment de la pré-révolution parlementaire suscitée par la décision de dissoudre les parlements afin de les remplacer par de grands baillages au mois de mai 1788. Depuis les travaux de Jean Egret, l’historiographie a développé cette dimension « parlementaire » du statut delphinal29.

  • 30 Ce document, d’une très grande richesse, a servi de base à la rédaction de la plupart des histoires (...)

22Cependant, ce dernier peut aussi être considéré comme une charte des libertés urbaines et communales. C’est d’ailleurs ce que considère le chanoine Barthélémy dans son histoire inédite du Dauphiné, vraisemblablement achevée sous l’Empire, si l’on en croit certains éléments factuels de la préface30. Ce dernier était le frère de l’avocat consistorial engagé dans les Affaires de Genève et passa une bonne partie de la période révolutionnaire à rédiger l’histoire de sa province au Moyen Âge. Il présentait ainsi le célèbre statut solennel voulu par le dernier Dauphin Humbert II :

Humbert non seulement renouvelle, par une ordonnance authentique en forme de loi municipale, toutes les anciennes ordonnances et confirme les privilèges dont jouissent ses sujets, mais il leur en accorde de très précieux et les affranchit de certains droits extraordinaires que les circonstances des temps avaient forcé d’établir.

23Il nous semble que l’assimilation du statut delphinal à une loi municipale est loin d’être anodine. De fait, l’article 47 du statut solennel confirmait les privilèges et libertés attribués aux différentes cités et autres lieux du Dauphiné par le Dauphin. Cet article établit, au sein même du statut, un lien organique entre la défense des privilèges juridiques de la province et celle de ses libertés communales.

  • 31 Pierre Vaillant, Les libertés des communautés dauphinoises des origines au 5 janvier 1355, Société (...)
  • 32 Jean-Pierre Moret de Bourchenu de Valbonnais, Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le (...)
  • 33 Archives départementales de l’Isère, 303 J 13.
  • 34 Lettre de MM. du clergé, de la noblesse, et autres notables citoyens de Grenoble, au roi, du 2 juil (...)

24À ce sujet, l’historien Pierre Vaillant a réalisé un travail de synthèse jusqu’ici inégalé en rassemblant et analysant les différentes chartes communales accordées par le Dauphin31. Ses conclusions générales insistent sur le rôle déterminant des seigneurs laïques que sont les Dauphins dans la concession de privilèges et de libertés aux collectivités locales. De fait, la notion même de libertés delphinales est toujours ambiguë. Loin de se limiter au seul statut delphinal, elle englobe l’ensemble des libertés locales et provinciales. La question se répercute dans le domaine de la sigillographie. Valbonnais, l’un des plus importants historiens de la province, considère, dans une histoire de la province publiée en 1722, que le sceau de Grenoble était à l’origine un Dauphin faisant face à un évêque32. L’hypothèse a été depuis contestée, mais elle n’en témoigne pas moins de la relation qu’établissaient les hommes du xviiie siècle entre les libertés delphinales et les privilèges des communes de la province. Notons par ailleurs que les archives de Barthélémy d’Orbanne contiennent un document consacré aux droits de représentation de la province attribués à ses dix plus grandes villes à la suite de la suppression des États de la province en 162733. Il n’est pas anodin que ce dernier ait parlé, dans une lettre adressée au roi, des bonnes villes du Dauphiné et que la Révolution ait pris dans cette province la forme première d’une fronde municipale incarnée par la journée de Vizille34. Mais comment s’organisait en Dauphiné le lien entre la défense de l’institution communale et l’intérêt concret des communautés ?

b) Le statut delphinal contient-il une Charte des eaux ?

  • 35 Nous tenons à remercier ici l’historienne Sophie Wahnich pour nous avoir amené à réfléchir sur ce c (...)
  • 36 Voir à ce sujet l’excellente étude réalisée par Nicolas Minvielle-Larousse sous la direction d’Alai (...)
  • 37 Cette remarque, aussi anodine soit-elle, a des implications de temps long pour l’histoire culturell (...)
  • 38 Le rôle des aménagements hydrauliques dans l’organisation des communautés rurales a déjà été soulig (...)
  • 39 Anne Lemonde, « Non est enim potestas, nisi a Deo... », art. cit.
  • 40 La seule exception connue à l’application systématique de ces principes est un jugement du Parlemen (...)

25L’eau comme bien commun est une des questions qui permettent, en Dauphiné, d’associer l’institution communale, comme organisation de droit, aux intérêts concrets des communautés rurales ou urbaines en tant qu’organismes sociaux35. En effet, de récents travaux ont montré l’importance des artifices hydrauliques appelés moulins delphinaux dans la construction des communautés rurales et urbaines de la province, ainsi que le volontarisme du pouvoir delphinal dans ce domaine bien avant le transport du Dauphiné au royaume de France36. Or, ce transfert ne s’est pas accompagné d’un inventaire régulier des biens du domaine, de sorte que les communautés se sont approprié ces artifices et ont construit pour partie leur identité autour d’eux37. Par ailleurs, le statut delphinal a précisément pour ambition de préserver les droits des communautés à l’égard de l’eau. Trois articles sont, d’après nous, révélateurs à ce sujet et forment une véritable Charte des eaux incluse dans cette « Grande Charte des Montagnes » qu’est le statut delphinal. L’article 26 de la charte, en vertu duquel il n’existe pas en Dauphiné de seigneur sans titre, fonde le principe de l’eau comme bien a priori commun. C’est à celui qui souhaite privatiser l’eau qu’incombe l’administration de la preuve. L’article 30, qui interdit de détourner l’eau d’un « bief » ou « béal » alimentant un moulin, protège l’usage a priori collectif de l’eau tant dans le monde urbain que dans le monde rural. L’article 18, qui énonce le principe d’un partage des corvées liées entre autres aux aménagements des rivières, sans distinction d’ordre, sert de base à une solidarité fiscale donnant lieu à un financement public38. Il est évidemment possible de retrouver chacun de ces trois points convoqués isolément comme argument dans le cadre de procès devant le Parlement de telle ou telle province, tant le droit romain était une référence commune pour les juristes d’Ancien Régime. Loin de nous l’idée de faire de la référence au droit romain une particularité dauphinoise. Ce qui est en revanche spécifique à la province de Dauphiné, c’est la nature du document dans lequel sont figés ces principes et sa place au sein de la hiérarchie des normes juridiques. L’historien Marc Bloch, dont les analyses « hypercritiques » des chartes médiévales ont profondément marqué l’historiographie de la période, a montré comment les exceptions à la règle prévues à l’intérieur même des documents contractuels médiévaux avaient permis l’érosion des droits garantis sur le long terme. Il ménageait cependant deux exceptions à cette règle générale : la déclaration des communes du Languedoc et le statut delphinal, qu’il considérait comme deux textes du milieu du xive siècle « gros d’avenir ». Les travaux plus récents de la médiéviste Anne Lemonde montrent que le statut delphinal lui-même n’était pas sans contradiction interne sur de nombreux points39. Les articles auxquels nous renvoyons au sujet de l’eau brillent cependant par leur intangibilité relative, que confirme le corpus des sources que nous avons pu consulter, qu’il s’agisse des décisions prises par les représentants du pouvoir royal ou des jugements rendus par le Parlement de Grenoble40. A contrario, la Déclaration des communes du Languedoc ne comporte rien de comparable au sujet de l’eau. De sorte que le Dauphiné est bien la seule province de la monarchie française à disposer d’un droit de l’eau lui garantissant le statut de bien commun inscrit dans une charte locale prenant place au sommet de la hiérarchie des normes juridiques.

  • 41 Recueil des actes et déclaration de Roy... concernant le Dauphiné, tome troisième, Giroud, Grenoble (...)
  • 42 Archives départementales de l’Isère, 2C785.
  • 43 Ces considérations viennent confirmer le caractère déterminant des questions environnementales dans (...)
  • 44 Bibliothèque d’Études de Grenoble, R6093.
  • 45 Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations. Genèse d’une politique publique du xviie au (...)

26Cette interprétation du droit provincial trouve sa confirmation dans l’histoire même de la gestion de la ressource en eau en Dauphiné. Les actes émanant de la Maîtrise des eaux et forêts, réunis dans la série 17B des archives départementales de l’Isère, ne dérogent à aucun moment aux principes fixés par la charte delphinale en la matière. Par ailleurs, la déclaration royale du 1er février 1695 confirme les droits de propriété des communautés sur les eaux domaniales en contrepartie d’un don versé par les trois ordres sans distinction41. Les Lettres patentes du mois de juillet 1768 prévoient une imposition de 60 000 livres réparties sur les trois ordres sans distinction pour financer les ouvrages à faire contre les torrents et rivières42. Pour l’historien Denis Cœur, ces lettres patentes ne « souffrent aucune comparaison » avec ce qui se passe ailleurs dans d’autres provinces et ouvrent la porte à une véritable « politique régionale de prévention des inondations ». Nous sommes bien face à une spécificité dauphinoise qui semble même s’accentuer au cours du temps. Autour de la question de l’eau se construit une sorte d’écologie politique associant étroitement les trois ordres autour d’intérêts communs43. Il existe évidemment des conflits entre nobles et roturiers au sujet de l’eau, mais c’est le plus souvent la solidarité de fait et la volonté de négocier en commun avec la monarchie la meilleure solution possible pour l’ensemble des Dauphinois qui s’imposent. C’est ainsi que la corporation des gantiers parvient à prévenir le projet monarchique qui souhaitait créer un canal de détournement de l’Isère hors des murailles de la ville de Grenoble44. Ce projet avait l’avantage, pour le pouvoir royal, de sécuriser les arsenaux face à de nouvelles inondations, mais faisait courir un risque à l’activité de tannerie si nécessaire aux gantiers. De même, il n’est pas rare de voir le noble lignage des Sassenage prendre la tête de la contestation de la fronde contre les conséquences des travaux d’endiguement de la rive droite du Drac qui menaçaient leur territoire45.

  • 46 Sur ce sujet, on pourra consulter les contributions d’Anne Lemonde et René Verdier pour le numéro d (...)

27L’eau joue par ailleurs un rôle de modèle pour la défense d’autres types de biens communs. Comme le montre l’Arrêt du Parlement du 7 septembre 1781, c’est bien le droit de l’eau en tant que bien commun qui est mobilisé en vain comme jurisprudence pour tenter de défendre les droits communautaires sur la forêt de la Bièvre. L’histoire de Grenoble apparaît comme l’aboutissement symbolique de ce lien étroit qui associe autonomie locale et gestion de l’eau. Comme le rappelle le chanoine Barthélémy, les premiers statuts de la capitale dauphinoise lui furent accordés par le Dauphin et l’évêque au lendemain d’un véritable déluge provoqué par une rupture de digue en 121946.

  • 47 Jean-Pierre Duport-Lavillette, Questions de droit, vol. 3, Viallet, 1829, p. 173. Il s’agit là d’un (...)
  • 48 Soulignons ici que le Dauphiné n’est pas la seule région d’Europe où le droit romain a pu servir dè (...)
  • 49 Code Théodosien, 14.15.4.
  • 50 Code Théodosien, 15.3.4.

28Au-delà de la métaphore religieuse diluvienne, il nous semble que c’est du côté du droit romain et de sa diffusion en Dauphiné qu’il faut chercher l’origine de cette particularité juridique provinciale qui fait de l’eau une res communis autour de laquelle se construisent les communautés humaines47. De fait, les trois articles du statut delphinal qui constituent, d’après nous, une véritable « Charte des eaux » sont tous issus du droit romain48. L’article 26, qui correspond au chapitre dédié à « l’acquisition des choses » des Institutes de Gaïus, considère le titre comme nécessaire à la propriété foncière pour les anciennes provinces romaines de droit italique de la tradition classique. L’article 30 est quant à lui le décalque de la loi Improborum de 398, inscrite au titre 15 du livre 1449 du Code Théodosien. Enfin, l’article 18 renvoie à l’Édit du 29 avril 399 inscrit au titre 3 du livre 15 du même code50. Mais comment expliquer une telle pénétration du droit romain dans les institutions comme dans les pratiques quotidiennes de la province de Dauphiné ?

II – Les communes montagnardes de Grenoble et de Genève, refuges d’une romanité médiévale révolutionnaire au siècle des Lumières ?

A. L’ombre portée du royaume d’Arles.

a) Genève et Grenoble : deux héritières du Royaume d’Arles

29Le Royaume d’Arles, que les historiens appellent aussi Royaume de Bourgogne, est un royaume médiéval composite formé de sept provinces ou principautés. Il s’est constitué en tant que règne autonome au ixe siècle à la suite du mariage d’Ermengarde, petite fille de Lothaire, avec Boson. De ce fait, l’historiographie officielle de la monarchie française a souvent présenté la constitution du royaume d’Arles comme une atteinte à la loi salique.

  • 51 Amédée Pierre Jules Pictet de Sergy, Genève : origine et développement de cette République : Genève (...)
  • 52 Martin Aurell, Jean-Paul Boyer et Noël Coulet, La Provence au Moyen âge, Aix-en-Provence, Publicati (...)

30À partir du xie siècle, le royaume devient partie intégrante du Saint Empire romain germanique. L’empereur y exerçant le rôle d’un souverain lointain, cela encourage le développement de forces centrifuges à l’origine de principautés plus ou moins indépendantes. Cette logique de fragmentation territoriale est renforcée par la présence de nombreuses cités épiscopales, dont faisaient alors partie Grenoble et Genève, mais aussi Arles ou Vienne. Le Royaume d’Arles comptait en tout vingt-neuf cités épiscopales51, dont la richesse proverbiale fut immortalisée au xiie siècle par le Ligurinus. C’est sous la tutelle des évêques que se sont constituées les premières communes médiévales de ce royaume, en s’appuyant sur ce que les historiens qualifient de droit romano-canonique52.

  • 53 Ronald G. Witt, The Two Latin Culture and the Foundation of Renaissance Humanism in medieval Italy, (...)
  • 54 Sur la manière dont les institutions communales émergent à Arles dans l’ombre du pouvoir épiscopal (...)
  • 55 Élie Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au xviiie siècle, Paris, (...)
  • 56 Elle n’aurait donné aucun privilège particulier à ceux qui s’en revendiquaient.
  • 57 Thérèse Sclafert, Le Haut Dauphiné au Moyen Âge, Paris, Société anonyme du Recueil Sirey, 1926.

31Il est de fait remarquable que le Royaume d’Arles fut le cadre d’une renaissance précoce du droit romain dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler l’école de droit de Valence et de Die. Les trois principales productions de cette école furent rédigées dès la première moitié du xiie siècle de façon autonome sans qu’on puisse y déceler une quelconque influence bolonaise. Il s’agit du Tübinger Rechtsbuch, de la Summa Institutionum « Iustiniani est in hoc opere » et des Exceptiones Petri53. Ce dernier ouvrage est aujourd’hui attribué à Pierre de Cabannes, chanoine juriste au service de l’archevêque et des consuls d’Arles54. Cette importance du droit romain au sein du royaume d’Arles (ou royaume de Bourgogne) avait été elle-même remarquée par Montesquieu dans L’Esprit des lois (1748), malgré son adhésion souvent débattue à la thèse des « origines germaniques de la monarchie française »55. Pour lui, le droit romain se maintint en Bourgogne car la loi bourguignonne dite Gombette était trop impartiale pour s’y imposer à la faveur des vainqueurs56. Il disparut cependant en tant que code écrit du ixe au xiie siècle avant de resurgir à partir de l’Italie en s’appuyant sur la survie de certains usages locaux. L’assertion de Montesquieu selon laquelle on ne sut plus lire ni écrire le droit romain durant cet intervalle doit être revue au regard des découvertes de la recherche contemporaine. Mais la question de son inscription dans les pratiques et les usages locaux durant cette période reste d’actualité. Rien ne permet d’affirmer à ce jour que le caractère sinon public du moins commun de la ressource en eau ait disparu durant cette période. Rien ne permet non plus de dire que l’usage de l’eau comme res communis dans ces territoires n’ait pas contribué à la restauration du droit romain comme code juridique de référence à partir du xiie siècle. La disparition d’une loi n’engendre pas systématiquement la disparition de son esprit et la question de la gestion de la ressource en eau dans le Haut Dauphiné a pu sembler à ce point-là déterminante pour l’historienne Thérèse Sclafert qu’elle y a vu un produit du milieu plutôt que du droit romain57. Dans cette perspective, elle s’est intéressée plus particulièrement à la charte des Escartons, qui sert de base à l’organisation des communautés briançonnaises et réserve un rôle fondamental à la gestion de l’eau comme bien commun. Pour Thérèse Sclafert, l’importance du milieu propice aux crues torrentielles explique en partie cette particularité, bien que cela n’exclut en aucun cas une influence du droit romain.

b) Grenoble et Genève : cités épiscopales ou capitales d’un royaume autonome ?

32Les cités de Grenoble et de Genève sont héritières de l’histoire du royaume d’Arles, profondément marquée par la diffusion du droit romain qui semble avoir pénétré jusqu’aux usages des communautés locales du quart sud-est de la France. Mais comment est perçue cette filiation par les habitants de ces deux cités ? En ce qui concerne Genève, il semble que cette filiation, aussi importante soit-elle, ait été ouvertement rejetée par l’ensemble de la population genevoise afin d’expliquer l’histoire de leur république indépendante et de ses lois spécifiques. Ainsi, Rousseau dans son histoire inédite de Genève déclare :

L’idée d’aller chercher quelque image de la liberté sous les rois de Bourgogne et sous Charlemagne est chimérique. La liberté ne germa que sous l’épiscopat, et les évêques, que le peuple de Genève regarde comme les anciens tyrans de sa patrie en furent en effet les pères et les bienfaiteurs.

  • 58 Il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’érudit Jules Vuy qui a exhumé cette thèse à la fin du xixe s (...)

33Une telle déclaration est pour le moins provocatrice en pays protestant et l’on comprend aisément que cette histoire de Genève n’ait pas pu être publiée au moment de sa rédaction58. Jean-Robert Tronchin, membre éminent de l’oligarchie genevoise, avait d’ailleurs dénoncé dans ses Lettres écrites de la campagne (1765) l’attitude qui consistait à créditer un évêque de l’émancipation de la cité de Genève que l’histoire officielle identifiait avec la figure de Calvin. Pour autant, il n’eut jamais l’idée de rattacher l’idée des libertés genevoises à celles du royaume d’Arles. Une telle affirmation aurait mis à mal la façon dont les Genevois de l’époque aimaient à considérer leur indépendance : un fait éternel ab urbe condita voué à durer pour l’éternité comme les chartes médiévales.

  • 59 Jean-Loup Kastler, « L’écologie des Lumières de Michel-Antoine Servan et l’image de la montagne  : (...)

34En ce sens, l’attitude des élites genevoises était diamétralement opposée à celle des élites dauphinoises, qui concevaient les libertés et les privilèges de leurs communes comme la conséquence directe de leur appartenance à l’ancien royaume d’Arles intégré à l’Empire et distinct du royaume de France. De fait, le statut delphinal et l’indépendance juridique de la province trouvaient leur justification dans la séparation entre le Dauphiné et le royaume de France. Les élites parlementaires sont ainsi nombreuses à considérer que l’appartenance de la province à un ancien royaume indépendant du royaume de France ne relevait en rien d’une usurpation. Le plus célèbre d’entre eux est sans aucun doute Denis Salvaing de Boissieu, premier président de la chambre des Comptes et maître d’œuvre du château de Sassenage à la suite du mariage de sa fille avec un descendant de ce puissant lignage. Dans son ouvrage intitulé De l’usage des fiefs et autres droits seigneuriaux en Dauphiné (1668), le juriste dauphinois Salvaing de Boissieu rappelle que le Dauphiné fut une partie du royaume d’Arles et que les privilèges des villes du Dauphiné sont liés à cette appartenance. Mais Salvaing ne se contente pas de le constater : en publiant un ouvrage consacré aux Sept Merveilles du Dauphiné, il se fait le propagandiste de l’indépendance culturelle pour ainsi dire « arlésienne » du Dauphiné. En effet, ces légendes étaient toutes tirées du livre des Otia imperialia, qui rassemblait une série de légendes du royaume d’Arles compilées au début du xiiie siècle par Gervais de Tilbury en tant que maréchal du royaume pour le compte d’Othon IV. Il s’agissait, par ces légendes, de rappeler l’appartenance du Dauphiné à cet ancien espace politique et culturel que constituait le royaume d’Arles. En définitive, il existait en Dauphiné un lien étroit entre les revendications d’indépendance locale, tant urbaines que provinciales, le goût pour le fabuleux et le souvenir du royaume d’Arles59.

B. De la romanité médiévale à la révolution montagnarde.

a) La commune montagnarde contre l’État moderne

  • 60 Anne Lemonde, « Les fondements contractuels du pouvoir en Dauphiné à la lumière du Statut de 1349 » (...)
  • 61 Nathalie Zemon-Davies, « Les femmes et le monde des Annales », Tracés, no 32, 2017.
  • 62 Nadine Vivier, « La “république des escartons”, entre Briançonnais et Piémont (1343-1789) », Annale (...)

35Marc Bloch appelait, dans sa thèse de doctorat, à nuancer une vision trop contractualiste de l’ensemble des chartes et franchises concédées par les seigneurs du Moyen Âge60. D’après lui, il s’agissait le plus souvent pour les seigneurs de monnayer la reconnaissance de libertés personnelles qui ne conféraient aucune autonomie politique collective aux communautés concernées. Cependant, il considérait que de nombreuses communes et communautés des montagnes dauphinoises avaient obtenu des droits qui représentaient sur ce point une exception. Il n’est pas anodin de souligner que le grand historien s’intéressa à l’histoire du Dauphiné à travers les yeux de Thérèse Sclafert, une des rares femmes ayant participé à la revue des Annales avant-guerre61. Cette dernière avait souligné, dans sa propre thèse, l’importante autonomie des communautés du Briançonnais en matière d’organisation, plus particulièrement pour les célèbres Escartons62. Ses assertions selon lesquelles la rédaction de franchises locales n’avait probablement pas changé grand-chose à la vie des communautés montagnardes suscitèrent une critique à front renversé de la part de celui qui avait pourtant appelé à faire preuve d’esprit critique dans l’analyse des chartes médiévales. Dans un compte rendu par ailleurs élogieux de la thèse de sa collègue, il s’exprimait ainsi :

  • 63 Marc Bloch, « Quelques études récentes sur l’histoire économique et sociale de l’ancienne France », (...)

Les communautés, urbaines ou rurales, ont préexisté à leur reconnaissance officielle par le pouvoir seigneurial. D’accord. Mais, n’était-ce rien pour ces communautés, ou plutôt pour certaines d’entre elles, que d’obtenir une confirmation légale de leur existence, que de pouvoir désormais se faire représenter non plus par des procureurs temporaires choisis un jour de procès mais par une magistrature régulière, permanente, appuyée sur de solides traditions gouvernementales ? Et les communautés qui n’ont pu avoir part à ces avantages, ont-elles toujours considéré leur échec avec indifférence ?63

36Marc Bloch était donc loin de considérer de façon systématique les chartes de franchise comme de simples subterfuges sans importance. Il semble même avoir pensé exactement le contraire en ce qui concerne le Dauphiné. Ajoutons que Marc Bloch faisait partie de ces historiens qui considèrent non seulement que l’idée moderne de contrat ne fut pas étrangère à la féodalité médiévale occidentale, mais qu’elle en découle directement comme un remède au renforcement du pouvoir arbitraire du monarque de droit divin. C’est du moins l’idée qu’il développe dans son célèbre ouvrage intitulé la Société féodale (1940), dans lequel il signale le statut delphinal comme une des occurrences du « droit de résistance » transmis par le Moyen Âge au temps moderne.

  • 64 Charles Petit-Dutaillis, Les Communes françaises, caractères et évolution des origines au xviiie si (...)
  • 65 René Favier, « Les villes du Dauphiné aux xviie et xviiie siècles », thèse d’État, université Lumiè (...)
  • 66 Clarisse Coulomb, « Qui doit faire la police à Grenoble ?  : Autour du mémoire de P.-J. Vallet, Les (...)

37Ces considérations nous invitent à porter un regard critique sur le maître ouvrage que Charles Petit-Dutaillis, dont Georges Lefebvre fut l’un des disciples influents dans le monde des études révolutionnaires, a consacré à l’histoire des communes françaises du Moyen Âge à la Révolution64. En effet, il n’existait, d’après lui, aucune solution de continuité entre la commune médiévale et la municipalité contemporaine créée en 1789. Ce récit général ne semble cependant pas conforme à la situation dauphinoise telle que la garantissait le statut delphinal de 1349. Par son article 47, le statut delphinal garantissait en effet l’intangibilité de chartes, comme celle des Escartons mentionnée précédemment, et le fait municipal fut durant toute l’époque moderne un élément incontournable de l’histoire de la province. C’est ce qu’ont d’ailleurs montré les travaux plus récents sur ce thème de René Favier65 et de Clarisse Coulomb66. À Grenoble, les offices municipaux de consul n’avaient pas été confisqués par une oligarchie vénale et la police resta « municipale » jusqu’à la fin du xviiie siècle. Jusqu’en 1731, les consuls étaient élus en vertu d’anciennes traditions par l’ensemble de population masculine de la ville et de ses environs. Le souvenir de telles pratiques était donc encore nécessairement vivace trente ans plus tard dans les années 1760. De sorte que les antiques usages de la province issus du Moyen Âge, protégés par le statut delphinal et stimulés par l’exemple genevois, pouvaient servir de support aux partisans du devoir de résistance face au pouvoir arbitraire de la monarchie absolue.

b) La corvée, ou la romanité médiévale comme prétexte à la contestation populaire

38Malgré les efforts réalisés par la monarchie française en ce sens, Genève ne devint pas une province française. Ses moyens de contester le despotisme monarchique ne se limitèrent donc jamais à des questions de droit et de justice. L’indépendance de Genève s’exprimait à travers des formes politiques et religieuses. De son côté, le Dauphiné n’avait pas les mêmes ressources et la défense de son indépendance locale et provinciale passait par un particularisme juridique appuyé sur le droit romain hérité de ses libertés médiévales. Ce droit romain avait pris, pour les communautés locales, une forme concrète en tant que charte de l’eau. L’article 18 du statut delphinal relatif à la corvée avait trouvé, dans le domaine de la gestion des eaux mais aussi des routes, une application concrète à plusieurs reprises. Le manque de clarté du projet de transformation de la corvée royale en redevance pécuniaire en 1787 suscita donc de la part du parlement des remontrances quant à l’équité de sa répartition entre les trois ordres. C’est le porte-parole du Dauphiné Antoine Barnave qui fut le premier à rappeler la solidarité entre les communautés dauphinoises et le Parlement de la province sur ce sujet en 1788. Il le fit dans le célèbre pamphlet intitulé Esprit des Édits enregistrés militairement de la façon suivante :

Des abus de cette loi, relevés par le parlement de Grenoble, le plus insoutenable est de faire supporter aux seuls roturiers les frais des travaux des chemins, tandis que le droit naturel, la loi Romaine qui régit cette province, et une transaction précise, obligent les trois ordres à les supporter en commun.

39Il est intéressant d’observer que cette remarque est immédiatement suivie dans le texte par une charge contre la vénalité des offices municipaux. Il n’est pas anodin que la jonction entre les intérêts du Parlement et ceux des communautés se fasse sur la question du financement collectif de la corvée présenté comme un héritage du droit romain et d’une transaction précise derrière laquelle il faut évidemment reconnaître le statut delphinal. Certes, le texte de Barnave se focalise sur la question des chemins et non pas sur celle de l’eau à proprement parler au moment de traiter de la corvée, mais les deux secteurs sont en réalité étroitement liés et font l’objet d’une approche conjointe par le gouvernement du Dauphiné. C’est ce que montre le travail titanesque de recomposition des dépenses des « ponts et chaussées » pour la province de Dauphiné effectué par l’historien Denis Cœur en s’appuyant sur « les procès-verbaux et les rapports d’enquêtes dressés dans le cadre de la vérification des engagements financiers de l’ancien gouvernement par la commission intermédiaire des États du Dauphiné » entre 1769 et 1789 qui a aboutit au tableau synoptique ci-dessous.

  • 67 Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations…, op. cit., figure 18.

Tableau : Recomposition des dépenses des Ponts et Chaussées d’après les états au vrai et les états de la commission intermédiaire (1769-1789)67

  • 68 Ibid., p. 170.
  • 69 Archives nationales, T334 A-B1.
  • 70 Cette remarque ne fait que confirmer le constat réalisé par Nadine Vivier pour les communaux en gén (...)
  • 71 Il nous semble de ce point de vue que les révoltes liées à l’eau méritent un traitement spécifique (...)

40Ce graphique montre qu’une augmentation des dépenses relatives à l’entretien des cours d’eau s’accompagne presque toujours d’une augmentation des dépenses relatives à l’aménagement des routes et des ponts. De fait, les chemins et autres routes commerciales se trouvent souvent à proximité de cours d’eau dont les crues torrentielles présentent un risque certain d’inondation et de destruction. La monarchie, soucieuse de développer le commerce, devient de plus en plus interventionniste en la matière sans que les communautés locales n’y voient toujours un véritable intérêt. Cela s’explique entre autres par le fait que ses interventions s’accompagnent bien souvent d’une appropriation de la ripisylve des cours d’eau concédée en ferme à des exploitants privés qui, en coupant le bois, accroissent par ailleurs le risque d’inondation68. C’est la raison pour laquelle la Révolution s’accompagne en Dauphiné de révoltes rurales contre les fermiers de ces secteurs69. De même l’installation d’usines textiles captant une partie de l’énergie hydraulique des moulins traditionnels suscite des réactions hostiles, en Dauphiné comme dans d’autres provinces. En un sens, la prévarication fiscale, les premiers pas d’une révolution industrieuse et la globalisation commerciale en cours contribuent à rendre les relations difficiles entre une monarchie lointaine et des communautés dauphinoises dont l’attachement à un certain nombre de privilèges était directement motivé par un statut delphinal appuyé sur le droit romain70. C’est en se penchant sur la question de la corvée qu’il est possible de mieux comprendre comment la romanité médiévale a pu être un ferment parmi d’autres de l’agitation révolutionnaire en Dauphiné. Ce n’est pas un hasard si l’une des premières décisions de l’assemblée municipale de Vizille fut de reconnaître la nécessité d’un financement équitable des corvées, notamment en ce qui concerne les ouvrages hydrauliques71.

C. Le républicanisme montagnard est-il un républicanisme méridional ?

a) Le rêve précoce d’une République du Midi

  • 72 Archives nationales, BA 14, États Généraux, Arles.
  • 73 Jacques Godechot, « Les municipalités du Midi avant et après la Révolution », Annales du Midi, 1972
  • 74 Philippe Guignet, « Le Pouvoir dans la ville au xviiie siècle : étude comparative de part et d’autr (...)
  • 75 Emmanuel-Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État, troisième édition, 1789, p. 17.

41L’association du souci d’indépendance communale et de la référence à une romanité héritée du Moyen Âge n’est pas propre aux montagnes du quart sud-est de la France. Arles, qui n’est pas exactement ce que la géographie appellerait une cité montagnarde malgré la proximité des Alpilles, revendique la possibilité d’avoir ses propres députés aux États généraux sur un mélange d’héritages médiévaux et romains. Les archives nationales conservent à ce sujet un intéressant rapport par lequel la cité d’Arles motive sa demande par l’entretien à ses frais d’ouvrages hydrauliques sur son territoire qu’elle perçoit comme la preuve de son autonomie72. De manière plus générale, c’est l’ensemble du Midi de la France qui se perçoit comme le refuge d’une certaine autonomie urbaine fondée sur le droit romain par opposition au Nord de la France73. Il s’agit là d’une représentation subjective des contemporains qui ne résiste pas à l’analyse des faits, comme l’a bien montré la thèse de Philippe Guignet consacrée aux villes du Nord74. Elle joue cependant un rôle dans la construction des mentalités de l’époque et la perception de l’espace qui les accompagne. De fait, l’opposition entre Germains et Romains, héritée de Boulainvillers et de Mably, trouve avec la révolution un nouveau souffle en s’accompagnant parfois d’une dimension géographique. C’est Sieyès qui restaure en premier cette ancienne querelle des Romains et des Germains en lien avec la question fondamentale des origines des institutions françaises. Pour autant, cette querelle ne possède pas encore alors de dimension géographique. Elle est surtout un instrument polémique, comme le montre la proposition provocatrice de Sieyès de renvoyer la noblesse dans les forêts de Franconie75.

  • 76 Roch de Pelissery, Banque municipale nécessaire à toutes les villes de commerce de la France, Gatte (...)
  • 77 Manon Rolland, Mémoires, t. VIII, Firmin Didot, 1847, p. 281.
  • 78 Jacques Guilhaumou, Marseille républicaine (1791-1793), Presses de la Fondation nationale des scien (...)

42Il faut attendre l’entrée en guerre de la Monarchie française contre l’Autriche pour que le discours se radicalise et prenne une dimension géographique. Dans une lettre ouverte du mois d’avril 1792, Roch de Pelissery s’en prend à ceux qu’il appelle les « novateurs factieux » responsables d’une révolution qu’il présente avant tout comme une suite de catastrophes. D’après lui, ces novateurs sont avant tout les admirateurs d’une romanité incarnée par des monuments principalement situés dans le Midi de la France : le Pont du Gard, l’arc de Triomphe de Marius à Orange, les vestiges de Lyon, Nîmes ou Marseille76. Ces considérations pourraient faire sourire, si les Mémoires de Madame Rolland ne témoignaient pas au même moment d’un projet de République du Midi afin de faire pièce à une trahison monarchiste au Nord. Il est à cette occasion fait référence à « l’excellent esprit du Midi » et à « l’énergie des départements de cette partie de la France » chère au général Joseph Servan et à Charles Barbaroux77. Il y a dans ces expressions le fantasme implicite d’un caractère spécifiquement républicain des provinces du Sud de la France. Ces considérations sont sans doute en grande partie déformées par le contexte mais ne peuvent pas être considérées comme entièrement illusoires. Les montagnes du Dauphiné n’étaient pas la seule région de France où l’idéal communal hérité du Moyen Âge et appuyé sur le droit romain avait servi de fondement à un goût spécifique pour les libertés locales. Dans le Midi de la France, les nouvelles municipalités prolongeaient bien souvent le goût pour l’autonomie des anciennes communes dans la perspective d’une république fédéraliste78.

  • 79 Michel Vovelle, « La place de Nîmes dans les révolutions méridionales », AHRF, 1984.

43Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la « révolte fédéraliste », si tant est que ce seul terme puisse être utilisé pour décrire un processus aussi protéiforme et « opportuniste », eut une résonnance particulièrement forte dans certaines villes du Midi de la France, malgré quelques notables exceptions79. En effet, cette culture républicaine héritée de l’histoire des provinces méridionales n’empêcha pas certaines cités du Midi de basculer dans le camp de la Contre-Révolution pour des motifs religieux et économiques, témoignant ainsi de la complexité de l’histoire de la période.

44Que l’on rattache ou non ce phénomène à la nébuleuse d’une soi-disant « révolte fédéraliste », il est en tous les cas certain que Grenoble ne fut jamais le lieu d’un soulèvement majeur contre le pouvoir central républicain. Alors qu’elle possédait tous les critères qui auraient dû l’amener à une certaine forme d’indépendantisme local, dont son insurrection de 1788 était un modèle du genre, elle ne le fit pas. Comment l’expliquer ?

b) La spécificité patriotique des régions de Montagne

  • 80 Recueil des actes et déclaration de Roy... concernant le Dauphiné, op. cit., p. 163.

45Le Dauphiné n’est pas seulement une région de montagnes mais c’est aussi une région de frontières. Cette spécificité a profondément marqué l’histoire de la province, qui dépendait directement du ministre de la Guerre. Les casernes y étaient nombreuses et les Dauphinois fréquemment mobilisés dans le cadre des conflits militaires en direction de l’Italie. Cette vocation militaire du Dauphiné est incarnée dans la littérature dauphinoise par le chevalier Bayard, chevalier sans peur et sans reproche au service des rois de France après que ses ancêtres ont servi les Dauphins de Viennois. Or, il n’existe aucune biographie du chevalier Bayard qui ne fasse pas référence au transport du Dauphiné en direction du royaume de France et à l’appartenance du chevalier dauphinois à la plus ancienne noblesse d’arme du royaume, surnommée pour l’occasion l’Écarlate du Dauphiné. Certes, Bayard vécut en pleine Renaissance, au début du xvie siècle, alors que l’arquebuse commençait à être employée sur les champs de batailles, mais Bayard détestait les arquebuses et ses différents biographes le présentent à dessein comme une survivance de la chevalerie médiévale en pleine époque moderne : l’idéal du preux. Bayard est davantage un symbole qu’un personnage historique. Il incarne l’impôt du sang payé par la province que cette dernière convoque à chaque fois qu’il est nécessaire de négocier avec la monarchie. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de refuser de payer la taxe sur les artifices hydrauliques en 1695, où l’impôt sur le sang fut invoqué en complément des privilèges de la province pour justifier la demande d’exemption80. L’ensemble fait système, dans la légende comme en réalité, sous la forme d’un contrat féodal entre la province de Dauphiné et le royaume de France. Si le Dauphiné accepte de payer l’impôt du sang, c’est parce que la monarchie préserve les libertés de la province et inversement. Les libertés delphinales, à commencer par celles des communes et des communautés garanties par le statut delphinal, sont la récompense nécessaire de l’impôt du sang. L’argument est aussi ancien que le Moyen Âge et aussi neuf que le patriotisme d’esprit nouveau qui se développe à partir des années 1760. Ce n’est pas un hasard si le général Servan, le frère de l’avocat général du Dauphiné du même nom, présente Bayard aux côtés de Sully comme un exemple à donner aux futurs soldats citoyens dans le cadre de son projet de conscription militaire universelle intitulé le Soldat citoyen (1780). Il y déclare, au sujet de la discipline, « que [le soldat] s’y soumette librement pour donner le bon exemple, mais qu’il puisse jouir de cette liberté qu’il a méritée par sa conduite ».

46Ainsi, le service militaire du soldat citoyen est pensé sur le modèle de l’hommage médiéval et par opposition à la corvée qui écrase. Ce sont aussi les mannes de Bayard que convoque Barnave aux lendemains de l’enregistrement des Édits du mois de mai 1788, lorsqu’il s’adresse aux soldats dans sa Profession de foi d’un militaire pour les enjoindre de ne pas violer les lois de la patrie. L’opération fonctionne en partie, comme l’illustre le déroulement de la Journée des Tuiles. Elle montre que le nouveau patriotisme n’est pas qu’une figure de style en Dauphiné.

  • 81 Laurent Brassart, « La République à l’épreuve de l’ordinaire et de l’exception : État-Nation, pouvo (...)
  • 82 Florent Robin, Les représentants en mission dans l’Isère. Chronique d’une terreur « douce » (1793—1 (...)
  • 83 Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grass (...)
  • 84 Jean Sgard, Les Trente Récits de la journée des tuiles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenobl (...)

47Mais cette idée a son revers, qui est mobilisé à l’occasion de la révolte fédéraliste du Midi. Si les libertés locales sont respectées, alors la province doit rester fidèle au gouvernement. Or, le gouvernement révolutionnaire est loin de prendre, en Dauphiné, la forme d’une répression brutale telle qu’elle a pu être décrite ailleurs, sans pour autant que nous prétendions faire de cette relative « douceur » une spécificité de l’espace montagnard81. Le rapport entre l’autorité centrale et les pouvoirs locaux y est négocié à chaque instant, comme l’ont montré les différents travaux sur le sujet82. À cela, il faut ajouter que l’attachement des élites dauphinoises au droit romain leur permet sans doute de comprendre l’état de siège plus ou moins fictif vécu par le territoire français eu égard à la situation militaire. Il nécessite des mesures exceptionnelles pour garantir la liberté de la patrie et la survie de la Révolution83. Grenoble est alors encore plus loin de Paris qu’aujourd’hui et les Grenoblois se sentent, en un sens, responsables de la survie de ce qu’ils ont contribué à créer et qu’ils perçoivent comme une « delphinisation » de la nation française84.

Conclusion

  • 85 Jacob Levy, « Montesquieu’s Constitutional Legacies », dans Rebecca Kingston (dir.), Montesquieu an (...)
  • 86 Paolo Viola, Il crollo dell’Antico Regime : politica e antipolitica nella Francia della Rivoluzione(...)

48L’existence d’une véritable culture républicaine dans les montagnes du quart sud-est de la France est un fait historique bien connu des historiens et dont la littérature a fait un véritable topos. Elle contribue, par sa complexité, à nuancer l’opposition bien souvent trop manichéenne entre républicanisme classique et républicanisme moderne85. Dans cet article, nous avons cherché à montrer qu’elle plongeait de profondes racines dans l’histoire de ces territoires, jusqu’au Moyen Âge et peut-être au-delà. Elle renvoie à l’idéal médiéval de la commune appuyé sinon sur le droit romain, du moins sur son cousin médiéval qu’est le droit romano-canonique. En cela, le républicanisme montagnard est étroitement lié à la défense de privilèges locaux. Ces privilèges, hérités de la romanité médiévale, sont défendus face aux empiètements de l’arbitraire monarchique qui accompagne le renforcement de l’État moderne et la réaction aristocratique de la fin du xviiie siècle. En Dauphiné, la résistance peut s’appuyer sur le statut delphinal de 1349, qui a le mérite de défendre dans le même temps l’autonomie juridique de la province, les libertés communales et les intérêts communautaires, notamment en ce qui concerne la gestion de la ressource en eau considérée comme un bien commun. Il ne s’agit pas seulement ici d’histoire du droit, mais aussi d’usages concrets qui s’inscrivent profondément dans les mœurs locales et le contexte environnemental montagnard. Ils peuvent être mobilisés politiquement en cas de besoin et constituent le support de ce que nous avons qualifié en introduction d’éco-histoire de l’idée républicaine en pays de montagne. En Dauphiné, le goût pour l’indépendance locale, appuyé sur un Moyen Âge partiellement mythifié, est stimulé à partir des années 1760 par l’exemple genevois. C’est au nom des antiques statuts d’Adhémar Fabri que Rousseau prétend contester l’organisation oligarchique de la cité de Calvin. Plusieurs Dauphinois sont témoins de ses combats et finissent même par y participer au nom de la liberté et de l’égalité. Mais la culture républicaine a aussi, en Dauphiné, ses propres racines qui renvoient au souvenir de l’antique royaume d’Arles que convoque, dès la fin du xviie siècle, le juriste Salvaing de Boissieu tant sur le plan juridique que sur le plan symbolique. L’histoire culturelle de la province de Dauphiné possède en un sens son rythme propre qui n’empêche pas une certaine intégration au royaume de France86. Cette dernière est symbolisée dans la culture régionale par le chevalier Bayard, modèle du preux médiéval égaré dans l’époque moderne. Le processus révolutionnaire initié en Dauphiné en 1788 ne rejette ni les statuts delphinaux, ni le souvenir du chevalier Bayard. Il les prolonge et les approfondit selon une logique qui n’a rien à voir avec la rhétorique du déracinement qu’a élaboré Maurice Barrès pour la province de Lorraine. En Dauphiné, la révolution, malgré son caractère d’indéniable rupture, s’enracine profondément dans l’histoire des libertés locales en s’inscrivant dans un temps cyclique qui n’est pas celui de la révélation du verbe. La monarchie restaurée ne parviendra pas, dans cette province, à déraciner le souvenir révolutionnaire en s’appuyant sur un médiévalisme romantique. En construisant, dans les années 1820, une fontaine aux quatre Dauphins sur la place Grenette et une statue du chevalier Bayard en face de l’ancien Parlement dauphinois, ne rendait-elle pas bien malgré elle un hommage au républicanisme des Montagnes ?

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Notes

1 François Walter, « La montagne des Suisses. Invention et usage d’une représentation paysagère (xviiie-xxe siècle) », Études rurales, no 121-1, 1991, p. 91‑107.

2 Sur le modèle montagnard dans l’œuvre de Rousseau, il existe déjà de nombreux travaux répertoriés par Ariane Revel à la page 349 de sa thèse de philosophie soutenue en 2017 sous la direction de Frédéric Gros à l’université de Paris-Est sous le titre « SI J’ÉTAIS PRINCE OU LÉGISLATEUR, JE NE PERDRAIS PAS MON TEMPS À DIRE CE QU’IL FAUT FAIRE… » Écriture philosophique et transformation politique en France, 1750-1780.

3 Jean-Loup Kastler, « De la révolution de Genève à la révolution en Dauphiné : existe-t-il des “révolutions montagnardes” ? », dans Ripensare la geopolitica delle rivoluzioni, dir. Pierre Serna et Paolo Conte, M.O.D.O., 2021.

4 Numa Broc, « Les Montagnes, vues par les géographes et les naturalistes de langue française au 18e siècle : Contribution à l’histoire de la géographie », thèse de 3e cycle sous la direction de M. Caltier, Montpellier, France, 1966.

5 Jean-Loup Kastler, « De la révolution de Genève à la révolution en Dauphiné… », art. cit.

6 Marc Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel, 1994, p. 618.

7 Michel Biard, Les lilliputiens de la centralisation : des intendants aux préfets, les hésitations d’un « modèle français », Seyssel (Ain), France, Champ Vallon, 2007.

8 Peter Linebaugh, The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All, Berkeley, University of California Press, 2008. L’ouvrage fait l’objet d’une traduction par les éditions Charles Leopold Meyer à la suite d’un projet éditorial né dans le cadre de la journée d’étude « Le Moyen Âge des Lumières : une révolution ? ».

9 Edward Palmer Thompson, La guerre des forêts. Luttes sociales de l’Angleterre du xviiie siècle, La Découverte, Traduction Christophe Jaquet, 2014.

10 Filippo Ranieri, « Les traductions françaises des Commentaires de William Blackstone à la fin du xviiie siècle Un chapitre de l’histoire de la découverte continentale de la common law anglaise », Revue d’Histoire du Droit 88, no I-23, 2020.

11 Edmond Dziembovski, La guerre de Sept Ans (1756-1763), Perrin, 2015.

12 François Vermale, « Les années de jeunesse de Mounier (1758-1787). Documents inédits », AHRF, 1939.

13 David Bien et Jeanine Rovet, « La réaction aristocratique avant 1789  : l’exemple de l’armée (suite) », Annales, no 29-2, 1974, p. 505‑534.

14 Jean-Louis Giraud-Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI depuis son mariage jusqu’à sa mort, Treuttel et Würtz, 1801, t. 2, p. 214.

15 Observations sur l’histoire de France, Collection complète des œuvres de Mably, t. 3, 1794, Desbriere, p. 543.

16 Pierre-Yves Beaurepaire, « À la rencontre du “Vertueux Sarmate”. Les relations maçonniques franco-polonaises au xviiie siècle », Noblesse française et noblesse polonaise : Mémoire, identité, culture xvie-xxe siècles [en ligne]. Pessac : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006 (consulté le 16 août 2021).

17 En ce qui concerne la lieutenance de police à Grenoble, l’article de référence est celui de Clarisse Coulomb, « Qui doit faire la police à Grenoble », dans Vincent Millot (dir.), Les Mémoires policiers paru aux PUR en 2006. Cet article permet de bien comprendre la spécificité grenobloise où la police est restée municipalisée à Grenoble jusqu’à la Révolution.

18 Jules Vuy, Origine des idées politiques de Rousseau, Trembley, Genève, 1889.

19 Archives d’État de Genève, Ms. Hist. 84.

20 Jeanne Ceitac, Voltaire et l’affaire des natifs. Un aspect de la carrière humanitaire du patriarche de Ferney, Droz, 1956, p. 46.

21 Michel Biard, Les lilliputiens de la centralisation…, op. cit.

22 Voir sur ce sujet notre mémoire de M2 sous la direction de Pierre Serna, conservé à la bibliothèque de l’IHRF.

23 Gaspard Bovier, Mémoire Justificatif, pour les citoyens de Genève, connus sous le nom de Natifs, p. 4-5.

24 Joël Cherbuliez, « Voltaire et les Natifs de Genève », Bibliothèque universelle de Genève, vol. 23, 1853, p. 441-462.

25 Archives de l’Intendance du Dauphiné sous l’administration de Monsieur De Fontanieu, Mémoires d’observations réalisés pendant ses tournées, Bibliothèque nationale de France, volume 8, Ms. Fr. 8475.

26 Gaspard Bovier fut l’hôte de Rousseau à Grenoble en 1768 et en fit le récit dans un manuscrit conservé à la BnF et publié à la fin du xixe siècle sous le titre Un document inédit sur le séjour de J.-J. Rousseau à Grenoble, Société de Vitry-le-François, 1899.

27 Gary Nash, The Urban Crucible: Social Change, Political Consciousness and the Origins of the American Revolution, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1979.

28 Anne Santamaria-Lemonde, « Non est enim potestas, nisi a Deo… Les fondements contractuels du pouvoir en Dauphiné à la lumière du Statut de 1349 », dans François Foronda (dir.), Avant le contrat social : le contrat politique dans l’Occident médiéval (xiiie-xve siècle), Casa de Velasquez, 2011, p. 291-326.

29 Jean Egret, Le Parlement et les affaires publiques du Dauphiné, Horvath, 1988.

30 Ce document, d’une très grande richesse, a servi de base à la rédaction de la plupart des histoires de la province produites au xixe siècle. Il était depuis considéré comme perdu. Nous avons eu la chance de le retrouver grâce à l’aide d’Antoine Duboys, lointain descendant de l’auteur, qui avait déposé les archives de son aïeul aux archives départementales de l’Isère où elles n’avaient pas pu être inventoriées.

31 Pierre Vaillant, Les libertés des communautés dauphinoises des origines au 5 janvier 1355, Société d’histoire du droit, 1951.

32 Jean-Pierre Moret de Bourchenu de Valbonnais, Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le nom de Dauphins, Fabri et Barillot, Genève, 1721, t. 2, p. 133.

33 Archives départementales de l’Isère, 303 J 13.

34 Lettre de MM. du clergé, de la noblesse, et autres notables citoyens de Grenoble, au roi, du 2 juillet 1788

35 Nous tenons à remercier ici l’historienne Sophie Wahnich pour nous avoir amené à réfléchir sur ce couple de notions, absolument nécessaire à une approche de la chose politique qui ne se limite pas à une histoire des institutions.

36 Voir à ce sujet l’excellente étude réalisée par Nicolas Minvielle-Larousse sous la direction d’Alain Belmont au sujet de la meunerie delphinale en Grésivaudan : Nicolas Minvielle Larousse, La meunerie Delphinale en Grésivaudan à la fin du Moyen-âge, 2009, p. 199 (vol. 1) et 144 (vol. 2).

37 Cette remarque, aussi anodine soit-elle, a des implications de temps long pour l’histoire culturelle de la province de Dauphiné. L’identification de la communauté rurale à la paroisse y est vraisemblablement moins forte que dans de nombreux départements. L’encadrement de l’éducation par le clergé en fait nécessairement les frais. Sur le sujet du moulin comme fondement de l’identité des communautés humaines, on lira à profit les articles issus de la polémique entre Paul Viollet et Maurice Thévenin à ce sujet à la fin du xixe siècle.

38 Le rôle des aménagements hydrauliques dans l’organisation des communautés rurales a déjà été souligné par les travaux de Robert Netting et Elinor Ostrom sur la communauté helvétique de Torbel. Cependant, ces derniers reconnaissent que ces usages ne commencèrent à être fixés par écrit qu’à la fin du xve siècle. Il semble donc que le statut delphinal jouisse en la matière d’une primauté chronologique sur tous les exemples connus à ce jour.

39 Anne Lemonde, « Non est enim potestas, nisi a Deo... », art. cit.

40 La seule exception connue à l’application systématique de ces principes est un jugement du Parlement de Grenoble en date du 8 février 1751 en faveur de la famille du président dudit Parlement dans la vallée d’Allevard, où il exerçait une activité de forge. Ce document, perdu puis retrouvé par l’érudit local Dominique Voisenon, est considéré comme exceptionnel par le service des archives départementales de l’Isère (AM580). Il n’a pas fait jurisprudence pour le reste de la province.

41 Recueil des actes et déclaration de Roy... concernant le Dauphiné, tome troisième, Giroud, Grenoble, 1720, p. 160.

42 Archives départementales de l’Isère, 2C785.

43 Ces considérations viennent confirmer le caractère déterminant des questions environnementales dans la politisation des sociétés européennes à la fin du xviiie siècle mis en évidence par Pierre Serna pour la question animale.

44 Bibliothèque d’Études de Grenoble, R6093.

45 Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations. Genèse d’une politique publique du xviie au xxe siècle, Éditions Quae, 2008, p. 168 Nous ajoutons simplement un petit correctif aux informations très précises disponibles dans cet ouvrage à ce sujet : à la date des faits mentionnés, ce ne peut être que la marquise de Sassenage et non pas son époux qui entreprend les négociations à ce sujet.

46 Sur ce sujet, on pourra consulter les contributions d’Anne Lemonde et René Verdier pour le numéro de la revue La Pierre et l’Écrit paru en 2020, mais aussi le recueil des actes du colloque dirigé par René Favier en 2002 et intitulé Les Pouvoirs publics face aux risques naturels dans l’histoire.

47 Jean-Pierre Duport-Lavillette, Questions de droit, vol. 3, Viallet, 1829, p. 173. Il s’agit là d’une synthèse dédiée au droit de l’eau en Dauphiné avant la Révolution par l’un des plus grands juristes de la province.

48 Soulignons ici que le Dauphiné n’est pas la seule région d’Europe où le droit romain a pu servir dès le Moyen Âge à défendre l’eau comme bien commun. C’est aussi le cas en Catalogne avec les Usatges de Barcelona (1213) ou les Costums de Tortosa (1272) comme nous l’a confirmé l’historienne Patriacia Zambrana Moral.

49 Code Théodosien, 14.15.4.

50 Code Théodosien, 15.3.4.

51 Amédée Pierre Jules Pictet de Sergy, Genève : origine et développement de cette République : Genève monarchique et Genève épiscopale, Gruaz, 1845, p. 207.

52 Martin Aurell, Jean-Paul Boyer et Noël Coulet, La Provence au Moyen âge, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2005.

53 Ronald G. Witt, The Two Latin Culture and the Foundation of Renaissance Humanism in medieval Italy, Cambridge University Press, 2012, p. 338.

54 Sur la manière dont les institutions communales émergent à Arles dans l’ombre du pouvoir épiscopal et en réaction au pouvoir épiscopal, on pourra consulter l’article de Clarisse Coulomb de ce numéro.

55 Élie Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au xviiie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1927 ; Jacques de Saint-Victor, Les racines de la liberté : le débat français oublié, Paris, France, Perrin, 2007 ; Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique : Montesquieu, Comte, Marx, Tocqueville, Durkheim, Pareto, Weber, Paris, Gallimard, 1967 ; Louis Althusser, Montesquieu : la politique et l’histoire, Paris, Presses universitaires de France, 1959.

56 Elle n’aurait donné aucun privilège particulier à ceux qui s’en revendiquaient.

57 Thérèse Sclafert, Le Haut Dauphiné au Moyen Âge, Paris, Société anonyme du Recueil Sirey, 1926.

58 Il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’érudit Jules Vuy qui a exhumé cette thèse à la fin du xixe siècle ait été lui-même un Genevois catholique.

59 Jean-Loup Kastler, « L’écologie des Lumières de Michel-Antoine Servan et l’image de la montagne  : une déclinaison originale du concept mesmérien d’harmonie universelle  ? », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, no 24, 2023.

60 Anne Lemonde, « Les fondements contractuels du pouvoir en Dauphiné à la lumière du Statut de 1349 », dans François Foronda (dir.), Avant le Contrat social. Le contrat politique dans l’occident médiéval, xiiie-xve siècle, Éditions de la Sorbonne, 2011.

61 Nathalie Zemon-Davies, « Les femmes et le monde des Annales », Tracés, no 32, 2017.

62 Nadine Vivier, « La “république des escartons”, entre Briançonnais et Piémont (1343-1789) », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 114, no 240, 2002.

63 Marc Bloch, « Quelques études récentes sur l’histoire économique et sociale de l’ancienne France », Revue de synthèse historique, vol. 43, 1927.

64 Charles Petit-Dutaillis, Les Communes françaises, caractères et évolution des origines au xviiie siècle, Paris, A. Michel, 1947.

65 René Favier, « Les villes du Dauphiné aux xviie et xviiie siècles », thèse d’État, université Lumière, Lyon, France, 1991.

66 Clarisse Coulomb, « Qui doit faire la police à Grenoble ?  : Autour du mémoire de P.-J. Vallet, Les sieurs Consuls ne doivent point se mêler de la police, 1759 », dans Vincent Milliot (dir.), Les mémoires policiers, 1750-1850  : Écritures et pratiques policières du siècle des Lumières au Second Empire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 67‑85.

67 Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations…, op. cit., figure 18.

68 Ibid., p. 170.

69 Archives nationales, T334 A-B1.

70 Cette remarque ne fait que confirmer le constat réalisé par Nadine Vivier pour les communaux en général dans son étude magistrale intitulé Propriété collective et identité communale : les biens communaux en France (1750-1914).

71 Il nous semble de ce point de vue que les révoltes liées à l’eau méritent un traitement spécifique au sein de ce que Jean Nicolas a appelé la « rébellion française ».

72 Archives nationales, BA 14, États Généraux, Arles.

73 Jacques Godechot, « Les municipalités du Midi avant et après la Révolution », Annales du Midi, 1972.

74 Philippe Guignet, « Le Pouvoir dans la ville au xviiie siècle : étude comparative de part et d’autre de la frontière “gallo-belge” », thèse de doctorat d’État, université Charles de Gaulle, Lille, France, 1988.

75 Emmanuel-Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État, troisième édition, 1789, p. 17.

76 Roch de Pelissery, Banque municipale nécessaire à toutes les villes de commerce de la France, Gattey, 1792.

77 Manon Rolland, Mémoires, t. VIII, Firmin Didot, 1847, p. 281.

78 Jacques Guilhaumou, Marseille républicaine (1791-1793), Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992.

79 Michel Vovelle, « La place de Nîmes dans les révolutions méridionales », AHRF, 1984.

80 Recueil des actes et déclaration de Roy... concernant le Dauphiné, op. cit., p. 163.

81 Laurent Brassart, « La République à l’épreuve de l’ordinaire et de l’exception : État-Nation, pouvoirs locaux et comportements collectifs dans le département de l’Aisne, 1792-1795 », thèse de doctorat, université Charles de Gaulle, Lille, France, 2007.

82 Florent Robin, Les représentants en mission dans l’Isère. Chronique d’une terreur « douce » (1793—1795), Paris, ADHE, 2002.

83 Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.

84 Jean Sgard, Les Trente Récits de la journée des tuiles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble , 1988

85 Jacob Levy, « Montesquieu’s Constitutional Legacies », dans Rebecca Kingston (dir.), Montesquieu and his legacy, Albany, États-Unis d’Amérique, SUNY Press, 2008, p. 115-138.

86 Paolo Viola, Il crollo dell’Antico Regime : politica e antipolitica nella Francia della Rivoluzione, Roma, Italie, Donzelli, 1993.

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Légende Tableau : Recomposition des dépenses des Ponts et Chaussées d’après les états au vrai et les états de la commission intermédiaire (1769-1789)67
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Loup Kastler, « Aux sources médiévales et révolutionnaires du « républicanisme montagnard » des Lumières (1767-1788) »La Révolution française [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 28 novembre 2023, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/lrf/8159 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lrf.8159

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