La difficile application des lois sur la sûreté publique sous le Directoire
Résumés
Dans un contexte de menaces persistantes, assurer la sûreté publique représente un enjeu majeur pour les autorités sous le Directoire. En témoignent les nombreuses lois de sûreté publique votées, dont il faut pourtant questionner l’application dans les espaces ruraux. L’article prend pour terrain d’études deux départements bourguignons, la Saône-et-Loire et l’Yonne. L’application de la loi constitue un défi complexe dans ces territoires qui sont traversés par des tensions constantes, mais dotés de peu de moyens humains pour assurer la sûreté publique. Alors que certaines communes prennent des initiatives zélées, mais outrepassant la lettre de la loi, d’autres sont dépassées par l’application d’une loi inadaptée aux réalités locales. Le poids des circonstances doit enfin être interrogé : suite au coup d’État de fructidor an V, alors que les exigences de contrôle sont renforcées, les difficultés des autorités locales à appliquer la loi perdurent et les tensions restent vives.
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- 1 Alors que les révolutionnaires de 1789 avaient eu pour intention de supprimer une police vue comme (...)
- 2 Pour Paris, voir Vincent Denis, Policiers de Paris : les commissaires de police en Révolution, 1789 (...)
1Au début du Directoire, la gestion de la sûreté publique connaît une transformation importante, dans la mesure où, à la suite de la fermeture des comités de surveillance et des sociétés populaires, les fonctions de surveillance « au ras du sol » sont en grande partie ôtées des mains des citoyens ordinaires pour être confiées à des acteurs ayant une fonction plus « institutionnelle »1. Alors qu’à Paris, les forces de police poursuivent un processus de professionnalisation et tendent à devenir des agents de l’État sous le Directoire, la situation est fort différente dans les départements ruraux, qui sont loin d’être dotés de moyens policiers importants et centralisés2. Dans bien des endroits, le rôle de la garde nationale diminue et ce sont les élus locaux, ainsi que d’autres acteurs comme les gardes champêtres, qui doivent assurer des fonctions policières au quotidien.
- 3 Le syntagme de sûreté publique, dont l’acception reste encore floue sous le Directoire, peut être e (...)
- 4 Philip Dwyer, « Introduction », dans Philip G. Dwyer (dir.), Napoleon and Europe, Harlow/New York, (...)
2Dans un contexte de guerre persistante, la surveillance préventive reste pourtant perçue pendant tout le Directoire comme un enjeu essentiel pour assurer l’ordre public. Si le terme de « suspect » n’est plus couramment utilisé, les cibles des mesures de sûreté publique demeurent assez similaires à celles des années précédentes : les prêtres réfractaires, les émigrés, les individus professant des opinions royalistes, concentrent la suspicion et les mesures de surveillance3. L’objectif des lois de sûreté publique mises en œuvre sous le Directoire (qu’elles soient ordinaires ou d’exception) est d’assurer la paix, la stabilité et le retour à l’ordre, ainsi que le contrôle de l’opinion publique. Ces mesures peuvent ainsi s’intégrer, si l’on suit une piste ouverte par Philip Dwyer, dans un processus de réconciliation plus que de répression4. L’adhésion des Français à ces objectifs implique qu’ils consentent à l’idée que surveillance et répression sont des maux nécessaires, acceptables dès lors qu’elles demeurent modérées.
- 5 Michel Verpeaux, La naissance du pouvoir réglementaire, 1789-1799, Paris, Presses universitaires de (...)
- 6 Dans le sillage de l’école historiographique sur la police du xviiie siècle portée notamment par Vi (...)
- 7 Il faut saluer particulièrement les articles séminaux de Bernard Gainot sur ces questions d’ordre p (...)
- 8 Bernard Gainot, « Le contrôle de l’espace… », art. cité. Comme la Saône-et-Loire, l’Yonne a fait l’ (...)
3Le fait d’envisager comment, sous le Directoire, les lois de sûreté publique élaborées par les législateurs sont mises en œuvre sur le terrain, s’inscrit dans un questionnement récemment ouvert sur le sujet de l’exécution de la loi en Révolution, qui a démontré la complexité de l’application des lois révolutionnaires5. Alors que les études sur le maintien de l’ordre dans les grandes villes, et particulièrement à Paris, sont de plus en plus nombreuses6, peu de travaux se sont penchés sur les départements ruraux, qui correspondent pourtant souvent à des espaces de tensions traversés par des forces contre-révolutionnaires, sources de révoltes potentielles et donc de menace pour la survie du régime révolutionnaire7. Cet article fait justement le choix de placer la focale sur deux départements bourguignons, la Saône-et-Loire et l’Yonne, choisis spécifiquement pour leur situation géographique caractérisée par l’éloignement des espaces sensibles des côtes et des frontières comme de la capitale. Ces départements sont en revanche situés sur l’axe stratégique Paris-Lyon, un espace de circulation d’hommes, de marchandises et d’informations « essentiel à l’unité nationale »8. Pour autant, si l’on s’éloigne de cette route principale, il s’agit de régions rurales périphériques, de terres souvent peu traversées par les idées révolutionnaires, où l’attachement aux traditions reste fort.
4En l’absence d’un dispositif de maintien de l’ordre important dans ces départements ruraux, ce sont les autorités locales, à plusieurs échelles, qui doivent concrétiser les injonctions du pouvoir central en matière de sûreté publique en les adaptant à la spécificité de leur espace d’action. Notre étude envisagera d’abord les difficultés de l’application de ces lois par des acteurs locaux. Comment, dans des espaces éloignés du pouvoir et traversés par des tensions locales persistantes, parvenir à exécuter la loi de la République, par nature uniforme et universelle, avec peu de moyens humains et financiers ? C’est l’efficacité même des lois qui s’en trouve questionnée. Dans un second temps, nous placerons la focale sur un des moments de crise politique que connaît le Directoire, celui consécutif au coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Dans un contexte de péril perçu pour l’État révolutionnaire, les autorités supérieures exigent en effet de leurs subalternes une application renforcée des lois et une lutte efficace contre toute menace à la sûreté publique. Alors que ce « second Directoire » a été traditionnellement perçu par l’historiographie comme l’avènement d’une véritable « terreur directoriale », il s’agira de réévaluer l’impact des mesures d’exceptions prises le 19 fructidor en cherchant à comprendre si le dispositif de surveillance connaît ou non un réel bouleversement dans les départements bourguignons et si l’idée de « terreur » n’est pas un fantasme à oublier.
Les défis de l’application des mesures de sûreté publique à l’échelle départementale et municipale
- 9 Ce tableau ne prend pas en compte les nombreuses circulaires ministérielles relatives à la sûreté p (...)
5Les lois et arrêtés pris pendant le Directoire afin d’assurer la sûreté publique, en ville comme dans les campagnes, sont présents en nombre dans la collection Baudouin. Le tableau ci-dessous recense les textes législatifs qui concernent la sûreté publique entre 1795 et 17999.
Date |
Équivalence |
Titre de la loi |
7 vendémiaire an IV |
29 septembre 1795 |
Loi sur la police des cultes |
10 vendémiaire an IV |
2 octobre 1795 |
Loi sur la police intérieure des communes |
3 brumaire an IV |
25 octobre 1795 |
Décret qui exclut jusqu’à la paix, de toutes fonctions publiques, les provocateurs ou signataires de mesures séditieuses & contraires aux lois, les individus inscrits & non rayés sur la liste des émigrés, & les parens des émigrés, & c. |
4 frimaire an IV |
25 novembre 1795 |
Loi contenant des mesures pour empêcher la désertion |
8 frimaire an IV |
29 novembre 1795 |
Arrêté du Directoire exécutif, qui ordonne la stricte exécution des lois relatives aux émigrés dans les départemens troublés par les chouans |
7 pluviôse an IV |
27 janvier 1796 |
Arrêté du Directoire exécutif qui ordonne la formation d’un état par commune de tous les individus rentrés sur le territoire de la République après l’avoir quitté |
25 pluviôse an IV |
14 février 1796 |
Arrêté du Directoire concernant la police des spectacles |
27 ventôse an IV |
17 mars 1796 |
Loi concernant les personnes arrivées à Paris, depuis le premier fructidor, an troisième, & celles qui arriveront par la suite |
2 germinal an IV |
22 mars 1796 |
Arrêté du Directoire exécutif, concernant des mesures relatives à l’exécution des lois |
5 germinal an IV |
25 mars 1796 |
Arrêté du Directoire exécutif qui en approuve un du ministre de la police générale, relatif aux demandes en radiation de la liste des émigrés |
8 germinal an IV |
28 mars 1796 |
Décret par lequel le même conseil déclare ne pouvoir approuver la résolution du premier de ce mois relative aux passe-ports des étrangers |
27 germinal an IV |
16 avril 1796 |
Loi portant des peines contre toute espèce de provocation à la dissolution du gouvernement républicain, tout crime attentatoire à la sûreté publique individuelle |
4 floréal an IV |
23 avril 1796 |
Arrêté du Directoire exécutif concernant le mode d’application des lois sur les émigrés de France à ceux trouvés dans les départemens réunis le 9 vendémiaire an 4, au territoire de la république |
21 floréal an IV |
10 mai 1796 |
Loi contenant des mesures pour assurer la liberté & la tranquillité publique |
5 prairial an IV |
24 mai 1796 |
Loi additionnelle à celle du 21 floréal, contenant des mesures pour assurer la liberté & la tranquillité publique |
9 fructidor an IV |
26 août 1796 |
Décret par lequel le conseil des anciens déclare ne pouvoir adopter la résolution qui ordonne l’exécution des lois contre les prêtres insermentés |
11 fructidor an IV |
28 août 1796 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents pour demander au directoire exécutif des renseignemens sur le nombre des prêtres reclus pour défaut de prestation de serment |
23 frimaire an V |
13 décembre 1796 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, relatif aux radiations de la liste des émigrés |
9 pluviôse an V |
28 janvier 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, pour obtenir un état par département, des individus rayés de la liste des émigrés, & de ceux en réclamation |
18 pluviôse an V |
6 février 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, pour obtenir des renseignemens sur la situation de la république & sur la liste des émigrés |
20 pluviôse an V |
8 février 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, pour demander compte des mesures prises pour l’exécution des lois contre les prêtres déportés qui sont rentrés en France, ou qui se sont soustraits à la déportation |
29 pluviôse an V |
17 février 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, sur le message du Directoire exécutif envoyant des pièces, relatives aux troubles que les prêtres élèvent |
30 pluviôse an V |
18 février 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, relatif aux pièces envoyées par le Directoire exécutif, concernant les troubles excités par les prêtres |
26 floréal an V |
15 mai 1797 |
Loi contre les brigandages & les violences qui se commettent dans plusieurs parties de la république |
26 floréal an V |
15 mai 1797 |
Arrêté du Directoire exécutif, qui ordonne aux prêtres des départemens réunis de se conformer aux lois des 17 juillet 1791 & 7 vendémiaire an IV, & aux autorités constituées de dénoncer & de poursuivre, conformément à ces lois, ceux qui y contreviendront |
5 prairial an V |
24 mai 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, relatif aux prêtres reclus |
9 prairial an V |
28 mai 1797 |
Loi qui rapporte la loi du 21 floréal, contenant des mesures de sûreté générale |
11 messidor an V |
29 juin 1797 |
Loi qui rapporte l’article II de la loi du 21 floréal an IV contenant des mesures de sûreté publique |
7 fructidor an V |
24 août 1797 |
Loi qui rapporte celles rendues contre les prêtres insermentés |
19 fructidor an V |
5 septembre 1797 |
Loi contenant des mesures de salut public prises relativement à la conspiration royale |
3e jour complémentaire an V |
19 septembre 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents, relatif aux exceptions demandées à l’article XV de la loi du 19 fructidor |
5e jour complémentaire an V |
21 septembre 1797 |
Arrêté du Conseil des Cinq-Cents relatif au message du Directoire exécutif, sur les exceptions demandées à l’article X de la loi du 19 fructidor |
28 vendémiaire an VI |
19 octobre 1797 |
Loi concernant les passe-ports qui doivent être délivrés aux citoyens français ou étrangers |
18 brumaire an VI |
8 novembre 1797 |
Arrêté du Directoire exécutif, qui ordonne la formation dans les départemens réunis de tableaux nominatifs des prêtres qui ont ou n’ont pas prêté le serment prescrit par la loi du 15 fructidor an 5 |
22 brumaire an VI |
12 novembre 1797 |
Loi qui conserve les deux cents brigades de la gendarmerie dans les départemens réunis, & détermine leur organisation |
29 nivôse an VI |
18 janvier 1798 |
Loi contenant des dispositions pénales contre les vols commis à force ouverte, ou par violence, sur les routes et voies publiques, et dans les maisons habitées avec effraction extérieure ou escalade |
9 ventôse an VI |
27 février 1798 |
Arrêté relatif aux prêtres insoumis |
11 ventôse an VI |
1er mars 1798 |
Arrêté relatif aux individus inscrits sur la liste des émigrés, et qui n’ont pas quitté le territoire de la République |
28 germinal an VI |
17 avril 1798 |
Loi relative à l’organisation de la gendarmerie nationale |
17 messidor an VI |
5 juillet 1798 |
Arrêté du Directoire exécutif, relatif aux sommes à payer à tous citoyens qui auront dénoncé, saisi et arrêté des émigrés |
18 messidor an VI |
6 juillet 1798 |
Loi qui ordonne des visites domiciliaires, pour l’arrestation des agens de l’Angleterre, des émigrés rentrés, des prêtres déportés rentrés, ou sujets à la déportation |
4 brumaire an VII |
25 octobre 1798 |
Arrêté relatif à une rébellion qui a éclaté dans une partie des départemens réunis |
19 brumaire an VII |
9 novembre 1798 |
Loi relative aux individus qui se sont soustraits à la déportation prononcée contre eux par la loi du 19 fructidor an 5, et en vertu de celle du 22 du même mois |
6 germinal an VII |
26 mars 1799 |
Arrêté concernant différentes mesures de sûreté publique |
18 prairial an VII |
6 juin 1799 |
Loi contenant une adresse au peuple français sur la situation intérieure et extérieure de la République |
11 messidor an VII |
29 juin 1799 |
Loi contenant une adresse au Peuple français, sur la situation intérieure et extérieure de la République |
24 messidor an VII |
12 juillet 1799 |
Loi relative à la répression du brigandage et des assassinats dans l’Intérieur |
24 messidor an VII |
12 juillet 1799 |
Loi contenant une adresse au peuple français, sur le danger des dissentions civiles |
24 thermidor an VII |
11 août 1799 |
Loi qui autorise le Directoire exécutif à faire faire des visites domiciliaires |
14 fructidor an VII |
31 août 1799 |
Loi qui autorise le Directoire exécutif, lorsqu’un département sera déclaré en état de troubles civils, à y faire établir un conseil de guerre pour juger les délits dont la connoissance est attribuée aux Conseils de guerre |
4 vendémiaire an VIII |
26 septembre 1799 |
Décret par lequel le Conseil des Anciens déclare ne pouvoir adopter la résolution concernant les étrangers et individus se disant Français |
- 10 Le tableau a été fait au moyen d’une recherche dans la collection Baudouin, avec les mots clés « sû (...)
Figure 1 : Tableau recensant les lois et arrêtés du Directoire concernant la sûreté publique (source : collection Baudouin10).
6Cinquante-et-une lois ou arrêtés peuvent ainsi être recensés. Si ces textes sont promulgués tout au long du Directoire, ils le sont très majoritairement dans les deux premières années (l’an IV et l’an V).

Figure 2 : Évolution chronologique des lois et arrêtés relatifs à la sûreté publique sous le Directoire (source : collection Baudouin)
7Ces textes ont des vues similaires : empêcher les menées contre-révolutionnaires ou jacobines et contrôler l’opinion publique. En témoigne par exemple l’arrêté du Directoire exécutif du 2 germinal an IV (22 mars 1796) « concernant des mesures relatives à l’exécution des lois », qui affirme dès le préambule « qu’il importe au maintien de la tranquillité publique, à la sûreté des personnes & des propriétés, de surveiller les individus dont la présence seule est un crime ou un danger pour le lieu qui les recèle » et qui souhaite « activer le zèle des fonctionnaires publics » à cet égard. L’arrêté proclame que « les administrations municipales sont tenues, sous leur responsabilité, de surveiller & faire arrêter, par tous les moyens mis à leur disposition, les émigrés, les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion, les déserteurs, les vagabonds & les gens sans aveu ».
- 11 La loi du 11 prairial an III (30 mai 1795) par exemple, réactivée par la loi du 7 vendémiaire an IV (...)
- 12 Archives départementales de l’Yonne (AD89 dans la suite) L209, lettre de l’administration centrale (...)
- 13 Lois des 22 nivôse, 22 germinal, 26 floréal, 22 prairial et du 4e jour complémentaire de l’an III ( (...)
8Certaines lois de la Convention sont réactivées dans la période de transition entre la fin de la Convention thermidorienne et le début du Directoire, notamment celles concernant les prêtres déportés11, auxquelles s’adjoint la loi du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795) sur la police des cultes – qui fait également enlever les signes religieux présents dans l’espace public et règlemente les sonneries des cloches, qui ne doivent plus inviter au culte, mais servir à appeler à « des objets d’utilité publique », comme au réveil des vignerons12. Les lois encadrant le retour des émigrés à partir de l’an III restent aussi en vigueur13. D’autres lois sont prises dès cette période inaugurale du nouveau régime directorial, comme la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) « sur la police intérieure des communes », qui met l’accent sur le contrôle des passeports et permet l’arrestation de vagabonds ou de gens sans aveu, ou celle du 27 germinal an IV (16 avril 1796) qui « porte des peines contre toute espèce de provocation à la dissolution du gouvernement, et tout crime attentatoire à la sûreté publique et individuelle » qui serait commis par des « agens du royalisme et de l’anarchie », qui attiseraient la discorde « par leurs discours ou par leurs écrits imprimés ».
- 14 Le ministre de la Police Cochon tente, dans une circulaire du 27 vendémiaire an V (18 octobre 1796) (...)
- 15 Les sources mobilisées pour cet article sont issues principalement de la sous-série « police – espr (...)
9Cependant, l’exécution de ces lois sur le terrain ne va pas de soi. En premier lieu, leur bonne application se heurte aux difficultés des autorités départementales et municipales, à parvenir à s’orienter dans des lois nombreuses et régulièrement ajournées14. C’est l’administration centrale du département qui a pour rôle de prendre des arrêtés afin d’en déterminer les modalités d’application, d’expliquer aux municipalités comment les exécuter, puis de vérifier la bonne exécution de ces lois par les communes de sa circonscription15. Elle doit aussi exhorter les administrations municipales à faire preuve de zèle, comme le font les administrateurs du département de l’Yonne, en germinal an IV, insistant sur la permanence de la menace des « agens de l’étranger » dans une lettre adressée aux municipalités icaunaises :
- 16 AD89 L209, Lettre des administrateurs du département de l’Yonne du 5 germinal an IV (25 mars 1796), (...)
Les dangers de la patrie, citoyens, vous imposent l’obligation d’une surveillance plus exacte que jamais. Nos ennemis redoublent d’audace et d’intrigues, leurs émissaires circulent dans la république, ils sèment la discorde, la famine, la calomnie et l’assassinat. [...] Nous vous le disons avec le ministre, nous sommes dans des circonstances où il est important de veiller ; un instant de sommeil serait, pour nous l’instant de la mort16.
- 17 AD71 1L 8 39, lettre du ministère de la Police générale Duval au Commissaire du Directoire exécutif (...)
- 18 En attestent de nombreuses lettres conservées en AD71 1L 8 39, notamment la lettre du commissaire d (...)
- 19 AD89 L214, lettre du département de l’Yonne à l’agent municipal de la commune de l’Isle sur Serein, (...)
- 20 AD71 1L 8 39, lettre du ministère de la Police générale Duval au Commissaire du Directoire exécutif (...)
- 21 AD89 L210, circulaire de l’administration du département de l’Yonne aux administrations municipales (...)
10Secondée par les municipalités, l’administration départementale doit notamment organiser des recherches précises d’émigrés rentrés en France illégalement17 et faire surveiller la conduite, la fréquentation, la correspondance, des émigrés rentrés légalement et radiés18 ou des prêtres déportés19, ainsi que des personnes qui seraient susceptibles d’être leurs complices20. Les autorités départementales exigent également des municipalités qu’elles redoublent de surveillance quand les circonstances extérieures laissent attendre un afflux d’émigrés. C’est le cas après la signature des préliminaires de paix en l’an V, où l’administration départementale de l’Yonne exhorte les municipalités à « l’exécution scrupuleuse des dispositions de la loi du 10 vendémiaire an IV » et à ne « négliger aucun moyen pour [...] assurer dans cette circonstance l’ordre et la tranquillité publique »21.
- 22 AD89 209, Extrait du procès-verbal d’une séance de l’administration municipale du canton de Neuvy, (...)
- 23 C’est le cas pour les départements bourguignons étudiés, mais aussi ailleurs. Ainsi, dans les Haute (...)
11Si ces autorités sont tenues d’appliquer la loi au plus près de sa lettre, elles doivent également fournir au pouvoir central des statistiques prouvant la réussite locale de son exécution. La loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) impose par exemple aux communes de tenir un tableau pour chaque décade, en y inscrivant, entre autres, la totalité des passeports délivrés. C’est ensuite au département de centraliser les statistiques reçues des municipalités et de les faire remonter au pouvoir central22. Le travail de collecte d’informations et de remplissage de ces statistiques constitue une lourde charge exigée depuis Paris, mais qu’il est souvent bien malaisé de fournir, dans la mesure où les élus locaux accomplissent leurs tâches électives et administratives à la fin de leurs longues journées de travail aux champs, dans un temps nécessairement restreint23.
- 24 Notamment, AD89 L209, lettre du canton de Druyes au président de l’administration du département de (...)
- 25 AD89 L209, lettre des membres de l’administration municipale de Saint-Fargeau aux citoyens administ (...)
- 26 Ibid., et AD89 L213, lettre de l’administration municipale du canton d’Hey à l’administration centr (...)
12Les difficultés s’accroissent en outre quand la majorité des habitants n’est pas clairement en faveur de ces mesures. Dans l’Yonne, comme dans de nombreux autres départements, l’influence royaliste reste notable dans plusieurs localités. Les municipalités, à qui le département demande en l’an IV de répondre à treize questions concernant l’esprit public dans leur canton, sont nombreuses à révéler la forte influence des prêtres sur les habitants24. La municipalité de Saint Fargeau déplore ainsi en prairial an IV (juin 1796) que « la malveillance et le fanatisme veillent et conspirent sans relâche, souvent les lois sont violées, les patriotes vexés, et les autorités constituées peu respectées »25. Dans plusieurs communes, les prêtres ou d’autres individus poussent les habitants à commettre de petits actes délictueux à forte valeur symbolique : couper ou abîmer les arbres de la liberté (des actions particulièrement fréquentes), sonner les cloches sans permission, agresser des individus « patriotes », ou faire jouer des pièces de théâtre contre-révolutionnaires26. Les espaces ruraux, même dans des zones non frontalières et donc peu « sensibles », constituent donc des espaces de micro-conflictualité permanente, ce qui met en péril la parfaite application des lois écrites et votées par les législateurs parisiens.
13Dès lors, les autorités centrales (notamment les ministres de la Police ou de l’Intérieur, qui écrivent de fréquentes lettres de rappel à l’ordre au département) attendent des agents municipaux et départementaux qu’ils exercent une surveillance tatillonne de l’opinion publique, afin de brider l’influence des royalistes et de prévenir tout mouvement populaire séditieux. Il faut pourtant questionner l’ampleur des forces humaines chargées d’exercer la surveillance exigée depuis le sommet. En l’an IV, les administrateurs du département de l’Yonne appellent à un renforcement de la surveillance, en demandant aux communes de mobiliser à la fois les gardes nationaux et les gendarmes :
- 27 AD89 L209, lettre des administrateurs du département de l’Yonne aux commissaires du pouvoir exécuti (...)
Donnez l’éveil aux gardes nationales, aux compatriotes sûrs et éprouvés, de manière qu’il ne passe aucun voiageur qui ne vous soit amené pour examiner la personne et viser son passeport au terme de la loi du 10 vendémiaire dernier. [...] Envoyez sur-le-champ aux officiers de gendarmerie nationale [...] l’ordre de faire surveiller sur les routes et dans l’intérieur des communes, tous les voyageurs et les étrangers27.
- 28 AD89 L209, réponses du canton de Chablis aux questions faites par le département dans la lettre du (...)
- 29 AD89 L209, lettre de l’administration du canton de Druyes au président de l’administration du dépar (...)
- 30 Voir aussi Bernard Gainot, « Le contrôle de l’espace… », art. cité ; et AD89 L209, réponses du cant (...)
- 31 Ibid. Ces difficultés, qui ne sont pas des particularités des départements bourguignons, sont connu (...)
- 32 AD89 L209, réponse de l’administration municipale du canton de Châtelcensoir à l’administration du (...)
14Pourtant, les difficultés de terrain sont indéniables. Au début du Directoire, l’Yonne et la Saône-et-Loire sont quasiment dépourvues de forces de l’ordre constituées. La garde nationale est, dans nombre de cantons, « entièrement dissoute » et les municipalités peinent à recruter de nouveaux gardes nationaux, les citoyens s’y dérobant sous des prétextes divers, comme la moisson28. Les gendarmes, également, sont « trop disséminés » et « à beaucoup de distance les uns des autres »29. Par conséquent, leurs tournées sont rares et peu efficaces, surtout dans les espaces de « marche » éloignés des grands axes de communication30. Plusieurs municipalités déplorent ce manque, en suggérant d’instaurer un détachement de gendarmerie dans chaque chef-lieu de canton31. Le canton de Châtelcensoir, situé tout au Sud de l’Yonne, se dit par exemple « éloigné de trois lieues de tout dépôt de gendarmerie et les chemins qui conduisent auxdits dépôts sont impraticables la moitié du temps. Quant au service que fait dans ce canton la gendarmerie qui est à Vézelay, l’administration atteste que cette gendarmerie ne fait dans aucune circonstance de visite sur le territoire, et qu’elle n’y parroit jamais qu’elle n’y soit mandée extraordinairement »32. Le canton de Châtelcensoir est un exemple représentatif des espaces de marge où la visibilité du pouvoir révolutionnaire et de ses lois reste faible – en dépit même des principes révolutionnaires d’égalité et de connaissance de la loi par tout citoyen.
- 33 AD89 L210, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, (...)
- 34 AD89 L210, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, (...)
- 35 AD89 L209, lettre du ministre de l’Intérieur à l’administration départementale de l’Yonne, 24 frima (...)
- 36 AD89 L209, lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy à ce (...)
15En l’an V, le département de l’Yonne avoue également que dans la gendarmerie de son département, « la disette d’hommes, l’indiscipline, et il faut le dire, l’esprit de parti qui s’est introduit partout ont un peu désorganisé ce corps, et empêchent que son service se fasse avec l’activité et la sûreté qui caractérisaient autrefois celui de la maréchaussée »33. Soucieux de ne pas attiser les tensions avec les habitants, l’administration du département propose même au ministre de la Police, en messidor an V (juillet 1797), de ne pas faire stationner dans le département de force armée « pour y assurer la tranquillité publique », ce stationnement étant un gros fardeau financier pour les habitants, qui pourrait attiser les mécontentements et « enhardir les partisans de l’anarchie »34. Assurer le maintien de l’ordre et la tranquillité publique passe donc par le choix de ne pas positionner de troupes dans certaines zones : ce constat permet de questionner la spécificité de la gestion des espaces ruraux, où l’autorité publique doit parfois paradoxalement se faire discrète pour mieux être acceptée – contrairement aux espaces urbains où les acteurs de la force publique peuvent se montrer, de manière ostentatoire, en uniforme. S’il s’agit d’identifier les auteurs de rumeurs ou de mécontentement, prudence et modération apparaissent également nécessaires pour éviter toute flambée de violence populaire. Ainsi, en frimaire an IV, la lutte contre les rumeurs néfastes relatives aux assignats, objets d’un fort discrédit de la part de la population rurale de l’Yonne (beaucoup de manouvriers refusent de travailler à moins d’être payés en numéraire ou en denrées), doit s’accompagner de souplesse, comme le préconise le ministre de l’Intérieur lui-même : « Si quelques moyens de sévérité paroissent devoir être mis en usage, pour faire renaître l’ordre, et remettre tout à sa place, usés [sic] en, citoyens administrateurs ; mais alliés [sic] toujours la prudence à la sévérité35 ». La même prudence est demandée face aux menées royalistes : l’enjeu, plusieurs fois répété, est d’éviter à tout prix une « petite Vendée »36. Malgré leur éloignement de Paris et des zones frontalières, les espaces ruraux sont donc bien perçus comme un enjeu, et la nécessité de préserver un consensus populaire apparaît comme une priorité peut-être plus forte que celle d’appliquer fidèlement les lois de la République.
- 37 Ces acteurs ont été étudiés pour Paris par Vincent Denis, qui souligne, pour le Directoire, la prés (...)
- 38 Code des délits et des peines, articles 38-46.
16Dès lors, et a fortiori en l’absence de commissaires de police (qui ne sont présents que dans les villes de plus de 5 000 habitants selon le Code des délits et des peines, art. 25)37, deux types d’acteurs se voient contraints d’assurer la sûreté publique : d’une part, les agents municipaux (maires et adjoints), d’autre part, les gardes champêtres, qui sont présents en nombre variable selon les communes. Les gardes champêtres ont des missions de police administrative reconnues par la loi, et sont considérés comme des « officiers de police judiciaire »38. Toutefois, ni les agents municipaux ni les gardes champêtres ne sont des forces de police professionnalisées – contrairement, là encore, aux commissaires de police parisiens. Alors que les agents municipaux exercent leur fonction en sus de leur propre métier, les gardes champêtres sont recrutés par les propriétaires de chaque commune, bien qu’ils doivent ensuite être « agréés » par la municipalité : ils constituent donc ce qu’on pourrait nommer des acteurs « semi-publics ». Cette absence d’acteurs professionnalisés du maintien de l’ordre explique pourquoi la surveillance sur le terrain est très variable dans les espaces ruraux, en dépit de l’esprit même de la loi.
- 39 AD89 L210, placard de l’administration municipale du canton de Sens à ses concitoyens, 27 brumaire (...)
- 40 AD89 L219, délibération du canton de Brunon, 30 prairial an V (18 juin 1797).
- 41 AD71 1L8 39, lettre du commissaire du directoire exécutif près le canton de Roussillon au commissai (...)
- 42 AD89 L209 Extrait des registres des délibérations de l’administration municipale du canton de Saint (...)
- 43 AD89 L209, extrait des registres de délibérations de l’administration municipale du canton de Verme (...)
17De fait, face à des lois souvent trop vagues, les autorités locales se voient dans l’obligation de prendre des initiatives propres pour assurer la sûreté publique, notamment à l’échelle du canton. L’administration municipale de la ville de Sens, dans le nord de l’Yonne, organise ainsi la surveillance en mettant en place une garde nocturne qui doit patrouiller la nuit et arrêter les personnes trouvées dans les rues, mais aussi en appelant les habitants de Sens à apporter leur concours à la surveillance39. D’autres communes plus petites organisent de même des patrouilles de nuit pour arrêter les suspects40. La surveillance est donc encore confiée localement à des citoyens non dotés de fonctions officielles. Certains cantons, ponctuellement, demandent le recours à une colonne mobile pour faire arrêter « les prêtres rebels aux loix »41. Pour appliquer les lois contre les prêtres réfractaires, d’autres cantons décident de prendre des mesures énergiques « pour qu’une guerre d’opinion ne s’alume [sic] dans ces contrées » : le canton de Saint-Georges, dans l’Yonne, menace ainsi d’amendes ou d’emprisonnement à la fois ceux qui voudraient forcer des habitants à célébrer des fêtes religieuses et ceux qui voudraient les en empêcher, ce qui « entraverait la liberté du culte » et celle « des opinions », et prévoit de proclamer cette mesure (et la loi du 7 vendémiaire) quatre fois par an à son de caisse42. Le canton de Vermenton prévoit pour sa part de faire afficher en gros caractères, pour une lisibilité accrue, le serment prêté par les prêtres de la commune, dans les « parties les plus apparentes » de l’église elle-même43.
- 44 AD89 L214, lettre de l’administration départementale de l’Yonne à l’administration municipale du ca (...)
- 45 Code des délits et des peines, art. 47.
- 46 Circulaire du ministre de l’Intérieur du 31 fructidor an V (17 septembre 1797), citée dans la lettr (...)
18Enfin, l’application des lois sur la sûreté publique donne fréquemment lieu à des controverses entre les autorités locales et leurs supérieurs, à plusieurs échelons de la hiérarchie. En effet, les agents municipaux sont eux-mêmes placés sous surveillance par l’intermédiaire du commissaire du pouvoir exécutif. Considéré comme « l’œil du gouvernement »44, ce commissaire n’a pas un rôle de police de terrain, mais des missions de surveillance des agents locaux du pouvoir, dont il est tenu de dénoncer les « négligences, abus et malversations »45. Selon le ministre de l’Intérieur en l’an VII, il doit être « une glace pure et fidèle, où le gouvernement doit pouvoir voir se réfléchir les objets tels qu’ils sont »46.
- 47 AD89 L209, extrait du procès-verbal de la séance extraordinaire du 23 ventôse an IV (13 mars 1796) (...)
- 48 AD89 L209, pétition du 2 germinal an IV (22 mars 1796) aux administrateurs du département de l’Yonn (...)
- 49 AD89 L209, lettre de l’administration centrale du département au commissaire du Directoire exécutif (...)
- 50 AD89 L209, lettre du ministre de la Police générale aux administrateurs du département de l’Yonne, (...)
19Quelques affaires sont révélatrices des vives tensions qui peuvent survenir entre différents agents de l’État à l’échelle locale, particulièrement dans les nombreuses localités où les agents municipaux sont soupçonnés de collusion avec les royalistes. L’une de ces affaires a lieu dans le village de Saint-Florentin, au centre de l’Yonne, en ventôse-germinal an IV. Alors que trois habitants proposent d’organiser chez eux des pièces de théâtre « patriotiques » pour « raviver l’esprit républicain », l’administration municipale leur en refuse le droit, arguant que les habitants étant tous déjà de fervents républicains, le théâtre est inutile et qu’il va au contraire occasionner des « rassemblements » qui « donnent presque toujours lieu de troubler la tranquillité »47. Les trois hommes contestent cette décision et s’adressent aux autorités départementales, qui alertent le ministère de la Police générale48. La décision de la municipalité est jugée par ces deux autorités (le ministre et le département) comme inquiétante : le ministre demande au département d’enquêter sur ces « entraves », « quand au contraire une administration républicaine auroit dû encourager par tous les moyens possibles un pareil établissement »49. La suspicion est clairement explicitée : « Il faut saisir le royalisme aussitôt qu’il ose se découvrir50 ».
- 51 AD89 L209, lettre de l’administration départementale de l’Yonne à l’administration municipale du ca (...)
- 52 AD89 L209, lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy (nom (...)
- 53 AD89 L209, lettre du ministre de la Police générale au commissaire du pouvoir exécutif près l’admin (...)
20À l’été de l’an IV, de même, l’administration du département reproche aux autorités de la municipalité de Tonnerre de n’avoir pas pris des mesures pour empêcher un incendie qui s’est accompagné de « chants homicides » et « anticiviques » (royalistes), et de n’en avoir pas alerté le département51. Au même moment (germinal-floréal an IV), dans le canton de Neuvy, se produisent des rassemblements de prêtres, qui font la messe et fanatisent les habitants, avec la complicité active des agents municipaux de plusieurs communes du canton, qui protègent le curé, quêtent pour lui, lui ont confié les registres de l’état civil et font agresser les patriotes (agressions auxquelles s’ajoutent des destructions matérielles contre leurs maisons ou leurs vignes). Ces actes sont dénoncés par le commissaire du Directoire exécutif près l’administration municipale de Neuvy52 et remontent là encore jusqu’au ministre de la Police, qui ordonne aux autorités du département de l’Yonne de prendre des mesures énergiques53. Cependant, malgré les injonctions du ministre et les suppliques du commissaire du Directoire de la municipalité, qui insiste dans plusieurs lettres sur la nécessité d’agir vite, plusieurs semaines se passent avant que les agents municipaux ne soient suspendus par le département et les demandes répétées du commissaire de faire venir une force armée (puisqu’aucun citoyen n’accepte d’être garde national dans le canton) et d’arrêter le prêtre restent lettre morte.
- 54 AD89 L210, lettre de l’administration départementale à l’administration municipale de la commune et (...)
- 55 AD89 L210, réponse du ministre de la Police à l’administration départementale de l’Yonne, 3 pluviôs (...)
21Les difficultés d’exécution de la loi s’accroissent enfin quand la loi est si floue qu’elle suscite des débats autour de son application. Entre les autorités départementales de l’Yonne et les autorités municipales d’Auxerre, une lutte s’engage ainsi en l’an V, pour savoir s’il faut sanctionner ou non les « quêtes de vin » faites par les prêtres à l’extérieur des églises. Alors qu’il s’agit, selon le département, d’une taxe interdite par la loi du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795) sur la police des cultes, qui procure aux prêtres des « dons considérables » et fait même craindre le retour de la dîme et des privilèges ecclésiastiques d’Ancien Régime, la municipalité décide au contraire d’autoriser ces quêtes, au motif qu’elles ne seraient pas explicitement interdites par cette même loi54. C’est finalement le ministre de la Police lui-même qui tranche et assure, étonnamment, que ces dons volontaires aux prêtres ne peuvent pas « blesser les lois » et doivent être autorisés55. Ce cas est révélateur à la fois des lacunes des lois elles-mêmes et de l’importance du pouvoir exécutif sous le régime directorial en matière réglementaire.
- 56 Par exemple, AD89 L209, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Poli (...)
22In fine, ces affaires révèlent les difficultés du maintien de la sûreté publique dans les départements ruraux. Le déficit de moyens humains (notamment des agents armés, gardes nationaux, gendarmes ou soldats) comme le manque de fiabilité des acteurs chargés de missions de police locales – qui ne sont eux-mêmes pas des professionnels du maintien de l’ordre –, expliquent la survivance de poches de royalisme en Bourgogne sous le Directoire. Si elles démontrent l’existence d’une chaîne d’informations qui permet de faire remonter les problèmes de l’échelle locale jusqu’au ministre de la Police, elles révèlent également que les autorités départementales ou les commissaires du Directoire se retrouvent fréquemment dépassés et en porte à faux avec les injonctions venues d’en haut, et constamment accusés par leurs supérieurs comme par certains de leurs administrés de ne pas en faire assez. Les autorités départementales doivent en effet régulièrement justifier auprès du ministre leur zèle à appliquer les lois de sûreté publique et leur surveillance des administrations municipales, à la suite de dénonciations faites par des citoyens mécontents56. Dans les faits, les lois mettent du temps à être appliquées et acceptées sur le terrain, du fait d’une micro-conflictualité permanente, entre les citoyens comme entre les administrateurs eux-mêmes. La question de l’esprit public, notamment, est particulièrement sensible : les tensions évoquées supra autour des quêtes de vin, des chants contre-révolutionnaires ou des pièces de théâtre patriotiques et les difficultés des autorités locales dans tous ces cas, révèlent peut-être moins l’incapacité totale des autorités à mettre fin à ces manifestations publiques que leurs tergiversations autour de la manière d’opérer. L’équilibre est instable et l’esprit public est loin d’être clairement et définitivement acquis à la Révolution. Partant, faut-il appliquer la lettre de la loi de manière affirmée et ostentatoire, quitte à provoquer des heurts, ou faut-il ménager, voire influencer, l’opinion publique en douceur ? Autant de questions que le texte même de la loi passe sous silence. Il y a là une tension irréductible entre l’idéal révolutionnaire d’universalité de la loi et la nécessaire adaptation pragmatique aux spécificités du terrain.
Assurer la sûreté publique en temps de crise : les conséquences du coup d’État du 18 fructidor an V sur la surveillance à l’échelle locale
23Les grandes lois d’exception promulguées après les moments de crise politique que représentent les coups d’État du Directoire font également fluctuer les mesures de sûreté publique à l’échelle locale et ce même dans des départements qui ne se trouvent jamais en situation de rébellion ouverte contre le Directoire. Il s’agit donc d’envisager dans un second temps si les mesures d’exception prises après le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) bouleversent ou non le maintien local de la sûreté publique.
- 57 Les quatre lois évoquées sont les suivantes : arrêté du Conseil des Cinq-Cents du 5 prairial an V ( (...)
- 58 Albert Mathiez évoque les conséquences locales de ces lois de l’été 1797, en parlant de « sorte de (...)
24Le 19 fructidor an V, une loi « d’urgence », « contenant des mesures de salut public prises relativement à la conspiration royale » donne une impulsion nouvelle à la surveillance et à la répression, justifiées par la nécessité de « recourir à des mesures extraordinaires » pour parvenir à extirper les racines du mal contre-révolutionnaire. Cette loi vient en réalité révoquer d’autres lois, prises pendant les cinq mois qui ont suivi les élections de germinal an V (avril 1797), qui avaient permis à une majorité de royalistes d’être élus. Preuves que la législation sur la sûreté publique évolue en fonction des circonstances politiques, quatre lois sont en effet promulguées entre mai et août par la nouvelle assemblée conservatrice, qui abrogent toutes les mesures prises depuis le début du Directoire contre les prêtres et émigrés, et permettent aux prêtres réfractaires comme aux parents d’émigrés rentrés en France d’être réintégrés au corps social57. Au niveau local, ces lois entraînent le coup d’arrêt temporaire de certaines pratiques – jusqu’au 18 fructidor –, comme la vente des biens d’émigrés ou les séquestres sur leurs biens, mais occasionnent aussi la renaissance de troubles à l’ordre public58.
- 59 Les ressorts de l’argumentation autour de cette vaste conjuration ont été étudiés par Sébastien Piv (...)
- 60 17 députés sont déportés en Guyane, où la moitié meurt. Le déroulement du 18 fructidor a fait l’obj (...)
25La loi du 19 fructidor an V n’est donc pas seulement une loi consécutive au seul coup d’État de la veille – qui, prétextant un complot Anglo-royaliste59, annule totalement les élections législatives dans 49 départements et partiellement dans 15 départements, permet l’arrestation de dizaines de députés, d’un directeur, Barthélémy, et du général Pichegru, et la déportation d’une partie d’entre eux, plus d’une centaine d’autres députés étant destitués60. Elle est aussi un moyen de révoquer directement et en urgence les quatre lois précédentes pour opérer un retour à la politique de sûreté publique qui prévalait depuis le début du Directoire, tout en la renforçant en ce qui concerne deux catégories de suspects, les émigrés et les prêtres.
- 61 Loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797), art. 15 à 24. Le texte de la loi est consultable intég (...)
26La loi du 19 fructidor stipule en effet que les émigrés sont tenus de sortir du territoire de la République dans les quinze jours sous peine d’être traduits devant une commission militaire, tandis que ceux qui sont en détention doivent être déportés. Elle va également plus loin que la loi du 3 brumaire an IV – qu’elle rétablit – en ce qui concerne les parents des émigrés, désormais privés du droit de vote et d’éligibilité jusqu’à quatre ans après la paix. Elle instaure un serment « de haine à la royauté & à l’anarchie, de fidélité & attachement à la république & à la constitution de l’an III » pour toute personne voulant voter aux assemblées primaires et électorales, et pour toute personne voulant faire fonction de juré. Les prêtres ne pourront désormais célébrer leur culte que s’ils prêtent le même serment et le Directoire a le droit de déporter tous les prêtres soupçonnés de « troubl[er] la tranquillité publique », y compris les prêtres constitutionnels61.
27Outre les prêtres et les émigrés, de nombreux journalistes et imprimeurs sont arrêtés, voire déportés, et les journaux sont « mis pendant un an sous l’inspection de la police, qui pourra les prohiber ». Les sociétés politiques sont interdites. À un échelon inférieur, les élections départementales et municipales sont également cassées. Les étrangers vivant en France sont enfin la cible de nouvelles mesures dans les semaines suivantes, notamment par la loi du 28 vendémiaire an VI (19 octobre 1797) sur les passeports, qui prévoit que tout étranger circulant sans mission officielle de la part des pays alliés de la France est placé sous la « surveillance spéciale du Directoire exécutif » et peut se faire expulser si le Directoire « juge [sa] présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique ».
- 62 Jean‑Pierre Gallais, Dix‑huit fructidor, ses causes et ses effets, Hambourg, 1799.
- 63 Victor Pierre, La Terreur sous le Directoire. Histoire de la persécution politique et religieuse ap (...)
- 64 Voir Howard G. Brown, « Mythes et massacres… », art. cité ; François Furet, Penser la Révolution fr (...)
- 65 Albert Mathiez, « Le coup d’État du 18 fructidor an V », art. cité. Pour Mathiez, à partir de fruct (...)
- 66 Outre l’article « Mythes et massacres… » déjà cité, voir Howard G. Brown, « The search for stabilit (...)
- 67 Howard G. Brown, « Mythes et massacres… », art. cité.
- 68 Ibid. D’autres catégories d’émigrés auraient été exemptés de passage devant ces commissions, par de (...)
- 69 Ibid. Selon Howard Brown, les commissions militaires ont siégé dans 50 villes différentes et rendu (...)
28La loi du 19 fructidor est au cœur d’une véritable controverse historiographique, centrée sur la qualification ou non d’un « Second Directoire » (qui commencerait en 1797, à la suite du coup d’État de fructidor) comme un moment de « terreur directoriale ». Cette thèse naît de l’ouvrage d’un contemporain des événements, le journaliste royaliste Jean-Pierre Gallais, qui présente les mesures consécutives au coup d’État comme rouvrant « l’effroyable boucherie d’hommes que la mort de Robespierre sembloit avoir irrévocablement fermée »62. L’idée est ensuite reprise par de nombreux historiens du xixe siècle, comme Tocqueville ou Victor Pierre63, dont les travaux font référence pour nombre de travaux historiques du xxe siècle. Georges Lefebvre ou François Furet reprennent en effet les qualificatifs de « terreur directoriale » ou « terreur fructidorienne »64. Selon Albert Mathiez, le coup d’État de fructidor met en place une « dictature aussi concentrée et plus armée peut-être que celle qu’avait exercée l’ancien Comité de Robespierre », qui n’aurait jamais « disposé de pouvoirs aussi étendus »65. Howard Brown est l’un des premiers à nuancer l’existence d’une « terreur directoriale » dans ses travaux consacrés notamment aux commissions militaires chargées de juger les émigrés après fructidor66. S’il évoque des mesures de « persécution des prêtres réfractaires et des émigrés au nom de la défense de l’ordre républicain »67, qui auraient été rendues nécessaires par une carence d’autorité face à des désordres généralisés, l’historien américain insiste néanmoins sur le fait que ces commissions militaires n’ont pas jugé et condamné indistinctement tous les émigrés, mais seulement ceux qu’elles estimaient les plus dangereux : les nobles émigrés, qui constitueraient des menaces sérieuses pour la sécurité collective et la stabilité du régime directorial68. Il révise également le taux de condamnation de ces commissions militaires, qui ne serait que de quatre sur dix69. Celles-ci n’auraient donc pas agi au nom d’une « simple persécution idéologique », mais auraient eu une action relativement mesurée, cherchant à évaluer, parmi les émigrés, les dangers réels pour la République, afin de rétablir l’ordre public et réprimer les désordres politiques.
- 70 Pierre Serna, « Les deux écueils de l’ultra et de la contre-révolution », dans Marc Belissa, Yannic (...)
- 71 Sébastien Pivoteau, « L’appartenance à un complot… », art. cité.
- 72 Voir le compte-rendu de l’ouvrage d’Howard Brown, Ending the French Revolution, op. cit., par Berna (...)
29D’autres historiens rejettent encore plus nettement l’idée d’une « terreur directoriale ». Pierre Serna, par exemple, qualifie la période qui suit le 18 fructidor de « république conservatrice » ou « république d’ordre publique », qui, certes, « tourne le dos à la démocratie », mais au nom du bon ordre et de la recherche de la tranquillité publique, qui passerait par une certaine dépolitisation, ayant pour but d’éviter « les deux écueils de l’ultra et de la contre-révolution »70. Sébastien Pivoteau invite, pour sa part, à « bannir les images d’une répression massive et désordonnée véhiculées par la légende noire de la “Terreur directoriale” », insistant, lui aussi, sur la focalisation des poursuites sur les « éléments perturbateurs les plus en vue »71. Enfin, Bernard Gainot affirme que les « conditions locales du maintien de l’ordre » sont identiques pendant tout le Directoire et conduit à relativiser la rupture que constituerait fructidor72.
30Pour prendre position dans cette controverse historiographique, nous proposons de mettre en perspective à la fois les débats parlementaires consécutifs au 19 fructidor et les modalités d’application précises de la loi du 19 fructidor dans les départements qui sont l’objet de notre étude.
- 73 Arrêté du conseil des Cinq-Cents, relatif aux exceptions demandées à l’article XV de la loi du 19 f (...)
- 74 Rappelons que les émigrés doivent quitter la France sous 15 jours après la loi du 19 fructidor. Seu (...)
- 75 Arrêté du conseil des Cinq-Cents relatif au message du directoire exécutif, sur les exceptions dema (...)
- 76 Dans les arrêtés conservés dans la collection Baudouin, les noms des députés prenant la parole ne s (...)
- 77 Arrêté du 11 ventôse an VI (1er mars 1798), relatif aux individus inscrits sur la liste des émigrés (...)
- 78 Message du Directoire exécutif, concernant les prévenus d’émigration, du 16 ventôse an VI (6 mars 1 (...)
31Tout d’abord, l’exécution de la loi du 19 fructidor fait l’objet de débats à la fois à l’intérieur du Conseil des Cinq-Cents, et entre cette assemblée et le Directoire exécutif. Ils portent sur les modalités d’application de la loi et révèlent des inquiétudes de certains membres des Cinq-Cents face à de possibles erreurs judiciaires. Le 3e jour complémentaire an V (19 septembre 1797), c’est-à-dire 14 jours après la loi du 19 fructidor, le Conseil des Cinq-Cents examine des pétitions de citoyens qui se retrouvent inscrits sur des listes d’émigrés par erreur73. Plusieurs membres du conseil proposent d’exempter des dispositions de la loi les individus qui n’ont pas émigré, mais étaient présents dans l’armée, ainsi que « les individus qui ont été portés sur la liste des émigrés par des administrations de départemens étrangers à leur domicile ». L’assemblée décide d’en référer au Directoire exécutif, qui demande lui-même un rapport au ministre de la Police générale et se range à son avis deux jours plus tard. Les arguments sont les suivants : d’une part, la loi du 19 fructidor porte des dispositions « simples, humaines », puisqu’elle « n’exige pas le sang » des émigrés rentrés, mais « les expulse seulement d’un pays aux lois duquel ils refusent de se soumettre »74. D’autre part, si le ministre de la Police et le Directoire reconnaissent qu’il peut y avoir des citoyens inquiétés à tort, « rendre, en cette circonstance [de dangers extraordinaires], une loi d’exception, seroit anéantir la loi principale ». Enfin, si l’on autorise des exceptions à la loi, « l’intérêt et la malveillance » en profiteront pour « rendre nulle la loi la plus sévère » en encourageant les fraudes. Par conséquent, « le salut de la république dépend de la stricte exécution de la loi » du 19 fructidor : « atténuer cette loi, seroit compromettre le salut de la constitution ; balancer même à la maintenir est une calamité publique »75. Pour autant, le ministre s’engage personnellement à éviter les erreurs en radiant les individus portés à tort sur des listes d’émigrés. Six mois plus tard, en ventôse an VI, un nouveau débat s’engage au Conseil des Cinq-Cents, quand plusieurs députés s’inquiètent de l’inscription d’individus sur des listes d’émigrés à leur insu, et prônent « l’instante nécessité d’empêcher le sang innocent de couler »76. Le Conseil vote alors, le 11 ventôse, la création d’une « commission spéciale, chargée d’examiner quelles mesures pourroient être prises relativement à l’exécution de la loi du 19 fructidor an 5, à l’égard des individus inscrits sur la liste des émigrés qui, notoirement, n’ont pas quitté le territoire de la République »77. Pourtant, dès le 16 ventôse, le Directoire exécutif invalide cette commission et fustige le Conseil des Cinq-Cents en l’accusant de s’être fait « émouvoir » et berner par le milieu royaliste78. Rassurant sur sa capacité à examiner les cas problématiques et à les radier des listes si leur innocence est avérée, le Directoire réaffirme qu’« il n’y a [...] pas de nécessité de toucher à la loi du 19 fructidor pour préserver un innocent d’un danger imaginaire, lorsqu’on est convaincu que la moindre altération de cette loi peut entraîner de véritables dangers pour la chose publique ». À la veille de nouvelles élections, « la moindre exception à la loi » peut « faire renouveler » les désordres et déchirer à nouveau la patrie. Dans la foulée de cet argumentaire, le Conseil des Cinq-Cents rapporte l’arrêté du 11 ventôse et annule ainsi la création de la commission spéciale.
32À six mois d’intervalle, ces deux moments de débat révèlent les doutes de certains députés quant à l’exécution locale de la loi du 19 fructidor, ainsi que le climat de tension, voire d’affrontement, entre le Conseil des Cinq-Cents et le Directoire exécutif, qui, in fine, prend toujours l’ascendant et fait taire les inquiétudes quant à l’application de la loi, en affirmant que le risque d’erreurs est minime. Surtout, le Directoire réaffirme le contexte de menaces pesant sur le régime et la République : dans ces circonstances exceptionnelles, tout doute, toute indulgence quant à l’application de la loi du 19 fructidor peut mener à un retour en force funeste du mouvement royaliste.
- 79 En Bourgogne, selon les chiffres d’Howard Brown, la commission militaire a joué un rôle peu actif, (...)
- 80 André Goudeau, « Chapitre X. Le coup d’État de Fructidor et ses conséquences », dans André Goudeau, (...)
33Force est de comparer ces débats parlementaires avec l’application locale de la loi du 19 fructidor. Si les commissions militaires ont été étudiées en détail par Victor Pierre puis par Howard Brown, l’exécution des autres mesures contenues dans cette loi, et notamment de la surveillance des différentes catégories de suspects, est bien moins connue79. Deux études, consacrées à l’Eure et aux Hautes-Alpes, pourront servir de point de comparaison à notre étude des départements bourguignons80.
34Dans l’Yonne comme en Saône-et-Loire, les mesures locales de surveillance se font l’écho des injonctions nouvelles prises le 19 fructidor. Dès le lendemain du coup d’État, les autorités du département de l’Yonne font peser une pression réelle sur les agents municipaux, afin qu’ils redoublent de surveillance, sous peine de destitution :
- 81 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne aux administrations (...)
Redoublez de zèle, citoyens, dans la ponctuelle exécution des lois ; respectez non seulement les institutions républicaines, mais prenez tous les moyens pour les faire aimer de vos administrés ; toute négligence, sur ces deux objets serait un crime aux yeux de la loi, et nous forcerait de provoquer sur-le-champ votre destitution auprès du gouvernement, qui nous a accordé la confiance81.
- 82 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au ministre de la Po (...)
35D’autre part, comme ailleurs, une importante épuration a lieu dans l’administration locale. Les deux administrations départementales de la Saône-et-Loire et de l’Yonne sont, dans les jours qui suivent, destituées et renouvelées et, dans l’Yonne, 36 municipalités sont « réorganisées » (c’est-à-dire épurées), parfois en totalité82. Si l’épuration est le plus souvent décidée par les autorités supérieures, dans plusieurs communes, des citoyens se saisissent du prétexte du coup d’État pour faire destituer de mauvais agents municipaux. C’est le cas à Ligny, au centre de l’Yonne, où des habitants écrivent au département :
- 83 AD89 L210, lettre de citoyens du canton de Ligny aux administrateurs du département, 29 fructidor a (...)
Les soussignés, stricts observateurs des loix, et vrais amis de la Constitution de l’an trois, n’ont pu voir sans la plus grande satisfaction les grandes mesures que le gouvernement vient de prendre pour la consolider, mais nous nous permettons de vous observer, que pour prévenir de nouvelles entraves, il est de toute nécessité que nombres d’administrations municipales soyent suspendues et renouvellées, n’étant, en partie composées que de gens corrompus et dévoués en entier à la royauté. Celle du canton de Ligny est du nombre, et si elle n’est changée, nous ne pouvons espérer aucune tranquillité83.
- 84 André Goudeau, « Chapitre X », art. cité.
36Dans le département de l’Eure, de même, plusieurs demandes de destitutions de commissaires cantonaux émanent de citoyens patriotes et d’un journaliste local84. Si ces exemples permettent de mettre au jour la participation des citoyens eux-mêmes à la sûreté publique, ils révèlent aussi que les épurations exigées par les autorités centrales après le coup d’État n’ont pas toujours été immédiates, ni vraiment mises en œuvre si aucune information ne remontait depuis la base pour aider les autorités départementales dans leur prise de décision.
- 85 AD89 L212, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, (...)
- 86 Dans le cas des Hautes-Alpes, Raymond Dartevelle analyse les difficultés d’application des lois ava (...)
- 87 AD71 1L8 39, lettre de la commune de Saint Léger, 30 thermidor an VI (17 août 1798).
- 88 AD89 L210, extrait du registre des délibérations de l’administration municipale de Sens, séance du (...)
- 89 AD71 1L8 39, lettre de l’administration municipale de Chalon sur Saône à celle centrale, 6 messidor (...)
- 90 AD89 L212, extrait du registre des délibérations de l’administration municipale de Sens, séance du (...)
- 91 AD89 L209, rapport de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, (...)
37Un mois après le coup d’État, l’administration du département de l’Yonne adresse au ministre de la Police un bilan des mesures prises après Fructidor et de leurs impacts dans le département, affirmant que « la très grande partie de notre département commence à jouir des heureux effets de la journée du 18 fructidor » et que « l’esprit public s’améliore de jour en jour »85. Les autorités départementales affirment que « les lois dont l’exécution était la plus méconnue avant le 18 fructidor commencent à être généralement respectées », notamment celles interdisant tout signe extérieur du culte, comme les sonneries de cloche pour la messe, ce qui sous-entend combien les lois sur la sûreté publique y étaient difficilement applicables précédemment86. Cette fois, des moyens humains nouveaux ont été mobilisés : la gendarmerie et des vétérans ont été envoyés dans certains cantons pour forcer les habitants à l’exécution de ces lois et des visites domiciliaires sont faites dans les mois suivants87. La majorité des prêtres ont prêté le serment du 19 fructidor et d’autres, ainsi que des émigrés, ont été déportés. Des mesures sont prises pour suspendre les journaux et les imprimeurs suspects d’affinités royalistes, comme Tarbé à Sens88, et pour surveiller les théâtres89, mais aussi pour faire respecter des mesures qui devaient théoriquement être en vigueur depuis longtemps, comme le décadi, moyen symbolique de contrer l’influence royaliste90. Un mois plus tard encore – deux mois après le coup d’État –, un nouveau rapport du département adressé au ministre de la Police vante la parfaite exécution des lois de sûreté publique qui « s’observe[nt] mieux que jamais » et donne des détails précis qui, en soulignant l’évolution par rapport aux mois précédant le coup d’État, permettent surtout de louer en filigrane le zèle et les talents supposés de l’administration départementale91. Ces témoignages montrent que la répression opérée après Fructidor – dont les commissions militaires sont l’organe le plus connu – ne représentent qu’un volet d’une entreprise plus large de maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, qui a pour but de rassurer et de stabiliser le corps social, tout en restant socialement acceptable. La surveillance de la bonne application des lois et le maintien des catégories de populations jugées plus suspectes sous l’œil des autorités locales fait partie de cette entreprise plus englobante.
- 92 AD89 L212, extrait du procès-verbal de la séance de l’administration municipale d’Ancy le Franc, 10 (...)
- 93 Ibid., procès-verbal de l’administration municipale de Druyes, 18 frimaire an VI (8 décembre 1797).
- 94 Ibid., extrait du procès-verbal de la séance de l’administration municipale du canton de Joigny, 8 (...)
- 95 Ibid., lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy-Sautour (...)
- 96 AD89 L213, procès-verbal d’une séance de la municipalité d’Aillant, 22 thermidor an VI (9 août 1798 (...)
- 97 AD89 L212, adresse de l’administration municipale du canton de Courson aux citoyens de son arrondis (...)
- 98 Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé… », art. cité, p. 199.
38Sous la pression et la surveillance des autorités départementales et voulant montrer leur propre zèle, nombre d’autorités municipales prennent des initiatives originales pour interpréter et appliquer la loi (obligation du port de la cocarde et de l’utilisation du titre de « citoyen » sous peine d’arrestation à Ancy-le-Franc92, inscriptions sur les portes de l’administration à Druyes93, célébration originale des décadis avec des prix et des jeux à Joigny94, installation forcée de douze hommes armés chez les six « royalistes les plus marquants » de la commune à Neuvy95, palissade peinte en bleu/blanc/rouge autour des arbres de la liberté pour en empêcher les dégradations à Aillant96, etc.), ou encore pour expliciter au mieux la loi auprès des habitants, et contrer les fausses rumeurs propagées par les royalistes97. Même après Fructidor, l’importance de ces initiatives locales révèle la nécessité pour les municipalités d’inventer leurs propres modalités d’application d’une loi dont le flou reste toujours trop important. Poussées à des mesures promptes par leurs supérieurs, dans un moment perçu comme un moment de péril collectif, ces municipalités font le choix d’appliquer la loi de manière plus ostentatoire et sont moins enclines à ménager l’esprit public par un attentisme frileux. Raymond Dartevelle invite également à ne pas minorer le rôle des « plaintes, réclamations, [de] la pression populaire et sa résistance passive » dans l’action des fonctionnaires et dans l’écart entre les principes fixés par la loi et son application locale. Il s’agit de chercher à comprendre « les raisons qui conduisent tel ou tel fonctionnaire à faire preuve d’indulgence ou d’extrême virulence dans l’application de la loi » en prenant en compte le « vécu » et le « perçu » du fonctionnaire98.
- 99 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au canton de Cravant (...)
- 100 AD89 L213, lettre de la municipalité d’Aillant aux autorités du département [non daté, prairial-mes (...)
- 101 AD89 L210, lettre de certains membres de l’administration municipale du canton du Mont Saint Sulpic (...)
- 102 AD89 L210, lettre du ministre de la Police Lenoir Laroche à un Directeur, non datée.
- 103 Voir les nombreux documents relatifs à cette affaire en AD89 L210, concernant principalement vendém (...)
- 104 AD89 L212, lettre des administrateurs municipaux du canton de Châtelcensoir, 25 frimaire an VI (15 (...)
- 105 André Goudeau, « Chapitre X », art. cité. Dans l’Eure, ces conflits prennent également la forme d’u (...)
39Cependant, l’application de ces mesures de sûreté publique ne se fait pas de manière plus aisée qu’auparavant. Certaines communes accueillent avec violence les nouvelles lois relatives au coup d’État99, ou peinent à faire accepter à leurs habitants l’abandon du dimanche au profit du décadi, ou les dates traditionnelles des foires100. Loin d’améliorer le contrôle local de la sûreté publique, l’application des lois d’exception de Fructidor bouleverse en fait profondément les équilibres locaux, désorganise l’administration et occasionne des luttes d’influence parfois violentes, en attisant tensions et haines. Plusieurs lettres de corps municipaux dénoncent la nouvelle administration centrale de leur département ou prennent la défense de l’administration précédente101. Les arguments sont loin d’être neufs (inefficacité de l’administration départementale en matière de surveillance, complicité avec le fanatisme, etc.102). À l’échelle municipale, les nouvelles mesures de surveillance et de sûreté publique occasionnent un regain de conflictualité. Dans la commune de Pont-sur-Yonne, tout au nord du département, plusieurs épurations successives ont lieu au début de l’an VI au cours d’une lutte entre une administration municipale plutôt royaliste et de nouveaux agents arrivant après fructidor, plus républicains, que la première tente de destituer103. Dans le canton de Châtelcensoir, au sud de l’Yonne, un vif conflit naît entre le commissaire du Directoire exécutif près l’administration municipale du canton et les administrateurs municipaux, qui refusent au premier certaines attributions104. De tels conflits entre anciens et nouveaux administrateurs municipaux sont courants également dans le département de l’Eure105.
- 106 AD71 1L 8 39.
40Il convient donc de relativiser la rupture qu’a pu constituer le coup d’État du 18 fructidor an V, mais aussi l’existence d’une « terreur directoriale » après Fructidor. Les inquiétudes des membres du Conseil des Cinq-Cents quant à une application potentiellement répressive et abusive de la loi du 19 fructidor semblent largement infondées. Dans les départements ruraux situés dans des zones « peu sensibles » du territoire français, le maintien de l’ordre et de la sûreté publique est au contraire marqué par de fortes continuités tout au long du Directoire, même si la surveillance se renforce en théorie à partir de Fructidor. En témoigne un arrêté de l’administration centrale du département de Saône-et-Loire « relatif à des mesures de police et de sûreté » du 12 prairial an VI (31 mai 1798), soit neuf mois après le coup d’État106. On y évoque la nécessité de nouvelles mesures de sûreté, en raison du danger persistant pour la survie du gouvernement révolutionnaire : « Il ne fut jamais plus utile de faire exécuter les lois répressives des délits qui peuvent compromettre la tranquillité publique et la sûreté de l’État ». Dans cet arrêté, l’administration départementale de Saône-et-Loire, encouragée par le ministre de la Police, prend des mesures qui excèdent largement les dispositions de la loi du 19 fructidor, puisqu’elle se propose de surveiller non plus seulement les prêtres ou les émigrés, mais aussi « les étrangers, les voyageurs, les hommes reconnus pour fauteurs de la chouannerie, [...] les réquisitionnaires, les vagabonds, les malveillans de toutes les couleurs et sous tous les masques » (art. 2). De plus, les municipalités sont plus particulièrement invitées à prendre garde aux « individus nouvellement établis » dans leur commune, afin de détecter la présence éventuelle d’individus « reconnus par une conduite scandaleuse, signalés comme agent de l’étranger, notés par leur haine contre la république et le gouvernement ». Cet arrêté instaure une surveillance désormais quasiment étendue à l’ensemble des habitants et largement laissée à l’appréciation des autorités locales. Par ses circulaires, le ministre de la Police adoube d’ailleurs, autant qu’il encourage, ces mesures de sûreté publique renforcées qui émanent des départements et s’écartent pourtant du texte même de la loi.
- 107 De nombreux documents de l’an VI à l’an VIII montrent des situations locales absolument similaires (...)
- 108 En l’an VI par exemple, on note l’élection de deux municipalités concurrentes à Villeneuve-la-Guyar (...)
41Cependant, sur le terrain, les mêmes difficultés perdurent : les moyens humains limités, la permanence de poches de royalisme, le manque d’adhésion des habitants aux valeurs révolutionnaires107, mais aussi les fréquents conflits larvés entre autorités locales (le commissaire du Directoire face aux agents municipaux, le canton face aux autorités départementales, etc.) rendent encore précaire l’application des lois sur la sûreté publique après Fructidor, et ce, jusqu’à la fin du Directoire108.
42Le fait de placer la focale sur deux départements bourguignons pour y lire la réalité au ras du sol de l’application des lois sur la sûreté publique met au jour la spécificité des espaces ruraux en matière de maintien de l’ordre sous le Directoire, ainsi que l’ampleur du fossé qui les sépare de l’espace urbain. Alors que les villes captent plus de moyens et peuvent mettre en place un quadrillage policier rendant la surveillance plus visible, les espaces ruraux restent un espace de marge, où la force publique est soit distante, soit contestée, et où les acteurs chargés de la maintenir ne sont pas, dans leur grande majorité, des professionnels du maintien de l’ordre. Cet état de fait entraîne une gestion territorialement différenciée de la sûreté publique, ce qui est contraire à l’esprit de la loi de la République.
43Parsemés de poches de résistance aux nouveautés révolutionnaires, les espaces ruraux sont le théâtre d’une micro-conflictualité continuelle. Dans ce contexte, appliquer des lois exigeant des mesures de surveillance ou de répression renforcée devient périlleux pour les autorités locales. Ce qui se lit dans les dizaines d’affaires évoquant des tensions ponctuelles, c’est la difficulté d’un maintien de l’ordre à la fois en accord avec les injonctions venues d’en haut et acceptable socialement. Cet équilibre précaire varie, avec plus ou moins de fermeté dans les mesures prises, selon les lieux ou les hommes dépositaires de l’autorité publique, mais aussi selon les moments. L’application de la loi se fait plus ostentatoire, sinon plus efficace, dans les moments de crise politique, où les autorités exigent de leurs subalternes des résultats plus visibles et des comptes-rendus circonstanciés. Pour autant, les lois d’exceptions prises dans ces moments de crise – comme la loi du 19 fructidor an V – ne viennent pas bouleverser totalement le maintien de la sûreté publique à l’échelle locale. Conçues comme des moyens à la fois extraordinaires et temporaires pour assurer la paix et la sécurité publique dans un temps de menace exceptionnelle, elles aboutissent davantage à un redoublement de zèle et de conflictualité locale qu’à un réel changement de paradigme. En ce sens, l’expression de « terreur directoriale » est largement trompeuse et doit être abandonnée.
- 109 Antoine Boulant, « La gendarmerie sous le Consulat et l’Empire », dans Jacques-Olivier Boudon (dir. (...)
44Enfin, l’une des difficultés, pendant tout le Directoire, réside sans doute dans la multitude des autorités locales. Avec la quasi-absence de force de police constituée d’acteurs professionnalisés, en l’absence aussi d’une autorité départementale unique, il est souvent difficile de savoir qui a la préséance dans les décisions de terrain, quand la loi est trop floue pour être univoque. Cette superposition d’interlocuteurs occasionne un regain de tensions dont savent se saisir les habitants pour ne pas appliquer une loi quand ils la considèrent comme mauvaise. Cet état de fait évolue cependant dans les années suivantes, avec la création des préfets le 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) au début du Consulat, et l’importante réorganisation de la gendarmerie109.
Notes
1 Alors que les révolutionnaires de 1789 avaient eu pour intention de supprimer une police vue comme l’instrument d’un pouvoir arbitraire et de confier les missions de police, notamment de surveillance, aux citoyens eux-mêmes, par l’intermédiaire par exemple des sections ou des gardes nationales, puis, à partir de 1792, par des comités de surveillance, le Directoire tend à renouer avec un processus de professionnalisation commencé au xviiie siècle d’un appareil policier confié aux mains de policiers de métier. Emmanuel Blanchard, Vincent Denis et Arnaud-Dominique Houte, Histoire des polices en France, des guerres de religion à nos jours, Paris, Belin, 2020 ; Vincent Milliot, « L’admirable police » : tenir Paris au siècle des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016 ; Paolo Napoli, Naissance de la police moderne : pouvoir, normes, société, Paris, Éd. la Découverte, 2003.
2 Pour Paris, voir Vincent Denis, Policiers de Paris : les commissaires de police en Révolution, 1789-1799, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022.
3 Le syntagme de sûreté publique, dont l’acception reste encore floue sous le Directoire, peut être entendu comme l’ensemble des mesures d’ordre public (notamment préventives, à travers la surveillance) visant à se prémunir contre toute menace qui pourrait mettre en péril la Révolution et la survie de l’État lui-même. Pour une définition plus approfondie, voir Jeanne-Laure Le Quang, « Faire appliquer ou orienter la loi ? Le ministre de la Police face aux départements dans l’exécution des lois sur la sûreté publique (1795-1804) », dans Alexandre Guermazi, Jeanne-Laure Le Quang, Virginie Martin (dir.), Exécuter la loi, 1789-1804, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2018, p. 89-101.
4 Philip Dwyer, « Introduction », dans Philip G. Dwyer (dir.), Napoleon and Europe, Harlow/New York, Longman, 2001, p. 1-21.
5 Michel Verpeaux, La naissance du pouvoir réglementaire, 1789-1799, Paris, Presses universitaires de France, 1991 ; Alexandre Guermazi, Jeanne-Laure Le Quang et Virginie Martin (dir.), Exécuter la loi, op. cit.
6 Dans le sillage de l’école historiographique sur la police du xviiie siècle portée notamment par Vincent Milliot, Catherine Denys, Brigitte Marin et Vincent Denis.
7 Il faut saluer particulièrement les articles séminaux de Bernard Gainot sur ces questions d’ordre public dans les espaces ruraux. Bernard Gainot, « Le contrôle de l’espace de Chalon à Mâcon de 1780 à 1815. Enjeux stratégiques, enjeux politiques », Bulletin de l’institut de recherches du Val de Saône-Mâconnais, no 7, 2008, p. 57‑64 ; et Id., « Sociétés politiques et administrations locales sous le Directoire, faits et interprétations (quelques exemples de chefs-lieux de cantons entre Saône et Loire) », dans Roger Dupuy (dir.), Pouvoir local et Révolution, 1780-1850. La frontière intérieure, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 443‑459. Quelques autres études ont été consacrées à des départements ruraux, comme André Goudeau, Le département de l’Eure sous le Directoire, Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012 ; ainsi que Howard G. Brown, Ending the French Revolution : Violence, Justice, and Repression from the Terror to Napoleon, Charlottesville, University of Virginia Press, 2006, qui comporte plusieurs études de cas.
8 Bernard Gainot, « Le contrôle de l’espace… », art. cité. Comme la Saône-et-Loire, l’Yonne a fait l’objet de peu d’études. Voir Léo Hamon (dir.), La Révolution à travers un département (Yonne). Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1990 ; Michel Péronnet et Daniel Ligou, La Révolution dans la Saône-et-Loire, 1789-1799, Le Coteau, Horvath, 1989 ; et Jean Bart, La Révolution française en Bourgogne, Clermont-Ferrand, la Française d’édition et d’imprimerie, 1996.
9 Ce tableau ne prend pas en compte les nombreuses circulaires ministérielles relatives à la sûreté publique, qui ne sont pas conservées dans la collection Baudouin.
10 Le tableau a été fait au moyen d’une recherche dans la collection Baudouin, avec les mots clés « sûreté publique », « sûreté », « surveillance », « prêtres », « clergé », « émigrés ». Nous avons choisi de recenser uniquement les textes qui s’appliquent à la totalité du territoire français et ne concernent pas un territoire ou un individu particuliers. Nous avons également exclu les textes organisant des modalités pratiques ou économiques sans impact sur la surveillance sur le terrain (ainsi, les textes évoquant les créances des émigrés ou les modalités de radiation de la liste des émigrés n’ont pas été sélectionnés pour cette étude). Si les trois premières lois mentionnées en italique sont promulguées dans les dernières semaines de transition entre Convention thermidorienne et Directoire, nous avons choisi de les inclure dans notre tableau statistique car elles s’appliquent pendant le Directoire. La collection Baudouin est accessible en ligne : https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/
11 La loi du 11 prairial an III (30 mai 1795) par exemple, réactivée par la loi du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795), ainsi que les lois du 26 août 1792, 21-23 avril 1793 et 29-30 vendémiaire an II (20-21 octobre 1793) sur les prêtres « sujets à la déportation ou à la réclusion », remises en œuvre dans la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795).
12 Archives départementales de l’Yonne (AD89 dans la suite) L209, lettre de l’administration centrale du département de l’Yonne à l’administration municipale de Saint-Fargeau, 17 prairial an IV (5 juin 1796). Elle rappelle que c’est aux municipalités de décider de la manière dont elles veulent appliquer cette loi vague.
13 Lois des 22 nivôse, 22 germinal, 26 floréal, 22 prairial et du 4e jour complémentaire de l’an III (11 janvier, 11 avril, 10 juin, 20 septembre 1795).
14 Le ministre de la Police Cochon tente, dans une circulaire du 27 vendémiaire an V (18 octobre 1796), d’éclaircir lui-même la masse des lois et arrêtés concernant les émigrés (AD71 1L 8 39). Pour le rôle croissant du ministre de la Police dans l’application de la loi, voir Jeanne-Laure Le Quang, « Faire appliquer ou orienter la loi ? », art. cité.
15 Les sources mobilisées pour cet article sont issues principalement de la sous-série « police – esprit public » des archives de l’Yonne (AD89 L209 à 220). En effet, les archives conservées pour la Saône-et-Loire sont moins nombreuses pour la période directoriale, avec un carton principal (AD71 1L 8 39 : « administration générale. Police »).
16 AD89 L209, Lettre des administrateurs du département de l’Yonne du 5 germinal an IV (25 mars 1796), aux commissaires du pouvoir exécutif et en leur absence aux administrations municipales des cantons de : Auxerre, Avallon, Vermenton, St Bris, Jouy, Villemer, Joigny, Villeneuve sur Yonne, Sens, Pont sur Yonne, Villeneuve la Guyard, Villeneuve sur Vannes (+ quatre autres noms illisibles).
17 AD71 1L 8 39, lettre du ministère de la Police générale Duval au Commissaire du Directoire exécutif près l’administration centrale du département de Saône-et-Loire à Mâcon, 12 floréal an VI (1er mai 1798).
18 En attestent de nombreuses lettres conservées en AD71 1L 8 39, notamment la lettre du commissaire du Directoire exécutif près l’administration centrale de la Manche à son confrère de Saône-et-Loire, 29 messidor an VII (17 juillet 1799).
19 AD89 L214, lettre du département de l’Yonne à l’agent municipal de la commune de l’Isle sur Serein, 6 floréal an V (25 avril 1797), et lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au canton de Noyers, 18 vendémiaire an VI (9 octobre 1797).
20 AD71 1L 8 39, lettre du ministère de la Police générale Duval au Commissaire du Directoire exécutif près l’administration centrale du département de Saône-et-Loire, 28 frimaire an VII (18 décembre 1798).
21 AD89 L210, circulaire de l’administration du département de l’Yonne aux administrations municipales, 19 floréal an V (8 mai 1797).
22 AD89 209, Extrait du procès-verbal d’une séance de l’administration municipale du canton de Neuvy, 20 thermidor an IV (7 août 1796). Il s’agit là du début d’un processus de centralisation des informations et de récolte d’une statistique d’État, qui est en germe, mais connaît une accélération notable seulement à partir du Consulat. Voir Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France : la statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éd. des Archives contemporaines, 1989 ; Pierre Karila-Cohen, L’état des esprits : l’invention de l’enquête politique en France, 1814-1848, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
23 C’est le cas pour les départements bourguignons étudiés, mais aussi ailleurs. Ainsi, dans les Hautes-Alpes, selon les statistiques faites par Raymond Dartevelle à partir des grandes enquêtes directoriales, plus de 70 % des agents municipaux du Directoire sont des agriculteurs, cultivateurs, sans fortune et avec un niveau d’instruction « insuffisant », « autant de facteurs qui les empêchent de consacrer beaucoup de temps à la ‘chose publique’« . Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé dans les Hautes-Alpes au lendemain du 18 fructidor an V », Annales historiques de La Révolution française, no 268, 1987, p. 192-218.
24 Notamment, AD89 L209, lettre du canton de Druyes au président de l’administration du département de l’Yonne, 5 nivôse an IV (26 décembre 1795) ; lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy (nommé Leclerc) à celui près l’administration du département de l’Yonne, 4 ventôse an IV (23 février 1796) ; lettre de l’administration municipale du canton de La Ferté à celle centrale du département de l’Yonne, 20 prairial an IV (8 juin 1796).
25 AD89 L209, lettre des membres de l’administration municipale de Saint-Fargeau aux citoyens administrateurs du département de l’Yonne, 5 prairial an IV (24 mai 1796).
26 Ibid., et AD89 L213, lettre de l’administration municipale du canton d’Hey à l’administration centrale du département, 5 fructidor an VI (22 août 1798) ; procès-verbal d’une séance de la municipalité d’Aillant, 22 thermidor an VI (9 août 1798) ; procès-verbal de la séance extraordinaire du canton de Mailly-le-Château, 20 fructidor an VI (6 septembre 1798) ; et AD89 L210, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 15 messidor an V (3 juillet 1797).
27 AD89 L209, lettre des administrateurs du département de l’Yonne aux commissaires du pouvoir exécutif, et en leur absence, aux administrations municipales des cantons, 5 germinal an IV (25 mars 1796).
28 AD89 L209, réponses du canton de Chablis aux questions faites par le département dans la lettre du huit frimaire dernier, 20 nivôse an IV (10 janvier 1796) ; lettre du canton de Vault de Lugny aux administrateurs du département de l’Yonne, frimaire an IV (novembre-décembre 1795).
29 AD89 L209, lettre de l’administration du canton de Druyes au président de l’administration du département de l’Yonne, 5 nivôse an IV (26 décembre 1795).
30 Voir aussi Bernard Gainot, « Le contrôle de l’espace… », art. cité ; et AD89 L209, réponses du canton de Chablis aux questions faites par le département dans la lettre du huit frimaire dernier, 20 nivôse an IV (10 janvier 1796).
31 Ibid. Ces difficultés, qui ne sont pas des particularités des départements bourguignons, sont connues des autorités centrales, comme en témoigne le « message concernant l’organisation de la gendarmerie nationale » envoyé par les cinq Directeurs aux membres du pouvoir exécutif, qui déplore que « dans son état actuel, [la gendarmerie] est loin de remplir tous ces objets importans de son institution. Disséminé[e] dans des postes trop nombreux, [elle] est foible partout ; ses brigades isolées échappent à une surveillance nécessaire ». Message du Directoire exécutif concernant l’organisation de la gendarmerie nationale, 8 germinal an IV (28 mars 1796) (collection Baudouin).
32 AD89 L209, réponse de l’administration municipale du canton de Châtelcensoir à l’administration du département, 20 ventôse an IV (10 mars 1796).
33 AD89 L210, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 19 prairial an V (7 juin 1797).
34 AD89 L210, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 15 messidor an V (3 juillet 1797).
35 AD89 L209, lettre du ministre de l’Intérieur à l’administration départementale de l’Yonne, 24 frimaire an IV (15 décembre 1795).
36 AD89 L209, lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy à celui près l’administration du département de l’Yonne, 4 ventôse an IV (23 février 1796).
37 Ces acteurs ont été étudiés pour Paris par Vincent Denis, qui souligne, pour le Directoire, la présence physique des commissaires dans les rues parisiennes, exerçant entre autres d’importantes fonctions de surveillance. Un tel corps manque dans les espaces ruraux, où l’« étatisation des policiers », leur transformation en agents de l’État clairement séparés des citoyens ordinaires et « déterritorialisés », des processus mis au jour pour Paris par Vincent Denis, n’ont pas lieu. Vincent Denis, Policiers de Paris, op. cit., notamment p. 235-266.
38 Code des délits et des peines, articles 38-46.
39 AD89 L210, placard de l’administration municipale du canton de Sens à ses concitoyens, 27 brumaire an V (17 novembre 1796).
40 AD89 L219, délibération du canton de Brunon, 30 prairial an V (18 juin 1797).
41 AD71 1L8 39, lettre du commissaire du directoire exécutif près le canton de Roussillon au commissaire central, 21 nivôse an VI (10 janvier 1798).
42 AD89 L209 Extrait des registres des délibérations de l’administration municipale du canton de Saint-Georges séance du 3 floréal an IV (22 avril 1796).
43 AD89 L209, extrait des registres de délibérations de l’administration municipale du canton de Vermenton, 20 thermidor an IV (7 août 1796).
44 AD89 L214, lettre de l’administration départementale de l’Yonne à l’administration municipale du canton de Villeneuve sur Yonne, 16 floréal an V (5 mai 1797).
45 Code des délits et des peines, art. 47.
46 Circulaire du ministre de l’Intérieur du 31 fructidor an V (17 septembre 1797), citée dans la lettre du commissaire du directoire exécutif près l’administration centrale de l’Aube au citoyen ministre de l’Intérieur, 3 frimaire an VII (23 novembre 1798) (Archives départementales de l’Aube, L305).
47 AD89 L209, extrait du procès-verbal de la séance extraordinaire du 23 ventôse an IV (13 mars 1796) tenue par les administrateurs municipaux du canton de Saint-Florentin.
48 AD89 L209, pétition du 2 germinal an IV (22 mars 1796) aux administrateurs du département de l’Yonne adressée par trois hommes de St Florentin (Nicolas Bouillard, Jean Theriot, Jean Colar).
49 AD89 L209, lettre de l’administration centrale du département au commissaire du Directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint Florentin, 18 germinal an IV (7 avril 1796).
50 AD89 L209, lettre du ministre de la Police générale aux administrateurs du département de l’Yonne, 11 germinal an IV (31 mars 1796).
51 AD89 L209, lettre de l’administration départementale de l’Yonne à l’administration municipale du canton de Tonnerre, 1er messidor an IV (19 juin 1796).
52 AD89 L209, lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy (nommé Leclerc) à celui près l’administration du département de l’Yonne, 3 germinal an IV (23 mars 1796).
53 AD89 L209, lettre du ministre de la Police générale au commissaire du pouvoir exécutif près l’administration centrale du département de l’Yonne, 9 germinal an IV (29 mars 1796).
54 AD89 L210, lettre de l’administration départementale à l’administration municipale de la commune et canton d’Auxerre, 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796) ; et lettre de l’administration municipale de la commune d’Auxerre à l’administration départementale de l’Yonne, 3 brumaire an V (24 octobre 1796).
55 AD89 L210, réponse du ministre de la Police à l’administration départementale de l’Yonne, 3 pluviôse an V (22 janvier 1797).
56 Par exemple, AD89 L209, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 3 thermidor an IV (21 juillet 1796) ; AD89 L210, lettre du ministre de l’Intérieur Benezech à l’administration du département de l’Yonne, 17 vendémiaire an V (8 octobre 1796) ; et lettre du ministre de la Police générale Lenoir Laroche à l’administration centrale du département de l’Yonne, 4 thermidor an V (22 juillet 1797).
57 Les quatre lois évoquées sont les suivantes : arrêté du Conseil des Cinq-Cents du 5 prairial an V (24 mai 1797) « relatif aux prêtres reclus », loi du 9 prairial an V (28 mai 1797) « qui rapporte la loi du 21 floréal, contenant des mesures de sûreté générale », loi du 11 messidor an V (29 juin 1797) « qui rapporte l’article II de la loi du 21 floréal an IV contenant des mesures de sûreté publique », et loi du 7 fructidor an V (24 août 1797) « qui rapporte celles rendues contre les prêtres insermentés ».
58 Albert Mathiez évoque les conséquences locales de ces lois de l’été 1797, en parlant de « sorte de renaissance de la terreur blanche », avec des assassinats de républicains et des sabotages de propriétés d’acquéreurs de biens nationaux. Albert Mathiez, « Le coup d’État du 18 fructidor an V », Annales historiques de la Révolution française, no 36, novembre-décembre 1929, p. 521-550. Selon Howard Brown également, ces lois ont pour conséquence immédiate une augmentation forte des crimes et désordres publics, et même d’un « effondrement général de l’ordre public », dû au retour soudain de beaucoup de prêtres réfractaires et d’émigrés dans les campagnes, à la fois depuis l’étranger et depuis leurs cachettes en France. Howard G. Brown, « Mythes et massacres : reconsidérer la “terreur directoriale” », Annales historiques de la Révolution française, no 325, 2001, p. 23-52.
59 Les ressorts de l’argumentation autour de cette vaste conjuration ont été étudiés par Sébastien Pivoteau, « L’appartenance à un complot : une accusation à géométrie variable. L’exemple des usages politiques de la conspiration de Pichegru sous le Directoire », Journée d’étude « Les appartenances de l’Antiquité à nos jours », Limoges, 2008, consultable en ligne : https://hal.science/hal-00965138/, p. 65-75.
60 17 députés sont déportés en Guyane, où la moitié meurt. Le déroulement du 18 fructidor a fait l’objet de plusieurs études anciennes. Voir notamment Albert Meynier, Les coups d’État du Directoire, vol. 1 : Le dix‑huit fructidor an V (4 septembre 1797), Paris, Presses universitaires de France, 1927 ; et Albert Mathiez, « Le coup d’État du 18 fructidor an V », art. cité.
61 Loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797), art. 15 à 24. Le texte de la loi est consultable intégralement en ligne : https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/93/491%20?byte%20=974192
62 Jean‑Pierre Gallais, Dix‑huit fructidor, ses causes et ses effets, Hambourg, 1799.
63 Victor Pierre, La Terreur sous le Directoire. Histoire de la persécution politique et religieuse après le coup d’État du 18 fructidor, Paris, 1887.
64 Voir Howard G. Brown, « Mythes et massacres… », art. cité ; François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 116 et 125.
65 Albert Mathiez, « Le coup d’État du 18 fructidor an V », art. cité. Pour Mathiez, à partir de fructidor, « la République n’était plus la chose de la Nation. Elle n’était plus que la chose des dirigeants ». Le peuple parisien est « absent » de ce coup d’État, car constitué de « bons bourgeois » qui, effrayés par les forces armées mobilisées, « se sont empressés de fermer leurs volets, de se tenir bien sages dans leurs maisons ».
66 Outre l’article « Mythes et massacres… » déjà cité, voir Howard G. Brown, « The search for stability », dans Howard Brown, Judith Miller (ed.), Taking Liberties: Problems of a New Order from the French Revolution to Napoleon, Manchester, Manchester University Press, 2002, p. 20-51; et Howard G. Brown, « Echoes of the Terror », Historical Reflections, vol. 29, no 3, 2003, p. 529-558.
67 Howard G. Brown, « Mythes et massacres… », art. cité.
68 Ibid. D’autres catégories d’émigrés auraient été exemptés de passage devant ces commissions, par des arrêtés ministériels successifs.
69 Ibid. Selon Howard Brown, les commissions militaires ont siégé dans 50 villes différentes et rendu 1 006 jugements concernant 975 individus, dont seulement 4 sur 10 sont condamnés, avec 274 condamnations à mort, 93 à la déportation, 24 à l’exil et 22 à des peines d’emprisonnement.
70 Pierre Serna, « Les deux écueils de l’ultra et de la contre-révolution », dans Marc Belissa, Yannick Bosc, Philippe Bourdin et al., « Le Directoire », Annales historiques de la Révolution française, no 414, 2023, p. 167-216 ; et Pierre Serna, La République des girouettes, 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique, la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 23.
71 Sébastien Pivoteau, « L’appartenance à un complot… », art. cité.
72 Voir le compte-rendu de l’ouvrage d’Howard Brown, Ending the French Revolution, op. cit., par Bernard Gainot, dans H-France Review, vol. 7, no 112, septembre 2007 [en ligne] https://www.h-france.net/vol7reviews/vol7no112gainot.pdf
73 Arrêté du conseil des Cinq-Cents, relatif aux exceptions demandées à l’article XV de la loi du 19 fructidor, du 3e jour complémentaire an V (19 septembre 1797), collection Baudouin, vol. 76, p. 411, https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/93/576%20?byte%20=1197992
74 Rappelons que les émigrés doivent quitter la France sous 15 jours après la loi du 19 fructidor. Seuls ceux qui auront refusé de le faire seront poursuivis ultérieurement par les commissions militaires.
75 Arrêté du conseil des Cinq-Cents relatif au message du directoire exécutif, sur les exceptions demandées à l’article X de la loi du 19 fructidor, du 5e jour complémentaire an V (21 septembre 1797), collection Baudouin, vol. 76, p. 417, https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/93/583%20?byte%20=1211983
76 Dans les arrêtés conservés dans la collection Baudouin, les noms des députés prenant la parole ne sont pas indiqués.
77 Arrêté du 11 ventôse an VI (1er mars 1798), relatif aux individus inscrits sur la liste des émigrés et qui n’ont pas quitté le territoire de la République, collection Baudouin, vol. 78, https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/95/321
78 Message du Directoire exécutif, concernant les prévenus d’émigration, du 16 ventôse an VI (6 mars 1798), collection Baudouin, vol. 78, p. 239 https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/95/346%20?byte%20=769115
79 En Bourgogne, selon les chiffres d’Howard Brown, la commission militaire a joué un rôle peu actif, avec seulement 25 jugements et 4 condamnations à mort. Howard G. Brown, « Mythes et massacres », art. cité. Voir aussi Laura Mason, « Après la conjuration : le Directoire, la presse, et l’affaire des Égaux », Annales historiques de la Révolution française, no 354, 2008, p. 77-103.
80 André Goudeau, « Chapitre X. Le coup d’État de Fructidor et ses conséquences », dans André Goudeau, Le département de l’Eure sous le Directoire, op.cit. ; et Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé dans les Hautes-Alpes au lendemain du 18 fructidor an V », art. cité.
81 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne aux administrations municipales, 21 fructidor an V (7 septembre 1797).
82 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 25 fructidor an V (11 septembre 1797) ; AD89 L210, Procès-verbal de la séance de l’administration municipale du canton de Druyes, 4e jour complémentaire an V (20 septembre 1797). Le chiffre des épurations est inconnu pour la Saône-et-Loire.
83 AD89 L210, lettre de citoyens du canton de Ligny aux administrateurs du département, 29 fructidor an V (15 septembre 1797).
84 André Goudeau, « Chapitre X », art. cité.
85 AD89 L212, lettre de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 15 brumaire an VI (5 novembre 1797). Quinze jours auparavant, cette administration avait contacté le ministre de l’Intérieur pour avoir des précisions sur la loi du 19 fructidor, qu’elle jugeait trop floue sur certains points. AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au ministre de l’Intérieur, 4e jour complémentaire an V (20 septembre 1797).
86 Dans le cas des Hautes-Alpes, Raymond Dartevelle analyse les difficultés d’application des lois avant Fructidor par « la fluctuation, l’instabilité des décrets-lois, l’absence d’instructions précises, de règles strictes », qui provoquent « des interprétations contradictoires et dans bien des cas, une lenteur dans leur application ». Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé… », art. cité.
87 AD71 1L8 39, lettre de la commune de Saint Léger, 30 thermidor an VI (17 août 1798).
88 AD89 L210, extrait du registre des délibérations de l’administration municipale de Sens, séance du 23 fructidor an V (9 septembre 1797).
89 AD71 1L8 39, lettre de l’administration municipale de Chalon sur Saône à celle centrale, 6 messidor an VI (24 juin 1798).
90 AD89 L212, extrait du registre des délibérations de l’administration municipale de Sens, séance du 8 frimaire an VI (28 novembre 1797) ; extrait du registre des délibérations de l’administration municipale du canton d’Egriselle le Bocage [non daté, frimaire an VI (décembre 1797)].
91 AD89 L209, rapport de l’administration du département de l’Yonne au ministre de la Police générale, 15 frimaire an VI (5 décembre 1797).
92 AD89 L212, extrait du procès-verbal de la séance de l’administration municipale d’Ancy le Franc, 10 frimaire an VI (30 novembre 1797) ; AD71 1L 8 39, lettre de l’administration municipale du canton de Verdun à l’administration centrale du département de Saône-et-Loire, 14 brumaire an VI (4 novembre 1797).
93 Ibid., procès-verbal de l’administration municipale de Druyes, 18 frimaire an VI (8 décembre 1797).
94 Ibid., extrait du procès-verbal de la séance de l’administration municipale du canton de Joigny, 8 ventôse an VI (26 février 1798).
95 Ibid., lettre du commissaire du pouvoir exécutif près l’administration municipale de Neuvy-Sautour au département de l’Yonne, 22 pluviôse an VI (10 février 1798).
96 AD89 L213, procès-verbal d’une séance de la municipalité d’Aillant, 22 thermidor an VI (9 août 1798).
97 AD89 L212, adresse de l’administration municipale du canton de Courson aux citoyens de son arrondissement, affichée « solennellement » dans toutes les communes du canton, 22 pluviôse an VI (10 février 1798).
98 Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé… », art. cité, p. 199.
99 AD89 L214, lettre du bureau de police administrative du département de l’Yonne au canton de Cravant, 3 vendémiaire an VI (24 septembre 1797).
100 AD89 L213, lettre de la municipalité d’Aillant aux autorités du département [non daté, prairial-messidor an VI (juin 1798)] ; AD71 1L 8 39, lettre de l’administration municipale de Chalon sur Saône à celle centrale, 7 prairial an VI (16 mai 1798).
101 AD89 L210, lettre de certains membres de l’administration municipale du canton du Mont Saint Sulpice au Directoire administratif, fructidor an V (septembre 1797).
102 AD89 L210, lettre du ministre de la Police Lenoir Laroche à un Directeur, non datée.
103 Voir les nombreux documents relatifs à cette affaire en AD89 L210, concernant principalement vendémiaire an V (septembre-octobre 1796). À Tonnerre se joue une querelle semblable entre les habitants et leur ancien procureur syndic, où les tensions du moment voient se rejouer les ressentiments des années 1793-1794 (AD89 L211).
104 AD89 L212, lettre des administrateurs municipaux du canton de Châtelcensoir, 25 frimaire an VI (15 décembre 1797).
105 André Goudeau, « Chapitre X », art. cité. Dans l’Eure, ces conflits prennent également la forme d’une lutte entre l’administration centrale et un journal, le Bulletin de l’Eure, dont un journaliste dénonce les administrateurs comme hypocrites et complaisants vis-à-vis des deux camps royaliste et jacobin.
106 AD71 1L 8 39.
107 De nombreux documents de l’an VI à l’an VIII montrent des situations locales absolument similaires à l’avant Fructidor, où le royalisme local est loin d’être éteint. Par exemple, AD89 L213, lettre du commissaire du Directoire exécutif près l’administration du canton de Saint Bris à l’administration du département, 18 fructidor an VI (4 août 1798) ; plainte contre un nommé Roblot émanant de l’agent municipal et de l’adjoint de la commune de Beyne, canton de Chablis, adressée aux autorités du département, 24 fructidor an VI (10 septembre 1798) ; AD71 1L 8 39, lettres du commissaire Nectoux du canton de Prix sous Beuvrai au commissaire central de Saône-et-Loire, 26 brumaire et 16 pluviôse an VII (16 novembre 1798 et 4 février 1799).
108 En l’an VI par exemple, on note l’élection de deux municipalités concurrentes à Villeneuve-la-Guyard, l’une pro-royaliste, l’autre républicaine : AD89 L213, Mémoire des citoyens de l’assemblée scissionnaire de Villeneuve-la-Guyard aux électeurs, sur les troubles qui ont eu lieu lors des élections de germinal an VI (avril 1798). Pour l’an VII, un conflit a notamment lieu à Saint Florentin entre un agent jacobin nommé Decourtive et une municipalité plus modérée qui veut le faire destituer (AD89 L213). De même, Raymond Dartevelle conclut que « les Hautes-Alpes ont été faiblement atteintes par la répression », qui ne réussit pas à démanteler le noyau de résistance royaliste présent dans le département. Raymond Dartevelle, « Les attitudes du clergé… », art. cité, p. 217.
109 Antoine Boulant, « La gendarmerie sous le Consulat et l’Empire », dans Jacques-Olivier Boudon (dir.), Police et gendarmerie dans l’Empire napoléonien, Paris, Éd. SPM, 2013, p. 41-55 ; Aurélien Lignereux, Gendarmes et policiers dans la France de Napoléon : le duel Moncey-Fouché, Maisons-Alfort, Service historique de la gendarmerie nationale, 2002.
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Légende | Figure 2 : Évolution chronologique des lois et arrêtés relatifs à la sûreté publique sous le Directoire (source : collection Baudouin) |
URL | http://journals.openedition.org/lrf/docannexe/image/8248/img-1.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Jeanne-Laure Le Quang, « La difficile application des lois sur la sûreté publique sous le Directoire », La Révolution française [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 22 mai 2024, consulté le 24 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/lrf/8248 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11pgz
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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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