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Dossier d'articles

Les Blancs de Saint-Domingue sous le gouvernement de Toussaint Louverture, 1798-1802

Vincent Cousseau

Résumé

Sous le gouvernement de Toussaint Louverture, les Blancs vivant à Saint-Domingue ne constituent plus qu’une infime minorité de la population, concentrée dans les villes côtières ou éparpillée dans les campagnes. Leurs conditions d’existence sont bien différentes de celles des colons réfugiés aux États-Unis et à la Jamaïque ou des propriétaires d’habitations à l’abri en France. Lors de la guerre du Sud (1799-1800), ces quelques milliers de civils blancs sont instrumentalisés par les deux partis rivaux de Toussaint et Rigaud, et souvent victimes du conflit. La paix intérieure revenue, Toussaint Louverture, victorieux, s’entoure de nombre d’entre eux pour faire fonctionner son proto-État et s’appuie sur des propriétaires blancs pour des raisons économiques et politiques. Toutefois, à l’arrivée de l’expédition de Leclerc en février 1802, le Gouverneur noir déclenche des rafles de grande ampleur contre les hommes blancs à sa merci, suivies de massacres.

Under Toussaint Louverture’s government, the white population of Saint-Domingue had shrunk to a tiny minority, concentrated in the coastal towns or scattered across the countryside. Their living conditions were very different from those of the colonists who had taken refuge in the United States and Jamaica, or of the homeowners who had sought shelter in France. During the Southern War (1799-1800), these few thousand white civilians were instrumentalized by the two rival parties of Toussaint and Rigaud, and often became victims of the conflict. Once domestic peace had returned, Toussaint Louverture, victorious, surrounded himself with many of them to run his proto-state, relying on white landowners for economic and political reasons. However, when Leclerc’s expedition arrived in February 1802, the Black Governor unleashed large-scale roundups against the white men at his mercy, followed by massacres.

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Texte intégral

1Dans l’histoire de la Révolution à Saint-Domingue la période 1798-1802 demeure la moins connue. La documentation lacunaire l’explique en partie, mais les raisons en sont également historiographiques et mémorielles. La phase de pouvoir personnel de Toussaint Louverture reste jusqu’à nos jours considérée comme une phase transitoire entre deux séquences remarquables, celle qui précède, de 1791 à 1794 – la révolte des esclaves et la guerre internationale – et celle qui la suit, de 1802 à 1804 – l’expédition de Leclerc et l’indépendance d’Haïti. Les interprétations dominantes de la Révolution haïtienne ont toujours privilégié ces deux séquences de basculement, négligeant une période intermédiaire jugée au fond sans grande portée. D’une certaine façon, cette situation n’est pas sans rappeler le sort historiographique de la période du Directoire en France, qui est longtemps apparue inconsistante et sans direction claire. Pourtant, au cours de ces quatre années, Toussaint Louverture a expérimenté une voie originale : celle d’une colonie française à forte autonomie politique reposant sur l’ordre et l’égalité des droits d’habitants aux origines diverses.

2Au sein de la population de Saint-Domingue, le sort qui fut réservé à la minorité blanche pendant cette période mérite à plusieurs titres d’être examiné. Comment ce groupe jusqu’ici dominant a-t-il vécu la configuration inédite d’un pouvoir exercé sans partage par un ancien esclave ? La concentration des pouvoirs politique et militaire entre les mains d’un commandant en chef noir posait la question de son sort et de son rôle. Le fait est que Toussaint Louverture, contrairement à son rival de couleur André Rigaud, lui attribua une place significative dans son projet politique et économique, même si la situation des Blancs devint de plus en plus précaire et équivoque.

  • 1 Archives nationales d’Outre-Mer (Anom dans la suite), Archives nationales (AN), Archives diplomatiq (...)
  • 2 Voyages d’Outre-mer et infortunes les plus accablantes de la vie de M. Joinville-Gauban... présenté (...)

3Pour cette enquête, nous mobiliserons les sources administratives, diplomatiques et militaires bien connues des historiens1. Mais pour bien comprendre les enjeux au plus près des acteurs, nous avons privilégié les traces laissées par des personnes privées dans des lettres et témoignages de toute première importance2.

La situation de la colonie en 1798

4L’année 1798 fut celle du retour tant espéré de la paix à Saint-Domingue. La Grande-Bretagne, après avoir laissé une vingtaine de milliers de morts dans l’île, ne voyait aucune issue militaire à son expédition. Son retrait se fit de façon ordonnée en s’accompagnant d’un accord secret signé le 31 août 1798 entre le jeune général Thomas Maitland et Toussaint Louverture. Cet accord s’approfondit l’année suivante par la conclusion d’une « convention tripartite » dite « Convention Maitland » le 13 juin 1799. Il s’agissait d’un accord commercial qui officialisait et amplifiait l’accord précédent, mais qui y associait cette fois les États-Unis avec la présence de l’Américain Edward Stevens. Sur le plan économique, la production agricole s’était écroulée, du fait des troubles internes à la colonie, mais aussi de la perturbation des flux maritimes, commerciaux, financiers… Pour autant, une activité agricole s’y maintenait comme le prouve le développement des transactions avec les États-Unis.

  • 3 Horace Pauléus-Sannon, Histoire de Toussaint Louverture…, vol. 2, Port-au-Prince, A. A. Héraux, 193 (...)
  • 4 Rapport du chef de brigade Boerner à Hédouville, 16 fructidor an VI (2 septembre 1798) à propos du (...)

5Sur le plan foncier, une partie significative des habitations avait été séquestrée, notamment celles des grands propriétaires ayant fui l’île. Sur le plan politique, les années 1798-1799 se caractérisèrent par l’effacement de l’autorité de la métropole et plus généralement de celle du pouvoir civil face à l’armée. Suite à son rapprochement avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, Toussaint Louverture entendait exercer le pouvoir seul, en autonomie, sans supervision des représentants français. Cette ambition déclencha son conflit avec Hédouville, le représentant du Directoire arrivé à Santo Domingo le 27 mars 1798, puis au Cap le 20 avril, chargé de restaurer le pouvoir civil et le principe de prééminence du pouvoir central sur le pouvoir local. Or, comme en France au même moment, le pouvoir militaire s’y était autonomisé. Pour Toussaint Louverture, Hédouville était un rival et un obstacle dont il fallait à tout prix se débarrasser. Afin de le marginaliser, il tira parti du règlement daté du 6 thermidor an VI (24 juillet 1798) qui obligeait les cultivateurs à passer des contrats de travail de longue durée avec les propriétaires. La diffusion de ce règlement édicté par Hédouville s’accompagna aussitôt de rumeurs de remise en question de la liberté générale3, que Toussaint Louverture attisait en sous-main. La situation se tendit rapidement, au point d’aboutir à une menace diffuse d’exactions à l’encontre des civils blancs. Hédouville fut mis au courant que selon « certains bruits, l’existence des Blancs ne tient qu’à bien peu de choses4 ». Cette perspective fit peser un poids lourd sur l’administrateur français, dépendant de l’armée pour le maintien de la sécurité.

  • 5 La conjuration de cet officier mulâtre contre le général Laveaux avait échoué de peu, grâce à son i (...)

6Toussaint Louverture avait endossé avec succès, depuis la conspiration de Vilatte en mars 1796 qu’il avait fait échouer, le rôle de protecteur de la vie des Blancs de Saint-Domingue5. Il en avait retiré un grand bénéfice symbolique, dans la colonie et en France. Depuis lors, il entretenait savamment cette posture avantageuse et s’était progressivement institué en force pacificatrice primordiale. Depuis 1798, il se posait en principal garant de la paix civile. Toussaint Louverture jouait une partition identique vis-à-vis des cultivateurs noirs en s’instituant en seul et authentique défenseur de la Liberté. La mise à l’écart subtile des abolitionnistes Sonthonax et Laveaux avait été, de ce point de vue, une vraie réussite politique.

7Suite à différentes manœuvres, Hédouville finit par être chassé de Saint‑Domingue le 22 octobre 1798. Aussitôt, Toussaint Louverture lui chercha un remplaçant plus docile. Son choix se porta sur Philippe Roume, alors représentant officiel de la France à Santo Domingo (partie espagnole de l’île), et qui lui était a priori tout acquis. Cependant, Roume ne s’en laissa pas compter et s’opposa aux négociations que Toussaint Louverture menait en parallèle avec la Grande-Bretagne, ainsi qu’à son projet d’invasion de la partie espagnole de Santo Domingo. Devenu gênant à son tour, il fut marginalisé, maltraité même, jusqu’à perdre tout pouvoir. Fin 1798, Toussaint Louverture avait déjà acquis toute l’autorité réelle dans une grande partie de la colonie, à l’exception du département du Sud.

Qui étaient les Blancs de Saint-Domingue en 1798 ?

Une question de couleur

  • 6 Frédéric Régent, « Du préjugé de couleur au préjugé de race, le cas des Antilles françaises », Revu (...)

8Avant la Révolution, les catégories de couleur n’étaient pas qu’une affaire de mots ou de sentiment. Elles avaient une valeur juridique par leur association assez étroite à des statuts différenciés, d’où la notion de « couleur-statut » énoncée par Frédéric Régent6. Avec l’accès des libres de couleur à l’égalité juridique (1792), puis du fait de l’abolition de l’esclavage dans la colonie (août-septembre 1793), les catégories de couleur ne furent plus corrélées à des droits spécifiques. Dès lors, la valeur juridique du qualificatif de « blanc » devint caduque et se réduisit à une construction sociale et culturelle. On observe ainsi dans les sources une raréfaction du terme de « Blanc » au profit d’autres termes, comme celui de « colon », d’« Européen », voire de « Français ». Dans la documentation de cette période, la fréquence d’emploi des qualificatifs relatifs recule au profit d’autres désignations, principalement de type professionnel – « cultivateur » pour les anciens esclaves, « bourgeois » pour les anciens maîtres. Il n’en reste pas moins que les catégories de couleur restaient encore vivaces dans les esprits, et toujours en partie corrélées au niveau économique et à l’accès au foncier. La couleur continuait à être associée à la classe sociale, dans ce que nous pourrions appeler une « couleur-classe ».

  • 7 Vincent Cousseau, « De Saint-Domingue à Haïti : histoires et mémoires de la guerre d’indépendance a (...)

9Après la chute de Toussaint Louverture et avec l’insurrection d’octobre 1802, la catégorie de « blanc » fut réinvestie dans les discours des contemporains. Dès lors, les interprétations de la situation de la colonie adoptèrent volontiers le critère de la couleur comme élément explicatif central. Au xixe siècle, cette lecture des événements s’imposa à la fois en Haïti, dans le cadre de la construction d’un récit patriotique, et en France, quelle que soit la sensibilité politique7. La production historiographique a souvent repris cette grille interprétative, et ce jusqu’à nos jours avec le risque de figer le raisonnement. La couleur, pourtant, était loin de conditionner les positionnements politiques et de rendre compte de la diversité des situations sociales. Ainsi, les Blancs qui restaient dans la colonie à la fin du xviiie siècle présentaient une grande variété de profils, dont les « colons » à proprement parler n’étaient, contrairement à l’idée reçue, qu’une composante parmi d’autres.

Un groupe hétérogène

10Avant même 1791 les « Blancs » constituaient déjà un groupe statutaire très hétérogène par ses origines, sa richesse, ses fonctions et ses opinions. Sous la Révolution, leurs divisions sociales et idéologiques se creusèrent encore, tandis que leur nombre chuta.

Graphique : Une population blanche en diminution, 1791-1802

Graphique : Une population blanche en diminution, 1791-1802
  • 8 Anom, CC9C 1, copie d’une lettre de Dubuisson adressée au ministre de l’Intérieur.

11Dubuisson, qui avait passé douze ans à Saint‑Domingue avant de revenir en France vers 1789, écrit au ministère qu’à son départ « la population blanche était composée à Saint‑Domingue de 24 000 à 30 000 individus. On prétend [dans les milieux colons français fin 1801] qu’elle est aujourd’hui réduite à 5 mille8 ». Cette diminution, ici peut-être exagérée en vue d’apitoyer le gouvernement et de pousser au repeuplement, fut au moins de l’ordre des deux-tiers. Sur une population de moins de 400 000 habitants, la population blanche ne représentait en 1798 tout au plus qu’une dizaine de milliers d’individus, soit une toute petite minorité d’environ 2,5 % de la population.

  • 9 Sur Michel Descourtilz, voir Vincent Cousseau et Michel C. Kiener, « Le projet de Lycée colonial du (...)
  • 10 Georges Bruley, Les Antilles pendant la Révolution française. D’après la correspondance inédite de (...)
  • 11 Anom, 10DPPC 386, dossier Varré.

12Le déclin du groupe s’explique d’abord par les pertes liées à trois facteurs : les soulèvements variés aux allures de guerre sociale et civile ; l’émigration des colons royalistes partisans de l’Ancien Régime colonial, la plupart réfugiés aux États-Unis ou à la Jamaïque ; enfin, les maladies diverses et les privations. Les arrivées étaient désormais trop peu nombreuses pour combler le déficit, avec toujours moins de candidats au départ depuis les ports français. Pour les rares volontaires, il devenait difficile de poser pied à Saint-Domingue, ne serait-ce qu’à cause du coût de la traversée et des dangers de capture. Ainsi, le jeune M. É. Descourtilz, missionné par sa belle-famille créole, dut patienter des mois avant de trouver à s’embarquer à Bordeaux sur un navire neutre à destination des États-Unis, d’où il rejoignit Saint-Domingue via Cuba9. Les autorités françaises elles-mêmes cherchaient à limiter une émigration jugée à fort potentiel déstabilisateur. César Dominique Duny, ancien délégué de l’Assemblée coloniale auprès de la Convention, vit ainsi sa demande de passeport refusée en 1798-179910. Il fallait désormais un mobile solide, professionnel ou familial, pour obtenir un passeport pour les îles – biens à gérer, famille présente sur place, exercice d’une profession déficitaire. Le tailleur Norbert Thoret trépigna des années à Bourbonne, dans le centre-est de la France, avant d’arracher enfin l’autorisation de s’embarquer. Il ne l’obtint qu’après s’être marié avec une jeune créole qu’il avait tirée d’un pensionnat. Quant au serrurier Varré, il mit en avant l’autorisation obtenue par un artisan de sa connaissance pour en obtenir une à son tour11. Ce cumul de soldes naturel et migratoire déficitaires explique cette forte diminution du nombre de civils blancs dans la colonie.

  • 12 Certains propriétaires faisaient face à une grève permanente des cultivateurs noirs et s’en allèren (...)
  • 13 Lettre de Lemaire à son neveu Jean-Jacques Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 1800, dans Un (...)

13Par ailleurs, la géographie de la population blanche se trouvait bouleversée. Au cours de la période révolutionnaire, les civils blancs des campagnes, fuyant l’insécurité générale, s’étaient progressivement concentrés dans les villes où ils tentaient de subsister tant bien que mal12. Cette tendance amorcée en 1791 se répéta à chaque flambée de violences. Au début de la guerre du Sud, suite à un massacre survenu près de Jérémie les 28 et 29 décembre 1799, « les blancs qui restaient encore dans ses hauteurs, fuyant la mort, ont abandonné leurs habitations et se sont réfugiés en ville13 ». Le groupe blanc était ainsi devenu plus urbain, concentré dans les deux villes principales du Port-au-Prince et du Cap, et secondairement dans celles de Jérémie, des Cayes, et de Saint-Marc. C’est dans les villes que la diversité sociale des Blancs était la plus marquée : on les retrouvait dans les secteurs administratifs et juridiques (ainsi les notaires), dans ceux de la santé, du commerce et de l’artisanat.

  • 14 Arch. dép. Gironde, 73J55, papiers O’Rourke, lettre d’O’Rourke à ses nièces, de Port-au-Prince le 2 (...)

14En milieu rural, dans la péninsule du Sud, le quartier du Môle Saint-Nicolas et la vallée de l’Artibonite, nombre de propriétaires modestes ou intermédiaires, dont assez peu de créoles semble-t-il, se maintenaient sur leur habitation. La frange supérieure des propriétaires était quant à elle soit absente depuis toujours, soit partie dès les débuts de la Révolution, de 1791 à 1794, soit présente par intermittence. À partir de 1798, encouragés par Toussaint Louverture, quelques-uns d’entre eux commencèrent à revenir depuis les États-Unis et la Jamaïque, voire de France. Cédant aux sirènes du devoir familial, de jeunes hommes envoyés par leur famille avaient pour mission de solder un héritage, de venir en aide à un parent, ou même de recouvrer la jouissance de biens séquestrés. Ainsi le propriétaire O’Rourke écrit que « par un bonheur inespéré mon fils Alexandre avant que de mourir [de maladie] avait obtenu la levée de séquestre de [l’habitation] de Nippes14 ». Ce fils était venu dans l’île contre son gré sur ordre paternel. C’était aussi la mission du jeune M. É. Descourtilz, apprenti naturaliste tout juste marié à Paris à une jeune créole, qui arriva en 1799 dans le quartier de l’Artibonite, chargé de reprendre en main les vastes propriétés de sa riche belle-famille, les Rossignol-Desdunes. En bas de l’échelle, en milieu rural, vivotaient des gérants et économes blancs téméraires, demeurés à leur poste en dépit des troubles. À côté d’eux gravitaient des marginaux aventuriers qui tentaient de tirer parti de la nouvelle situation ou de l’instabilité en occupant des places vacantes, mais exposées. L’impétueux Lyonnais Jean-Marie Bonjour, venu aux « Isles » en 1788 et résidant à Saint-Domingue de juillet 1791 à juin 1803, se vit confier la gestion d’une grande habitation près de Léogane, alors qu’il n’avait aucune expérience en la matière.

  • 15 Georges Bruley, Les Antilles pendant la Révolution française. D’après la correspondance inédite de (...)

15De 1798 à 1802, les Blancs de la colonie étaient donc dans une situation globalement précaire, mais très variable. Tout dépendait du chef local, noir ou de couleur, de l’histoire récente du quartier ou encore de la capacité à approcher le pouvoir protecteur de Toussaint Louverture. Dans les parties préservées par les conflits, les habitants pouvaient continuer à vivre à peu près normalement. Mais partout la situation économique était dégradée. Ainsi, le neveu du bourgeois Duny, âgé de onze ans, arpentait les rues du Cap nu-pieds pour y revendre des épingles et du tissu15. Au total, le groupe avait décliné à la fois numériquement et socialement, mais avait gagné en homogénéité.

Le temps de la subordination et du péril durant la guerre du Sud, 1799-1800

  • 16 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits (...)
  • 17 Anom, DPPC, 6SUPSDOM/16 (Philadelphie), no 442, déclaration du 22 juillet 1806 de Mesdames veuves C (...)
  • 18 Anom, CC9A 22, assassinats des planteurs et de leurs familles du Sud (Jérémie, Cayes) par les homme (...)
  • 19 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, de Santo Domin (...)

16Après l’éviction d’Hédouville, le seul concurrent de Toussaint Louverture dans la colonie était désormais Rigaud, qui commandait le département du Sud. La rupture entre les deux chefs intervint en mai 1799 et fut suivie du début des hostilités le mois suivant. L’affrontement ouvert débuta lorsque Toussaint Louverture donna l’ordre au général Laplume de s’emparer de Petit-Goâve, ville située en limite de souveraineté des départements de l’Ouest et du Sud. Rigaud réagit par l’envoi d’un chef qui, rapporte J. M. Bonjour, « l’enleva de vive force [le 18 juin 1799] et y fit faire un grand massacre des habitants, mieux de 200 périrent assassinés chez eux ou, traînés sur la place, ils furent égorgés au pied de l’arbre de la liberté16 ». Un autre témoignage de deux veuves confirme que « lors de l’attaque du Petit Goâve par Rigaud […] tous les blancs qui s’y trouvèrent furent massacrés sans distinction d’âge ni de sexe17 ». Les Blancs de Petit-Goâve furent ainsi les premiers à pâtir de la rivalité de deux chefs, annonçant des scènes similaires qui touchèrent les autres quartiers du Sud, Les Cayes et Jérémie, dès août 179918. Selon le colonel français Vincent, la terreur que fit régner Rigaud dans le Sud n’épargna personne, mais toucha tout particulièrement les « Européens »19.

  • 20 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits (...)
  • 21 Bernard Gainot, Mayeul Macé « Fin de campagne à Saint‑Domingue, novembre 1802-novembre 1803 », Outr (...)

17Arrivé à Léogane sur ordre de Toussaint pour reprendre l’offensive, Dessalines fit arrêter puis fusiller 49 autres personnes – quelques Blancs, mais surtout des hommes de couleur, encore communément appelés « mulâtres » –, « beaucoup de jeunes gens, ou pour mieux dire des enfants de dix à douze ans, qui jamais n’avaient porté les armes »20. La chute de Jacmel en mars 1800, puis celle de Petit-Goâve en avril 1800 ouvrirent la voie de la conquête du Sud. Cette victoire s’accompagna d’une répression d’ampleur plus ou moins assumée contre les hommes de couleur, noyés ou poignardés en masse sur ordre de Toussaint Louverture, bilan répressif que Bernard Gainot évalue à « 5 000 exécutions sommaires au bas mot »21.

Le rôle des Blancs durant la guerre du Sud

  • 22 Pierre La Chapelle et Jean-Antoine Garrigon, Compte-rendu des événements survenus dans le départeme (...)
  • 23 Vues du marquis de la Jaille à la fin de 1798, dans Philip Wright et Gabriel Debien, « Les colons d (...)

18Durant ce conflit intérieur, les Blancs n’eurent ni les moyens, ni l’ambition d’une action collective. Contraints à coopérer, ils suivirent les ordres des autorités dont ils dépendaient. Leur propre sauvegarde les poussait néanmoins davantage du côté de Toussaint Louverture que de Rigaud, qui s’était déjà montré dangereux à l’occasion des événements de 1796, à l’issue desquels les rues des Cayes furent « remplies de cadavres défigurés » de républicains et de civils, pour la plupart blancs22. Le marquis de la Jaille, avant même le conflit, en fin d’année 1798, estime que le projet de Rigaud consiste à s’emparer de l’île pour y imposer sa domination sur les Noirs, et pour cela à « chasser tous les Blancs hors de Saint‑Domingue et pour y parvenir, aucun crime, s’il le faut, ne sera épargné23 ». Pour les Blancs, à tout prendre, Toussaint Louverture offrait de meilleures garanties.

19Dans l’Ouest et le Nord, Toussaint Louverture incorpora dans ses armées les hommes blancs comme les autres citoyens. Ils contribuèrent ainsi, par exemple, au siège de Jacmel de novembre 1799 à mars 1800. Ceux qui ne furent pas directement utilisés sur le champ d’opérations furent affectés à des fonctions de surveillance, de maintien de l’ordre, voire de répression. Alors à Saint-Marc, Joinville-Gauban se souvient de ce à quoi il fut contraint de participer :

  • 24 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 256-259.

Nous étions quarante et quelques blancs envers quatre mille nègres de population. Ces assassins qui ne demandaient qu’un prétexte se seraient délectés à nous confondre avec les hommes de couleur […] Ce fût le cinquième convoi de mulâtres que les nègres sacrifièrent dans les bois de notre quartier. Je fus trop heureux de n’y avoir jamais coopéré en personne, mais ils voulurent toujours nous y faire participer pour nous associer à leurs crimes comme à leurs reproches ; nous sûmes ne garder que les issues de ces champs d’horreur et n’être témoins que des cris, que des hurlements et des confessions des plus malheureux des hommes24.

  • 25 Arch. dép. Gironde, Fonds Debien, bibliothèque, Précis historique des Annales de la colonie françai (...)
  • 26 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 264-267.

20La place de la « classe blanche » dans le conflit est révélatrice de « l’état d’abjection dans lequel elle était tombée », estime un observateur anonyme25. Son existence était très précaire, tout un chacun étant « perpétuellement à la disposition du plus petit commandant militaire », observe Joinville-Gauban après l’arrestation collective des Blancs de l’Arcahaye26.

  • 27 Georges Rafin, « Un Dunkerquois colon… », art. cité, p. 486, lettre de Dominique Lemaire à son neve (...)

21Dans le département du Sud contrôlé par Rigaud, des hommes blancs en âge de se battre furent également enrôlés de gré ou de force dans les troupes engagées contre Toussaint Louverture27. Bien que plus nombreux dans cette partie de l’île, ils y étaient davantage exposés comme propriétaires et attaqués pour ce seul motif. Le quartier de la Grande Anse conservait une structuration sociale fondée de fait sur la couleur, l’esclavage et la suprématie blanche s’y étant maintenus jusqu’à l’évacuation anglaise de 1798. Les propriétaires de ce quartier restaient considérés avec méfiance par tous ceux qui, de couleur ou blancs, avaient soutenu la République et qui les qualifiaient à l’occasion péjorativement de « colons anglomanes ». Rigaud n’offrait aucune protection aux Blancs du Sud, mais instrumentalisait au contraire le mécontentement social pour les chasser. Le conflit lui fournit le prétexte politique et les opportunités pratiques d’éliminations plus ou moins ciblées. Dominique Lemaire, résidant alors à Jérémie, témoigne ainsi à son neveu en mars 1800 du massacre d’habitants blancs du district du Fourré de la Grande-Rivière, secteur où se trouvait son habitation :

  • 28 Lettre de Dominique Lemaire à son neveu Jean-Jacques Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 180 (...)

Là, dans l’espace d’une lieue, les nègres, ayant à leur tête des hommes de couleur, ont surpris et égorgé, sans le moindre motif, 11 blancs du nombre desquels est le sieur Raboteau, ci-devant économe, qui ce même jour était venu loger sur mon habitation. […] Le complot de ces scélérats était d’exterminer tous les blancs, depuis Jérémie jusqu’aux Irois28.

  • 29 Lettre de Lemaire à son neveu J.-J. Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 25 avril 1802, ibid., p. 55
  • 30 Lettre de Lemaire à son neveu J.-J. Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 1800, ibid., p. 54.
  • 31 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) ; Jean-Marie Bonj (...)

22Lemaire tient Rigaud pour responsable d’avoir fait couler « le sang des malheureux blancs qu’il a immolés à son implacable haine pour notre couleur29 ». Mais, en réalité, il s’agissait moins de sa part d’une vengeance que d’un projet mûri et rationnel, consistant à s’emparer des terres des propriétaires blancs à la faveur du contexte de guerre civile. L’encadrement de cette attaque du Fourré par des hommes de couleur s’explique par l’objectif d’appropriation des terres à leur profit. En attendant, ces meurtres déclenchèrent de nouveaux départs : « Le peu de blancs qui restent fuient, les uns à l’île de Cuba, à Curaçao, à St-Thomas, au Continent américain, et ailleurs, où ils peuvent30 ». Jusqu’à la fuite précipitée de Rigaud, les Blancs du Sud se sont sentis directement menacés d’une exécution générale31. Quoi qu’il en soit, on peut conclure à l’absence de tout rôle significatif des Blancs dans la guerre du Sud, sauf à titre de supplétifs de Toussaint Louverture ou de victimes directes avec Rigaud.

L’insécurité persistante post-guerre civile, mi-1800 à fin 1801

  • 32 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).
  • 33 Anom, CC9B 27, lettre de Collet au ministère de la Marine, des Cayes du 16 brumaire an IX (7 novemb (...)

23La paix rétablie, l’insécurité ne cessa pas pour autant dans le Sud, à suivre André Collet, un Blanc partisan de Toussaint et des Noirs, mais hostile aux hommes de couleur qualifiés d’« oisifs et paresseux […] voleurs et insurrecteurs des atteliers32 ». Collet était l’un des principaux avocats de Toussaint Louverture, et considérait qu’il se distinguait totalement de Rigaud dont le « projet [était] de se faire cacique de Saint‑Domingue et de n’y recevoir aucun blanc européen, après avoir fait tuer ce qui restait33 ». Pour Collet, « c’est à la bravoure et à la fermeté du général Toussaint que nous [les Blancs] devons notre existence » et lui seul est en position de préserver « le reste de cette population » et de rétablir l’appareil productif. À l’issue de la guerre du Sud, pour la plupart des Blancs de Saint-Domingue, Toussaint Louverture apparaissait comme le garant incontesté du bon ordre et de la paix civile.

  • 34 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).
  • 35 Ainsi, en octobre 1800, Collet recense de nouvelles victimes civiles, par exemple Delinois, habitan (...)
  • 36 Arch. dip. (La Courneuve), 4MD/20, pièce no 21 : Aperçu succinct sur les derniers évènements de St  (...)
  • 37 Ibid., p. 5-6.

24Cependant, les hommes de couleur n’avaient pas désarmé après l’exil de leur chef et malgré l’amnistie accordée à l’armée du Sud et aux officiers34. Ceux-ci tentaient même de retourner la troupe et d’encourager des troubles dans les campagnes contre les Blancs isolés, quand ils ne procédaient pas eux-mêmes à des crimes35. Dans ce contexte de résurgence insurrectionnelle, Dessalines revint aux Cayes avec pour mandat d’y restaurer l’ordre. Il y déclencha une nouvelle épuration lors de laquelle furent fusillés « cent mulâtres, autant de noirs, et trois blancs », opération qui fut ordonnée dans tout le département du Sud36. Dans le discours public tenu sur la place d’armes de la ville, il reprocha aux hommes de couleur leur attitude, mais disculpa les Blancs : « On les accuse toujours de tout ce qui se fait de mal parce qu’on cherche un prétexte pour les détruire37 ». À ce stade, Dessalines se posait en protecteur des Blancs, jugés loyaux à Toussaint Louverture et partie intégrante de la société insulaire. Pour l’heure, le pouvoir victorieux voyait les Blancs du Sud en minorité à protéger. Après ces derniers soubresauts, la victoire de Toussaint Louverture laissait espérer une amélioration de leur condition.

La place des Blancs dans le projet louverturien

L’espoir de la stabilisation

  • 38 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits (...)
  • 39 P. Pluchon, Toussaint Louverture, de l’esclavage au pouvoir, Paris ; Port-au-Prince, L’École ; Édit (...)

25Suite à la guerre civile, selon J. M. Bonjour désormais huissier dans le Sud, « la paix s’étant faite, beaucoup d’habitants de St Domingue y revinrent38 ». Plusieurs raisons expliquent ces retours de propriétaires, à commencer par la promesse de restauration de l’ordre. La colonie était en effet fortement militarisée, avec un nombre de soldats et de miliciens estimé de 30 à 40 000 hommes, soit environ 10 % de la population. Ensuite, Toussaint ordonna la levée d’une partie des séquestres d’habitations. Les propriétaires blancs exilés faisaient à ses yeux partie du dispositif de relance de l’économie qu’il souhaitait. Symboliquement, Toussaint Louverture fit revenir Bayon de Libertat, l’ancien gérant des habitations Noé dont il avait été le cocher. Mais ces retours autorisés se limitèrent presque exclusivement aux propriétaires. Inversement, la méfiance de Toussaint Louverture demeurait totale envers les Français venus de métropole. Ils furent reçus au compte-goutte et souvent empêchés de débarquer. Ainsi, en septembre 1799 seuls trois passagers de la Diligente furent autorisés à descendre à terre, les autres devant, sous toute apparence, repartir39. Enfin, l’adoption du règlement de culture du 12 octobre 1800 répondit à l’objectif de relance de la grande plantation. Le défi était immense après une décennie de troubles. Pour le relever, Toussaint opta pour l’adoption d’un modèle très coercitif vis-à-vis des cultivateurs.

26Le nouveau règlement de culture de Toussaint Louverture comblait tous les propriétaires, blancs ou de couleur, jusqu’en métropole. Le nouvel ordre était fondé sur l’obligation de travail, d’où l’adoption d’un contrôle des mouvements de la population par interdiction du vagabondage. Un rigoureux caporalisme agraire fut mis en œuvre sur les habitations sous le commandement de Dessalines, redoutable inspecteur général des cultures. Le nouveau venu, M. É. Descourtilz, témoin direct de cette époque, raconte la dureté extrême de Dessalines. En tant qu’inspecteur des cultures celui-ci faisait régner la terreur par des inspections surprises, dont certaines se terminaient par des bastonnades ou des exécutions des travailleurs jugés feignants et des responsables de l’habitation :

  • 40 « La bagasse est un amas de cannes à sucre passées par le moulin, dont on a exprimé le sucre, et qu (...)

En cas de mécontentement il n’épargnait personne, et cédait arbitrairement à la réaction de vengeance d’un petit chef qui quelquefois avait du fiel contre celui qu’il dénonçait. Il fit ainsi mourir sous le bâton plusieurs blancs du Mont-Roui et de l’Artibonite, quelques-uns ayant été mis vivants dans des étuves chauffées par la bagasse40.

  • 41 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).
  • 42 Paul Cheney, Cul-de-Sac. Patrimony, Capitalism, and Slavery in French Saint-Domingue, Chicago, Chic (...)

27Ce retour à l’ordre et la restauration de la grande propriété au nom du rétablissement de la « prospérité » eurent un prix : ils s’accompagnèrent d’une dégradation immédiate de la condition des cultivateurs et de beaucoup de souffrances. André Collet, lui-même propriétaire et proche de Toussaint Louverture, résume ainsi la position de son milieu : « L’Homme doit être conduit par la crainte n’importe sa couleur ; il faut des chatimens proportionnés aux fautes. Aucun propriétaire ne réclame le retour de la servitude personnelle, mais celle de la Glèbe est indispensable41 ». Telle était la position des possédants et de ceux qui défendaient leurs intérêts, de Bonaparte à Toussaint. Pour La Ferronnays, un grand propriétaire du Cul-de-Sac vivant en France, Toussaint Louverture méritait bien le titre d’« envoyé céleste42 ».

Le cabinet blanc de Toussaint Louverture

  • 43 Voir la liste établie par le colonel Vincent, dans Claude B. et Marcel B. Auguste, Ouragan sur la C (...)

28Toussaint Louverture, loin d’être l’homme seul que l’on présente trop souvent, s’entoura de nombreux conseillers, secrétaires, administrateurs et militaires soigneusement choisis. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, étaient des Français non créoles. Leur implication reposait sur la reconnaissance de ses qualités personnelles, sur l’adhésion à la politique menée, et, pour certains, sur le pur opportunisme43.

  • 44 Mémoires d’une enfant, par Mme J. Michelet, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1888, p. 192. De sim (...)
  • 45 Guybre, créole et propriétaire né dans l’Artibonite en 1771, fut secrétaire de Toussaint Louverture (...)

29Le cabinet de Toussaint Louverture était composé de conseillers et secrétaires, parmi lesquels Yves Louis Mialaret, futur beau-père de l’historien Jules Michelet. Peu rancunier pour celui qui l’avait mis au cachot en 1793, il était passé à son service en devenant précepteur de ses fils et resta dès lors dans son orbite44. Le cabinet comprenait des hommes de confiance par excellence, à savoir : son secrétaire général du gouvernement Henri Pascal (gendre de Julien Raimond) ; des secrétaires particuliers tels François-Toussaint Allier (également greffier du tribunal civil du nord de Saint-Domingue), Dupuis, Le Masson et René Guybre45 ; l’interprète d’anglais, le Juif Donato Nathan. Quant à l’administration en place, elle était constituée de Français qui jouissaient de la même façon de sa confiance, tels le président du tribunal civil du Cap Fouqueau et le commissaire du gouvernement Lagarde.

  • 46 Anom, CC9A 32, « Rapport aux consuls de la République », 30 prairial an XI (19 juin 1803).
  • 47 Le titre d’ordonnateur des guerres apparaît dans « Le procès-verbal de la cérémonie qui a eu lieu a (...)
  • 48 Idlinger dut se justifier auprès de la nouvelle autorité française d’avoir fidèlement servi Toussai (...)
  • 49 Jacques Périès, La Révolution de Saint-Domingue, British Library MS 38074 (cité par S. Hazareesingh(...)

30Parmi les plus fermes soutiens de Toussaint Louverture figuraient les rédacteurs de la constitution de 1801, qui lui accordait le titre de Gouverneur général à vie. Des trois Blancs de l’assemblée préparatoire du texte, le principal était Bernard Borgella, l’ancien maire du Port-au-Prince, qui la présida. Il y était entouré par deux propriétaires terriens, André Collet et Gaston Nogérée46, qui adhéraient sans limite à la politique de Toussaint Louverture. D’autres apparaissent, après-coup, plus opportunistes, et parmi eux l’un des plus influents, le directeur des Domaines et « Ordonnateur des guerres » Joseph Idlinger47. Il avait su se rendre indispensable par sa connaissance du foncier de la colonie, au point qu’il entra par la suite au service de Rochambeau48. De son côté, Jacques Periès arriva en 1800 au poste de receveur général des contributions. Il était en bons termes avec Toussaint Louverture, qui le gardait toutefois à distance, le soupçonnant de ne pas être tout à fait loyal49. Toussaint Louverture n’était pas dupe des soumissions apparentes et il savait utiliser avec lucidité ceux des administrateurs français dont le seul objectif était de se faire une place au soleil.

31Prolongeant son projet de colonie dotée d’une personnalité propre et reconnue, Toussaint Louverture tenait à représenter sa position à l’extérieur. Il envoya en fin d’année 1800 en Angleterre le colon anglophone Pennetier qui réussit à convaincre le duc de Portland, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, de lui apporter son soutien. Il pouvait compter également sur des appuis politiques, comme ceux du député Louis Rallier en France et du colonel du Génie Vincent, ou encore de son ancien trésorier Joseph Bunel, agent actif de son rapprochement avec les États-Unis.

Toussaint Louverture, le protecteur

  • 50 Lettre de Guitton à Maulévrier (à Paris), du Cap le 21 frimaire an VIII (12 décembre 1799). Jacques (...)
  • 51 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, de Santo Domin (...)
  • 52 Anom, CC9B 2, Roume, Moyens proposés au gouvernement français…, du Cap le 22 prairial an VIII (11 j (...)
  • 53 Horace Pauléus-Sannon, Histoire de Toussaint Louverture…, op. cit., p. 213-214.

32L’image rassurante de Toussaint Louverture auprès des Blancs, déjà bien établie avant la guerre civile du Sud, ne cessa de se renforcer jusqu’en 1802. L’état d’esprit commun ressort bien des propos d’un habitant du Cap pour qui « le général Toussaint est un honnête homme. Il a l’intention de faire le bien. Un grand malheur que nous avons à craindre, ce serait la perte de ce général50 ». Le colonel Vincent, défenseur critique de Toussaint Louverture, soulignait que les habitants européens le considéraient comme leur « protecteur ». En avril 1800, alors que s’achevait la guerre du Sud, des habitants réfugiés à Santo Domingo le couvraient d’éloges : « Quel homme que Toussaint, c’est le père des colons51 ». Malgré les avanies subies, Roume lui-même reconnut le rôle pivot de Toussaint Louverture et qu’il jouissait « de l’estime et de la confiance européenne52 ». La guerre finie, les habitants blancs de la colonie lui donnèrent d’innombrables preuves de leur confiance. Fin novembre 1800, il fut fêté en héros aux Gonaïves (dont il fera rafler la population masculine blanche un peu plus d’un an plus tard). Au Cap, on lui offrit une réception grandiose : un arc de triomphe fut érigé et « une femme blanche d’une rare beauté » le ceignit d’une couronne de lauriers. On le comparait aux grandes figures de l’Antiquité (Alexandre le Grand, Bacchus, Hercule…)53.

  • 54 Arch. nat., AB/XIX/5002, Notes de Gaston Nogérée, Souvenirs de son séjour à Saint‑Domingue.
  • 55 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, du Port-Républ (...)

33Avant l’arrivée de l’expédition Leclerc en février 1802, les propriétaires blancs vivant à Saint‑Domingue restaient, au moins en apparence, quasi unanimement favorables au chef noir. Ils le voyaient comme le garant de la prospérité, de la paix civile et de leur propre sécurité54. Toussaint Louverture souhaitait retirer tout le bénéfice politique de cette situation. Il déclara ainsi au colonel Vincent, pour qu’il le répète en France, avoir toujours donné « l’exemple de l’attachement dû aux Européens que j’aime, et que je scais être reconnaissans55 ». Cette protection était brandie comme la preuve en actes de sa fidélité à la France, dont il attendait désespérément des encouragements publics qui ne venaient pas.

De l’insécurité diffuse aux violences générales

  • 56 Michel É. Descourtilz, Voyages…, op. cit., t. 3, p. 266.
  • 57 Ibid.., p. 271-275.
  • 58 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits (...)

34Le contexte de guerre civile fut propice à l’exercice de vengeances personnelles contre les Blancs des campagnes, y compris dans le Nord et l’Ouest. M. É. Descourtilz, qui vivait dans les environs de Saint-Marc en 1800-1802, se souvient d’un danger permanent : « Qui pouvait en sûreté rester sur les habitations où on avait à craindre, comme nous l’avons éprouvé, le feu, le fer et le poison56 ? » Il ne se sentait pas davantage en sécurité en dehors de l’habitation du fait de la haine recuite que lui vouait un certain Titus, le commandant du quartier de l’Artibonite. Celui-ci chercha à plusieurs reprises à l’éliminer et y réussit presque avec une tentative d’empoisonnement ratée de peu57. De son côté, Jean-Marie Bonjour renonça à se fixer sur sa petite place caféière du secteur de Léogane, car elle ne lui « offrait pas une très grande sûreté pour le moment », ce que la suite des événements lui confirma58. Malgré tout, dans le département de l’Ouest, la politique protectrice de Toussaint Louverture limitait les violences à des tentatives isolées d’assassinat, du moins dans un premier temps.

Les Blancs comme pris en otages

  • 59 Lettre d’Hardivilliers à Foäche du Havre, de Baltimore le 16 octobre 1800. Maurice Begouën-Demeaux, (...)
  • 60 Lettre de Dupuy à Boubée, du Port-au-Prince le 20 ventôse an X (11 mars 1802), citée par Gabriel De (...)
  • 61 P. Pluchon, Toussaint Louverture, de l’esclavage au pouvoir, op. cit., p. 289.
  • 62 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 253.
  • 63 Lettre de Lyonnet au ministre de la Marine, du 23 septembre 1800. Ibid., p. 291.

35Les Blancs, créoles ou venus de France, faisaient l’objet d’une surveillance étroite. Ils étaient persuadés, à juste titre, que leurs correspondances avec l’extérieur étaient interceptées. Le simple fait de recevoir une lettre comprenant des considérations politiques faisait encourir le risque de se voir « fourrer au cachot », comme Hardivilliers en prévenait ses interlocuteurs de France pour les inviter à la modération59. Les correspondants devaient faire preuve d’une grande prudence dans leurs envois réciproques, ainsi que le révéla plus tard l’un d’eux : « J’avais été jusqu’à ce moment forcé de garder le silence avec mes amis sur l’état où nous nous trouvions tous sous l’horrible gouvernement de Toussaint en écrivant la vérité60 ». Au fil des mois, la surveillance se transforma en suspicion de principe et beaucoup s’en inquiétaient. Dulac, officier de santé arrivé à Saint‑Domingue dans l’espoir de s’y installer, finit par y renoncer. Il écrit le 17 février 1800 à un ami bordelais : « Tous les blancs non attachés aux bâtiments sont promis de suite en geôle et envoyés à l’armée […] Les blancs sont soumis aux noirs et n’osent rien dire. La vie des blancs ne tient qu’à un fil dans ce pays61 ». L’assujettissement des Blancs subsistants à cette époque est illustré par le retour dans la colonie du colonel Vincent en milieu d’année 1800, qui déclencha aussitôt la détention préventive de tous ceux de l’Arcahaye par le commandant du lieu62. Même quitter l’île devint difficile, situation dont se plaignaient des officiers subalternes qui en étaient empêchés. Pour l’agent forestier Lyonnet, cette situation correspondait, ni plus ni moins, à une prise en otage. Inquiet pour sa propre vie, il va même jusqu’à écrire, en septembre 1800, qu’« on les garde comme des victimes destinées au couteau63 ».

  • 64 Anom CC9B 18, lettre de l’agent Roume transmise par Périès (receveur général des contributions) au (...)
  • 65 Anom, CC9B 2, lettre de Desseule à Toussaint Louverture, du Cap le 14 fructidor an IX (1er septembr (...)

36Toussaint Louverture s’employait à tuer dans l’œuf toute opposition, même minime. La moindre remarque était punie, comme l’apprirent à leurs dépens « cinq pères de famille Blancs et propriétaires, [enfermés] parce que malheureusement ils se sont permis quelques réflexions sur la nouvelle constitution64 ». L’un des rares opposants à ce coup d’État institutionnel de 1801 à s’être exprimé sur place sans en avoir subi les conséquences était un médecin renommé du Cap. Jean Michel Deseulle, dévoué à la cause des Noirs qu’il soignait déjà avant la Révolution, était à la fois un républicain patriote fervent, un chrétien convaincu et un franc-maçon. Cet homme ne représentait pas de danger pour Toussaint Louverture dont il était proche jusqu’ici. Il le laissa donc lui communiquer, mais en privé seulement, ses opinions contraires65.

  • 66 Pour obtenir de Roume l’autorisation d’attaquer la partie espagnole en 1801, il l’aurait prévenu : (...)

37Dans l’esprit de Toussaint Louverture, laisser planer la crainte d’un massacre général des Blancs de la colonie était l’un des leviers destiné à dissuader la métropole de toute tentative de reprise en main par la force. Il en usa pour faire pression sur les administrateurs envoyés de France. Pour obtenir de Roume l’autorisation d’attaquer la partie espagnole en 1801, il usa d’intimidations personnelles et d’actes d’humiliation et même, selon l’historien Cyril James, de menaces collectives66. Par paliers, le sort de la population blanche était devenu un outil de négociation.

La révolte du général Moyse : un révélateur des tensions

  • 67 « Les Français ne sont pas bons dans ce pays ; il n’y a qu’eux qui nous gênent, mais je leur en fer (...)

38La politique de Toussaint Louverture envers les propriétaires blancs, jugée trop accommodante, n’était pas du goût de tous. Le retour des anciens propriétaires ou de leurs représentants, même en nombre limité, entraîna dans son sillage l’augmentation des levées de séquestres. Tous ceux qui disposaient désormais de leurs habitations en fermage, essentiellement des officiers de couleur, s’en inquiétèrent. Maintenir les propriétaires émigrés hors de l’île, c’était permettre aux habitations séquestrées de le rester et d’en tirer des profits substantiels. Lorsque Moyse, le neveu de Toussaint Louverture, déclara « nous n’en voulons point recevoir d’autres », il traduisait à voix haute l’objectif partagé par nombre d’officiers noirs ou de couleur : sécuriser le contrôle des habitations séquestrées qui leur avaient été confiées à vil prix. Moyse réitérait là le projet, déjà prôné en 1798, d’éliminer les propriétaires blancs de la colonie pour s’emparer une fois pour toutes de leurs biens67.

  • 68 C. L. R. James indique par erreur septembre. Les Jacobins noirs…, p. 271-272. Selon P. S. Chazotte, (...)
  • 69 Lettre d’Arnaudeau à Louis de Fleuriau du 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801), citée par Annic (...)

39La nouvelle détérioration des conditions des cultivateurs suite au règlement de culture offrit un terreau social idéal à l’entreprise de Moyse, alors commandant le Nord. Il pouvait en effet s’appuyer sur le mécontentement populaire pour dénoncer un complot imaginaire noué entre Toussaint et les Blancs en vue de rétablir l’esclavage. Le but de sa manœuvre était, a minima, de s’imposer comme le maître incontesté du Nord. Dans la seconde quinzaine d’octobre 1801, les révoltés, des cultivateurs noirs exaspérés et manipulés, massacrèrent tous les Blancs qu’ils rencontrèrent, au nombre de 300 à 40068. Pour éviter la contagion au reste de la colonie, le colon Arnaudeau indique que « tout notre espoir gît en l’activité du général Dessalines » et en la terreur qu’il inspire, seuls moyens de « rétablir la tranquillité »69.

  • 70 Anom, CC9B 18, Récit des événements qui se sont passés dans la partie du Nord de Saint‑Domingue le (...)
  • 71 Jean Ponsignon, La vie à Saint-Domingue au début du xixe siècle. Lettres de Pierre Étienne Gombault (...)

40L’origine de cette séquence trouble a suscité deux interprétations divergentes. Selon la première interprétation, Moyse avait comme projet l’extermination des Blancs par les cultivateurs noirs, afin de s’instituer en chef de file de la révolte et de s’emparer du pouvoir. La seconde interprétation est celle d’une machination de Toussaint Louverture, qui aurait poussé Moyse à la faute afin de pouvoir se débarrasser d’un rival et de montrer qu’il restait l’unique protecteur et garant de la vie des Blancs. Par ce stratagème, il aurait ainsi conforté son crédit auprès des colons et, par ricochet, de la métropole. Cette hypothèse d’un plan préconçu a été bâtie par Roume, qui fit remarquer que Toussaint avait déjà usé du même procédé envers lui, à savoir répandre des rumeurs de rétablissement de l’esclavage et des menaces sur la population du Cap. Quoi qu’il en soit, Toussaint fit bon usage de l’événement pour affermir son pouvoir. Il fit exécuter Moyse et tout son entourage sans procès et déclencha une répression terrible contre les cultivateurs du Nord70. Encore une fois, ses protestations de fidélité à la République, sa capacité à relancer une économie encadrée donnaient raison à ses partisans dans la colonie comme en France. Le simple Orléanais Pierre Étienne Gombault, enseignant et juriste désargenté du Cap, voyait dans cet épisode la preuve du soutien indéfectible de Toussaint Louverture, ce qui l’incita à écrire à sa femme et à sa sœur de venir le rejoindre avec leurs enfants71.

Des menaces explicites contre les civils blancs

  • 72 Yvés Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 2006, p. 57.
  • 73 Pierre Pluchon, « Toussaint Louverture défie Bonaparte. L’adresse inédite du 20 décembre 1801 », p. (...)
  • 74 Lettre d’Hardivilliers à Foäche du Havre. Maurice Begouën-Demeaux, Mémorial…, op. cit., p. 196.

41La suspension de fait de la guerre maritime avec la Grande-Bretagne, après les Préliminaires de Londres, rebattit les cartes72. Elle rendait possible une tentative de reprise de contrôle de la colonie par la France, que Toussaint Louverture tenait pour certaine en toute fin d’année 1801, à en juger par son changement de ton73. Pour les Blancs de Saint-Domingue, cette perspective représentait paradoxalement un danger considérable. Le négociant Hardivilliers, alors à Baltimore, indique que « la paix [avec l’Angleterre] est tombée sur nous comme une bombe », annonçant dans son esprit le lancement inéluctable d’une expédition française dont il redoutait avec raison les conséquences désastreuses74.

  • 75 Michel É. Descourtilz, Voyages…, op. cit., t. 3, p. 279-280.
  • 76 « Propriétaires » était à entendre au sens de « colons », et non pas, bien entendu, des propriétair (...)
  • 77 « C’est immédiatement après que parut imprimée la fatale adresse de Toussaint-Louverture, qui servi (...)

42En fin d’année 1801, 20 frimaire an X-11 décembre 1801, enfla la rumeur d’une expédition de reconquête partie de France. M. É. Descourtilz assista alors au bourg de Petite-Rivière à une harangue de Dessalines dans laquelle il donna l’ordre à ses soldats de se préparer à rafler leurs propres camarades blancs et les habitants blancs (« vous va ramasser yo tant comme moutons/vous les parquerez comme des moutons ») en cas d’arrivée d’une expédition menaçante75. Peu de temps après, Toussaint Louverture diffusa dans toute l’île une adresse imprimée sibylline. Tout en garantissant sa protection à tous, il déplorait par avance le fait qu’une expédition française puisse « amener l’anéantissement des propriétaires et des propriétés de la colonie76 ». M. É. Descourtilz interpréta, à juste titre, cette déclaration comme une menace directe77. Les habitants blancs du Port-Républicain (ex-Port-au-Prince) eurent le même sentiment, comme l’indiquent les adresses élogieuses publiées dans le Bulletin officiel du Port-Républicain du 2 février 1802 :

  • 78 Anom, CC9A 32, Bulletin officiel du Port-Républicain, 2 février 1802 (no 40), p. 158-159. La même a (...)

Persistez, vertueux général [Dessalines], à seconder le Gouverneur [Toussaint Louverture] pour échapper du naufrage les malheureux Blancs qui restent ; c’est alors que vous goûtrez la vraie jouissance d’une âme sensible […]Votre gloire sera immortelle, et du sang innocent préservé par vous, qui encore coulera dans leurs veines, votre nom sera gravé dans tous les temples antiques et modernes […] On chantera vos louanges et chacun répétera cent fois avec transport, vive le général Dessalines, vive le sauveur du reste malheureux des Blancs du nouveau monde. [signé :] l’Espérance78.

43Il y avait une part de sincérité et de crédibilité dans cette déclaration dans la mesure où les Blancs de la colonie s’étaient montrés loyaux envers le gouverneur. Mais dans l’immédiat ces propos étaient commandés par la peur, une peur qui allait se révéler bien fondée.

  • 79 Les massacres commis par les officiers de Toussaint Louverture sont exposés par Pamphile de Lacroix (...)
  • 80 Le capitaine de frégate J.-B. Gémon, prisonnier épargné, date le massacre de Petite-Rivière des 22 (...)
  • 81 Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, J. Courtois, 1848, t. 3, p. 108.

44À l’arrivée de l’expédition Leclerc en février 1802, à peu près partout dans l’île et simultanément, tous les chefs fidèles à Toussaint Louverture organisèrent comme ordonné la rafle des hommes blancs (notamment à Port-au-Prince et dans l’Ouest, mais pas dans le Sud). Il s’ensuivit des déportations dans l’intérieur des terres souvent suivies de tueries méthodiques79. L’un des principaux massacres se déroula au bourg de Petite-Rivière de l’Artibonite sous l’égide de Dessalines80. L’historien haïtien T. Madiou retient un bilan total de « 3 000 habitants (blancs) de tout sexe égorgés sous les ordres de Toussaint Louverture81 ». Ces exactions ont été commises à un moment où les affrontements de nature militaire avec les troupes de Leclerc ne faisaient que débuter. Elles ne furent donc pas des actes de représailles, mais bien le prolongement du plan préétabli de rafle des Blancs qui vivaient dans l’île.

  • 82 Bonaparte avait été averti que le lancement d’une expédition serait le signal du massacre des Blanc (...)

45Ces événements confirment a posteriori que Toussaint Louverture considérait la population blanche de Saint-Domingue comme une garantie pour dissuader le gouvernement français d’engager une opération de reconquête. Le lancement effectif de l’expédition Leclerc montra l’échec de ce pari, soit que Napoléon Bonaparte ait jugé la perspective de massacres peu crédible, soit qu’il ne souciait pas du sort de quelques milliers d’habitants pour la plupart modestes82. Dans les mois qui suivirent, on doit constater que Leclerc et d’autres officiers français comme le général Boudet firent preuve d’absence de considération pour les habitants blancs, considérés en bloc et avec une touche de mépris républicain comme des « colons », tous plus ou moins partisans de l’Ancien Régime. Leur existence fût donc passée par pertes et profits. Le secrétaire-général français Norvins, qui assista au dialogue entre Leclerc et Toussaint Louverture au moment de la soumission de ce dernier au Cap se souvient, bien plus tard, de cette conversation :

  • 83 Norvins, « Variétés. Toussaint Louverture (1) », La Presse, 13 novembre 1836, p. 3.

Leclerc lui reprochait le massacre des blancs. – Toussaint répondait : C’est Dessalines […] Leclerc disait encore, pourquoi avez-vous fait brûler le Cap ? Toussaint répondait, c’est les noirs qui ont mis le feu, c’était le général Christophe qui commandait. Leclerc reprenait : Eh bien ! Je veux tout oublier83.

  • 84 Ibid.
  • 85 Boston Public Library, MS Haiti 67-8, lettre de Dessalines à Rochambeau du 10 prairial an X (30 mai (...)

46La vie de ses prétendus protégés, puis otages, blancs, Toussaint Louverture dut en être lui-même étonné, n’avait compté pour rien. Dessalines bénéficia d’une mansuétude plus grande encore. Alors même qu’il était de notoriété publique qu’il avait organisé le massacre de Petite-Rivière quelques semaines auparavant, Leclerc le convia au banquet de réconciliation au lendemain du ralliement de Toussaint Louverture84. Plus incongru encore, en mai 1802, le commandement de ce même secteur lui fut accordé, sous la responsabilité du général Rochambeau85.

  • 86 Jeremy Popkin, Facing racial revolution. Eyewitness Accounts of the Haitian Insurrection, Chicago, (...)

47Une fois ralliés à l’autorité coloniale, les chefs noirs ou de couleur qui avaient organisé les massacres de février et mars 1802 bénéficièrent ainsi d’une totale immunité pour les faits commis sous leur autorité. Faits qui, soulignons-le, sont omis dans la production historiographique jusqu’à nos jours, à de rares exceptions près86. Les habitants victimes étaient, pour la quasi-totalité, des petits propriétaires ou des employés – gérants, économes, artisans. Ce n’était pas pour eux que Bonaparte avait lancé l’expédition de reconquête, mais pour remplir ses desseins géopolitiques en assurant sa totale autorité sur les colonies, redonner sa pleine valeur économique à la colonie et restaurer les grandes habitations des riches propriétaires de France, ceux-là même qui avaient œuvré avec insistance au lancement des opérations. La combinaison de l’impérialisme colonial et du capitalisme patrimonial, après avoir volé les existences de centaines de milliers d’Africains dans l’île, venait ainsi de faire quelques milliers de victimes supplémentaires avant le fiasco de l’expédition de reconquête.

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Notes

1 Archives nationales d’Outre-Mer (Anom dans la suite), Archives nationales (AN), Archives diplomatiques (A. dip. La Courneuve), Service historique de la défense.

2 Voyages d’Outre-mer et infortunes les plus accablantes de la vie de M. Joinville-Gauban... présenté par Jacques De Cauna, Guitalens-L’Albarède, La Girandole, 2011 ; Voyage de France à Saint Domingue. Transcription d’un manuscrit anonyme, présenté par David Geggus et Roger Little, Paris, l’Harmattan, 2021 ; La Révolution à Saint Domingue. Récits de rescapés (1789-1805). J. M. Bonjour, M. É. Descourtilz, J. Decout, présentés par Vincent Cousseau et Michel C. Kiener, Bécherel, Les Perséides, 2016.

3 Horace Pauléus-Sannon, Histoire de Toussaint Louverture…, vol. 2, Port-au-Prince, A. A. Héraux, 1932, p. 114.

4 Rapport du chef de brigade Boerner à Hédouville, 16 fructidor an VI (2 septembre 1798) à propos du 4e régiment de Dessalines et des environs de Saint-Marc, cité par Sudhir Hazareesingh, Toussaint Louverture, Paris, Flammarion, 2020, p. 195.

5 La conjuration de cet officier mulâtre contre le général Laveaux avait échoué de peu, grâce à son intervention décisive. Toussaint Louverture avait capitalisé aussitôt sur cet épisode, en soulignant que sans son intervention « c’en était fait de la race blanche européenne dans cette partie de la République ». Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti, t. 3, Paris, Dezobry et E. Magdeleine, 1856, p. 173.

6 Frédéric Régent, « Du préjugé de couleur au préjugé de race, le cas des Antilles françaises », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 68, no 3, 2021, p. 64-90.

7 Vincent Cousseau, « De Saint-Domingue à Haïti : histoires et mémoires de la guerre d’indépendance au xixe siècle », dans Bernard Michon et Anne Rolland-Boulestreau (dir.), Mémoires des guerres civiles, Rennes, PUR, 2022, p. 121-139.

8 Anom, CC9C 1, copie d’une lettre de Dubuisson adressée au ministre de l’Intérieur.

9 Sur Michel Descourtilz, voir Vincent Cousseau et Michel C. Kiener, « Le projet de Lycée colonial du naturaliste Descourtilz à Saint-Domingue en 1802 », La Révolution française [En ligne], no 16, 2019.

10 Georges Bruley, Les Antilles pendant la Révolution française. D’après la correspondance inédite de César-Dominique Duny, consul de France à Curaçao, préface de Carmen Vasquez, Paris, éditions caribéennes, 1989, p. 73.

11 Anom, 10DPPC 386, dossier Varré.

12 Certains propriétaires faisaient face à une grève permanente des cultivateurs noirs et s’en allèrent vivre en ville. Ainsi, Dominique Lemaire écrit en 1800 que « ne trouvant donc plus de moyens d’existence de mon habitation, j’ai été forcé de prendre un gîte en ville ». Il y demeura avec son domestique, auquel il peinait à payer ses gages. Abbé Georges Rafin, « Un Dunkerquois colon à Saint Domingue (Antilles) de 1765 à 1818 d’après les lettres inédites de Dominique Lemaire », Union Faulconnier. Société historique de Dunkerque et de la Flandre maritime, t. IV, 1901, p. 484 et 487.

13 Lettre de Lemaire à son neveu Jean-Jacques Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 1800, dans Une autre mémoire de l’esclavage. Fortunes et infortunes dunkerquoises à Saint Domingue au xviiie siècle, Centre de la mémoire urbaine d’agglomération de Dunkerque, 2016, p. 5.

14 Arch. dép. Gironde, 73J55, papiers O’Rourke, lettre d’O’Rourke à ses nièces, de Port-au-Prince le 2 décembre 1802. O’Rourke père avait quitté la colonie en 1794 pour Baltimore, d’où le séquestre advenu, pour y revenir en juin 1802.

15 Georges Bruley, Les Antilles pendant la Révolution française. D’après la correspondance inédite de César-Dominique Duny, consul de France à Curaçao, préface de Carmen Vasquez, Paris, éditions caribéennes, 1989, p. 82.

16 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits de rescapés (1789-1805)… op. cit., p. 54.

17 Anom, DPPC, 6SUPSDOM/16 (Philadelphie), no 442, déclaration du 22 juillet 1806 de Mesdames veuves Canière et Volant.

18 Anom, CC9A 22, assassinats des planteurs et de leurs familles du Sud (Jérémie, Cayes) par les hommes de Rigaud, rapportés pour le Mirebalais par le commandant de la Garde nationale, 1er fructidor an VII (18 août 1799) ; Anom, CC9A 23, lettre du lieutenant Lacroix à Toussaint Louverture, 23 vendémiaire an VIII (15 octobre 1799).

19 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, de Santo Domingo le 4 floréal an VIII (24 avril 1800).

20 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits de rescapés (1789-1805)… op. cit., p. 54.

21 Bernard Gainot, Mayeul Macé « Fin de campagne à Saint‑Domingue, novembre 1802-novembre 1803 », Outre-Mers, no 340-341, 2003, p. 17. Selon J.M. Bonjour, « Thoussaint fait arrêter et massacrer tous ceux des autres quartiers. Ceux que l’on croit coupables de conspiration sont amenés au Port au Prince, jugés et fusillés dans les vingt-quatre heures. Néanmoins le nombre de ces derniers devenant trop grand, ils étaient toutes les nuits envoyés par centaines dans des embarcations au large de la rade, poignardés et jetés à la mer », ibid., p. 55. Voir aussi les précisions manuscrites de Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 258-259.

22 Pierre La Chapelle et Jean-Antoine Garrigon, Compte-rendu des événements survenus dans le département du sud de Saint‑Domingue les 10 fructidor et jours suivants de l’an IV [27 août 1796], Paris, 17 vendémiaire an VI (8 octobre 1797), p. 37-44. Sur cette séquence voir : Manuel Covo, « Le massacre de fructidor an IV à Saint‑Domingue : violence et politique de la race sous le directoire », Annales historiques de la Révolution française, no 395, 1-2019, p. 143-169.

23 Vues du marquis de la Jaille à la fin de 1798, dans Philip Wright et Gabriel Debien, « Les colons de Saint‑Domingue passés à la Jamaïque », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, no 26, 1975, p. 148-158.

24 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 256-259.

25 Arch. dép. Gironde, Fonds Debien, bibliothèque, Précis historique des Annales de la colonie française de Saint‑Domingue (anonyme), 2 t., p. 131.

26 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 264-267.

27 Georges Rafin, « Un Dunkerquois colon… », art. cité, p. 486, lettre de Dominique Lemaire à son neveu, 1er juillet 1800.

28 Lettre de Dominique Lemaire à son neveu Jean-Jacques Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 1800, Une autre mémoire de l’esclavage, op. cit., p. 54.

29 Lettre de Lemaire à son neveu J.-J. Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 25 avril 1802, ibid., p. 55.

30 Lettre de Lemaire à son neveu J.-J. Fockedey à Dunkerque, de Jérémie le 5 mars 1800, ibid., p. 54.

31 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) ; Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique… », op. cit., p. 56.

32 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).

33 Anom, CC9B 27, lettre de Collet au ministère de la Marine, des Cayes du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800). André Collet était juge et sénéchal des Cayes, propriétaire d’une sucrerie et d’une cotonnerie aux Cayes, il présida l’assemblée provinciale du Sud, puis se réfugia à Philadelphie en 1794. Il est l’un des trois Blancs, avec Bernard Borgella et Etienne Viard, qui participa à la rédaction de la Constitution de 1801, ce qui leur valu d’être expulsés en France en 1802 (Anom, CC9A 32, « Rapport aux consuls de la République », 1802). Collet dédouane Toussaint de toute responsabilité dans le déclenchement de la guerre du Sud.

34 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).

35 Ainsi, en octobre 1800, Collet recense de nouvelles victimes civiles, par exemple Delinois, habitant blanc créole dont « la tête a été pilée dans un mortier » et de « Janvier, noir estimable, qui ne voulait pas ce meurtre [et qui] a été lui-même tué », ou encore le viol de la femme de l’administrateur Vrignaud « par douze brigands », laissée vivante mais « très malade ». Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).

36 Arch. dip. (La Courneuve), 4MD/20, pièce no 21 : Aperçu succinct sur les derniers évènements de St Domingue, de Jean Decout.

37 Ibid., p. 5-6.

38 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits de rescapés (1789-1805)… op. cit., p. 57.

39 P. Pluchon, Toussaint Louverture, de l’esclavage au pouvoir, Paris ; Port-au-Prince, L’École ; Éditions Caraïbes, 1979, p. 291.

40 « La bagasse est un amas de cannes à sucre passées par le moulin, dont on a exprimé le sucre, et qui dans les équipages sert à chauffer vivement les fourneaux », M. É. Descourtilz, Voyages d’un naturaliste et ses observations..., Paris, Dufart, 1809, t. 3, p. 269. L’étuve est un bâtiment équipé d’un gros poêle, dans lequel on fait sécher les pains de sucre.

41 Anom, CC9B 27, lettre de Collet, des Cayes le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800).

42 Paul Cheney, Cul-de-Sac. Patrimony, Capitalism, and Slavery in French Saint-Domingue, Chicago, Chicago University Press, 2017, p. 187.

43 Voir la liste établie par le colonel Vincent, dans Claude B. et Marcel B. Auguste, Ouragan sur la Caraïbe, Québec, Éditions du CDHICA, 2007.

44 Mémoires d’une enfant, par Mme J. Michelet, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1888, p. 192. De simple percepteur, il évolua en dispensateur de cours, puis se fit donner un bataillon de la garde nationale. Toujours selon le récit de sa fille, il délivra la proclamation d’abolition dans la plaine de l’Artibonite, ce qui lui valut cinq mois de cachot, sur ordre d’arrestation de Toussaint Louverture, alors à la solde de l’Espagne.

45 Guybre, créole et propriétaire né dans l’Artibonite en 1771, fut secrétaire de Toussaint Louverture de l’an V jusqu’en octobre 1800 au plus tard. Envoyé à Paris en septembre 1798, il en repartit fin avril 1799.

46 Anom, CC9A 32, « Rapport aux consuls de la République », 30 prairial an XI (19 juin 1803).

47 Le titre d’ordonnateur des guerres apparaît dans « Le procès-verbal de la cérémonie qui a eu lieu au Cap-Français le 18 messidor an IX... », p. 11 (Anom CC9B 18). Il vivait dans la colonie au moins depuis 1794 et avait investi dans plusieurs sucreries. Il mourut à Paris le 29 juillet 1806.

48 Idlinger dut se justifier auprès de la nouvelle autorité française d’avoir fidèlement servi Toussaint Louverture comme aide-de-camp (AN, 135AP/3, correspondance reçue, dossier 22, lettres des 5 et 18 nivôse an XI). Il se montra suffisamment convaincant pour se voir reconduit administrateur des biens nationaux, jusqu’à devenir « l’un des hommes de confiance du général Rochambeau ». Anom, CC9A 39, lettre du Grand Juge Ludot au ministre de la Marine et des Colonies, de Paris le 8 frimaire an XII (30 novembre 1803).

49 Jacques Périès, La Révolution de Saint-Domingue, British Library MS 38074 (cité par S. Hazareesingh, op. cit., p. 379). Il était cependant toujours présent au Cap le 7 juillet 1801, sous le titre vague de « Commissaire civil du gouvernement près l’Administration municipale » Procès-verbal..., p. 12 (Anom CC9B 18). Sa situation ne s’améliora pas autant qu’il le désirait et, subissant plusieurs vexations, il se résolut en avril 1801 à demander l’autorisation de quitter l’île.

50 Lettre de Guitton à Maulévrier (à Paris), du Cap le 21 frimaire an VIII (12 décembre 1799). Jacques De Cauna (dir.), Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, Paris, Karthala ; SFHOM, 2004, p. 74.

51 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, de Santo Domingo le 4 floréal an VIII (24 avril 1800),

52 Anom, CC9B 2, Roume, Moyens proposés au gouvernement français…, du Cap le 22 prairial an VIII (11 juin 1800).

53 Horace Pauléus-Sannon, Histoire de Toussaint Louverture…, op. cit., p. 213-214.

54 Arch. nat., AB/XIX/5002, Notes de Gaston Nogérée, Souvenirs de son séjour à Saint‑Domingue.

55 Anom CC9B 17, lettre de Vincent au conseiller d’État chargé des colonies Lescallier, du Port-Républicain le 7 messidor an VIII (26 juin 1800).

56 Michel É. Descourtilz, Voyages…, op. cit., t. 3, p. 266.

57 Ibid.., p. 271-275.

58 Jean-Marie Bonjour, « Relation du voyage en Amérique », dans La Révolution à Saint Domingue. Récits de rescapés (1789-1805)… op. cit., p. 57.

59 Lettre d’Hardivilliers à Foäche du Havre, de Baltimore le 16 octobre 1800. Maurice Begouën-Demeaux, Mémorial d’une famille du Havre, Le Havre/Paris, Étaix/Larose, 1951, p. 194.

60 Lettre de Dupuy à Boubée, du Port-au-Prince le 20 ventôse an X (11 mars 1802), citée par Gabriel Debien, « Sur les plantations Mauger à l’Artibonite (1770-1803) », Enquêtes et documents, Centre de recherche sur l’histoire de la France et de l’Atlantique, no 6, 1981, p. 307.

61 P. Pluchon, Toussaint Louverture, de l’esclavage au pouvoir, op. cit., p. 289.

62 Joinville-Gauban, Voyages d’Outre-mer…, op. cit., p. 253.

63 Lettre de Lyonnet au ministre de la Marine, du 23 septembre 1800. Ibid., p. 291.

64 Anom CC9B 18, lettre de l’agent Roume transmise par Périès (receveur général des contributions) au ministre, du Cap le 27 thermidor an IX (25 août 1801).

65 Anom, CC9B 2, lettre de Desseule à Toussaint Louverture, du Cap le 14 fructidor an IX (1er septembre 1801).

66 Pour obtenir de Roume l’autorisation d’attaquer la partie espagnole en 1801, il l’aurait prévenu : « si vous refusez de signer le décret, cela signifie la fin de tous les Blancs de la colonie et je porterai le fer et le feu dans le territoire espagnol ». Cyril L. R. James, Toussaint Louverture et la révolution de Saint Domingue, Paris, éditions Amsterdam, 2008, p. 239. Roume, privé de tout pouvoir réel, finit en un exil intérieur dans des conditions lamentables. Il ne dut sa sauvegarde qu’au soutien actif du consul américain Stevens, avant que Toussaint Louverture ne concède à l’expulser en France.

67 « Les Français ne sont pas bons dans ce pays ; il n’y a qu’eux qui nous gênent, mais je leur en ferai tant que je les obligerai tous de partir et d’abandonner leur propriété ». Anom, CC9A 22, cité par Delatte dans « Mémoire sur les événements de Fort-Liberté », 16 frimaire an VII (6 décembre 1798).

68 C. L. R. James indique par erreur septembre. Les Jacobins noirs…, p. 271-272. Selon P. S. Chazotte, des attaques ou des projets avortés auraient eu lieu dans d’autres secteurs. P. S. Chazotte, Historical Sketches of the Revolutions, and the Foreign and Civil Wars in the Island of St. Domingo, New York, WM. Applegate, 1840, p. 24-25.

69 Lettre d’Arnaudeau à Louis de Fleuriau du 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801), citée par Annick Notter, « Les possessions de la famille Fleuriau dans la tourmente domingoise (1789-1804) », dans E. Noël et A. Notter, Un monde créole, Niort, La Geste, 2017, p. 165.

70 Anom, CC9B 18, Récit des événements qui se sont passés dans la partie du Nord de Saint‑Domingue le 4 novembre 1801, imprimé au Cap le 7 novembre et signé de Toussaint-Louverture.

71 Jean Ponsignon, La vie à Saint-Domingue au début du xixe siècle. Lettres de Pierre Étienne Gombault, 1799-1804, Le Coudray-Macouard, Feuillage, 2022.

72 Yvés Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 2006, p. 57.

73 Pierre Pluchon, « Toussaint Louverture défie Bonaparte. L’adresse inédite du 20 décembre 1801 », p. 387, dans J. De Cauna (dir.), Toussaint Louverture…, op. cit.

74 Lettre d’Hardivilliers à Foäche du Havre. Maurice Begouën-Demeaux, Mémorial…, op. cit., p. 196.

75 Michel É. Descourtilz, Voyages…, op. cit., t. 3, p. 279-280.

76 « Propriétaires » était à entendre au sens de « colons », et non pas, bien entendu, des propriétaires de couleur, dont lui-même et ses proches. Anom, CC9A 32, Bulletin officiel du Port-Républicain, 8 janvier 1802 (no 33), p. 131.

77 « C’est immédiatement après que parut imprimée la fatale adresse de Toussaint-Louverture, qui servit à notre condamnation, et qui finissait par ces mots : ‘Les Français n’arriveront à moi, s’ils sont traîtres, qu’après avoir marché sur les débris des propriétaires et des propriétés’« . M. É. Descourtilz, Voyages…, op. cit., t. 3, p. 280.

78 Anom, CC9A 32, Bulletin officiel du Port-Républicain, 2 février 1802 (no 40), p. 158-159. La même adresse est publiée pour le « Citoyen Toussaint Louverture, Gouverneur ».

79 Les massacres commis par les officiers de Toussaint Louverture sont exposés par Pamphile de Lacroix, qui en fut un témoin direct et par Beaubrun Ardouin, Études…, op.cit., t. 5, chap. V.

80 Le capitaine de frégate J.-B. Gémon, prisonnier épargné, date le massacre de Petite-Rivière des 22 et 23 février. Précis des évènements arrivés à la députation envoyée par le Général Boudet au Port-au-Prince lors de la descente des Français à Saint‑Domingue, pluviôse an X, Anvers, 1806.

81 Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, J. Courtois, 1848, t. 3, p. 108.

82 Bonaparte avait été averti que le lancement d’une expédition serait le signal du massacre des Blancs de la colonie, en septembre 1800 par Roume, point que le ministre des Colonies Forfait prend au sérieux. L’ancien colon Paul Alliot Vauneuf estime déjà en mai 1800 que toute tentative de reconquête se solderait par « l’assassinat de toute la couleur blanche qui y existe encore ». Yves Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 2006, p. 24-25, 53.

83 Norvins, « Variétés. Toussaint Louverture (1) », La Presse, 13 novembre 1836, p. 3.

84 Ibid.

85 Boston Public Library, MS Haiti 67-8, lettre de Dessalines à Rochambeau du 10 prairial an X (30 mai 1802).

86 Jeremy Popkin, Facing racial revolution. Eyewitness Accounts of the Haitian Insurrection, Chicago, University of Chicago Press, 2008 ; Philippe Girard, Ces esclaves qui ont vaincu Napoléon. Toussaint Louverture et la guerre d’indépendance haïtienne (1801-1804), Rennes, Les Perséides, 2013.

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Titre Graphique : Une population blanche en diminution, 1791-1802
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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Cousseau, « Les Blancs de Saint-Domingue sous le gouvernement de Toussaint Louverture, 1798-1802 »La Révolution française [En ligne], 27 | 2025, mis en ligne le 20 janvier 2025, consulté le 08 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/lrf/8799 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13466

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Auteur

Vincent Cousseau

Criham
Université de Limoges

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