Atlas de la grotte Chauvet, ou Monographie de la grotte Chauvet-Pont d’Arc
Jean-Jacques Delannoy et Jean-Michel Geneste, dir. (2020). Atlas de la grotte Chauvet-Pont d’Arc. Volume 1. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 368 p.
Plan
Haut de pageTexte intégral
Le poids du savoir
1Nous pourrions être surpris par cet ouvrage colossal, publié en octobre 2020 aux Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme à l’issue de 6 ans de travail. Pesant cinq kilos et demi, doté de 400 pages au format 34 cm x 48 cm, avec 105 cartes et 600 illustrations, le livre nous affirme dès sa couverture qu’il n’est que le premier volume d’une longue aventure éditoriale. Sa lecture sollicite une certaine logistique : quel fauteuil, quelle table ou bureau choisir pour s’y plonger sereinement ?
2Heureusement, cet ouvrage imposant, qui nous maintient comme à distance, est doublé d’une édition électronique de grande qualité et gratuite : https://books.openedition.org/editionsmsh/49690. À l’usage apparaîtra un paradoxe : s’il est plus confortable de démarrer la lecture de cette monographie sur écran, le retour au livre s’impose vite, car nous en avons une meilleure vue d’ensemble ; preuve que le design et l’ergonomie de l’édition web ne sont pas encore aboutis quand on aborde le registre de la lecture érudite.
3Passées ces premières surprises, nous comprenons vite que nous avons affaire à un travail scientifique abouti et authentiquement interdisciplinaire, relatif à une grotte monumentale, du point de vue de la taille comme du point de vue de ses vestiges, notamment artistiques. De façon récurrente au fil des pages, viendront à l’esprit du lecteur des qualificatifs inattendus, comme « sublime, époustouflant, ahurissant », autant destinés à l’ouvrage qu’à la grotte.
La grotte Chauvet : histoire et mise en perspective
4Rappelons quelques éléments de contexte : en décembre 1994, Jean-Marie Chauvet, accompagné d’Éliette Brunel et de Christian Hillaire, découvre la grotte qui, après bien des vicissitudes, finira par porter son nom (deux salles de la grotte porteront les noms de ses amis). Cette grotte gigantesque (plus de 300 m de long, des salles de plus de 10 mètres de haut) fut habitée il y a 36 000 ans et conservée intacte depuis 22 000 ans, suite à un éboulis. Des animaux aujourd’hui disparus en firent leur repaire et les hommes la décorèrent. L’admirable visite 3D : https://archeologie.culture.gouv.fr/chauvet/fr/visiter-la-grotte nous donne une idée du lieu.
5Pour décrire la grotte, l’ouvrage revendique une approche cartographique très géographique, tout en se plaçant dans une filiation héritée des atlas anatomiques depuis Vésale, et bien sûr des atlas archéologiques depuis au moins 1900. Dès l’introduction, les auteurs nous offrent une perspective érudite. Plus loin (p. 25-26), la réflexion sur les apports de la cartographie est particulièrement intéressante. Y font écho une quarantaine de pages pour nous expliquer comment lire les légendes qui nous permettront de lire les cartes (n’oublions pas que l’atlas a le projet de « faire découvrir la grotte par les cartes »). La démarche est passionnante et toujours exemplifiée par des photos ou des rappels concrets (inondations liées à des épisodes cévenols, etc.), qui nous permettent de ne jamais ployé sous les détails.
6Il en résulte d’abord un plaisir de cartographe, qui se prend à rêver que ses propres choix et légendes soient aussi détaillés et lus que celles ici précisées. Ensuite, une méditation sur la notion de représentation : peut-on rendre compte de la réalité avec autant de photographies, de pictogrammes et d’explications ? Gilles Gaston Granger nous avait montré que c’est le virtuel (le détour conceptuel) qui donne de l’épaisseur et du sens à l’actuel (la réalité que nous croyons brute). Ce que confirment les auteurs de l’atlas, qui nous expliquent comment distinguer un crâne d’ours déplacé par les humains d’un autre, poussé par le ruissellement de la grotte. Et nous en apprenons plus sur la grotte Chauvet via cet ouvrage que si nous étions devant un de ses dessins de lion dont nous ne saurions effectivement rien dire. Preuve que si l’expérience vécue a ses charmes, elle a aussi ses limites.
7La démarche est aussi un plaidoyer discret pour la « science » et le « progrès », si vite décriés. Sans datation au carbone 14 (avec des erreurs inférieures à 500 ans pour les œuvres d’art et inférieures à 200 ans pour les ossements), sans mesures laser, sans acquis biologiques, nous n’aurions su dialoguer si finement avec ceux qui ont dessiné des mammouths, peut-être à notre intention ; ni conserver pour les générations futures cette geste communicationnelle d’une ampleur inédite. Le progrès réside aussi dans nos aptitudes (accrues depuis 50 ans) à penser la réflexivité et les limites du modèle et de la reproduction : il n’est pas que technique, il est aussi épistémologique. Ce point est fréquemment évoqué par les auteurs. Par exemple, ils rappellent que la topographie de la grotte peut être considérée comme « l’original » de la Grotte Chauvet 2 (réplique ouverte au public) ; la copie matérielle de la grotte est donc plus proche de sa simulation numérique que de la grotte originelle. Ils précisent aussi que, malgré les prouesses des instruments de mesure, la représentation 3D de la grotte Chauvet restera fort éloignée de la « vraie » grotte. Ainsi, ils explicitent les strates de construction d’une représentation : la façon dont les couches de l’artificialité organisent ce que nous appelons réalité.
Entrer dans l’atlas
8La construction du plan topographique de la grotte, vite complété d’un modèle 3D (aujourd’hui composé de... 16 milliards de points) et d’un SIG dédié à la grotte Chauvet, représente un travail de titan. Si les apports heuristiques de la topographie (p. 34) semblent plus sobrement détaillés que ceux relatifs à la cartographie, il s’en dégage dans le chapitre 3 une combinaison de rigueur et d’humilité scientifique qui met en confiance. Même si les profanes pourraient ne pas saisir la différence entre topographie et cartographie, puisque l’une et l’autre résultent d’inscriptions numériques éventuellement regroupées en catégories, les deux approches sont intelligemment mises en correspondance. Et la lecture reste passionnante, car le lien entre la réalité surprenante du « terrain » (comment distinguer un sol d’une paroi ?) et les choix méthodologiques des chercheurs est bien explicité.
9Pour satisfaire notre désir d’en savoir plus, les auteurs ont fait le choix d’une visite guidée par le biais des cartes : ce sont 150 pages qui vont alors accompagner le lecteur ; et l’envoûter : car ces cartes, leurs commentaires, les photos associées nous plongent dans un univers où la rationalité alimente l’émotion esthétique.
10Œuvre d’art ou de science ? La stupéfaction empêche de classer ce livre dans l’une ou l’autre de ces catégories, d’autant que ces pages sont particulièrement bien écrites.
11En parcourant les vingt cartes (et chapitres) qui constituent le cœur des présentations de la grotte, le lecteur est « invité à [la] parcourir dans ses moindres recoins et à y opérer ses propres lectures au gré de ses intérêts : archéologiques, pariétaux, paléontologiques, géomorphologiques » (p. 28). Il peut aussi se sentir un peu perdu, quand sont détaillées des caractéristiques qui échappent à sa culture. Pour autant, la clarté des exposés et la précision des illustrations font qu’il n’est jamais noyé et qu’il perçoit toujours l’épaisseur et la multiplicité des savoirs nécessaires à la compréhension d’un fait historique si lointain. Nous pourrions aussi voir un tel travail comme un hommage à la science contemporaine, tant sont sollicitées de concert des connaissances géologiques, chimiques, physiques, paléontologiques et anthropologiques. Et nous nous réjouissons qu’existent encore des savants dotés d’une si large culture.
12La fin de l’ouvrage est dédiée à la conservation de la grotte, pensée dès sa toute première découverte : les passerelles inoxydables recouvrent les premières bâches de plastique posées par Chauvet et ses amis dès le premier jour. Nous finissons par comprendre pourquoi le lecteur ne voit pas tous les détails de la grotte : pour éviter les erreurs ayant mené aux dégâts irréversibles infligés à Lascaux comme à bien d’autres grottes (du fait des visiteurs, des propriétaires ou des conservateurs), même les archéologues n’ont accès qu’à ces rares chemins balisés.
Plaisirs de lecteur
13En refermant le livre, nous nous surprenons d’avoir tant appris : sur les effets de la perméabilité des écroulements sur l’humidité de la grotte (avec des dessins très clairs : p. 313), sur la vulnérabilité de la grotte aux infiltrations, sur la définition d’un mégacéros (un énorme cerf-élan), sur le code génétique des ours des cavernes, sur les capacités de nos ancêtres à réaliser sur des parois humides des gravures au doigt qui subsisteront 30 000 ans. Nous apprenons, au hasard de la lecture, qu’un découvreur de grotte s’appelle un « inventeur ». Nous prenons aussi la mesure de… notre profonde inculture.
14La découverte de l’histoire de la construction de la grotte (aux temps où la Méditerranée montait jusqu’à Lyon) jusqu’à la période où se crée l’arche du Pont d’Arc est fascinante. La grotte est connue des ours (des cavernes, plutôt végétariens : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ursus_spelaeus) il y a 48 000 ans. Elle l’est des humains il y a 35 000. Elle fut habitée par deux fois. Chaque période d’occupation humaine dure 2 000 ans, séparées par 3 000 ans où les humains l’abandonnent. Et, comme dans les contes de fées, la porte de la grotte va se fermer ; c’est une « écaille » (de la montagne et non pas d’un animal fantastique, elle ne fait que 7 mètres d’épaisseur) qui va tomber et clore, 22 000 ans avant sa redécouverte, l’entrée de la grotte (p. 114). Sur le plan des découvertes, les panneaux spectaculaires (celui des chevaux et de l’alcôve des lions, ceux de la salle du fond) nous laissent pantois. Et une fois de plus, rêveurs.
15Étrangement, ce lourd volume qui aurait pu sembler rébarbatif se lit avec un réel plaisir.
Pour citer cet article
Référence électronique
Éric Guichard, « Atlas de la grotte Chauvet, ou Monographie de la grotte Chauvet-Pont d’Arc », Mappemonde [En ligne], 139 | 2025, mis en ligne le 23 juin 2025, consulté le 16 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/10423 ; DOI : https://doi.org/10.4000/146o5
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page