1Ce petit ouvrage — 125 pages d’une écriture aérée et agréable — dont l’auteur est Thibaut Sardier, journaliste à Libération, agrégé de géographie et président de l’Association de Développement du Festival international de Géographie, a pour ambition de changer le regard de ses lecteurs sur « la géo ».

2Quinze questions d’actualité y sont abordées d’un point de vue géographique. L’auteur s’appuie sur des travaux de géographes et présente chaque question en mettant en rapport deux études de cas, l’un situé en France, l’autre ailleurs dans le monde.

3Le lecteur parcourt ainsi des questions vives à tonalité sociale : les enjeux urbanistiques et sociaux de l’implantation de Jeux olympiques, le droit à la ville pour les femmes dans les transports publics urbains ; environnementale : les origines et les conséquences des feux de forêt, la gestion des déchets dans les grandes villes ; aménagiste : les conflits d’usage liés aux projets d’aéroport, le réaménagement d’espaces littoraux menacés par la hausse générale du niveau des mers, etc.

4Ces présentations sont judicieusement mises en rapport avec les programmes de géographie du collège et du lycée (pages 122 à 125). L’intention est de permettre au lecteur, lorsqu’elle ou il est aussi élève, de prolonger ou d’approfondir les thèmes au programme, depuis le cas des « centres commerciaux : hyper-lieu et maxiflop » (p. 100-105) pour Habiter les métropoles, au début de la classe de sixième à « Peut-on exporter la déforestation ? » (p. 44-51) pour le thème Dynamiques territoriales, coopérations et tensions dans la mondialisation à la fin de la classe de terminale.

5Chaque présentation s’appuie sur une ou plusieurs cartes originales éditées en fac-similé d’une réalisation au crayon de couleur. Cette cartographie « à la main » serait, si l’on en croit l’introduction, plus facile « à reproduire si vous voulez vous en inspirer » (p. 10).

6L’ouvrage occupe ainsi une position originale de médiation (Calbérac et Delage, 2010) à la charnière de la géographie scolaire dont il se propose de prolonger les questionnements, de la géographie scientifique dont il transpose certaines investigations récentes (géographie humanimale, géographie des mobilisations, géographie des sexualités) et des répertoires d’une géographie-spectacle (Lacoste, 1976) dont il se démarque par le traitement de thèmes « en vogue » (le changement climatique, la mondialisation des événements sportifs ou artistiques, les nuits urbaines, etc.).

Une médiation géographique de qualité pour les scolaires

7L’ouvrage réalise son objectif qui est de montrer que la géographie est bien un domaine de la connaissance, une forme de pensée capable d’éclairer le fonctionnement — et les dysfonctionnements — des sociétés. À chaque problème géographique formulé, l’auteur apporte des réponses tout en n’assénant pas de vérité définitive. Au terme de chaque présentation, de nouveaux questionnements s’ouvrent ; l’avenir est riche de possibles qui dépendent des prises de conscience et des politiques mises en œuvre.

8Les questions choisies permettent de proposer des contenus de géographie sociale et culturelle rarement développés dans les ressources habituelles des populations scolaires. Une grande réussite de l’ouvrage est de montrer que cette géographie peut outiller l’observation, soutenir le questionnement, montrer la production des inégalités sociales, insister sur les stratégies des acteurs puissants et souligner l’importance des mobilisations citoyennes. L’ouvrage renvoie aussi, question par question, à des travaux de géographes souvent jeunes, publiés dans des revues scientifiques. Il donne ainsi accès aux sources d’un savoir en construction.

9Enfin, on peut lire ces quinze courts textes comme autant de « leçons » de géographie. Il ne s’agit pas tant d’une morale qu’il faudrait tirer de chaque analyse, que de l’esquisse d’une éthique du quotidien géographique : prendre conscience des effets lointains de ses choix de consommation, apprendre à cohabiter avec ses voisins même quand ils ont des poils, des cornes ou des ailes, chercher comment mieux prendre soin des territoires qui nous sont chers, etc.

Une absence de médiation cartographique dommageable en dépit d’une réalisation de qualité

10Pour autant, l’ouvrage ne propose pas de réflexion sur la fonction des cartes dans le discours géographique. Distribués au fil de la présentation des thèmes, les 26 croquis reproduits ne sont pas explicitement connectés au texte. Il est difficile de les percevoir autrement que comme des illustrations, quand bien même ils localisent des informations, contextualisent des problèmes, mettent en rapport des situations éloignées.

11Ces croquis originaux obéissent à une règle unique de mise en forme : leur légende est écrite en deux ou trois parties aux intitulés soulignés (voir figure 1), le titre est systématiquement problématisé ou thématisé. Cette homogénéité formelle tend pourtant à effacer la diversité des types de cartes proposées : cartes de situation, cartes thématiques simplifiées, croquis de synthèse, croquis mettant en exergue un problème d’aménagement, schémas d’organisation de l’espace.

12Cette diversité, elle aussi appréciable, aurait mérité d’être accompagnée d’un discours sur la fabrique des cartes géographiques. Elle aurait pu aussi être le fil directeur d’un des parcours possibles dans l’ouvrage.

13Dès lors, Quand la géo explique le monde apparaît tel un texte illustré, un texte de qualité assorti d’illustrations cartographiques elles aussi de qualité, plutôt qu’il ne relève du genre de l’atlas. Mais il peut assurément être un auxiliaire efficace pour aider les lecteurs élèves — leurs parents aussi, car les inégalités sociales s’expriment aussi en inégalités face aux disciplines scolaires — à comprendre que « la géo » peut développer une conscience géographique (Clerc, 2008) sensible au vivant et à la planète comme à tous les aspects de la vie humaine, nourriture, sexualités, amitiés, voisinage, fête, sports et arts compris.