Un outil pour rendre les données cartographiques et photographiques accessibles et disponibles pour la consultation et de multiples autres usages

1Depuis plusieurs années, de nombreuses informations iconographiques anciennes (cartes, photographies de terrain), issues de fonds documentaires géographiques hétérogènes et cloisonnés, ne sont pas disponibles en format numérique et sont stockées dans des emplacements divers souvent difficiles à identifier. Par ailleurs, un sous-ensemble non négligeable de ces données géographiques ne dispose étonnamment pas d’informations de géolocalisation, ce qui rend difficile leur visualisation ainsi que leur réutilisation. Ainsi, malgré leur richesse patrimoniale et leur diversité, une quantité importante de ces images géographiques n’est ni valorisée, ni exploitable.

2Dans ce contexte, la création d’outils de géovisualisation, conçus pour offrir une vision unifiée et harmonisée des données géographiques et cartographiques à travers une interface de recherche satisfaisante et intuitive, recouvre de multiples enjeux : disposer d’un outil commun pour engager un rapprochement entre différents fonds issus du domaine de la géographie, valoriser et compléter les données géospatiales à travers des enrichissements qualitatifs obtenus à partir de sources de données open data ou encore exposer les données en vue de la construction de services de mise à disposition et d’exploitation auprès d’une large communauté de chercheurs.

4Navigae est donc une initiative qui s’inscrit pleinement dans les enjeux du consortium ImaGEO. L’ambition de cette plateforme est de dépasser la simple mise à disposition d’un nouvel outil de géovisualisation en proposant un ensemble de fonctionnalités innovantes, inédites et couplées avec les nouvelles tendances et standards qui permettent de démultiplier son attractivité. Navigae cherche ainsi à initier une nouvelle dynamique de réutilisation et de diffusion des savoirs et des connaissances dans le domaine de la géographie.

De la numérisation des fonds à leur visualisation croisée

5Les besoins auxquels Navigae cherche à apporter des éléments de réponse dans sa conception sont directement liés aux initiatives et aux projets de numérisation réalisés depuis de nombreuses années. En effet, de nombreux acteurs du domaine de la géographie ont contribué massivement à la numérisation, au traitement et à la diffusion numérique de leurs collections de cartes anciennes ou de photographies de terrain. On peut citer, notamment, les travaux réalisés par le consortium qui ont permis la mise en ligne de plus de 15 000 photographies de terrain sur l’archive ouverte MédiHAL ou au travers d’autres supports numériques. Les données et les métadonnées associées à ces documents et images issus du domaine géographique ont donc, progressivement, été mises à disposition localement, en fonction des projets menés par ces institutions. Or, les plateformes d’agrégation généralistes ne permettent pas d’exploiter pleinement les caractéristiques propres aux données iconographiques spatialisées et la volonté de disposer d’une vision croisée, contextualisée et enrichie de ces données patrimoniales s’est développée progressivement. C’est ainsi que le projet de mise à disposition de l’outil Navigae a été proposé et accepté dans la feuille de route du consortium.

Une plateforme multi-usage pour tous

6Les fonctionnalités proposées par l’outil Navigae peuvent être réparties en plusieurs grandes familles :

• Les fonctions de collecte des données et des métadonnées (titre, auteur, coordonnées géographiques, etc.).

• Les fonctions de normalisation et d’enrichissement des données, notamment pour compléter les données de géolocalisation si l’information originelle est manquante ou pour récupérer de nouvelles informations relativement à l’emplacement géographique d’un document.

• Les fonctions d’exposition et de réutilisation (API, Serveur de restitution et d’affichage haute résolution des images).

• Une interface web (figure 1) pour rechercher et visualiser l’ensemble des données.

7L’ensemble des fonctions de la plateforme permet de diffuser largement le contenu des données de l’ensemble des membres du consortium disséminées dans les différents entrepôts. Il a même été décidé d’ouvrir son accès à tout public, en trois langues différentes (français, anglais et espagnol), pour en faire bénéficier le plus grand nombre, en plus des laboratoires de recherche et des bibliothèques.

Un moteur de recherche adaptée aux données géographiques

8Le cœur de la plateforme est basé sur un moteur de recherche offrant plusieurs modalités de recherche. Parmi elles se trouve la possibilité de rechercher par facettes, par date, par géolocalisation (système décimal et sexagésimal) ou par mots clés (incluant les toponymes) depuis la barre de recherche principale. Il est possible d’affiner les résultats à partir d’une recherche principale en sélectionnant une emprise sur le planisphère correspondant à la zone géographique souhaitée. Les données comprises dans cet espace, recouvrant ou à l’intersection de l’emprise, sont alors affichées. L’utilisateur peut également choisir de combiner plusieurs filtres afin de préciser davantage sa requête. L’objectif est de pouvoir interroger de manière cartographique, et avec un maximum de critères spatiaux, les données géolocalisées ou géoréférencées à l’aide de logiciels SIG.

9Les résultats sont ensuite affichés dans l’interface web via un fond de carte dynamique (figure 2). L’interface a été conçue de manière épurée et intuitive, permettant à la fois aux institutions qui diffusent leurs données dans Navigae d’exposer leurs fonds, tout en garantissant le confort de l’utilisateur qui, grâce à la recherche et visualisation cartographique, peut voir et trier rapidement les données qui l’intéressent. Plusieurs fonds de cartes open source peuvent être sélectionnés au choix : National Geographic, OpenStreetMap, plusieurs versions de fonds MapBox ou encore OpenTopoMap. Les résultats de la recherche sont alors projetés sur le planisphère via un système de regroupement automatisé (clusters en anglais) qui permet de différencier les objets en fonction de leur nature : cartes, photographies ou carnets de terrain. Chaque résultat peut être sélectionné pour faire apparaître le détail de toutes ses métadonnées. Un système de visionneuse permet également de zoomer finement sur des zones de l’image tout en pouvant la comparer dynamiquement avec le fond de carte. Il est également possible via la visionneuse d’afficher le document sélectionné en plein écran.

Navigae : une ergonomie conçue pour l’analyse diachronique

10Au-delà d’un simple affichage des résultats, l’interface a été également définie de façon à proposer différentes possibilités d’interactions et d’analyses avec les images. Les utilisateurs peuvent les manipuler, les observer en détail, mais aussi les comparer. La mise en parallèle d’une image peut également être réalisée en superposant le document et le fond de carte (figure 3). Ce type de comparaison facilite la mise en parallèle de documents anciens avec des sources de données cartographiques récentes. Navigae est un moyen efficace pour réaliser une analyse diachronique d’un fonds documentaire afin d’identifier les transformations d’une zone géographique donnée en confrontant des sources anciennes aux données contemporaines.

11Il est également possible de comparer les fonds de cartes contemporains aux documents eux-mêmes. En effet, la plateforme offre la capacité de pouvoir comparer différents documents du corpus entre eux, suivant leur proximité géographique (figure 4), sémantique ou par une sélection temporelle (intervalles de dates). Cette fonctionnalité permet à tout utilisateur d’explorer et de comparer les documents de fonds documentaires dont le contenu se trouverait localisé dans un espace ou un temps commun. Ainsi, l’enjeu de décloisonner l’accès à ces fonds est pleinement renforcé par la capacité de les croiser entre eux, qu’ils s’agissent de cartes ou de photographies de terrain.

Enrichir les données grâce à l’open data

12L’open data est un levier particulièrement intéressant pour enrichir ces données. Les données libres donnent accès à des informations inédites, souvent d’intérêt général, qui méritent d’être partagées. En complétant les documents collectés dans Navigae avec de l’open data, le consortium a souhaité valoriser le patrimoine géographique des fonds documentaires pour en améliorer le degré d’information et la capacité des utilisateurs à affiner leurs recherches et leurs analyses de données. Parmi les sources de données ouvertes retenues pour compléter les métadonnées se trouvent :

• Geonames qui contient plus de 25 millions de noms géographiques correspondant à plus de 11 millions de lieux existants. On retrouve, notamment, des données comme la latitude, la longitude, l’altitude, la population, la subdivision administrative ou encore le code postal (disponibles en plusieurs langues pour chaque emplacement). Cette source est principalement utilisée pour géolocaliser un document qui n’a aucune information de géolocalisation en amont à partir des métadonnées extraites du document.

• DBPedia qui propose une version structurée et normalisée des contenus de Wikipedia et vise aussi à l’interconnecter avec d’autres ensembles de données ouvertes. DBpedia a d’ailleurs été conçu par ses auteurs comme l’un des « noyaux du Web émergent de l’open data ». Cette source est utilisée au sein de Navigae pour compléter les sources avec les liens vers les pages Wikipedia, les géolocalisations manquantes ou encore les entités nommées relatives au lieu indiqué.

• Wikidata permet de centraliser les données utilisées par différents projets Wikimedia au sein d’une source commune de données objectives. Enrichir les données avec cette source permet, notamment, de récupérer les illustrations contenues dans Wikimedia Commons en lien avec le lieu représenté sur la carte ou la photographie et de nouvelles métadonnées comme les frontières ou les mers proches, la langue parlée dans la zone associée, la monnaie utilisée, etc.

13Ces enrichissements (figure 5) sont appliqués à partir des métadonnées contenues dans les fonds documentaires à l’aide de règles prédéfinies (normalisation, annotation, labellisation, rapprochements morphosyntaxiques, etc.)

Trois standards clés pour faciliter la réutilisation des données et des métadonnées présentes dans Navigae

14Afin de répondre aux enjeux de réutilisabilité des données et des métadonnées hébergées par Navigae, le portail web mis à disposition de la communauté des utilisateurs en respectant les normes est développé autour d’une API REST. Les avantages d’une telle architecture sont nombreux : il s’agit d’une méthodologie et d’un ensemble de formats normalisés afin que tous les systèmes se comprennent (il est donc possible d’automatiser les requêtes), on peut accéder aux données à partir de n’importe quelle application connectée au même réseau, un haut niveau d’interopérabilité est assuré et aucun logiciel supplémentaire n’est nécessaire. L’ensemble des données et des métadonnées des fonds collectés par Navigae sont ainsi accessibles via des requêtes simples ou avec une expressivité plus complexe (recherche textuelle, temporelle ou spatiale) en dehors de l’interface web proposée.

15Parmi les API du portail figurent également un ensemble de services standardisés de description et d’accès aux images de Navigae, ainsi que d’exposition de métadonnées descriptives et structurelles nécessaires à la présentation du document numérique associé. Ces spécifications techniques sont utilisées pour définir un cadre d’interopérabilité pour la diffusion et l’échange d’images haute résolution sur le web. Ce cadre normatif basé sur le framework IIIF (International Image Interoperability Framework) permet de définir un cadre d’interopérabilité pour la diffusion et l’échange des images issues directement des fonds documentaires.

16Enfin, l’équipe de Navigae a également étudié la possibilité d’utiliser le standard de représentation et d’interrogation des données liées géospatiales GeoSPARQL défini par l’Open Geospatial Consortium (OGC) qui permet d’interroger des données géographiques selon les principes du web sémantique. GeoSPARQL est un vocabulaire minimal pour le stockage et l’interrogation d’informations géospatiales, conçu pour pouvoir être facilement couplé à d’autres ontologies nécessitant des informations spatiales. Cette ontologie se base principalement sur la représentation des géométries et du concept d’une entité (un « objet » associé à une « géométrie ») et les relations géospatiales qui les unissent. L’implémentation de cette fonctionnalité au sein de la plateforme permet ainsi d’indexer spatialement les informations dans le vocabulaire et d’effectuer des raisonnements et des inférences logiques dans l’espace (figure 6).

Une plateforme plébiscitée en constante évolution

17Navigae a donc été défini et développé pour répondre à deux objectifs clés : offrir de la visibilité aux documents géographiques patrimoniaux peu exposés et peu connus jusqu’à présent tout en garantissant les conditions de leur réutilisation grâce à l’application de standards d’échange permettant l’ouverture et l’interopérabilité des données. Navigae s’inscrit ainsi pleinement dans les principes de la science ouverte. Chaque année de nouveaux acteurs souhaitent participer à cette démarche de diffusion de leurs données dans la plateforme en proposant de nouvelles sources et de nouvelles collections. Depuis le lancement du projet, plus de 42 000 photographies et cartes constituent actuellement les bases de la plateforme, attirant la curiosité de 150 visiteurs uniques chaque mois, principalement des chercheurs et des étudiants. Le périmètre documentaire de Navigae a d’ailleurs évolué depuis son lancement avec l’intégration d’une nouvelle typologie de données comme les carnets de terrain.

18Kilouchi S. (2018). « Navigae : Plateforme de recherche et de visualisation cartographique ». Carnet de recherche Dlis. En ligne : https://dlis.hypotheses.org/​1721

19Kilouchi S. (2018). « Navigae : une plateforme de recherche et de valorisation des données géographiques scientifiques et patrimoniales ». La Lettre de l’InSHS, p. 15-17. En ligne : https://hal.science/​hal-02461143

20Kilouchi S., Abela C. (2018). « Valoriser le patrimoine de données anciennes : vers des infrastructures géo-historiques ? ». Conférence « Repenser les cartes à l’ère du web : Approches critiques et enjeux politiques, sociaux, économiques des données territoriales ». En ligne : https://cartesduweb.sciencesconf.org/​data/​LivretJEBX2018.pdf

21Kilouchi S., Madelin M., Hadrossek C., Abela C., Baudry J., Boissat R., Maury C. (2020). « Diffuser, valoriser le patrimoine géographique. Recherche et visualisation de données spatialisées ». Poster, Humanistica 2020, Bordeaux, France. En ligne : https://hal.science/​hal-02769494/​document

22Hallair G., Kilouchi S., Motte E. (2019). « Sur les pas d’Emmanuel de Martonne : 3^e excursion Roumanie, 1921 ». En ligne : https://www.Navigae.fr/​fieldnotes/​?i=demartonne-c4

23Montagne D. (2018). Exploration de la plateforme Navigae : pépites du fonds « Colombie ». En ligne : https://hal.science/​hal-01888076/​