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1Depuis 2013, un mouvement politique lutte contre le racisme envers les Noirs d’Amérique : Black Lives Matter. Pourtant, un tel militantisme en faveur de la cause noire ne date pas d’hier. William Edward Burghardt Du Bois en est un précurseur lorsque, en 1900, pendant l’Exposition universelle de Paris, il entend illustrer les progrès accomplis par la communauté afro-américaine depuis l’abolition de l’esclavage. Pour ce faire, ce sociologue et historien américain réalise une soixantaine de représentations : cartes, graphiques et diagrammes colorés, de véritables innovations, pour son époque, dans les domaines statistique et cartographique. Son travail minutieux est à la croisée de plusieurs disciplines : de l’histoire à la géographie, en passant par les statistiques, la sociologie et l’ethnologie. Il entend, à travers cette exposition, mettre en lumière ce qu’il appelle le « très proche », ces structures invisibles du « colonialisme et du capitalisme racial, qui conditionnent l’organisation de la société ». Selon lui, la communauté noire fait « partie intégrante de la modernité » de par ce qu’elle a à partager avec « un vaste “monde pensant”, orienté vers l’avenir ».

2En guise d’introduction (écrite par Whitney Battle-Baptiste et Britt Rusert) et avant de pouvoir admirer les nombreuses planches (à partir de la page 49) au design attrayant et au contenu édifiant, le lecteur est guidé par la description du contexte de ces réalisations graphiques et par une biographie de W.E.B. Du Bois. Des photographies authentiques, en noir et blanc, illustrent ces propos et nous plongent dans la société contemporaine de l’auteur. Ce voyage dans le temps se poursuit, dans une seconde partie appelée « Les “Nègres” d’Amérique à Paris en 1900 », à travers un historique de l’Exposition universelle à Paris. Grâce à l’auteur Aldon Morris, le lecteur s’imprègne de la mentalité parisienne et de sa perception de l’homme noir à cette époque. Dans une autre contribution intitulée très justement « Cartographie de la ligne de partage des couleurs », Mabel O.Wilson fait un point sur le fond et la forme d’une telle exposition. W.E.B. du Bois a tout réalisé à la main ! Il organise précisément son travail et commence sa présentation par une étude de cas de la Géorgie qui lui permet de cartographier ce qu’on appellera plus tard « l’Atlantique noir » (figure 1). Conscient de l’ampleur des migrations en provenance d’Afrique, il expose d’abord les faits pour ensuite prouver que ce flux de personnes est bénéfique. Enfin, l’ouvrage propose une « Introduction aux planches » de Silas Munro qui laisse place aux œuvres de W.E.B. du Bois.

Figure 1. Planche 1

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3Ces planches exposent le « problème du XX^e siècle », comme W.E.B. Du Bois le souligne : « le problème de la ligne de partage des couleurs » est un problème majeur. Cette ligne est visible sur les nombreuses cartes du militant. Elle est le reflet d’une ségrégation persistante dans le pays. Sachant que cette répartition se fait à l’aune de la couleur de peau, W.E.B. Du Bois semble jouer de ce critère en proposant des illustrations très colorées, telle une mise en abîme d’une société multicolore rêvée. Pourtant, lorsqu’il représente la population noire, les teintes utilisées sont sombres. Plus il y a de noirs dans un espace, plus le figuré s’obscurcit, comme pour dénoncer un phénomène grave et sérieux. L’emploi de cette couleur peut se justifier par la mise en parallèle de la couleur de peau de ce type de population. Cependant, sémiologiquement parlant, elle ne convient pas. Si le cartographe veut capter le regard du lecteur, les couleurs vives seraient à privilégier. En cela, W.E.B. Du Bois innove : il ne nous montre pas en première instance ce qu’il veut démontrer. Nous faisons alors l’hypothèse selon laquelle l’auteur veut nous faire remarquer que notre regard n’a pas immédiatement prêté attention au sujet de l’exposition. Est-ce pour faire culpabiliser le spectateur blanc parisien ? Est-ce une métaphore de l’invisible rendu visible par l’exposition ? Pour les autres éléments graphiques, le chercheur, écrivain et militant emploie volontiers des formes extravagantes qui attisent la curiosité du spectateur, à l’instar de la planche 11 (figure 2) représentant la population urbaine et rurale de 1890 par un graphique en rouleau de réglisse : l’importance des Noirs vivant en zone rurale saute aux yeux. Le talent de cet homme vient de là : il est capable de dénoncer à partir de preuves statistiques, tout en se positionnant en tant qu’artiste pour attirer davantage l’œil de son public. Une carte peut être bien construite et peut reposer sur des faits véridiques ; si personne ne la regarde, elle n’en est pas une. Dans une exposition, le spectateur est un acteur et, dans celle-ci en particulier, il est un potentiel militant.

Figure 2. Planche 11

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4Ce livre passionnant assouvira votre curiosité historique, intellectuelle et artistique. Quant à W.E.B. Du Bois, son travail le mènera à devenir le chef du Niagara Movement en 1905. Cette organisation politique réclamera l’égalité des droits pour les Noirs et ira même jusqu’à s’opposer au compromis de Booker T. Washington. Ce dernier proposera une bonne éducation et des opportunités économiques aux Noirs, en échange d’une domination blanche aux États-Unis. L’œuvre graphique de W.E.B. Du Bois l’a donc admirablement porté jusqu’à l’action politique : la représentation graphique était, et reste, une arme hautement militante !