Augustin J.-P. et Gillon P., 2021, Les jeux du monde. Géopolitique de la flamme olympique
Augustin J.-P., Gillon P. (2021). Les jeux du monde. Géopolitique de la flamme olympique. Paris, Armand Colin
Notes de l’auteur
Le texte de cette recension et sa réception dans la revue Mappemonde précèdent l’accident tragique de Jean-Pierre Augustin décédé en juillet 2022 à Lacanau-Océan.
Ayant travaillé avec lui, sous sa direction et profondément inspiré par son approche géographique du sport, du tourisme et des loisirs, André Suchet souhaite lui rendre hommage. Un texte collectif est à paraitre à ce sujet et une journée de l’Association de Géographes Français (AGF) sera organisée à ce titre le 9 mars 2024. André Suchet, souhaite s’associer au communiqué de la direction de l’UMR PASSAGES et du Président de l’Université Bordeaux-Montaigne, dans laquelle il a exercé durant presque cinq décennies : « Nous perdons avec lui un compagnon au long cours de notre collectif de recherche, impliqué jusqu’au bout dans la vie de son unité de recherche à laquelle il était très attaché et qu’il a marquée durablement par ses projets, ses travaux et son enthousiasme scientifiques. Nous conserverons la mémoire d’un géographe et spécialiste de l’aménagement des territoires, globe-trotter, analyste reconnu de la culture et des mouvements de jeunesse, précurseur d’une géographie du sport à laquelle il a donné ses lettres de noblesse, ainsi que d’un homme chaleureux et généreux, dont la présence allait toujours dans le bon sens des relations humaines ».
Texte intégral
- 1 Gillon P., Grosjean F., Ravenel L. (2010). Atlas du sport mondial. Paris : Autrement.
1Jean-Pierre Augustin de l’Université Bordeaux-Montaigne, chef de file d’une géographie sociale et culturelle du sport en France depuis presque quatre décennies, et Pascal Gillon, tenant plutôt du courant de l’analyse dite spatiale, inspiré, entre autres, par le travail de Jean Praicheux à l’Université de Franche-Comté et co-auteur notamment de l’Atlas du sport mondial1, présentent un ouvrage d’envergure. La quantité d’informations, la qualité du traitement et des fondements théoriques du travail d’analyse, et surtout ce croisement entre deux écoles que parfois tout oppose, mais qui se complètent ici de manière remarquable, offrent un ouvrage majeur sur le sujet.
- 2 Désigne le format 16 x 24 cm en imprimerie.
2Le dessin discutable de première de couverture du graphiste pourtant connu Adria Fruitos ne doit pas obérer la teneur des 220 pages au format royal2 de ce titre de la nouvelle collection « Monde » des éditions Armand Colin, une collection consacrée à des ouvrages d’envergure qui permettent de comprendre les mécanismes de nos sociétés entre elles. Ce volume de Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon concerne les Jeux Olympiques et le mouvement olympique à l’échelle mondiale. Seul évènement comportant plus de nations que l’ONU, les Jeux Olympiques sont un théâtre géopolitique, une organisation économique et un système de valeurs d’universalisme, d’excellence, de paix ou « de mélange des peuples », dont il n’est plus possible de sous-estimer l’importance planétaire.
3La préface de Thierry Terret, historien du sport et actuel délégué ministériel aux Jeux Olympiques et paralympiques 2024, complète cette introduction et contextualise ce travail. Il dresse un panorama des évolutions et des orientations de la recherche concernant le phénomène olympique, puis souligne l’actualité du sujet, notamment avec les Jeux de Tokyo reportés, fragilisés, et surtout les Jeux de Paris 2024 qui mobilisent la France.
Une géopolitique sportive en débat
4L’ouvrage est structuré en cinq grandes parties. La première partie traite de l’Olympisme comme « un théâtre géopolitique en recomposition ». Dans cette partie, Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon reviennent sur la matrice du mouvement olympique, son projet d’universalisme (qui est un idéal politique, économique et culturel directement lié au contexte du milieu du XIXe siècle) et sa volonté de neutralité apolitique, qualifiée d’illusoire. Le texte décrit plusieurs cas très connus de non-apolitisme : rapports de force (guerre froide, volontés panafricaines), d’instrumentalisation des Jeux (fascisme, nazisme) ou de conflits indirects (boycott, revendications). Dans cette partie, les deux auteurs engagent aussi une réflexion très fine sur « les ressorts de l’illusion olympique » qui caractérisent, selon eux, le monde contemporain ; illusion olympique participant de la construction même de ce monde contemporain « à la recherche de mythes et d’utopies porteuses de sens » pour exister. La seconde partie analyse la « gouvernance mondiale » du mouvement olympique, avec les comités nationaux — comme le CNOSF en France — par rapport à l’instance centrale à Lausanne, les rapports de forces internes et les influences extérieures. La troisième partie démontre la concentration des succès, mais aussi les stratégies de réussite et les stratégies de spécialisation de certains états. Cette partie comporte, notamment, une approche cartographique inédite permettant une lecture réellement géographique de ces disparités, entre le système d’invitation, les modes de qualification et la présence en finale des épreuves (figures 1 et 2). C’est ce que les auteurs considèrent en troisième partie comme étant « la capture de la performance olympique ».
- 3 Suchet A. (2016). « Les ruines des Jeux Olympiques de Grenoble 1968. Le tremplin de saut à ski de S (...)
5L’avant-dernière partie de l’ouvrage aborde une autre dimension fondamentale du phénomène olympique, son organisation spatiale dans les villes hôtes. Il s’agit à la fois de démontrer les enjeux économiques et politiques de désignation de ces dernières, mais aussi d’analyser les enjeux urbains qui caractérisent ce moment olympique, avant et après. Les Jeux Olympiques sont, en effet, un « évènement qui laisse des traces ». Mes propres recherches sur l’existence de friches olympiques, tout comme il existe des friches industrielles, militaires ou ferroviaires, sont citées3. Enfin la dernière partie envisage « Les défis de l’Olympisme » au sens des facteurs de crise internes et des menaces externes qui pèsent sur ce système de représentation, d’organisation et de pratique. Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon citent dans cette partie trois études imaginant la fin des Jeux Olympiques, puis s’engagent sur des sujets délicats comme l’Olympisme et l’islam, le « tabou de l’homosexualité » et la crise actuelle du Covid-19.
Figure 1. Les CNO présents aux Jeux Olympiques, entre sélection et invitation

Afin de présenter à la télévision une image d’une manifestation mondialisée, le CIO et les fédérations sportives internationales vont utiliser les invitations et des minima de niveaux inférieurs, dits minimas B, pour faire venir des sportifs de pays qui ne peuvent se qualifier autrement. Les Jeux Olympiques rassemblent ainsi entre sélection et invitation 206 Comités nationaux olympiques (CNO), soit plus que l’Organisation des Nations unies (ONU) et ses 193 États membres.
Carte présentée en page 104, reproduite avec autorisation
Figure 2. Médailles olympiques par pays aux Jeux Olympiques d’été 2016

La performance sportive des pays se mesure, politiquement et symboliquement, au travers du décompte des médailles obtenues lors des Jeux (le classement peut aussi se faire sur le seul nombre de médailles d’or). Depuis la Guerre froide et le match États-Unis/URSS, les médias ont alimenté cette démarche. Ce décompte alimente au mieux la fierté nationale, au pire un nationalisme déguisé et s’éloigne clairement de l’esprit d’origine des Jeux, le CIO précisant dans sa charte qu’il s’agit d’une « compétition entre athlètes ». En 2016, les États-Unis sont toujours devant la Chine qui devance la Grande Bretagne, les Jeux de Londres ayant été un catalyseur pour ce pays qui a fortement investi dans le sport et une « politique de médailles », et la Russie (dont certains athlètes n’ont pu concourir du fait des scandales de dopage qui ont émaillé le sport russe). On retrouve ensuite les pays occidentaux de « l’Ouest » (Allemagne, France, Italie, Canada...) et les deux puissances asiatiques Japon et Corée du Sud. Les premiers pays en développement sont le Kenya et la Jamaïque qui ont développé des stratégies de spécialisation performantes (en athlétisme en demi-fond et fond pour le premier et en sprint pour le second). La distribution des médailles reste donc très concentrée même si cela apparait très légèrement atténué aux dernières olympiades 2020/2021.
Carte présentée en page 128, reproduite avec autorisation
6En fin de volume, des annexes permettent de préciser ou de documenter certains points particuliers, comme le discours d’hommage national rendu aux Invalides par le Président de la République François Hollande au marathonien des Jeux Olympiques 1956, Alain Mimoun. Un document d’importance sur la position du président socialiste français au début des années 2010 concernant la question des liens entre l’immigration, l’intégration à la française et l’identité nationale, une question d’actualité particulière dans le contexte de campagne présidentielle française 2022.
Des thèmes encore à préciser
7Plusieurs thèmes mériteraient, à notre avis, d’être développés. D’abord celui des Jeux Olympiques d’hiver qui ne sont pas totalement absents du texte, mais restent très peu ou pas mentionnés, malgré le fait qu’ils présentent souvent les mêmes problèmes que les Jeux Olympiques d’été. C’est, en particulier, le cas dans le chapitre trois qui traite de la performance sportive et démontre que les résultats et les médailles des JO d’été restent dépendants des sociétés les plus développées, mais une analyse des résultats des JO d’hiver serait encore plus démonstrative. Sur la question des dérives et notamment celle du dopage, là encore, la question est abordée, mais elle est seulement en filigrane de l’analyse alors qu’il s’agit d’un sujet vital pour les Jeux et pour le sport en général. Sur celles de la gouvernance, du choix des destinations et de la gamme de sports à inclure, mais encore les questions plus récentes liées au sexe et au genre, à la religion et aux compétiteurs handicapés physiques dans un monde en évolution rapide, le lecteur reste sur sa faim. De même sur un sujet décisif, le Comité Olympique International peut-il garder le contrôle des Jeux ou les gouvernements chercheront-ils à intervenir plus en plus par la force ?
8Comment élargir l’éventail des sports, non seulement pour tenir compte de l’évolution des pratiques sportives, mais aussi pour offrir plus de possibilités aux nations émergentes de participer avec plus de succès aux Jeux ? Ces Jeux se sont ouverts aux participantes et, plus récemment, aux sportifs handicapés (avec le succès des Para-Olympiques), mais d’autres questions de division subsistent, par exemple, celle d’assurer une égalité de traitement pour la communauté LGBT (bien que les Jeux Olympiques gays soient désormais organisés tous les quatre ans, les derniers ayant eu lieu à Paris en 2018) et comment résoudre les conflits entre l’islam et le sport, notamment sur la place des athlètes féminines. La durabilité des Jeux ne concerne pas seulement les lieux, mais aussi des questions plus larges liées aux transports, à la mobilité et à l’environnement en général : est-il vraiment possible d’envisager des « Jeux Olympiques lents » comme l’indiquent les auteurs ? Sur ces thèmes, ils sont peut-être moins convaincants que sur l’analyse historique et le traitement des données quantitatives et cartographiques. Même si l’objectif n’était pas de proposer des solutions simples à des problèmes complexes, une attention plus prospective serait utile dans de nouvelles publications.
- 4 Lire notamment : Augustin J.-P. et Gillon P. (éd.). (2004). L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiq (...)
9Mais l’essentiel de ce travail visait à montrer les enjeux géopolitiques de l’olympisme, à ce niveau le but est atteint. Comme le notent Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon en conclusion, « les JO restent les héritiers d’un siècle d’impérialisme occidental et n’évitent pas la reproduction des rapports de force internationaux » […] Ni tout à fait simulacre, ni tout à fait guerre, les luttes olympiques sont, ainsi, des rituels modernes où l’ordre mondial se donne à voir ». À la fois factuel, faisant largement référence aux autres recherches du domaine et d’une exceptionnelle qualité d’analyse transversale, le travail réalisé dans cet ouvrage, qui fait suite à d’autres études des mêmes auteurs qu’ils reprennent et dépassent4, constitue ce que l’on pourrait nommer une œuvre d’accomplissement sur le sujet.
Notes
1 Gillon P., Grosjean F., Ravenel L. (2010). Atlas du sport mondial. Paris : Autrement.
2 Désigne le format 16 x 24 cm en imprimerie.
3 Suchet A. (2016). « Les ruines des Jeux Olympiques de Grenoble 1968. Le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte et ses fantômes ». Techniques & culture, no 65-66, p. 434-447.
4 Lire notamment : Augustin J.-P. et Gillon P. (éd.). (2004). L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques. Paris : Armand Colin. Augustin J.-P. et Gillon P. (2007). « Les pays de l’Europe de l’Est et l’olympisme : participations et performances avant et après 1989 ». Transitions : revue des pays de l’Est, vol. 47, no 1, p. 107-129. Gillon P. (2011). « Une lecture géopolitique du système olympique ». Annales de géographie, vol. 120, no 680, p. 425-448. Augustin J.-P. (2008). « Installations olympiques, régénération urbaine et tourisme ». Téoros, vol. 27, no 2, p. 31-35.
Haut de pageTable des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | Figure 1. Les CNO présents aux Jeux Olympiques, entre sélection et invitation |
Légende | Afin de présenter à la télévision une image d’une manifestation mondialisée, le CIO et les fédérations sportives internationales vont utiliser les invitations et des minima de niveaux inférieurs, dits minimas B, pour faire venir des sportifs de pays qui ne peuvent se qualifier autrement. Les Jeux Olympiques rassemblent ainsi entre sélection et invitation 206 Comités nationaux olympiques (CNO), soit plus que l’Organisation des Nations unies (ONU) et ses 193 États membres. |
Crédits | Carte présentée en page 104, reproduite avec autorisation |
URL | http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/8756/img-1.png |
Fichier | image/png, 599k |
![]() |
|
Titre | Figure 2. Médailles olympiques par pays aux Jeux Olympiques d’été 2016 |
Légende | La performance sportive des pays se mesure, politiquement et symboliquement, au travers du décompte des médailles obtenues lors des Jeux (le classement peut aussi se faire sur le seul nombre de médailles d’or). Depuis la Guerre froide et le match États-Unis/URSS, les médias ont alimenté cette démarche. Ce décompte alimente au mieux la fierté nationale, au pire un nationalisme déguisé et s’éloigne clairement de l’esprit d’origine des Jeux, le CIO précisant dans sa charte qu’il s’agit d’une « compétition entre athlètes ». En 2016, les États-Unis sont toujours devant la Chine qui devance la Grande Bretagne, les Jeux de Londres ayant été un catalyseur pour ce pays qui a fortement investi dans le sport et une « politique de médailles », et la Russie (dont certains athlètes n’ont pu concourir du fait des scandales de dopage qui ont émaillé le sport russe). On retrouve ensuite les pays occidentaux de « l’Ouest » (Allemagne, France, Italie, Canada...) et les deux puissances asiatiques Japon et Corée du Sud. Les premiers pays en développement sont le Kenya et la Jamaïque qui ont développé des stratégies de spécialisation performantes (en athlétisme en demi-fond et fond pour le premier et en sprint pour le second). La distribution des médailles reste donc très concentrée même si cela apparait très légèrement atténué aux dernières olympiades 2020/2021. |
Crédits | Carte présentée en page 128, reproduite avec autorisation |
URL | http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/8756/img-2.png |
Fichier | image/png, 604k |
Pour citer cet article
Référence électronique
André Suchet, « Augustin J.-P. et Gillon P., 2021, Les jeux du monde. Géopolitique de la flamme olympique », Mappemonde [En ligne], 135 | 2023, mis en ligne le 07 avril 2023, consulté le 04 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/8756 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mappemonde.8756
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page