- 1 Données Agreste 2021 ; La donnée n’est pas disponible pour l’année 2021 dans le rapport, publié en (...)
1En 2020, selon le ministère de l’Agriculture français, environ 7 % de la surface agricole utilisée (SAU) du territoire métropolitain est occupée par la catégorie « Landes (non productives, non pacagées), friches, maquis, garrigues »1, avec une progression annuelle moyenne de 0,04 % entre 1982 et 2018 (Ballet, 2021). Ces formations végétales spontanées issues de la déprise agricole prennent des formes variables suivant des gradients temporels (végétation ligneuse succédant à une végétation herbacée...), et suivant les conditions environnementales (sol, climat…).
2Dans cet article, nous désignerons sous le terme « d’enfrichement » la succession végétale spontanée se traduisant par une fermeture du milieu (Bioret et al., 2009). Ce faisant, nous éviterons autant que possible l’utilisation du terme « friche » en raison de son caractère polysémique, voire politique, qui en fait un « état dégradé par rapport à l’activité agricole passée » (Veitch, 2023). Par ailleurs, les contours de la « friche » demeurent parfois flous sur le terrain, en termes de composition végétale (parfois relativement similaire aux végétations avoisinantes) et de temporalité (à partir de quand une « friche » devient ou cesse-t-elle d’être une friche ?) (Preux et al., 2019 ; Libaud, 2022).
3Les représentations sociales liées à l’installation d’une végétation spontanée sur des terres autrefois cultivées sont ambivalentes. Vécue comme la traduction spatiale d’une mise à l’écart du monde agricole (Fottorino, 1989 ; Luginbühl, 1999) ou de milieux ruraux en déprise (Beau, 2018), cette succession écologique peut aussi être assimilée à un retour du sauvage (Terrasson, 1988).
4Par ailleurs, du fait de la surface qu’ils représentent localement, ces espaces enfrichés tendent à être considérés comme une ressource foncière, mobilisable pour (re)développer l’agriculture (Lejeune et al., 2022 ; CDAF du Finistère, 2015). Cette volonté de remise en valeur peut s’appuyer à l’occasion sur des considérations d’ordre écologique et paysager, dénonçant la « fermeture du paysage » résultante du processus d’enfrichement (Le Floch et al, 2005 ; CDAF du Finistère, 2015), ou la perte de biodiversité qui l’accompagnerait (Schnitzler et Génot, 2012).
5Dans La France des friches, Annik Schnitzler et Jean-Claude Génot (2012) réinterrogent ainsi la place de ces espaces enfrichés dans la gestion des espaces naturels, prenant parti pour laisser libre cours à la succession spontanée. Dans sa thèse, Loïs Morel (2018) montre, par ailleurs, la relative richesse des friches et boisements féraux, proche de celle des forêts anciennes ; il contredit ainsi l’idée d’une homogénéisation biotique systématique issue des boisements spontanés.
6La succession écologique secondaire après un usage agricole est relativement bien documentée (Prach et Walker, 2020), tout comme les facteurs à l’origine de l’abandon des terres. Pour autant, l’abandon tend à être traité comme un « état final »2 et non une étape (Fayet et al., 2022), ce qui interroge plus largement le caractère temporaire ou non de l’enfrichement, ainsi que la complexité des historiques des paysages sujets à ce processus. Deux études récentes proposent ainsi des synthèses sur les trajectoires de ces espaces enfrichés, entre réouverture, urbanisation et succession écologiques spontanées, à l’échelle européenne (Fayet et al., 2022) ou mondiale (Crawford et al., 2022).
7Néanmoins, certains types de milieux sont susceptibles de diverger de ces schémas généraux, du fait de conditions environnementales ou de contextes sociohistoriques spécifiques. En Bretagne, le programme EcoFriche s’est ainsi attaché à étudier l’enfrichement des milieux humides (Preux et al., 2019 ; Augier et al., 2022). Sur les littoraux, ce phénomène est traité dans des travaux consacrés principalement à la restauration écologique ou à d’autres milieux (Le Roy, 2019 ; Sawtschuk, 2010). Un travail spécifique a cependant été réalisé sur l’enfrichement sur l’île d’Ouessant (Bioret et al., 1994 ; Chevrollier et al., 2021).
8Cet article propose une analyse de l’enfrichement des hauts de falaises littorales de la commune de Moëlan-sur-Mer située dans le sud du Finistère (29). Il présente une partie des résultats de l’axe écologique du projet ANFRICHE, Anthropologie environnementale de la remise en culture des friches littorales3 (voir Veitch, coord., 2022). Dirigé par Birgit Müller, ce projet interdisciplinaire questionne les évolutions contemporaines des friches littorales et s’inscrit dans la continuité du programme PARCHEMINS4 (Levain et al., 2021) portant sur l’analyse des dynamiques spécifiques à l’agriculture littorale.
9L’objectif du travail présenté ici est de caractériser la végétation et l’évolution du paysage de deux secteurs enfrichés, puis modifiés à des degrés différents par un projet de remise en culture. Mené à l’échelle locale, il a pour but de décrire les trajectoires de ces paysages, questionnant l’idée d’une homogénéité paysagère souvent mise en avant comme un possible problème pour la biodiversité (Le Roy, 2019 ; Schnitzler et Génot, 2012 ; Bensettiti et al., 2005).
10Analysant la succession végétale issue de la déprise agricole sur une côte rocheuse, il interroge la réalité écologique de l’objet « friche » sur ces espaces littoraux, façonné à la fois par des facteurs environnementaux et anthropiques. Le recours à la photo-interprétation et aux relevés phytosociologiques permet une analyse du paysage et de la végétation des secteurs étudiés.
11Moëlan-sur-Mer est une commune littorale du Finistère (29) (figure 1) appartenant à la communauté d’agglomération de Quimperlé. Située sur une côte rocheuse touristique (DDTM du Finistère, 2018a), sa population de 6 748 habitants est vieillissante avec 37,3 % d’habitants de plus de 60 ans en 2009, 41,6 % en 2014 et 46,9 % en 20205.
12L’atlas des paysages du Finistère la rattache à l’unité paysagère de la Cornouaille littorale dont la partie côtière se caractérise notamment par « un relief accidenté et doux », « une forte urbanisation de la côte » et « une végétation assez basse » (DDTM du Finistère, 2018b).
Figure 1. Cartographie des densités de formations arbustives à l’échelle du Finistère
13Le littoral de la commune est recouvert de formations arbustives d’une surface importante (photo 1), identifiées comme « Fourrés secs et mésophiles » dans La Cartographie des grands types de végétation dressée par le Conservatoire botanique de Brest (CBNB)6 à l’issue d’un travail de télédétection par méthode semi-automatisée. Cette catégorie de végétation, composée notamment de prunelliers, d’ajoncs d’Europe, et de ronces (Sellin [coord.], 2020) est fortement liée à la déprise agricole sur les littoraux et se retrouve dans d’autres secteurs du département « qui ont été confrontés aux stratégies des propriétaires, aux mutations de l’agriculture et aux contraintes réglementaires durant ces dernières décennies » (CDAF du Finistère, 2015 ; figure 1).
Photo 1. Paysage littoral enfriché (ronces, prunellier, cornouiller sanguin) sur le secteur de Kerfany (commune de Moëlan-sur-Mer)
Source : Libaud, 2023
14Les productions agricoles de la commune sont principalement orientées vers l’élevage intensif (laitier, bovin, et porcin). Depuis la fin des années 1980, le nombre d’exploitations s’est fortement réduit, en parallèle d’une relative stabilité de la SAU (Surface Agricole Utile) (tableau 1). Ces deux chiffres restent néanmoins stables depuis les années 2010.
Tableau 1. Évolution du nombre d’exploitations et de la SAU à Moëlan-sur-Mer entre 1988 et 2020
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Année de référence
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Nombre d’exploitations
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Surface agricole utile (SAU) en hectares
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Taille moyenne des exploitations (ha)
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1988
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72
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1492
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20,72
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2000
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33
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1445
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43,79
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2010
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24
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1435
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59,8
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2020
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25
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1435
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57,4
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Source : Agreste
15Jusque dans les années 1960, le littoral moëlannais est exploité dans le cadre d’une agriculture vivrière par des familles vivant majoritairement de la pêche. Cette activité décline dans les années 1960-1970, en même temps que s’opère un exode rural ; parallèlement, le littoral s’urbanise autour de hameaux préexistants et une nouvelle fonction, résidentielle et touristique, se développe (Dumont, 2022) avec, notamment, la pratique du camping.
16Cette période de déprise agricole marque le début de l’enfrichement du littoral moëlannais qui, contrairement à la partie nord de la commune, n’a pas connu de remembrement : le parcellaire y demeure morcelé, et les parcelles ont été fragmentées au fil des héritages. À cela s’ajoute une spéculation foncière sur ce littoral attractif, un partage de l’espace avec les activités liées aux loisirs (randonnée, voire baignade, notamment en été), ainsi qu’une réglementation française plus contraignante pour l’agriculture littorale, à la fois en matière de bâti et de pratiques. L’ensemble de ces phénomènes complexifie l’accès aux terres et leur exploitation dans le cadre agricole (CDAF du Finistère, 2015).
17En 2014, un projet de relocalisation alimentaire est lancé par la municipalité de Moëlan-sur-Mer afin de remobiliser ces réserves foncières à des fins agricoles, en favorisant l’installation d’exploitants en agriculture biologique. Ce projet s’appuie sur l’article L-125-1 du Code rural permettant de solliciter le préfet afin de remettre en valeur des parcelles « incultes ou manifestement sous-exploitées depuis plus de trois ans sans raison de force majeure ».
18Au-delà de l’enjeu alimentaire, l’avant-projet présenté aux habitants mentionne, par ailleurs, l’objectif de « [maintenir] une mosaïque paysagère et une biodiversité conséquente » (Municipalité de Moëlan-sur-Mer, 2019).
19La Commission départementale d’Aménagement foncier (CDAF) est alors chargée de recenser les zones éligibles ; elle définit ainsi vingt-trois « îlots de remise en valeur » (figure 2), en s’appuyant notamment sur une cartographie des « Friches potentielles » dressée par la Direction départementale des Territoires et de la Mer (DDTM). Cet outil, dont la DDTM assume le caractère non exhaustif, vise à inventorier les parcelles pouvant être considérées comme des « friches », dans une optique de possible remise en culture. Il croise, notamment, les données relatives à l’occupation du sol, au foncier, et à la végétation7.
Figure 2. Cartographie des 23 « îlots de remise en valeur » dans le cadre du projet de remise en culture
20En 2019, la première phase de défrichement est lancée (figure 2), avec l’installation de deux exploitations sur six des vingt-trois « îlots de remise en valeur » définis par la CDAF. La procédure mise en place par la commune se heurte néanmoins à des résistances locales, structurées notamment autour de la défense du droit à la propriété, d’une méfiance vis-à-vis des effets d’une agriculture industrielle et du caractère perçu comme autoritaire de la procédure elle-même (Veitch, 2023). En 2021, la seconde phase de la procédure est finalement suspendue par arrêté préfectoral (figure 2). Cela se traduit par d’importantes différences dans les trajectoires récentes de nos deux secteurs d’étude : largement mis en place sur le secteur de Kersolf, les défrichements n’ont eu lieu que sur quelques parcelles à l’intérieur des terres sur le secteur de Kerfany (figure 3).
Figure 3. Photographie aérienne des deux secteurs d’étude
21Le projet d’étude interdisciplinaire ANFRICHE étant structuré autour du projet de relocalisation alimentaire initié à Moëlan-sur-Mer, le choix de nos secteurs découle, en partie, de la cartographie des « friches potentielles » sur laquelle il s’appuie (cf. supra). L’étude porte donc sur deux des secteurs envisagés pour une remise en valeur : Kerfany (Zone A, soit 21,6 ha) et Kersolf (Zone B, soit 41,7 ha) (figure 2). Ces deux espaces se distinguent l’un de l’autre par leurs degrés de remise en culture, par leurs végétations et, dans une moindre mesure, par leurs topographies. Ils demeurent néanmoins comparables du fait de leur position littorale et de leur historique (espaces cultivés puis enfrichés).
22Nous avons, par ailleurs, étendu nos deux zones d’étude au-delà des « friches potentielles » identifiées par la DDTM (figure 2). En effet, un certain continuum dans la végétation s’observe parfois, notamment dans le cas des fourrés de prunelliers qui s’étendent à la fois sur des « îlots de remise en valeur » et sur des espaces littoraux exclus du projet de remise en culture.
23Enfin, ce littoral ayant été cultivé en quasi-totalité avant les années 1960-1970 (Dumont, 2022 ; Blachère et al., 2016), la plupart des formes végétales observées se sont développées de manière spontanée et à la suite d’une période de déprise, ce qui en fait techniquement des « friches ».
24Entre mars et juillet 2022, 104 relevés exhaustifs ont été menés sur la flore vasculaire. L’échantillonnage a concerné à la fois des milieux herbacés, arbustifs et boisés, avec l’objectif de rendre compte de la diversité taxonomique de la végétation de ces paysages enfrichés.
25Le recouvrement de chaque espèce a été estimé à partir des coefficients d’abondance-dominance de Braun-Blanquet. Les relevés ont été effectués sur des quadrats homogènes, sélectionnés selon un critère de dissimilarité avec les autres échantillons (hauteur et densité de végétation, espèces dominantes, entretien récent mené sur la parcelle…), dans l’optique de comparer les cortèges des différents types de végétations rencontrées et de dresser une typologie la plus exhaustive possible.
26Dans un second temps, ces relevés ont été triés suivant leur composition taxonomique, selon la méthode de tri manuel des relevés phytosociologiques (Gillet, 2000), afin de constituer une typologie descriptive des végétations rencontrées.
27Dans un troisième temps, une cartographie fine des végétations à l’échelle 1/1000 a été dressée à l’issue de cette première typologie. La correspondance entre parcellaire et végétation ne se vérifiant pas de manière systématique, le grain spatial retenu pour la cartographie devait donc être inférieur à celui de la parcelle et tenir compte de chemins enherbés qui serpentent entre les fourrés : nous avons donc fait le choix d’un grain de 2 m x 2 m, pour l’intégralité des cartographies présentées ici.
28Afin de caractériser l’évolution du paysage, un travail de photo-interprétation a été effectué à l’échelle 1/1000, à partir des photographies aériennes des années 1952, 1978, 2000 et 2015 et 2022 produites par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Le pas de temps entre les différentes dates est donc compris entre 22 et 26 ans, si l’on excepte l’année 2015 qui correspond à l’état antérieur au projet de remise en culture.
29Sur les plus anciens clichés (1952-1978), monochromes et d’une résolution relativement faible, le risque de confusion entre les différents types de milieux ouverts est parfois important : champs, prairies de fauche et prairies pâturées n’étaient pas toujours reconnaissables de manière certaine. Afin d’homogénéiser les catégories d’analyse entre les photographies anciennes et les plus récentes, ces différents milieux sont regroupés sous la catégorie de « milieux ouverts » (tableau 2). La catégorie « milieux semi-ouverts » indique, quant à elle, un état intermédiaire entre milieux ouverts et fourrés, comme un début d’enfrichement ou une repousse de la végétation après un essartage, ce qui permet ainsi de prendre en compte l’état dynamique du processus d’enfrichement.
30Par ailleurs, une marge d’erreur persiste — y compris sur des photographies en couleurs — notamment, car des risques de confusion existent entre certaines formations végétales comme les fourrés et certaines pelouses (Sellin [coord.], 2020). Pour les années les plus récentes (2015-2022), l’exploitation de clichés réalisés par un drone début avril 2022, puis une confirmation sur le terrain ont cependant permis de dissiper ces doutes.
31À l’issue de cette photo-interprétation, des matrices de transition permettent de rendre compte des dynamiques de chaque milieu au cours de la période d’étude (Sawtschuk et Bioret, 2012). Pour des raisons de lisibilité, les résultats issus de ce travail sont synthétisés sous forme de schémas sur le modèle de Le Dez et al. (2017) (figure 7). Les matrices sont, quant à elles, présentées en annexe, ainsi que leur méthode d’élaboration.
Tableau 2. Typologie utilisée pour l’approche diachronique via photo-interprétation
32Les paysages des deux secteurs sont dominés par des espèces généralistes. Prunellier (Prunus spinosa), cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) et ronce (Rubus gr. Fruticosus et Ulmifolius), dans une moindre mesure, sont les espèces les plus présentes en strate arbustive. Les espèces les plus représentées dans les prairies de fauche sont le dactyle aggloméré (Dactylis glomerata) et le fromental élevé (Arrhenatherum elatius). Il est à noter, par ailleurs, que la strate herbacée des milieux arbustifs demeure relativement similaire à celle des boisements identifiés à l’intérieur des terres, avec notamment la présence du lierre (Hedera helix), de l’iris fétide (Iris Foetidissima) et du scolopendre (Asplenium scolopendrium).
33L’analyse spatiale issue de la cartographie des végétations (figure 4) met en évidence la forte influence du littoral dans la répartition de certaines formations végétales. D’autres types de milieux, issus notamment d’usages particuliers à ces espaces littoraux (agriculture et tourisme) ou de l’entretien de la végétation (essartage), sont inclus ici. Ces résultats sont synthétisés dans un tableau (tableau 3).
Figure 4. Cartographie des différents types de végétation dans les deux secteurs étudiés
34- Les milieux littoraux
35Certaines végétations se retrouvent exclusivement en position littorale (distance inférieure à 100 m) (figure 5). Elles subissent l’action des embruns et comprennent à la fois des végétations herbacées et des fourrés fortement anémomorphosés. Sur nos secteurs d’étude, ces milieux littoraux ouverts sont représentés principalement par des pelouses aérohalines en haut de falaise. Ces dernières comportent parfois des inclusions de dactyle, prunellier et ronces. L’ajonc, mêlé ou non au prunellier, semble également ne se trouver qu’en position littorale, principalement sur des espaces anciennement enfrichés. C’est aussi le cas de fourrés bas à prunelliers comportant des draperies de lierre.
36- Les milieux intermédiaires à tendance littorale
37Certaines espèces bénéficiant d’une situation abritée, voire semi-abritée, se développent notamment derrière des fourrés à prunelliers, à proximité du littoral. C’est le cas des ronciers, et des deux espèces de chèvrefeuille présentes sur nos zones d’étude (Lonicera periclymun et Lonicera japonica).
38- Formations végétales ubiquistes
39D’autres types de végétation se retrouvent aussi bien proches du littoral qu’à l’intérieur des terres. À l’exception des fourrés à prunelliers, ils ne sont pas directement exposés aux embruns. Il peut s’agir de végétations spontanées (ptéridaies, fourrés à prunelliers) ou façonnées par l’activité humaine (prairies de fauche). Compte tenu de son caractère ubiquiste, le prunellier domine largement le paysage.
40- Milieux « intermédiaires » éloignés du littoral et milieux éloignés du littoral
41Enfin, certains milieux se retrouvent en majorité à l’intérieur des terres. Deux d’entre eux sont liés à l’activité agricole ou à l’entretien de la végétation (parcelles essartées et cultures). Les milieux boisés et les fourrés dans lesquels est présent le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea), plus sensibles à l’effet des embruns, appartiennent également à ces deux catégories.
Tableau 3. Typologie des différents types de milieux, en lien avec leur proximité au littoral
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Milieux littoraux
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Milieux « intermédiaires » à tendance littorale
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Milieux ubiquistes
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Milieux « intermédiaires » éloignés du littoral
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Milieux éloignés du littoral
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Description
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Présents exclusivement en position littorale (> 100 m du littoral)
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Présents préférentiellement en position littorale. Parfois exposés aux embruns
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Présents à la fois en position littorale et à l’intérieur des terres. Non exposés aux embruns (sauf fourrés à Prunus spinosa)
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Rarement présents en position littorale. Non exposés aux embruns.
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Présents exclusivement à l’intérieur des terres
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Types de milieux
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Végétations herbacées littorales (pelouses aérohalines et agropyraies)
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Ronciers
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Fourrés à Prunus spinosa
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Fourrés à Cornus sanguinea (monospécifiques ou mêlé à une autre espèce)
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Milieux boisés
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Fourrés à Ulex spp.
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Fourrés à Lonicera spp.
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Ptéridaies
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Parcelles essartées
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Champs et autres activités agricoles
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Fourrés avec draperie de lierre
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Milieux perturbés (gravats, sol bétonné, piétinement…)
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Prairies de fauche
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Figure 5. Évolution des formes de végétation sur la zone de Kerfany
Figure 6. Évolution des formes de végétation sur la zone de Kersolf
42À partir de la typologie diachronique présentée plus haut (cf. supra), un travail de photo-interprétation a permis de caractériser les évolutions du paysage au cours de la période 1952-2022 sur chacun de nos deux secteurs (figures 5 et 6). Des graphiques rendent compte de la surface des différents types de milieux pour chaque année (figure 8).
43Dans les deux secteurs, le paysage des années 1952 et 1978 est marqué par l’activité agricole (figures 5 et 6) et largement ouvert (86 % de la superficie de Kerfany et 74 % de celle de Kersolf). Sur la période 1952-1978, la composition du paysage du secteur de Kerfany évolue peu et les fourrés demeurent sporadiques (figure 5) : la plupart des espaces enfrichés semblent alors récents et constitués de milieux semi-ouverts plutôt que de fourrés bien établis. Pour autant, les fourrés présents en 1952 deviennent en majorité des milieux ouverts (55 %) ou semi-ouverts (24 %) avant 1978 (figure 8). L’analyse des photographies de 1978 (photo 2) montre, par ailleurs, le développement de l’activité de loisirs, avec la présence de tentes ou caravanes. Cependant, c’est sur le secteur de Kersolf que les transformations majeures de la période s’opèrent. Ainsi, le fond de vallon humide au nord-est se boise en même temps que la surface des vergers diminue (figure 7). Parallèlement, les fourrés littoraux de la partie sud-ouest du secteur sont défrichés et remplacés par des habitations. Dans les deux secteurs, l’activité humaine semble donc être le principal facteur d’évolution du paysage durant la période 1952-1978.
Photo 2. Vue aérienne du secteur de Kerfany (1978)
Source : IGN
44La période 1978-2000 est marquée par l’accélération du processus d’enfrichement sur le secteur de Kerfany qui se couvre largement d’espaces semi-ouverts, voire de fourrés sur sa moitié ouest (figure 5). Les fourrés préexistants demeurent relativement stables, mais les milieux semi-ouverts évoluent de manière différenciée, entre réouvertures (26 %) et continuité de la succession écologique (39 %) (figure 8). Comme pour l’année 1978, les photographies de 2000 montrent la présence de quelques tentes ou caravanes sur quelques parcelles demeurées ouvertes malgré l’enfrichement du secteur. Le paysage de Kersolf subit, en revanche, peu de transformations (figure 5).
45Entre 2000 et 2015, la succession végétale spontanée devient le principal facteur d’évolution du paysage dans les deux secteurs. La dynamique d’enfrichement enclenchée se poursuit et les fourrés et milieux semi-ouverts connaissent leur extension maximale en 2015 (environ 75 % de la surface de Kerfany et 50 % de celle de Kersolf) (figure 8), même si certaines prairies entourées de fourrés persistent. Sur le secteur de Kerfany, les fourrés s’étendent et remplacent les milieux semi-ouverts (figure 8). Les formations arbustives progressent légèrement vers la côte en remplaçant des milieux littoraux ouverts qui correspondent aujourd’hui à des pelouses aérohalines composées de fétuque rouge (figure 5).
46Enfin, la période récente (2015-2022) est marquée par la procédure de remise en culture, avec des réouvertures d’espaces qui s’opèrent dans les zones les plus abritées (est de Kerfany et nord de Kersolf). Dans les deux secteurs, les milieux semi-ouverts continuent à diminuer sous les effets combinés de la succession végétale spontanée et des défrichements (figure 7 et figure 8). Les zones proches du littoral restent dominées par les fourrés, malgré le maintien de quelques prairies de fauche dans le centre-ouest du secteur (figures 5 et 6).
Figure 7. Représentation schématique des matrices de transition
Figure 8. Évolution de la superficie des différents types de milieux dans les deux secteurs sur les cinq années étudiées
47La phase d’enfrichement de nos secteurs s’étend sur une quinzaine d’années pour Kersolf et trente ans pour Kerfany. Le fond de vallon humide au nord de Kersolf et les espaces littoraux (centre-ouest de Kerfany et sud de Kersolf) connaissent cependant une déprise agricole précoce, dès 1952. Si les fonds de vallons se sont couverts de boisements, sur les hauts de falaises les fourrés littoraux arbustifs persistent, avec très peu d’espèces arborescentes observées aujourd’hui.
48Dans le contexte de la restauration des hauts de falaises littorales, Maxime Le Roy (2019) relève la stabilité relative de ces derniers (82 % sur 24 ans), et leur suppose un caractère climacique. Si l’on exclut la période 1952-1978, durant laquelle une forte pression anthropique s’exerce sur la succession végétale, les fourrés du secteur de Kerfany présentent, en effet, une stabilité comparable (entre 78 et 93 % selon les périodes). Toutefois, pour le secteur de Kersolf, plus urbanisé, cette stabilité est moindre en raison de perturbations d’origine anthropique (entre 55 % et 64 %, voire 44 % à l’issue de la procédure de remise en culture entre 2015 et 2022).
49Un schéma des dynamiques de l’enfrichement semble apparaître sur le secteur de Kerfany dans lequel la végétation arbustive s’établit d’abord sous forme de patchs au sein des milieux ouverts avant de s’étendre autour des « noyaux » issus de cette première phase (figure 4). Le même constat est fait pour une partie des friches humides étudiées par le programme EcoFriche (Preux et al., 2019) et pour une partie des parcelles bocagères étudiées par Gloaguen et al. (1994), l’autre mode de diffusion décrit dans ces deux travaux correspondant à une extension à partir des bordures de parcelles. Dans nos secteurs, là encore, le constat est moins net pour Kersolf, y compris à l’issue d’une photo-interprétation sommaire visant à le vérifier. Ce mode de diffusion paraît être commun aux deux espèces dominantes du fourré (cornouiller sanguin et prunellier), bien que les fourrés à cornouillers sanguins se situent presque systématiquement à plus de 100 m du trait de côte et/ou en situation abritée (figure 3).
50En outre, loin d’être issus d’un processus de déprise, une partie des fourrés littoraux présents en 1952 pourrait être liée à des usages traditionnels de certaines espèces végétales comme l’ajonc, toujours présent de manière marginale sur certains d’entre eux, notamment sur le secteur de Kerfany. Ces fourrés sont aujourd’hui dominés par le prunellier (figure 3), qui tend à supplanter l’ajonc dans les plus anciennes formations (Demartini, 2016). Du reste, qu’elles aient été exploitées ou non par le passé, ces végétations participent bien aux dynamiques d’enfrichement au cours de la période 1978-2000, en constituant des « noyaux » autour desquels les fourrés s’étendent (figure 5).
51Enfin, malgré la déprise, les usages non agricoles comme le camping semblent être à l’origine d’un maintien de l’ouverture des milieux, notamment au cours de la période 1952-1978. Cette pression se traduit notamment par une faible stabilité des fourrés entre ces deux années (environ 20 % pour les deux secteurs).
52À la suite de la procédure de remise en culture, la trajectoire paysagère du secteur de Kersolf apparaît comme une « trajectoire alternative » (Fayet et al., 2022) au sein du contexte européen où l’abandon d’espaces agricoles entraînerait la mise en place de végétations « semi-naturelles », issues d’une succession spontanée et sans intervention humaine.
53Or, à l’échelle de la parcelle, quelques prairies permanentes, espaces en régression à l’échelle du territoire (Magnanon et Vertès, 2019), semblent s’être maintenues tout au long de la période et sur les deux secteurs (figures 3 et 4). Les chemins enherbés entre les fourrés constituent également une forme de milieux herbacés au sein de ces espaces enfrichés. La persistance de milieux ouverts à l’échelle du paysage s’explique à la fois par des défrichements, par le maintien ouvert de certaines parcelles et par un possible blocage stationnel lié aux contraintes environnementales (sel, vent, sol superficiel) qui freine l’installation d’espèces ligneuses et explique le maintien (pour l’instant) de pelouses aérohalines en l’absence d’entretien.
54L’essentiel des défrichements est lié à la procédure de remise en culture ; ces opérations ont été menées systématiquement à l’intérieur des terres, les parcelles littorales ayant été jugées non propices à l’agriculture en raison de l’action du vent ainsi que d’enjeux paysagers et touristiques (CDAF du Finistère, 2015).
55La photo-interprétation menée sur l’année 2015 montre une répartition relativement homogène des prairies fauchées ou pâturées dans les deux secteurs, la plupart d’entre elles ayant été ouvertes en continu sur toute notre période d’étude.
56À cette action anthropique s’ajoute un potentiel blocage stationnel résultant de l’action des embruns, voire de l’abroutissement par les lapins (Bioret et al, 2009) qui maintient un milieu herbacé sur la pointe de Kermen (figure 9), dans la partie ouest du secteur de Kerfany. Dans l’étude des successions suivant une opération de restauration, Le Roy (2019) a montré que ces pelouses aérohalines sont rarement stables à long terme, car elles peuvent aussi correspondre à des pelouses secondaires liées à d’anciennes perturbations qui ont tendance à évoluer vers le fourré. C’est ce qui semble s’observer dans la partie nord-ouest du secteur de Kerfany (figure 4).
57Du fait de la combinaison de ces facteurs, avant le projet de remise en culture, environ 14 % de la surface du secteur de Kerfany et 18 % de celle Kersolf était déjà demeurée ouverte en continu entre 1952 et 2015, malgré l’enfrichement des parcelles alentour.
Figure 9. Évolution de la végétation sur la pointe de Kermen
Secteur de Kerfany, vue aérienne.
58La photo-interprétation présente quelques limites comme le risque de confusion, à la fois entre différentes espèces végétales et entre les strates de végétation ; elle doit donc parfois être complétée par un travail de terrain, lorsque c’est possible.
59En outre, l’analyse diachronique ayant nécessité l’élaboration d’une typologie synthétique, les statistiques basées sur cette classification ne rendent pas toujours pleinement compte de la diversité du paysage. Ainsi, comme assumé dans notre méthodologie, la catégorie « Milieux ouverts » est susceptible de mener à une illusion de continuité, en occultant certaines modalités d’occupation du sol. C’est le cas pour la pointe de Kermen, dans la partie ouest du secteur de Kerfany : désignée comme « Milieu ouvert » en continu, elle est vraisemblablement occupée par des cultures en 1952, puis par une activité de camping en 1978 et est aujourd’hui recouverte d’une pelouse aérohaline dont il est difficile de dater l’installation avec certitude (figure 9). Une remarque similaire pourrait être formulée concernant les milieux boisés puisque notre typologie ne différencie pas les boisements spontanés de ceux dont l’origine est anthropique, comme les cyprès plantés ponctuellement.
60Cette classification permet cependant de caractériser les dynamiques végétales sur des temporalités relativement courtes grâce à la catégorie « Milieux semi-ouverts ».
61Enfin, bien qu’il puisse apparaître en filigrane dans notre cartographie (avec les prairies de fauche, par exemple), le rôle des modes d’entretien, de pratiques agricoles ou d’éléments historiques spécifiques (transmission du foncier, actions individuelles ou collectives, usages non agricoles...) à l’échelle des parcelles ou de la commune n’a pas pu être pris en compte dans notre étude.
62Cette étude de cas constitue une première approche des trajectoires récentes des espaces agricoles des hauts de falaises rocheuses prenant pour objet d’étude une commune concernée par un projet de remise en culture.
63Le jeu de données brutes collectées est amené à être étoffé avec une extension de l’étude à d’autres espaces enfrichés afin, notamment, de comparer l’évolution de métriques paysagères (Boussard et Baudry, 2017). De même, les relevés effectués lors de ce premier travail sont destinés à être complétés dans la suite du projet ANFRICHE.
64La fonction touristique et résidentielle du littoral qui émerge dans les années 1960-1970 est susceptible d’avoir marqué à la fois le paysage (par l’urbanisation des fourrés et l’entretien de la végétation) et les communautés végétales (avec l’arrivée d’espèces exotiques arbustives comme Eleagnus ebbingei, Laurus nobilis, Euonymus japonicus...). Ainsi, le rôle potentiel d’initiatives individuelles, collectives ou de politiques publiques passées reste à investiguer, notamment compte tenu de l’émergence d’un paradigme de protection des espaces littoraux depuis les années 1970 (Vincent, 2020). Par ailleurs, de premières données appuient l’idée que la répartition des espèces exotiques serait influencée par la présence de certaines pratiques passées comme le camping et par l’urbanisation (Libaud, 2022). Pour autant, ces premiers résultats n’ont pas permis d’affirmer un réel déterminisme, mais seulement une certaine proximité géographique.
65Sur le plan phytosociologique, l’identification des trajectoires paysagères passées est susceptible d’être mise en relation avec les espèces végétales rencontrées. Par ailleurs, l’analyse diachronique fait parfois ressortir des trajectoires non linéaires, avec des va-et-vient entre enfrichement et réouverture du milieu à l’échelle de la parcelle liés à des usages spécifiques de l’espace : le rôle des différents types de trajectoires dans la composition des communautés végétales sur une parcelle donnée n’a pas encore pu être analysé/mesuré, de même que la préférence potentiellement accordée à certaines espèces lors de l’entretien de la végétation ; de jeunes frênes, par exemple, semblent ainsi conservés lors de l’essartage des fourrés.
66Le principal déterminisme influençant l’enfrichement semble être la proximité du trait de côte, liée à l’effet des embruns et à une disparition de l’agriculture et, potentiellement, du camping. Pour autant, d’autres facteurs (pente, sol, trajectoires des parcelles, mode d’entretien des milieux herbacés, proximité de l’urbanisation…) sont susceptibles d’influencer la succession écologique et les dynamiques paysagères d’origine anthropique. Des mesures de l’effet des embruns (vent, sel) sont par ailleurs envisagées (Sawtschuk, 2010), en complément de l’intégration d’autres secteurs d’étude.
67L’analyse des évolutions du paysage de nos sites d’étude fait apparaître des continuités dans le processus d’enfrichement avec la persistance de certains fourrés sur la longue durée, puis leur extension. Elle tempère néanmoins l’idée d’une homogénéisation du paysage consécutive à l’enfrichement : en dépit de l’extension des formations arbustives et de la disparition de pratiques agricoles, des milieux ouverts persistent sous l’effet de l’action anthropique, mais aussi d’un blocage stationnel à l’origine d’une relative stabilité des pelouses aérohalines.
68Une certaine diversité spécifique s’observe au sein des espaces enfrichés, avec une influence des facteurs environnementaux sur la distribution d’une partie des espèces comme le cornouiller sanguin. L’influence humaine sous ses multiples formes (modes d’entretien de la végétation, introduction d’espèces, différents usages de l’espace) participe également à cette diversité, à la fois dans les espèces et les formes végétales. À cet égard, les résultats semblent souligner le rôle des usages non agricoles dans le maintien d’espaces ouverts.
69Les recherches menant aux présents résultats ont bénéficié d’un soutien financier en vertu de la décision d’attribution d’aide de la Fondation de France.