Navigation – Plan du site

AccueilNuméros138À voir, à lireMappa naturae, 2023

À voir, à lire

Mappa naturae, 2023

Sylvain Guyot
Référence(s) :

Collectif Stevenson (2023). Mappa naturae. Marseille : Éditions Parenthèses, coll. « Art », 192 p., 108 ill. en couleur.

Texte intégral

1Le collectif Stevenson, du nom de Robert Louis Stevenson, écrivain écossais et grand voyageur, connu dans le monde entier pour son roman L’Ile au trésor, publié en 1883, est composé de six auteurs spécialisés, peu ou prou, dans de multiples formes d’études des cartographies et de leurs usages à travers les époques : Jean-Marc Besse, philosophe et historien, Milena Charbit, architecte et artiste, Eugénie Denarnaud, paysagiste et plasticienne, Guillaume Monsaingeon, philosophe et historien, Hendrik Sturm, artiste marcheur (décédé le 15 août 2023), et Gilles A. Tiberghien, philosophe en esthétique. Ce collectif a déjà publié chez le même éditeur, en 2019 Mappa Insulae et, en 2021, Mappa Urbis. À l’image de leurs deux dernières parutions, Mappa Naturae se présente comme un recueil d’images cartographiques sélectionnées pour leur esthétique, leur ingéniosité ou, parfois, leur nouveauté. Le collectif ne donne pas d’informations synthétisées sur la provenance concrète des cartes. Les sources sont systématiquement mentionnées (archives, universités, centres de documentation, collections privées, etc.), mais pas la manière dont elles ont été portées à la connaissance du collectif.

2Chacune des cartes est mise en exergue par un texte littéraire et/ou un commentaire détaillé du collectif d’auteurs faisant office de notice ou de légende textuelle. Le thème de cette troisième édition repose sur les visions et représentations des « natures », au sens large, biotiques, abiotiques, anthropisées ou fantasmées.

3Le poème de Robert Louis Stevenson « le géographe téméraire » et la gravure qui lui est associée amorcent l’introduction de ce bel ouvrage : « le géographe téméraire dont il est question ici se repose lors d’une sortie de terrain. […] Dans le repos silencieux du désert, son poème chante le bivouac de la vie » (p. VI). L’introduction de 13 pages (p. I à XIII) fait office de prolégomène aux 90 cartes qui seront présentées à sa suite. Ce texte introductif est intitulé « aucune montagne n’est trop haute » et pose la question de comment définir et représenter la nature. Il passe en revue les difficultés d’appréhension d’une nature parfois bien peu palpable et contradictoire dans ses définitions, selon la manière d’y intégrer ou non les conceptions et les usages scientifiques, sociaux et politiques qui l’habitent. Mais, au-delà de ces considérations philosophiques déjà bien documentées, cette introduction a le grand mérite de se pencher sur les différentes manières dont la cartographie peut participer à définir et à caractériser scientifiquement la nature et, inversement, sur les façons d’utiliser la carte pour médiatiser des conceptions alternatives de la nature, parfois non centrées sur les idéologies dominantes en occident ou pour les remettre en cause. « Mapper ou cartographier la nature, voilà un projet qui n’a rien d’innocent. La curiosité et l’exploration qu’elle suppose se sont vite transformées en conquête effrénée : c’est de cet appétit qu’ont découlé le colonialisme européen et l’exploitation industrielle d’une nature réduite à ses ressources » (p. XI). Cet ouvrage est « un acte de foi dans les images et dans leur force ». La sélection réalisée s’est faite parmi des milliers de documents et il s’agit d’une grande réussite, tant les différentes planches cartographiques se dégustent avec délice tout en ouvrant à chaque fois sur un espace devenant remarquable par la représentation qui en est faite, et une réflexion captivante, décalée, voire dépaysante. Plusieurs réalités ont été illustrées dans cet atlas-catalogue raisonné : « le renouveau artistique ; des pratiques médiévales ou renaissantes ; des conceptions extra-européennes ; des cartographies de flux et de mouvement ; les limites de la démarche cartographique, parfois indissociable de la schématisation ou de la photographie » (p. XIII). Le collectif Stevenson termine cette belle introduction par un vœu, auquel je souscris pour l’avoir ressenti à la lecture/contemplation de cet ouvrage : « Puissent quelques-unes des cartes montrées ici devenir pour leur lecteur une « clé magique » ouvrant, au-delà des connaissances, la voie à la contemplation et à la rêverie, du fond d’un fauteuil ou à l’ombre d’un tilleul » (p. XIII).

4Pour cette recension de l’ouvrage, j’ai analysé systématiquement l’ensemble des 90 cartes en fonction de la localisation de la carte, de la thématique « naturelle » mise en avant (végétation, faune, géologie, eau, etc.), de la période historique de publication de la carte (avant le XVe siècle, puis chaque siècle jusqu’au XXIe), de la présence d’un texte littéraire illustratif et/ou d’une notice textuelle explicative et du genre de l’auteur·e de la carte et de sa nationalité. Les résultats de cette « dissection cartographique » sont intéressants, car ils expriment aussi bien les intentionnalités du collectif lors de la sélection du corpus, que la manière dont ce corpus se veut représentatif (ou pas ?) des espaces, des tendances et des thèmes de production de cartes de nature depuis plusieurs siècles, ainsi que des identités très stéréotypées des cartographes.

5Les thématiques de nature traitées se déclinent de cette façon : presque 16 % des cartes concernent un ensemble de sujets autour de la végétation, de la forêt ou des jardins, environ 12 % sont des cartes d’artistes, 10 % sont des cartes géologiques, topographiques ou en relief, 7 % concernent la faune, autant que l’hydrologie, 6 % concernent la météo ou le climat, les plans, ou encore l’imagerie. Ce sont donc bien les dimensions biotiques et abiotiques de la nature qui l’emportent selon une conception plutôt scientifique de la cartographie, mais dont les formats et les couleurs en font, la plupart du temps, de véritables œuvres. La présence supplémentaire de productions cartographiques artistiques per se, souvent contemporaines, permet alors de décaler le regard et de repenser certaines thématiques. Les périodes historiques sélectionnées sont très variées, mais elles concernent en majorité le XXe siècle (32 %), le XIXe siècle (25 %) et le XXIe siècle (24 %), trois siècles qui sont associés au fort développement et à l’épanouissement d’une cartographie scientifique qui deviendra de plus en plus moderne dans sa conception avant d’entrer dans le monde du tout numérique. Mais le lecteur appréciera la présence de cartes plus anciennes, parfois témoignages de véritables prouesses géographiques (XVIIIe siècle, 9 % ; XVIe et XVIIe siècle, 4 % chacun, et l’exemple antérieur au XVe siècle). 46 % des cartes sont décryptées par une notice textuelle produite par le collectif d’auteurs, et 70 % des cartes sont illustrées par des textes généralement littéraires et choisis pour produire un éclairage poétique ou politique, parfois en total décalage humoristique, ce qui est plutôt bienvenu.

6Ce corpus de cartes est le fruit de cartographes généralement masculins et occidentaux, avec une certaine tendance à la féminisation et à l’émergence de points de vue alternatifs pour la période la plus récente, à l’image de l’évolution historique des arts, sciences et techniques. 70 % des cartes ont été commises par des hommes contre seulement 12 % par des femmes et le reste (18 %) par des collectifs le plus souvent scientifiques et/ou gouvernementaux. La nationalité des cartographes est largement dominée par les Français (36 %), certainement en lien avec un parti pris éditorial/biais de l’ouvrage, puis par les États-Uniens (19 %), par les Allemands (9 %) et les Britanniques (7 %), les autres nationalités européennes comptant pour 10 %. Les nationalités émanant d’autres continents sont peu représentées (Asie 7 %, reste Amériques 3 % et Afrique une seule carte) ce qui est très peu surprenant au vu de la plus grande production et facilité d’accès de/à la cartographie occidentale. Les localisations des espaces représentés dans le corpus de cartes correspondent, par effet miroir, peu ou prou à la carte des nationalités des cartographes. La variété des échelles est importante et se décline dans une grande diversité de lieux et de territoires. Plusieurs cartes représentent la totalité de planète, ou de grands espaces (hémisphères, océans, bassin amazonien, Alpes, sous-régions continentales, grands pays type USA, Australie ou Russie, etc.), et malgré quelques cartes à l’échelle des États, ce sont plutôt des cartes régionales ou locales qui reviennent majoritairement avec une certaine surreprésentation des régions alpines. Ces dernières ont, en effet, donné lieu à de nombreuses très belles cartes qui symbolisent la nature prédominante de cet ouvrage signalée dès l’introduction par le slogan « Aucune montagne n’est trop haute » !

7Je terminerai par quelques visuels choisis dans la sélection proposée sur le site de l’éditeur (https://editionsparentheses.com/​Mappa-naturae?idart=888#hautpage888) et qui me semblent donner une idée de la couleur d’ensemble de ce magnifique corpus cartographique. Je laisserai le soin au lecteur de se plonger dans ces ambiances et je ne peux que recommander la lecture de cet ouvrage. Sa portée d’ensemble gagnerait cependant à être précisée par une conclusion, malheureusement absente en fin de livre. De plus, une exposition en grand format des planches de cet ouvrage serait sans doute couronnée de succès.

Carte no 23. Carte d’éruptions volcaniques sur le Vésuve (géologie), 1833

Carte no 23. Carte d’éruptions volcaniques sur le Vésuve (géologie), 1833

John Auldjo, cartographe masculin britannique, illustré par un texte d’Alexander Von Humboldt.

Carte no 40. Micro-cartographie en forêt allemande, 1965

Carte no 40. Micro-cartographie en forêt allemande, 1965

Gerhard Zachariae, cartographe masculin allemand, légendée par les auteurs et illustrée par un texte de R. L. Stevenson.

Carte no 59. Carte minière, État de New York (USA), 1882

Carte no 59. Carte minière, État de New York (USA), 1882

George F. Becker, cartographe masculin états-unien, expliquée par le collectif.

Carte no 77. Carte de floraison des fleurs sauvages aux États-Unis, 1955

Carte no 77. Carte de floraison des fleurs sauvages aux États-Unis, 1955

Clayton Whitehill, cartographe masculin états-unien, expliquée par le collectif.

Carte no 88. Proto-carte paysagère de Sirkefelde en Allemagne, 1577

Carte no 88. Proto-carte paysagère de Sirkefelde en Allemagne, 1577

Daniel Frese, géographe masculin allemand, illustré par un texte contemporain d’Emmanuelle Pagano.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Carte no 23. Carte d’éruptions volcaniques sur le Vésuve (géologie), 1833
Légende John Auldjo, cartographe masculin britannique, illustré par un texte d’Alexander Von Humboldt.
URL http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/9735/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 143k
Titre Carte no 40. Micro-cartographie en forêt allemande, 1965
Légende Gerhard Zachariae, cartographe masculin allemand, légendée par les auteurs et illustrée par un texte de R. L. Stevenson.
URL http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/9735/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 202k
Titre Carte no 59. Carte minière, État de New York (USA), 1882
Légende George F. Becker, cartographe masculin états-unien, expliquée par le collectif.
URL http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/9735/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 166k
Titre Carte no 77. Carte de floraison des fleurs sauvages aux États-Unis, 1955
Légende Clayton Whitehill, cartographe masculin états-unien, expliquée par le collectif.
URL http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/9735/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 153k
Titre Carte no 88. Proto-carte paysagère de Sirkefelde en Allemagne, 1577
Légende Daniel Frese, géographe masculin allemand, illustré par un texte contemporain d’Emmanuelle Pagano.
URL http://journals.openedition.org/mappemonde/docannexe/image/9735/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 163k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvain Guyot, « Mappa naturae, 2023 »Mappemonde [En ligne], 138 | 2024, mis en ligne le 21 octobre 2024, consulté le 12 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/9735 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12jjh

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search