1Les expositions de la Fondazione Prada se singularisent par la manière dont la scénographie est, d’une certaine manière, déjà présente – les lieux diversifiés de la construction d’origine ont été peu modifiés par son architecte Rem Koolhaas. La lecture des œuvres s’insère dans une structure qui, bien loin de s’absenter pour laisser le propos général de l’événement se déployer, semble orienter ce dernier. Il faut dire que c’est là un procédé bien connu de son directeur artistique, Germano Celant, qui a toujours exercé ses fonctions de commissaire selon des dispositions spécifiques qui permettent à la fois de valoriser les œuvres et les lieux. Dans le cas du couple Kienholz, cet effort organisationnel se conjugue avec une relative connaissance historique de la ­génération qu’ils incarnent, au sens où Celant a à la fois connu de près et contribué à diffuser la création d’avant-garde américaine auprès des institutions européennes, depuis la fin des années 1960. Le cadre interprétatif et la manière dont il catégorise Kienholz au sein de cette constellation artistique sont à souligner : dans les Quaderni qui sont consacrés à l’exposition, Celant différencie ainsi les pratiques des artistes californiens de celles des New-yorkais représentées par le Pop art et le minimalisme, qualifiant les premières d’« aspiration à rendre compte d’une dimension du dégoût vis à vis du social et du personnel ». Le choix des œuvres du couple Kienholz est là pour appuyer un tel partage des valeurs d’un art américain dont les formes se trouvent, dans l’ensemble, fortement expressives et lisibles par les symboles qu’elles exploitent. Dans le cas des Kienholz, The Bronze Pinball Machine with Woman ­Affixed Also (1980), The Twilight Home (1983), Jody, Jody, Jody (1993-1994), The Merry-Go-World or Begat by Chance and the Wonder Horse Trigger (1991-1994) sont les quelques œuvres qui assemblent des objets comme la télé, le flipper, les postes de radio, la table de billard, la voiture, auxquels s’ajoutent des corps modelés, des meubles anciens, mais aussi des références christiques explicites (76 J.C.s Led by Big Charade, 1993-1994) ; des œuvres dont la physicalité sature le visiteur dans des petites salles qui se suivent, jusqu’à l’arrivée à la grande pièce maitresse qui est celle de la reproduction de Five Car Stud (1972), installation emblématique du couple qui occupe la grande salle. Le parcours, où la galerie Sud tout en longueur rejoint il Deposito, est fait en sorte que l’on passe de la clarté des petites salles à l’obscurité d’une manière radicale, augmentant par là l’effet d’immersion recherché par l’installation et sa spectacularité. Le dispositif mise sur l’expérience du malaise créé par le cumul des assemblages singuliers à travers la représentation « pervertie » de la vie et des mœurs américaines, pour arriver au choc de la grande installation finale où le visiteur ne fait plus face aux œuvres mais se trouve à l’intérieur d’une scène d’un fait divers (auquel renvoie Five car Stud). Les archives exposées de la première occurrence de l’œuvre à la Documenta 5 de Kassel en 1972 sont là comme pour équilibrer les affects, donnant leur aspect de « document » à une œuvre hautement polémique (l’œuvre ayant été vandalisée à l’époque) au sein d’une manifestation qui ne l’était pas moins. Organisée par Harald Szeeman, cette édition de la Documenta était connue notamment pour les divers problèmes de communication entre les artistes et le ­commissaire. Proposé à la fin du parcours, le récit de l’effervescence autour d’une telle œuvre à travers ses archives n’arrive pas à mettre à distance le fait d’être exposé sur la durée aux images créées par le couple. Une grande concentration des œuvres de ce dernier a pour effet d’emprisonner le visiteur dans une expérience relativement inconfortable, dont les sens se trouvent sollicités malgré lui, et peut-être de dissoudre dans le temps l’effet de malaise recherché par les artistes pour ne laisser derrière qu’un souvenir d’une sensation déplaisante, sans forcément la lier à des œuvres spécifiques.