1La richesse de la littérature dans le domaine du curating dérive de son institutionnalisation progressive et du développement d’une certaine réflexivité théorique de la pratique de l’exposition. À partir du moment où l’on considère que l’exposition renvoie à un système que l’on peut déconstruire, qui de mieux que les artistes, selon cette voie, pour prendre en charge cette forme spécifique dans leurs pratiques. C’est bien ce que l’ouvrage d’Alison Green semble vouloir explorer comme phénomène. Elle-même curatrice et enseignante, Green cherche dans son essai à expliciter et à définir le rapport spécifique entre l’artiste et l’objet-exposition à partir des années 1960 et à travers différentes thématiques choisies comme le statut de l’auteur (authoring), «  l’habitus », «  l’œuvre ouverte  » (open work) ou encore «  l’expérimentation  ». L’aspect relativement suggestif de tels titres renvoie notamment à une volonté de problématisation à partir d’exemples qui sont plutôt nombreux dans l’argumentation. Les cas étudiés, qui vont d’Andy Warhol à Hito Steyerl, de Goshka Macuga à Tacita Dean, constituent le point de départ d’une certaine typologie des rapports que ces artistes entretiennent avec le format d’exposition, permettant notamment d’établir des analyses comparatives à la fois synchronique et diachronique. Sur le plan synchronique, il s’agit d’identifier des pratiques diversifiées au sein d’une même période, qui va de l’exposition des collections d’artistes, comme «  The Uncanny  » (1993) de Mike Kelley (p. 174), des musées «  nomades  » comme le «  Museum of Contemporary African Art  » (1997-2002) de Meschac Gaba (p. 182), à la mise en place d’organisations d’artistes pour des expositions ponctuelles ou évolutives comme «  Eastside Projects  » (2011-2012) ou «  Potosi Principle  » (2010-2011) (p. 191-192). Green décrit notamment les différents enjeux auxquels ces pratiques diversifiées renvoient, comme la question du statut de l’exposition qui fonctionnerait désormais comme un moyen et non plus comme un but, mais également comme la remise en cause du statut traditionnel du commissaire d’exposition. Sur le plan diachronique et pour mieux cadrer son propos historiquement, Green n’hésite pas, notamment dans le premier chapitre de l’ouvrage, à proposer les contours d’une double histoire du rapport entre artiste et exposition. Celle-ci consiste, d’une part, en une histoire traditionnelle où, du moins depuis la création des musées, ce sont les artistes qui sont les directeurs et donc les décideurs des collections exposées  ; et d’autre part une histoire plus conceptuelle, où l’exposition est prise comme un objet de critique et de déconstruction. Une telle histoire a à la fois une évolution plus récente (les années 1960) mais aussi plus profonde et fragmentaire. Y sont invoquées des figures comme Kazimir Malevitch et Marcel Duchamp pour la période moderniste, mais aussi Andy Warhol ou Robert Smithson, marquant ainsi la «  mort du musée  » traditionnel dans les années 1960. Pour l’auteure, notamment après Smithson, le changement qui s’opère concerne avant tout le statut de l’artiste avec un nouveau «  pouvoir  » et l’apparition du curating comme activité spécifique et conceptuelle. Ce changement est soutenu dans les années 1980, toujours selon les arguments de l’auteure, par la coupure avec le paradigme moderniste, notamment à travers la création de musées qui incorporent la critique muséale et deviennent un terrain de «  jeu  », au sens de Roger Caillois (p. 80), pour les artistes. Globalement, les pages les plus intéressantes de l’ouvrage concernent les analyses comparatives de Green sur la notion d’auteur. Bien que les interprétations restent, à cause du nombre important d’exemples invoqués, assez réduites, cela permet à l’auteure de représenter les positionnements divergents des artistes quant à l’exhibition de leurs «  subjectivités  » lors des invitations par les musées à puiser dans leurs collections pour organiser des expositions. Cela est illustré par les exemples de Tacita Dean, «  An Aside  » (2005) ou encore de Grayson Perry, «  The Tomb of The Unknown Craftsman  » (2011), qui s’opposent ainsi à la méthode «  critique  » d’un Hans Haacke par exemple, lequel cherche davantage à «  révéler des informations supprimées  » possédant le «  potentiel de déstabiliser l’institution  » (p. 140). Bien qu’opposés, ces deux pôles constituent des façons, pour l’artiste, de se définir et de ré-affirmer, du moins en ce qui concerne des artistes comme Dean ou Perry, un certain authorship. L’aspect élémentaire de l’opposition entre l’objectivité supposée de la critique et la subjectivité tout aussi supposée de l’artiste cache mal, en effet, l’approche relativement simpliste de l’interprétation de Green sur la place à accorder à l’auteur de l’exposition. En quoi, par exemple, pouvons-nous affirmer que le geste de Warhol avec «  Raid the Icebox I  » à la fin des années 1960 (consistant à exposer les collections du Musée du Rhode Island School of Design telles quelles, à savoir selon la manière dont elles sont conservées dans les entrepôts) illustre véritablement l’idée de «  la mort de l’auteur  » (p. 50) et son effacement  ? La réponse singulière de Warhol à l’invitation du musée à sélectionner des œuvres de la collection pour une exposition représente-elle vraiment une «  déréliction  » (p. 50) du rôle du curateur  ? Bien que nous puissions mettre en doute l’efficacité de telles réductions théoriques sur la place de la subjectivité et de l’objectivité, tout comme, en passant, l’usage assez léger de la notion d’habitus de Pierre Bourdieu pour la pratique expositionnelle des artistes, l’ouvrage de Green reste une lecture transversale assez riche et développée ouvrant sur des questionnements plus généraux concernant le fonctionnement de l’art contemporain.