L’École des Beaux-Arts d’Athènes : de la réforme institutionnelle à la recherche doctorale en arts
Résumés
L’article se propose de décrire les réformes institutionnelles de l’École des Beaux-Arts d’Athènes durant la première moitié du 20e siècle ainsi que d’analyser les effets de l’introduction récente à l’École de la recherche doctorale en art afin d’avancer l’hypothèse qu’à travers ces changements politiques, pratiques et théoriques d’une importance cruciale se réalise une transition depuis un modèle d’« artiste créateur » moderne vers un modèle d’« artiste chercheur » contemporain.
Texte intégral
I
- 1 Pour l’histoire de l’École, voir Kostas H. Biris, Ιστορία του Εθνικού Μετσόβιου Πολυτεχνείου, [H (...)
- 2 L’ensemble des renseignements sur les réformes de l’École au 20e siècle sont tirés de Christina (...)
1L’École des Beaux-Arts d’Athènes a été fondée en 1837, en tant qu’« École Royale des Arts » ou « École Polytechnique1 ». Il s’agit au départ d’une école publique destinée à instruire des techniciens de construction et des dessinateurs. Après la révolution constitutionnelle de 1843, un département des Beaux-Arts y est créé : la peinture, la sculpture et les arts appliqués – mais aussi des éléments d’histoire de l’art ancien – y sont enseignés. En 1914, l’École Polytechnique obtient le statut d’Université. Cela coïncide avec une période de réforme du département des Beaux-Arts : on y accepte désormais les femmes comme étudiantes et on recrute des professeurs « distingués dans des expositions officielles2 ». En 1930, lorsque siège à Athènes le gouvernement libéral d’Eleftherios Venizelos, le département obtient le statut d’université et les « professeurs-artistes » deviennent donc « professeurs d’université ».
2Cet événement constitue l’acte de naissance de l’École Supérieure des Beaux-Arts d’Athènes, où l’enseignement est basé sur une structure élémentaire par ateliers ; chacun de ceux-ci étant dirigé par un professeur-directeur d’études. Pour entrer à l’école on doit passer un concours qui comprend des épreuves de dessin d’après des modèles de sculptures antiques et la réalisation de croquis de natures mortes en couleurs.
3L’École des Beaux-Arts d’Athènes fonctionne alors sur une double base assez traditionnelle : d’un côté, l’enseignement au sein d’un atelier et de l’autre, la connaissance approfondie du dessin académique. Deux grandes réformes institutionnelles rendent explicite ce schéma pédagogique en introduisant toutefois quelques innovations modérées.
4La première est mise en œuvre en 1910, lorsque le peintre Georgios Iakovides – un peintre entièrement formé à l’Académie des Beaux-Arts de Munich – en vient à diriger l’École des Beaux-Arts d’Athènes. L’introduction de cours de « synthèse » libre, de cours de « peinture à l’huile en plein air » et de cours de dessin d’après modèle vivant, dans des conditions de pénombre (Γυμνό νυκτός = cours de soir), a alors pour but principal de libérer l’étudiant des normes strictes de l’imitation. Il s’agit d’un glissement, sans doute encore très léger, vers un modèle d’enseignement fondé sur la notion d’« individualité artistique », à travers la libération des facultés personnelles de l’étudiant. En d’autres termes, il s’agit d’une conception nouvelle de l’artiste moderne, en tant que « créateur » détaché de certaines restrictions académiques. Sans doute, l’artiste académique (qui est perçu traditionnellement aussi comme « créateur ») reste encore un modèle, mais ce qui est nouveau c’est un début d’éloignement des normes rigides du passé, à travers la valorisation du « talent » individuel.
5La deuxième grande réforme de l’École des Beaux-Arts d’Athènes suit la même direction. Il s’agit d’un projet de réorganisation initié en 1929 par Kostas Dimitriadis, un sculpteur grec formé non pas à Munich mais à Paris. Le changement est significatif : les artistes grecs privilégiant, dès les premières décennies du 20e siècle, la capitale française, laquelle se présente à leurs yeux comme le chef-lieu de l’art moderne. Cette orientation vise au dépassement de tout ce qui est perçu comme un conservatisme artistique stérile, issu de l’École dite « de Munich ». Cependant, le « groupe de Munich » gère encore les affaires de l’École d’Athènes pendant plusieurs décennies, jusqu’aux années de l’immédiat après-guerre.
6Il est intéressant de noter que Dimitriadis, ainsi que le « père » du modernisme grec, Konstantinos Parthenis (qui avait été banni de l’École en raison d’un style artistique et d’un caractère « excessifs »), se sont tous deux imposés d’une manière autoritaire ; non pas au travers de procédures universitaires mais grâce à une loi votée par le parlement grec, au moment où le gouvernement des libéraux de Venizelos avait regagné la majorité. L’art moderne, imposé pour ainsi dire d’en haut et la politique de modernisation libérale de la Grèce vont alors de pair. Paris émerge comme la ville symbole du modernisme, dans une période où siège à la tête du gouvernement grec un premier ministre francophile. Bien que le modernisme officiel de l’École d’Athènes soit conçu à l’époque plutôt comme la version locale d’un impressionnisme modéré, la réforme de Dimitriadis se présente désormais comme une base plus solide pour ériger l’édifice de l’artiste moderne comme « créateur ».
7La réforme prévoit l’inauguration d’un atelier « d’étude et de composition libre » ; à savoir un atelier où l’étudiant peut s’aventurer sur de nouveaux chemins. Le chef de cet atelier est justement Konstantinos Parthenis. On passe d’une organisation où l’enseignement est structuré autour de genres établis (par exemple, la peinture du paysage), à une culture plus « doctrinale », où le chef de l’atelier enseigne l’art à sa manière. Simultanément, un numerus clausus plus strict est introduit, ainsi qu’une restriction du nombre des années d’études : le talent est accordé par nature à un nombre limité d’étudiants. Par ailleurs, on se met à considérer que ce n’est pas le pénible apprentissage pendant de longues années d’étude qui caractérise le véritable artiste, mais plutôt le libre exercice de son inspiration créatrice. La fondation d’« annexes » de l’École dans les îles ou sur la Grèce continentale, – lesquelles existent toujours et constituent à l’époque une préfiguration des « résidences d’artistes » –, obéit à la même logique : l’étudiant doit s’exercer seul en donnant libre cours à son imagination.
8Ce rattachement à la notion de talent créatif est explicite dans le texte de loi, qui autorise la participation aux concours d’entrée de l’École des Beaux-Arts d’Athènes à tous les candidats, sans distinction d’âge, (« candidats ayant du talent »), sans même l’exigence d’un diplôme de fin d’études secondaires. Cette loi est toujours en vigueur. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle est amendée pour imposer une limite d’âge aux candidats « ayant du talent ». Dorénavant, tous les candidats doivent avoir au moins 20 ans et l’équivalent d’un Diplôme national du brevet pour avoir accès aux examens d’entrée.
9Bien que d’autres réformes aient eu lieu par la suite au sein de l’École, elles sont d’une importance mineure. De fait, le schéma général qui vient d’être très brièvement décrit (une école d’art traditionnelle née au 19e siècle et modernisée modestement dans l’entre-deux guerres), reste en vigueur tout au long du 20e siècle.
II
10Vers l’an 2000 l’École prend tout de même une nouvelle orientation. D’abord un nouveau département est créé en 2006 : il s’agit du Département de Théorie et d’Histoire de l’Art, c’est à dire d’un département qui ne « produit » pas d’artistes. En effet, bien que le statut d’Université lui ait été reconnu, comme cela a été dit précédemment, l’École fonctionnait comme un établissement monothématique ayant un schéma simple : une université, une faculté, un département. Dorénavant il y a donc un deuxième département. Bien que la cohabitation inédite, au niveau d’une même faculté, d’artistes et de non-artistes peut sembler malaisée, le changement est significatif. Il semble significatif qu’après de longues années de solitude créative (bien que des cours théoriques aient toujours existé au sein de l’École) les artistes aient décidé qu’on devrait donner plus d’importance à l’étude de la dimension historique et théorique de l’art.
11L’institution des programmes de Master en Arts est un deuxième pas dans la même direction. Le premier programme est créé en 1998, avec l’appellation d’« Expression Digitale en Art ». Le second programme, fondé en 2004, s’intitule simplement « Arts Visuels ». Plus récemment, en 2012, un troisième Master « franco-hellénique » apparaît ; cette fois en collaboration avec le Département « Arts et technologies de l’image » de l’Université Paris 8. Sa thématique principale est « Arts et Réalité virtuelle multi-utilisateur ». En outre, depuis 2017, la cinquième année de l’ancien master est reconnue comme « Integrated Master » [master intégré]. Il s’agit alors d’une situation en partie comparable à l’adoption du Master 1 en France. On ne peut en effet pas terminer les études à l’École en quatrième année. La maîtrise est rebaptisée « Master intégré » mais cela ne sert à rien, car en pratique, comme la loi l’exprime explicitement, ce Master donne exactement les mêmes droits que l’ancienne maîtrise – un phénomène européen qu’on pourrait nommer « Master sans Master », une demi-application des directions du processus de Bologne.
12En mai 2019, un pas décisif est franchi. Le doctorat en Arts est institué officiellement à l’École des Beaux-Arts d’Athènes, à travers un projet de règlement intérieur. Voici un extrait de ce règlement : « La recherche dans le cadre d’une thèse de doctorat au Département des Beaux-Arts traite de questions théoriques relatives à la création plastique, au sein d’un dialogue éventuel avec des disciplines ou des formes d’art apparentées. Des sujets spécifiques liés aux références, aux méthodes, aux styles, à la technologie et à l’expérimentation d’œuvres d’art spécifiques ou de mouvements particuliers peuvent constituer des domaines de recherche. Les thèses devraient être des travaux théoriques, mais une œuvre d’art ou une application technologique pourrait constituer un exemple concret sur lequel une hypothèse est fondée, dans des domaines tels que : art et technologie, mouvement, espace ou temps, expression artistique, art et questions d’identité, questions de mémoire et références historiques aux œuvres d’art, art et espace public, dimension éducative et sociale de l’art, etc. ».
13Comme on peut le constater aisément, il s’agit d’une conception de la recherche très vague, qui met davantage l’accent sur la théorie que sur la pratique artistique. Cet aspect est crucial pour notre argumentation et on va y revenir. Il faut avant cela signaler une contradiction. Quelques lignes plus bas le même règlement précise :
« Le Comité consultatif est composé de trois membres pour chaque doctorant. L’un des membres du comité est le directeur de la thèse, qui peut appartenir au rang de professeur, de professeur associé ou de professeur assistant de l’École. Les deux autres membres du Comité peuvent être des membres du corps professoral du département des trois premiers rangs. ».
14Et tout à coup il est bien souligné : « L’exigence d’un doctorat pour accéder au rang de professeur ne s’applique pas à L’École des Beaux-Arts puisque la loi fait exception de cette précondition pour ceux qui enseignent des sujets de spécificité exceptionnelle et incontestée, pour lesquels une thèse de doctorat n’est pas possible ou usuelle. ».
15En d’autres termes, un professeur-artiste de l’École des Beaux-Arts peut diriger une thèse théorique de doctorat en art, sans posséder d’autre diplôme universitaire qu’une maîtrise de la même école. Notre but ici n’est pas de condamner une contradiction qui, au fond, est typique des situations transitoires. L’exemple de l’École des Beaux-Arts d’Athènes est ici évoqué pour faire surgir des problèmes plus généraux qui concernent l’introduction de la recherche doctorale en arts à l’Université. Il sera ici question de ces problèmes, de manière assez générale. Mais avant cela on doit noter que l’introduction de la recherche en art au niveau du troisième cycle n’est qu’une des manifestations d’une transition qui est en train de s’effectuer au moins depuis les années 1960 et qui concerne l’identité même des artistes contemporains.
16Après le modèle de l’artiste moderne, conçu comme créateur, on en arrive à un modèle contemporain d’artiste-chercheur, lequel revendique d’être reconnu comme tel dans le cadre des institutions universitaires. La situation était tout à fait différente auparavant. Faut-il rappeler ici que les deux grandes figures du modernisme que sont Picasso et Duchamp n’avaient aucune éducation formelle en art. En fait, depuis les années 1960, il semble inconcevable de faire carrière dans le monde de l’art en étant autodidacte, c’est-à-dire sans être diplômé d’une École ou d’une Université. Et de plus en plus souvent, cette éducation formelle fait appel à des disciplines extérieures au domaine de la pratique de l’art et glisse vers sa théorie : philosophie, histoire de l’art, anthropologie – c’est à dire des sciences humaines – et même des sciences dures. Même si cette description de la transition de la figure de l’artiste créateur vers celle de l’artiste chercheur est tout à fait schématique, elle reste néanmoins fonctionnelle pour aborder un sujet qui finalement s’inscrit dans la longue histoire des relations tendues, entretenues à l’époque moderne entre arts et sciences.
17Plusieurs « moments » peuvent être distingués au sein d’une évolution, où les artistes revendiquent une place particulière au sein des domaines scientifiques, une place qui dépasse le cadre de la simple pratique artistique. Le savoir mathématique d’Alberti en Italie, l’usage par Vermeer de la camera obscura en Hollande au 17e siècle, les expérimentations scientifiques de Chardin en France à l’époque des Lumières, le pointillisme de Seurat au 19e siècle, les recherches optiques de Duchamp dans l’entre-deux-guerres sont des pas décisifs dans cet itinéraire. Le « moment de 68 » n’est d’une certaine façon qu’un épisode supplémentaire dans une longue histoire, semée de controverses et de tensions ; l’université semblant être le champ d’une nouvelle bataille en la matière.
- 3 Howard Singerman, Making Artists in the American University, New Haven et Londres, University of (...)
- 4 Sandra Delacourt, L’Artiste-chercheur. Un rêve américain au prisme de Donald Judd, Paris, B42, 2 (...)
18Howard Singerman, dans son livre Art Subjects. Making artists in the American University3 et tout récemment, Sandra Delacourt avec sa thèse de doctorat de 2016, publiée il y a peu sous le titre L’artiste-chercheur. Un rêve américain au prisme de Donald Judd4, ont traité plusieurs aspects substantiels de ce phénomène en Amérique du Nord.
- 5 Howard Singerman, op. cit., p. 71.
- 6 ibid., p. 188.
19Pour Singerman, la transplantation des idées du Bauhaus aux États-Unis, dès les années 1950, était le facteur décisif permettant la transformation des Beaux-Arts en Arts Visuels. Cette transformation a en effet eu pour conséquence la professionnalisation du métier et la délimitation disciplinaire du champ artistique. D’après Singerman, l’art est « arraché » des humanités pour entrer à l’université comme « profession » (à travers la multiplication des programmes de MFA5) : le Master en arts est « le diplôme professionnel terminal en pratique artistique » et, selon les règles de la College Art Association (la principale organisation aux États-Unis pour les professionnels des arts visuels), le MFA « garantit un haut niveau de compétence professionnelle6 ».
- 7 Sandra Delacourt, op. cit., p. 6.
20Pour Delacourt d’autre part, c’est une loi de 1944, plus connue sous le nom GI Bill, qui a permis l’accès massif des artistes à l’université américaine, dans un contexte historique où la défense nationale, l’industrie militaire et la créativité artistique ont formé, sur fond de maccarthisme, une triple alliance curieuse. Cependant, d’après cette auteure, c’est l’art minimal qui a joué « un rôle clé dans la genèse de l’artiste chercheur7 ». Mais la question reste ouverte : comment dans le domaine des arts a-t-on pu passer d’une compétence professionnelle (que garantit le Master) à la recherche artistique (que garantit le Doctorat) ?
- 8 Victor Burgin, « Thoughts on ’research’ degrees in visual arts departments », Journal of Media P (...)
- 9 Henk Borgdorff, « The production of knowledge in artistic research », dans Michael Biggs et al. (...)
- 10 Max Weber, Le Savant et le politique (1919), tr. J. Freund, Paris, UGE, 1963, p. 60.
21Commençons par observer quelques termes et leurs définitions. Comme le souligne Victor Burgin : dans l’histoire de la lexicographie et dans l’usage commun les termes « art » et « recherche » sont normalement dissociés8. Et cela parce que même si on accepte que l’art puisse produire de la connaissance – bien qu’il y ait des controverses concernant la formalisation et la conceptualisation de cette connaissance9 – l’artiste ne procède pas pour autant à sa recherche d’une manière systématique (dans le sens que ce mot a pour la science). En 1919 déjà, Max Weber disait la même chose : « Le travail scientifique est solidaire d’un progrès. Dans le domaine de l’art au contraire [le progrès] […] n’existe pas10. ».
- 11 William Clark, Academic Charisma and the Origins of the Research University, Chicago, University (...)
22Il faut encore préciser qu’il ne s’agit pas ici d’utiliser « recherche » comme terme général, puisque d’une certaine manière tout acte humain peut potentiellement produire une connaissance nouvelle et de ce fait, toute action humaine peut être conçue comme une forme de recherche. Il s’agit donc ici de recherche au sens strict du mot ; de la recherche telle qu’elle est envisagée dans le cadre des institutions officielles, c’est-à-dire dans les centres de recherche reconnus par l’État et dans les Universités. Ces dernières ont justement été fondées au 19e siècle, par opposition aux établissements juridico-religieux du passé, comme institutions de recherche11. Il s’agit ici de traiter de la revendication des artistes de devenir docteurs-chercheurs et du « droit » qu’aurait l’art de devenir enfin une science véritable.
- 12 Paul Feyerabend, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, trad. (...)
- 13 Paul Feyerabend, La Science en tant qu’art, trad. F. Périgaut, Paris, Albin Michel, 2003.
23Deux solutions se présentent : soit la recherche scientifique doit se redéfinir en élargissant son sens en fonction de son contact avec l’art – devenant plus « souple », peut-être même plus « sensuelle » et moins conceptuelle –, soit l’art doit s’adapter à la systématisation et à la rigueur de la recherche scientifique. À part Paul Feyerabend, il est difficile de penser à un théoricien dans le champ de l’épistémologie qui serait susceptible de soutenir la première thèse. Feyerabend dont le célèbre Contre la méthode (1975)12 l’a rendu célèbre, a aussi écrit un livre intitulé Wissenschaft als Kunst (1985), traduit en français sous le titre La Science en tant qu’art (2003)13. Ceci étant dit, même pour Feyerabend, le point de référence n’est pas l’art mais l’histoire de l’art – le Kunstwissenschaft d’Alois Riegl en particulier – c’est-à-dire une science et non pas une expression artistique.
- 14 Henk Borgdorff, op. cit., p. 59.
- 15 Emma Cocker, « Tactics for Not Knowing: Preparing for the Unexpected », dans Elizabeth Fisher / (...)
24En somme, pour que l’art puisse entrer au « royaume » de la science, il n’y a pas d’autre solution : il doit s’adapter aux normes de la recherche systématique, au sens scientifique et non artistique du terme. L’argument d’une recherche purement artistique qui aboutirait à une connaissance d’un type différent, par exemple à travers le corps, argument parfois évoqué dans ce genre de contexte14, n’a pas de fondement réel. Car la notion de « corps propre, ou corps phénoménal » chez Merleau-Ponty est le résultat d’une recherche systématique et purement conceptuelle et non pas le produit artistique d’une action non-réfléchie. En ce qui concerne le terme « Not knowing » [non savoir], défini comme « un potentiel principe de
plaisir… [afin qu’on puisse] rendre encore une fois non familier tout ce qui est connu15 », il va de soi qu’il s’agit d’une notion qui a peut-être une valeur pour la création artistique mais pas pour la recherche systématique.
- 16 Mika Hannula et al. (sld), Artistic Research Methodology: Narrative, Power and the Public, New Y (...)
- 17 Remco Roes/Kris Pint, « The visual essay and the place of artistic research in the humanities », (...)
25Cette adaptation de l’art aux normes strictes de la recherche, présente en fait plusieurs problèmes spécifiques. D’abord il y a la question de la « verbalisation », c’est-à-dire de la mise en place d’une procédure et du résultat de la recherche à travers des mots. Les artistes plasticiens s’expriment en principe au moyen d’entités visuelles ou plastiques, pas avec des mots. Devrait-on alors reformer l’éducation des artistes au niveau de la maîtrise (au sens du Bachelor’s Degree), afin qu’ils puissent obtenir une compétence suffisante en expression écrite ? Il y a un consensus assez large chez les auteurs qui ont écrit sur ce sujet, pour dire que la « verbalisation » est un stade obligatoire de la recherche, même pour une recherche artistique, quand elle est effectuée dans un cadre universitaire16. Une soutenance de thèse sans mots, basée sur un essai visuel17, serait-elle vraiment possible ? La question est importante.
- 18 Henk Borgdorff, « Artistic Research and Academia: an Uneasy Relationship », dans Yearbook for Ar (...)
- 19 Victor Burgin, « Thoughts on ‘research’ degrees in visual arts departments », op. cit.
26De cette transposition de l’image ou du son dans des mots, découlent d’autres problèmes. La « logique » de la production artistique est en soi « non discursive18 », elle ne se réfère pas prioritairement au discours. Cette transposition est alors une question centrale et elle concerne la conception même des termes de la recherche. Il ne s’agit pas d’une question purement technique, d’une simple question d’adaptation. Comment résoudre ce problème ? Sans compter que dans les sciences humaines il y a une stricte analogie entre l’objet de la recherche et la forme du résultat : en général on examine des textes – des archives par exemple – et on écrit des textes sur ces textes. Mais, comme le souligne Victor Burgin : dans la production artistique le résultat est souvent indépendant de ce qu’il l’a provoqué19. On lit un texte écrit, puis on produit une œuvre visuelle. C’est une situation qui se présente souvent avec les doctorats de recherche-création. On devrait réfléchir sur ce point.
27L’exemple de Burgin vient de la musique. Monteverdi a composé un madrigal qui est une contribution majeure à la musique du 17e siècle, après avoir lu des traités médicaux. Cette œuvre – Il combattimento di Tancredi e Clorinda – pourrait-elle aujourd’hui avoir la valeur d’un doctorat en musique ? Cela nous conduit à une autre question : le doctorat en arts est-il une recherche sur l’art ou à travers l’art ? La pièce de Monteverdi est une recherche à travers l’art. Mais exposer n’est pas argumenter et une recherche sans argumentation n’existe pas dans le milieu universitaire. La question de la verbalisation réapparaît ici.
28Même si Monteverdi écrivait une thèse explicative sur son madrigal, de nouvelles questions surgiraient, car ce texte serait une recherche sur l’art. Il y a là une particularité, propre à la recherche sur l’art et qui met en question son potentiel de recherche scientifique : le discours du chercheur-artiste s’applique à l’expression qui structure sa pensée, à ses hypothèses, même à son existence ; il s’applique à l’art et même à son art. Ce discours devient alors un métalangage. Le madrigal de Monteverdi – la pièce de vérification d’une recherche faite après la lecture de traités et qui a donné lieu à la conception du stile concitato – est en fait composé par le chercheur même qui l’interprète, qui l’explique en présentant son argumentation verbale. En d’autres termes, l’auteur de l’interprétation de la recherche est la même personne que celle qui fabrique la preuve de la justesse de la procédure de la recherche : le risque d’enfermement dans un cercle vicieux d’autoréférence est on ne peut plus manifeste.
- 20 Henk Borgdorff, « Artistic Research and Academia: an Uneasy Relationship », p. 90.
29Une dernière question, mais pas de moindre importance : quel est le rôle de la théorie dans un doctorat de recherche-création ? En octobre 2007, une conférence internationale a été organisée à Amsterdam intitulée « The Third Cycle: Artistic Research after Bologna ». Là, l’un des représentants du programme de recherche en art en Norvège, a déclaré, de manière provocatrice : « Réflexion ? Oui… Mais théorie ? Non20 ! ». Il est vrai que ce Programme se déroule en dehors des universités et concerne exclusivement les écoles d’art. Le programme norvégien délivre un diplôme dit « de doctorat », qui représente le plus haut niveau d’éducation formelle en recherche artistique en Norvège. Pour le moment, cela ne s’appelle pas un doctorat. Mais cette déclaration reste très significative. La pratique artistique est ici reconnue comme ayant valeur de recherche en soi.
- 21 Max Horkheimer, Éclipse de la raison, trad. J. Debouzy et J. Laizé, Paris, Payot, 1974 (éd. orig (...)
30Ici on touche une question qui dépasse les limites de ce texte, mais qui est importante : le rapport entre la pratique et la théorie. L’orientation de notre culture vers la « pratique » est liée par Max Horkheimer, depuis l’immédiat après-guerre, à la domination d’une Weltanschauung [vision du monde] « pragmatique » que le philosophe stigmatise dans son livre Éclipse de la raison21. On imagine aisément ce que pourrait être une réflexion sans théorie, fondée exclusivement sur la pratique, appliquée au domaine de la recherche.
31Que faire alors ? Pour conclure, trois solutions différentes vont être présentées, qui correspondent à des choix réalisés par des établissements de 3e cycle vis-à-vis du doctorat en Art.
- 22 James Elkins, « Six Cultures of the PhD » dans M. Wilson et al. (sld), Handbook for artistic res (...)
- 23 C’est néanmoins le cas de la maîtrise à l’École des Beaux-Arts d’Athènes : pour acquérir le dipl (...)
32D’après James Elkins, qui utilise des données de 2011, il existe à peu près 280 institutions qui offrent un doctorat en arts, de la Chine jusqu’aux pays africains22. Mais, même quand une œuvre concrète est prévue comme obligatoire par le programme, le texte n’est jamais absent. À notre connaissance, il n’existe pas dans le monde, un seul programme de doctorat qui accepterait comme matériau exclusif de la soutenance une ou plusieurs œuvre(s) fabriquées pour l’occasion, sans aucun exposé écrit23. Dans les « six cultures différentes de doctorat en art » qu’énumère Elkins, l’importance de la partie écrite est d’habitude réglée par rapport à la longueur de la thèse.
- 24 « Wichtig: Bitte beachten Sie, dass es an der UdK Berlin nicht möglich ist einen PhD in Artistic (...)
- 25 Grace Alexandra Williams, « Practice-led Research in the Arts: A Potted History », 2017, p. 14. (...)
- 26 James Elkins, « Six Cultures of the PhD », p. 13-14.
33Par contraste avec cette situation positive vis-à-vis du doctorat en art, à la Faculté des Arts de l’Universität der Künste de Berlin, il est bien précisé qu’il n’est pas possible d’obtenir un doctorat en « recherche artistique » ou un doctorat de « recherche-création24 ». On accorde des doctorats en Kunstgeschichte, en Kunstwissenschaft, en Kunstpädagogik mais pas en Arts plastiques. Il semblerait qu’en Allemagne, la notion de Forschung [recherche] reste stricte, délimitée par une tradition scientifique rigoureuse qui exclut l’art du domaine de la recherche universitaire. Paradoxalement peut-être, le même scepticisme domine la « culture du doctorat en art » aux États-Unis25, puisque, d’après Elkins, il n’y a que deux universités, parmi les sept institutions concernées, qui accordent un diplôme de doctorat en art26.
- 27 https://www.auckland.ac.nz/en/creative/study-with-us/study-options/doctoral-study/elam-fine-arts (...)
34Le dernier exemple est celui de l’Université d’Auckland, considérée comme la meilleure université de Nouvelle Zélande (fondée en 1883). Là, on accorde un « studio-based research degree », qui combine la recherche et la pratique artistique27. Ce diplôme est équivalant au doctorat, mais celui qui l’obtient s’appelle Doctor of Fine Arts (DocFA) et non Docteur en Philosophie. Là, on est obligé soit de créer une œuvre (auditive ou visuelle), soit de présenter un enregistrement, une documentation, une performance ou une exposition. La thèse peut être un texte de 30 000 mots. Il existe aussi l’option de devenir Docteur en Philosophie (PhD) dans les Arts plastiques (Fine Arts) avec « un élément de pratique créative », c’est-à-dire en combinant théorie et pratique. Mais là, on est obligé d’écrire une thèse de 60 000 mots. La présentation d’une exposition, d’une performance, etc. est facultative. Il est vrai qu’à part la longueur du texte il est difficile de voir s’il y a une différence substantielle entre les deux procédures (DocFA – PhD-FA). Il est peut-être intéressant de noter que ces diplômes ne sont pas disponibles au sein de la « Faculté des Arts » mais au sein de la « Faculté des Industries Créatives et des Arts » de l’Université d’Auckland.
- 28 http://ireland.warnborough.edu/degrees-courses/doctoral-degrees/doctor-philosopy-phd-fine-arts-s (...)
- 29 On devrait peut-être noter que ce Collège – qui offre de l’enseignement à distance – n’est pas o (...)
35Que peut-on conclure de tout cela ? La recherche en arts reste toujours un champ de bataille au sein des institutions de 3e cycle. La tendance générale semble être la multiplication de programmes d’études doctorales en art – L’École des Beaux-Arts d’Athènes étant l’un des exemples les plus récents. Néanmoins, l’efficacité de ces programmes, au niveau de la recherche, reste à prouver. En outre, il y a beaucoup de questions de fond qui restent en suspens. La confusion est accentuée non seulement en raison du scepticisme affiché vis-à-vis des possibilités effectives de mener de la recherche en arts au niveau du doctorat, mais aussi pour deux raisons supplémentaires. Le paysage des institutions compétentes en la matière est très diversifié dans le monde (Universités, Écoles, Collèges, Académies privés ou publiques, etc.). Il n’y a d’ailleurs pas de consensus général par rapport au profil des candidats concernés. Pour donner un seul exemple : d’après le programme « PhD in Studio Art or Photography » du Waryborough College Ireland, le doctorat en arts peut être très utile – outre les artistes – aux étudiants en Sciences Sociales, en Histoire, en Psychologie et même en Théologie28. Dieu sait de quelle façon29 !
- 30 Victor Burgin, « Thoughts on ’research’ degrees in visual arts departments », op. cit.
36La rédaction d’un texte, dont la longueur varie, est une condition sine qua non de la procédure d’acquisition d’un doctorat en arts. Mais, la manière dont un candidat formé en arts peut être capable d’écrire un texte aussi exigeant que l’est une thèse de doctorat n’est pas claire. D’autant plus que souvent, comme c’est le cas à l’École des Beaux-Arts d’Athènes, l’étudiant en arts n’est pas obligé, même au niveau de la maîtrise, d’écrire un seul mot (à part lors des examens de certains cours). Les séminaires de Master ne changent pas vraiment la situation, car, comme le note très justement Burgin, la formation de base s’effectue à partir des cours de premier cycle et non pas du Master30.
37Par ailleurs, il faut souligner que le candidat à un doctorat en arts devrait choisir un sujet que lui et seulement lui, pourrait traiter de la meilleure façon. Ne serait-ce que parce que c’est vraiment lui, un artiste, qui aurait sa propre perspective de recherche, une perspective que les candidats formés dans les autres disciplines n’auraient pas. Cela n’est pourtant pas toujours le cas. Prenons deux exemples qui proviennent encore une fois de l’École d’Athènes. Un sujet de doctorat a été proposé sous le titre « Des artistes de la diaspora grecque à New-York 1950-1980, leur activité sur la scène américaine, leurs rapports avec l’hégémonie et la diffusion des idées dans leur pays d’origine ». Et un autre : « Les visions multiples de la religiosité et du sacré dans le travail de l’avant-garde grecque. Les installations de la période 1969-2007 ». N’est-il pas plus que flagrant qu’un historien de l’art est beaucoup plus apte qu’un artiste à faire de la recherche concernant de tels sujets ?
- 31 Grace Alexandra Williams, « Practice-led Research… », p. 19.
- 32 ibid., p. 20.
38On pourrait objecter que la perspective de l’artiste est toujours une perspective différente qui enrichit la recherche. Doit-on alors traiter tous les sujets de la recherche – y compris les résultats déjà établis –, d’un point de vue artistique ? Il n’y a pas de doute que cela n’a pas de sens. Bien entendu, il y a toujours des exceptions, mais ici il est question d’une image d’ensemble et cette image est plutôt incertaine. Ce n’est pas un hasard si, selon des données de 2014, même dans un pays comme la Grande-Bretagne où la recherche-création a une histoire de plus de trente ans, il n’y a pas un seul exemple d’enquête permettant d’évaluer la recherche en arts plastiques31, bien que la littérature sur le sujet soit plus qu’abondante (même si elle a tendance à se réduire depuis 201332).
- 33 Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-05], trad. J. Chavy, Paris, Pl (...)
39Posons la question : pourquoi tous ces textes ainsi que les études doctorales en Arts sont-ils plus développés en Hollande et dans les pays scandinaves ? L’ancienne théorie de Max Weber sur l’éthique capitaliste du protestantisme33 peut encore nous servir ici comme principe interprétatif de cette place centrale accordée dans les pays nordiques à la recherche artistique comme travail pratique. Le Beruf est conçu à la fois, on le sait, comme métier et comme vocation en soi.
- 34 Yann Moulier-Boutang, « Art et capitalisme cognitif », L’Observatoire, 2010/3 (Hors-série 3), p. (...)
40D’autre part, on ne peut que constater l’existence d’une tendance très forte dans l’Union Européenne vers l’institutionnalisation et l’uniformité du savoir, de tout savoir, même du savoir artistique. Le processus de création d’un espace européen de l’enseignement supérieur annoncé en 1999 par les accords de Bologne, rêve d’instaurer une « économie du savoir » à l’échelle mondiale. Pourrait-on alors supposer que l’institution de la recherche artistique au niveau du doctorat universitaire vise à l’intégration et à l’uniformisation d’un savoir, y compris artistique, lequel échappait jusqu’à ce jour aux normes académiques de la connaissance ? S’il en est ainsi, l’introduction de la recherche doctorale en arts ne se fonde pas sur le noble principe de d’élévation des arts au niveau des sciences (permettant à l’art de se débarrasser enfin de tout résidu métaphysique) mais s’anime plutôt d’une volonté de normalisation qui n’est pas sans rapport avec ce phénomène qu’on a nommé le « capitalisme cognitif34 ».
- 35 Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
- 36 ibid., p. 632.
41De l’éthique protestante de l’esprit du capitalisme on passe ainsi à ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello ont qualifié de « nouvel esprit du capitalisme35 ». Il est intéressant de noter que dans l’analyse de ces auteurs la notion de « critique artiste » – paralysée aujourd’hui, selon eux, à travers des mécanismes de marchandisation – est conçue comme une nouvelle forme de contrôle social36. Si cette analyse est juste, pourrait-on soutenir par analogie que la « recherche artiste » est destinée à connaitre le même sort en devenant finalement, à travers son adaptation aux normes de la recherche académique, une nouvelle forme de contrôle de la connaissance ?
- 37 Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur : Métamorphoses du capitalisme, Paris (...)
42Bien entendu, on ne peut pas si simplement refuser aux artistes la revendication d’une intégration à un système de connaissance qui pourrait leur donner plus de chances au sein de l’académie, surtout si la voie du marché leur semble définitivement fermée. Il faut néanmoins rester vigilants. Car si la profession d’artiste est aujourd’hui un modèle de travail pour le monde des entrepreneurs – comme l’a montré Pierre-Michel Menger37 –, c’est justement à cause de ses caractéristiques spéciales : concurrence acharnée, inégalité de revenus, contrats courts, flexibilité de l’emploi. Est-ce grâce à ces qualités que le même modèle, en marge des entreprises, va aussi devenir le modèle de travail pour la profession de chercheur universitaire ? Dans ce cas-là, quelles en seront les conséquences, tant pour l’art que pour la recherche ?
- 38 Henk Borgdorff, Artistic Research within the Fields of Science (Sensuous Knowledge 06), Bergen, (...)
- 39 Manuel de Frascati 2015 : Lignes directrices pour le recueil et la communication des données sur (...)
43Cela implique en tout cas la reconnaissance de l’art comme recherche, sans aucune condition, même si les opinions des institutions officielles restent en la matière toujours contradictoires. Les directives du processus de Bologne – relayées par les accords de Dublin de 2004 – sont claires quant au fait que « le mot recherche est utilisé d’une manière inclusive […] en englobant […] les arts performatifs et les autres arts créatifs38 ». D’autre part, le Manuel de Frascati – publié par l’organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) comme référence internationale pour les activités de recherche et de développement – est aussi explicite, mais en exprimant la thèse opposée : « Il n’y a […] pas lieu de supposer que les établissements d’enseignement artistique et les facultés des arts exécutent des activités de R&D [recherche et développement] 39. ».
44Qui va gagner la partie ? Il semblerait que le vent souffle davantage en direction de Bologne que de Frascati. Et cela, non seulement parce que la recherche en arts se présente déjà comme une réalité tangible dans les établissements du 3e cycle – il existe même un Journal of artistic research en ligne –, mais pour une raison supplémentaire : le « capitalisme cognitif » est en effet inclusif. Pour se renouveler il a besoin d’un flux constant des nouvelles idées sans aucune exclusion. Et qui pourrait nier que l’art est le réservoir par excellence de nouvelles idées ?
45Recherche ou pas, l’art (mais la recherche aussi) se trouve aujourd’hui en plein mutation. Il en va de même de l’identité de l’artiste. Car, en ce qui le concerne, une chose est certaine : l’éthos moderniste de l’artiste créateur qu’exprime la phrase fameuse et pleine d’orgueil de Picasso « Je ne cherche pas, je trouve », semble être bien contestée de nos jours.
Notes
1 Pour l’histoire de l’École, voir Kostas H. Biris, Ιστορία του Εθνικού Μετσόβιου Πολυτεχνείου, [Histoire de l’École Polytechnique], Athènes, Ε.Μ.Π, 1957.
2 L’ensemble des renseignements sur les réformes de l’École au 20e siècle sont tirés de Christina Dimakopoulou, « Θεσμική μεταρρύθμιση και καλλιτεχνική αλλαγή: η Ανωτάτη Σχολή Καλών Τεχνών και η ιστορία της νεοελληνικής τέχνης, 1910-1937 », [La réforme institutionnelle et l’histoire de l’art en Grèce : L’École des Beaux-Arts d’Athènes, 1910-1937], thèse de doctorat, École Supérieure des Beaux-Arts d’Athènes, Département de Théorie et d’histoire de l’art, Athènes, 2019.
3 Howard Singerman, Making Artists in the American University, New Haven et Londres, University of California Press, 1999.
4 Sandra Delacourt, L’Artiste-chercheur. Un rêve américain au prisme de Donald Judd, Paris, B42, 2019.
5 Howard Singerman, op. cit., p. 71.
6 ibid., p. 188.
7 Sandra Delacourt, op. cit., p. 6.
8 Victor Burgin, « Thoughts on ’research’ degrees in visual arts departments », Journal of Media Practice, n° 7, (2), 2006, p. 101-108.
9 Henk Borgdorff, « The production of knowledge in artistic research », dans Michael Biggs et al. (sld), The Routledge Companion to Research in the Arts, Abingdon, Routledge, 2011, p. 44-63.
10 Max Weber, Le Savant et le politique (1919), tr. J. Freund, Paris, UGE, 1963, p. 60.
11 William Clark, Academic Charisma and the Origins of the Research University, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
12 Paul Feyerabend, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, trad. B. Jurdant et A. Schlumberger, Paris, Seuil, 1988.
13 Paul Feyerabend, La Science en tant qu’art, trad. F. Périgaut, Paris, Albin Michel, 2003.
14 Henk Borgdorff, op. cit., p. 59.
15 Emma Cocker, « Tactics for Not Knowing: Preparing for the Unexpected », dans Elizabeth Fisher / Rebecca Fortnum (sld), On Not Knowing: How Artists Think, Londres, Black Dog Publishing, 2013, p. 126.
16 Mika Hannula et al. (sld), Artistic Research Methodology: Narrative, Power and the Public, New York, Peter Lang Inc., International Academic Publishers, 2014, p. 41 et suivantes, Henk Borgdorff, The Conflict of the Faculties. Perspectives on Artistic Research and Academia, Leiden, Leiden University Press, 2012, p. 168.
17 Remco Roes/Kris Pint, « The visual essay and the place of artistic research in the humanities », Palgrave Communications, n° 3, 2017, p. 1-7.
18 Henk Borgdorff, « Artistic Research and Academia: an Uneasy Relationship », dans Yearbook for Artistic Research, Stockholm, Swedish Research Council, 2008, p. 86.
19 Victor Burgin, « Thoughts on ‘research’ degrees in visual arts departments », op. cit.
20 Henk Borgdorff, « Artistic Research and Academia: an Uneasy Relationship », p. 90.
21 Max Horkheimer, Éclipse de la raison, trad. J. Debouzy et J. Laizé, Paris, Payot, 1974 (éd. originale : Oxford, OUP, 1947).
22 James Elkins, « Six Cultures of the PhD » dans M. Wilson et al. (sld), Handbook for artistic research education, Amsterdam, ELIA (SHARE), 2013, p. 10-14.
23 C’est néanmoins le cas de la maîtrise à l’École des Beaux-Arts d’Athènes : pour acquérir le diplôme on exige la présentation d’une ou plusieurs œuvre(s) et rien d’autre. Mais la Maîtrise relève de la formation et non de la recherche.
24 « Wichtig: Bitte beachten Sie, dass es an der UdK Berlin nicht möglich ist einen PhD in Artistic Research bzw. einen „practice-based“ PhD zu erwerben » https://www.udk-berlin.de/en/research/doctoral-studies/information-for-prospective-doctoral-students/faq-about-doctoral-studies-at-the-udk-berlin/
25 Grace Alexandra Williams, « Practice-led Research in the Arts: A Potted History », 2017, p. 14. https://www.academia.edu/35057264/Practice-led_Research_in_the_Arts_A_Potted_History_2017_.
26 James Elkins, « Six Cultures of the PhD », p. 13-14.
27 https://www.auckland.ac.nz/en/creative/study-with-us/study-options/doctoral-study/elam-fine-arts.html
28 http://ireland.warnborough.edu/degrees-courses/doctoral-degrees/doctor-philosopy-phd-fine-arts-studio-arts-photography/
29 On devrait peut-être noter que ce Collège – qui offre de l’enseignement à distance – n’est pas officiellement reconnu en Irlande mais cela ne change pas la situation.
30 Victor Burgin, « Thoughts on ’research’ degrees in visual arts departments », op. cit.
31 Grace Alexandra Williams, « Practice-led Research… », p. 19.
32 ibid., p. 20.
33 Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-05], trad. J. Chavy, Paris, Plon, 1964.
34 Yann Moulier-Boutang, « Art et capitalisme cognitif », L’Observatoire, 2010/3 (Hors-série 3), p. 43-48.
35 Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
36 ibid., p. 632.
37 Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur : Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil, 2003.
38 Henk Borgdorff, Artistic Research within the Fields of Science (Sensuous Knowledge 06), Bergen, Bergen National Academy of the Arts, 2009, p. 10.
39 Manuel de Frascati 2015 : Lignes directrices pour le recueil et la communication des données sur la recherche et le développement expérimental, OCDE, Paris, 2016, p. 70 https://www.oecd.org/fr/publications/manuel-deati-2015789264257252-fr.html.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Nikos Daskalothanassis, « L’École des Beaux-Arts d’Athènes : de la réforme institutionnelle à la recherche doctorale en arts », Marges, 30 | 2020, 52-64.
Référence électronique
Nikos Daskalothanassis, « L’École des Beaux-Arts d’Athènes : de la réforme institutionnelle à la recherche doctorale en arts », Marges [En ligne], 30 | 2020, mis en ligne le 02 janvier 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/marges/1979 ; DOI : https://doi.org/10.4000/marges.1979
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page