1Une ligne droite incurvée, dont les extrémités se rencontrent, forme un cercle vide. Par la répétition, l’expansion, la contraction, le regroupement, le remplissage et le chevauchement, ces cercles légers deviennent une image organique et une masse spatiale. Dans Emotional Trip, une série de 20 dessins réalisés en 2014, Louise Parnel propose un voyage visuel, à la fois énigmatique et informatif, sur des cartes aux titres formant des anagrammes poétiques. Les images sont les résultats d’une composition de noms et de cartes des arrondissements de la ville de Paris. L’artiste reproduit ici des « cartes de porosité » avec un geste répétitif et une forme simple, matérialisant une information précise dans un carré superposé sur chaque carte : le pourcentage de la population vivant dans l’arrondissement en 2009. Ce dessin introduisant l’information statistique présente une spatialité abstraite, qui se développe et se diversifie dans d’autres séries comme Intérieur des êtres vivants (2014-2016), Organs (2014-2015), dans un geste d’artiste visant à l’incarnation d’images organiques. Dans la série de dessins Intérieur des êtres vivants, mise en œuvre à partir d’une recherche sur les planches d’anatomie classiques et modernes, la répétition et l’expansion du cercle se marient aux dessins anatomiques d’animaux variés. Le regard s’y désoriente entre la prolifération cellulaire et la construction d’espace à l’intérieur du corps des espèces. L’intérêt de Parnel pour les dessins anatomiques, tels que les cartes représentant des organes vivants, se poursuit dans la récente série de dessins Organs. L’artiste y tente une convergence de la topographie de l’anatomie corporelle avec celles géographiques et administratives : le dessin d’une coupe de reins superposée avec l’emplacement des fontaines d’eau potable de Paris, d’une coupe de cœur superposée avec la carte du métro parisien et d’une coupe de poumon avec le plan des catacombes de Paris.

2Poursuivant sa démarche, Parnel propose pour Marges la série de dessins Mud claiming life (2020), des interprétations visuelles du projet Film Guild Cinema développé par Frederick Kiesler de 1928 à 1929 à New York. Film Guild, association visant à promouvoir le cinéma d’avant-garde indépendant, américain ou étranger, a passé commande à Kiesler pour construire son propre cinéma « modèle », sur un immeuble, aux multiples usages, construit par Ferdinand Savignano. Kiesler est donc chargé de concevoir le « vaisseau amiral » de ce projet. Il va retravailler radicalement la salle de cinéma suivant l’idée que celle-ci se devait de s’éloigner des conventions du théâtre. Il conçoit ce cinéma pour promouvoir uniquement l’expérience cinématographique, s’aidant en cela de plusieurs dispositifs : l’uniformisation des sièges baptisée « stadium seating », un plafond élaboré qui est un énorme cône, des lignes en relief éclairées qui traversent la salle en emportant le regard du spectateur jusqu’à l’écran et le Screen-O-Scope qui est un diaphragme de caméra s’ouvrant et se fermant devant l’écran selon diverses configurations et rapports d’images de film. Parnel propose un dessin sous forme de diptyque. Il montre une superposition du plan de Universal Theater (1959-1962) avec la coupe anatomique d’un œil. L’espace et certaines informations s’incarnent en un dessin propre au geste et à la forme de l’artiste.

3Les informations sur le Film Guild Cinema proviennent du catalogue Frederick Kiesler : artiste-architecte, Paris, Centre Pompidou, 1996.

4Mud claiming life, encre sur papier, 21 x 29,7 cm, 2020.