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Thématique : circulation des idées dans l'art contemporain

(Se) débattre avec l’esthétique  : l’appropriation par la revue Texte zur Kunst de la philosophie spéculative

At Grips with Æsthetics: the Appropriation by the Journal Texte zur Kunst of Contemporary Speculative Philosophy
Claire Salles
p. 81-98

Résumés

L’article identifie dans le dossier consacré en 2014 par la revue Texte zur Kunst au réalisme spéculatif un retour paradoxal à la valorisation de l’expérience artistique et critique. Ce retour est paradoxal, car la philosophie spéculative tendrait plutôt à minimiser le rôle de l’appréhension humaine des phénomènes. L’expérience directe permise par la spéculation est promue au détriment de la réflexion sur les conditions de cette expérience et de son écriture. Des pistes alternatives sont proposées pour conclure, notamment le partage des perspectives et certaines réflexions sur l’anthropocentrisme en Media Studies.

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Mots-clés :

Esthétique

Keywords:

Artistic
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Texte intégral

  • 1 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », TZK, n°  93, 2014 (...)
  • 2 Ray Brassier, Iain Hamilton Grant, Graham Harman, Quentin Meillassoux, «  Speculative Realism  » (...)

1En mars 2014, la revue germanophone et anglophone consacrée à l’art contemporain Texte zur Kunst (désormais abrégée en TZK) publie un dossier consacré à la spéculation. Le terme est présenté d’emblée comme un «  mot à la mode1  ». Le dossier se propose de mettre en tension le double sens de la spéculation, à la fois opération financière génératrice de valeur dans l’art contemporain et opération philosophique en référence à la diffusion du réalisme spéculatif. L’acte de naissance de ce courant est attribué à un colloque au Goldsmiths College de Londres en 2007, intitulé «  Speculative Realism : A One Day Workshop  », organisé en association avec la revue philosophique Collapse2 et qui réunissait Quentin Meillassoux, Ray Brassier, Graham Harman et Iain Hamilton Grant. En première approche, on peut dire des réalistes spéculatifs qu’ils cherchent à penser le réel tel qu’il est en dehors des conditions subjectives pour y accéder.

2Le dossier peut donner en première lecture l’impression d’une ambition démesurée. La préface et l’article de Steven Shaviro sont chargés de l’explication de ce que seraient les réalismes spéculatifs. Le choix est celui de la concision et de la sélection de traits caractéristiques, plutôt que d’une entrée en profondeur dans les enjeux philosophiques. Suivent un article sur les problématiques philosophiques des réalismes spéculatifs croisées avec l’esthétique (Armen Avanessian), une critique de ces mêmes courants au moyen des Media Studies, qui convoque des références théoriques subtiles et nombreuses (Joseph Vogl et Philipp Ekardt), puis des propositions plus courtes pour faire usage de la spéculation, écrites par des théoriciens et théoriciennes (Diedrich Diederichsen, Karin Harrasser, Jenny Jaskey) et par deux artistes (celle de Jutta Koether, sous une forme poétique désarticulée, fait la part belle aux sauts conceptuels et langagiers). Le dossier se conclut par une critique de l’exposition «  Speculations on Anonymous Materials  » de Cassel (Kerstin Stakemeier).

  • 3 Le pluriel semble indiqué, tant les disparités d’approche entre les auteurs et autrices réunis s (...)

3Chaque article du dossier proposé par TZK sur la spéculation est dense, et l’ensemble traite d’un large éventail de problèmes liés au(x) réalisme(s) spéculatif(s)3. On se demandera comment cette revue dont la mission première est de réfléchir sur le rôle de la critique d’art et de questionner les évolutions de l’art s’approprie les références philosophiques aux réalismes spéculatifs. Faut-il considérer que les raccourcis opérés ont une valeur en tant que tels  ? Les fruits de cette appropriation peuvent-ils nourrir en retour la philosophie  ?

4Cet article a pour but de montrer que dans cet exemple de réappropriation de problèmes philosophiques contemporains se rejoue un débat ancien avec l’esthétique. En effet, on peut résumer dès à présent la ligne commune de ce dossier comme suit  : la spéculation, en tant que prise directe sur le réel qui donnerait enfin toute sa place au non-humain, passerait paradoxalement par l’expérience artistique et critique. Le projet de refondation de l’esthétique que présentent ces spécialistes d’art contemporain (en vue d’un rapport plus direct avec la matérialité agissante des œuvres, dégagé de la contrainte à l’explicitation de la position d’énonciation du critique d’art) s’appuie donc sur le réalisme spéculatif. Ils et elles y trouvent la ressource d’une coupure du lien entre le sujet et son objet, lien qui avait été au fondement de l’esthétique.

5Il apparaîtra également que le réalisme spéculatif est utilisé dans ce dossier comme moyen pour rompre avec le constructivisme et avec la déconstruction postmoderne. Le constructivisme repose sur l’idée que nous ne pouvons avoir de connaissance des choses qu’à travers nos systèmes de représentation anthropocentrés, s’opposant ainsi aux approches positivistes qui envisagent les choses comme une réalité que la connaissance pourrait épuiser. Pas supplémentaire par rapport au constructivisme, la déconstruction, dans la proposition qu’en fait Jacques Derrida, consiste à défaire, décomposer et désédimenter les structures (langagières, philosophiques, politiques, sociales, institutionnelles) qui font que nous assignons un sens aux choses  : la relation directe entre signifiant et signifié ne tient plus, au profit de glissements infinis de sens d’un signifiant aux autres. Nous verrons en quoi la rupture proposée dans ce dossier d’avec le constructivisme et la déconstruction peut être lue comme un revirement par rapport à la position initiale de TZK, qui cherchait à ses débuts dans les années 1990 à promouvoir des œuvres prenant en compte leurs conditions d’énonciation et de production.

6La description liminaire de l’approche des auteurs et autrices montrera qu’ils ne cherchent ni à exposer les problèmes philosophiques soulevés par les réalistes spéculatifs, ni a fortiori à les résoudre. Je montrerai dans un second temps que la ligne commune qui se dégage des contributions relève moins du champ philosophique que de l’art et de la critique  : dans ces deux domaines qu’ils tendent presque à confondre, les auteurs et autrices affirment la nécessité de spéculer afin de laisser ouverts les possibles (au lieu de les calculer et donc de les annuler à l’instar de la spéculation financière). L’article explicitera dans un dernier temps les enjeux et les risques de ce retour à l’expérience radicale (artistique et critique), en proposant des rapprochements avec d’autres philosophies et d’autres projets critiques et théoriques, et en interrogeant la capacité d’une telle position artistique et critique à faire retour dans le champ plus strictement philosophique des réalismes spéculatifs.

Hors des problèmes philosophiques

7La cohérence du dossier tient à l’appropriation des philosophies ­réalistes spéculatives, sans s’astreindre à se tenir dans les limites des héritages et des méthodologies dans lesquelles ces philosophies se situent. Cette appropriation ne doit donc pas être entendue comme pointant un défaut de légitimité, mais comme un déplacement des problématiques explorées. Ce déplacement peut être utilement éclairé par la présentation des collaborateurs et collaboratrices du dossier. Ces derniers présentent en effet des profils variés et souvent polyvalents, entre pratiques artistiques, critiques, curatoriales, muséales et universitaires. Ils travaillent tous en contextes germanophones et anglophones, à l’exception de la Française Sophie Cras. Ensemble, ils forment une constellation de spécialistes de l’art contemporain dont la spécialisation philosophique n’est pas établie en tant que telle dans le champ universitaire – et qui, peut-être, remet en cause les cloisonnements académiques fondés sur l’usage de mé­thodologies et d’objets d’études propres. Trois des auteurs ont cependant une proximité plus marquée avec les cercles philosophiques associés aux réalismes spéculatifs.

  • 4 www.spekulative-poetik.de, consulté le 4­ novembre 2020.
  • 5 Susanne Pfeffer (sld), Speculations on Anonymous Materials. Nature after Nature. Inhuman, cat. e (...)

8Arman Avanessian d’abord, avec qui le dossier a été conçu  : enseignant en littérature comparée à la Freie Universität de Berlin ainsi que dans des écoles d’art (Nuremberg, Vienne, Bâle, Copenhague) ou encore à Yale et Columbia, son implication dans les cercles de la philosophie spéculative l’a mené à développer à Berlin, à la fin des années 2000, le projet collaboratif réunissant philosophes et artistes intitulé «  Spekulative Poetik4  ». En janvier 2014, il anime le colloque réunissant Iain Hamilton Grant, Maurizio Ferraris, Markus Gabriel, Reza Negarestani et Robin Mackay (l’éditeur du volume de Collapse où l’on trouve les actes du colloque de 2007). Le colloque de 2014 faisait suite à l’exposition «  Speculations on Anonymous Materials  » à Cassel qui présentait des œuvres relevant de l’art «  post-internet  », dont l’un des enjeux était la spéculation sur les phénomènes dépassant la perception humaine5.

  • 6 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 7.
  • 7 Armen Avanessian, Suhail Malik (sld), Genealogies of Speculation. Materialism and Subjectivity s (...)
  • 8 Armen Avanessian, Suhail Malik (sld), The Time-Complex. Postcontemporary, Miami, Name, 2016.

9Suhail Malik est désigné dans la préface comme «  une figure importante du réalisme spéculatif6  ». En 2015, il co-édite Realism Materialism Art avec Christoph Cox et Jenny Jaskey, qui collabore elle aussi au dossier de TZK (elle est curatrice à l’Artists Institute de New York). En 2016, Malik co-édite deux ouvrages collectifs avec Armen Avanessian  : Genealogies of Speculation. Materialism and Subjectivity since Structuralism7 et The Time-Complex. Postcontemporary8. Les délais d’élaboration de tels ouvrages nécessitant souvent plusieurs années, on peut estimer que la sortie du numéro de TZK sur la spéculation constitue l’une des étapes de l’élaboration de cette nébuleuse théorique.

  • 9 Steven Shaviro, The Universe of Things. On Speculative Realism, Minneapolis, Minnesota Universit (...)

10Enfin, Steven Shaviro, qui détient la chaire d’études anglaises à la Wayne State University de Detroit, publie en 2014 The Universe of Things. On Speculative Realism9. Il y explore la spéculation en tant que moyen philosophique de dépasser les perceptions humaines de la nature et de l’existence comme mesure de toute chose, et met en avant la philosophie d’Alfred North Whitehead comme alternative aux principaux courants du réalisme spéculatif.

11Les autres auteurs et autrices du dossier n’ont, quant à eux, pas d’attaches particulières avec la spéculation philosophique. Leur spécialisation universitaire couvre un large éventail de domaines, des Medien- und Kulturwissenschaften (Karin Harasser, Joseph Vogl) à la théorie du cinéma (Philipp Ekardt, éditeur en chef de TZK), en passant par la théorie de l’art et de la médiation (Kerstin Stakemeier) et la théorie des musiques actuelles (Diedrich Diederichsen, contributeur régulier d’Artforum et de TZK avec 11 articles entre le n°  1 et le n°  31, de 1990 à 1998).

  • 10 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.

12Dans le cadre de cet article, je laisse de côté l’aspect strictement financier de la spéculation sur le marché de l’art traité dans les articles de Suhail Malik, de Sophie Cras et de Michael Hutter. Ce rapprochement entre spéculation financière et spéculation théorique, qui pourrait sembler forcé, est justifié dès le début de la préface du dossier  : «  En tant qu’opération financière, la spéculation a pour but de rendre le futur contrôlable. […] Elle joue aussi un rôle central pour générer de la valeur dans le champ de l’art contemporain, où elle transforme massivement le caractère des collections  : collectionner en spéculant consiste à anticiper la revente future pour une maximisation des profits. Le possible fait donc désormais partie de ce qu’on peut exploiter économiquement. À l’opposé de cette notion de calculabilité du possible, la spéculation théorique, par exemple sous la forme du Réalisme Spéculatif, est orientée vers ce qui est fondamentalement incertain10.  ». Je laisse aussi de côté les articles du cinéaste et écrivain allemand Alexander Kluge et de l’écrivain allemand Rainald Goetz, qui proposent tous deux une réflexion sur la proximité entre la spéculation et l’écriture littéraire.

13Ces précisions invitent à constater que, pour traiter de ce qu’il est possible de faire et de comprendre dans les mondes de l’art contemporain grâce à la philosophie spéculative, il n’a pas été fait appel à de purs spécialistes universitaires de philosophie. Au contraire, on voit que les théoriciens et théoriciennes de l’art s’autorisent d’eux-mêmes, par la cooptation au sein de la revue, à s’approprier des contenus élaborés à partir d’autres ancrages, d’autres procédures de validation et dans d’autres buts. Si aucun de ces théoriciens et théoriciennes n’est, au sens strictement académique, philosophe, il ressort néanmoins de ce geste d’appropriation que les frontières sont poreuses entre théorie de l’art et philosophie. On pourrait y voir le risque d’un usage simplificateur des débats et des méthodes philosophiques, ou y voir au contraire, à l’occasion de leur lecture à la fois transverse et sérieuse, la possibilité d’enrichir les questionnements théoriques sur l’art contemporain ainsi que les questionnements plus larges, qui agitent aujourd’hui nombre de chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, sur la focalisation trop anthropocentrée de la pensée.

14Cet aperçu des profils des contributeurs et contributrices du dossier consacré en 2014 à la spéculation dessine les contours d’une revue théorique qui repose moins sur les critères de validation des revues scientifiques (avec l’examen à l’aveugle des articles par un comité éditorial et par un comité de lecture indépendant) que sur des connexions intellectuelles entre des personnes qui n’appartiennent pas toutes à l’institution universitaire. TZK vise un public plus large que les seuls et seules spécialistes, tout en abordant des problématiques philosophiques contemporaines complexes, voire hermétiques, pour les personnes non-initiées.

  • 11 Spirale, n°  255 («  Le réalisme spéculatif  »), 2016. http://magazine-spirale.com/numero-magazi (...)

15Pour mieux situer la prise de position commune à ces articles, il faut d’abord retracer à grands traits ce qui est retenu des réalismes spéculatifs dans la préface et dans le premier article signé par Shaviro. Pour mieux en faire ressortir la singularité, je commencerai par comparer ce dossier à celui intitulé «  Le réalisme spéculatif  » publié par la revue philosophique Spirale à l’hiver 201611, qui l’aborde sous un angle et dans un ancrage plus spécifiquement philosophiques.

  • 12 Pierre-Alexandre Fradet et Tristan Garcia, «  Petit panorama du réalisme spéculatif  », Spirale, (...)
  • 13 Quentin Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Le Seui (...)
  • 14 Pierre-Alexandre Fradet et Tristan Garcia, «  Petit panorama du réalisme spéculatif  », op. cit.

16Les deux philosophes qui coordonnent le numéro de Spirale, Pierre-Alexandre Fradet et Tristan Garcia, relèvent en introduction du dossier les points saillants qui définissent le réalisme spéculatif (au singulier, selon leur titre). Ce n’est pas seulement ce dont nous avons une connaissance qui est accessible (comme l’avait établi la philosophie postkantienne)  ; il serait possible de se ménager un accès à l’inaccessible. Les nouveaux réalistes reprochent fondamentalement à la philosophie d’Emmanuel Kant d’avoir rendu impossible la connaissance du réel, c’est-à-dire de l’objet tel qu’il est en dehors des conditions de possibilité que lui impose le sujet de la connaissance (l’espace, le temps, l’entendement). Un rapport immédiat au réel ne serait-il pas possible, au-delà de la seule corrélation de la pensée et de l’être  ? Les auteurs radicalisent le propos ainsi  : «  C’est une chose de dire qu’on ne peut se sortir de soi, c’en est une autre d’affirmer qu’on peut en déduire qu’il n’existe strictement rien en dehors de l’horizon de la conscience12.  ». Ils attirent notamment l’attention vers l’ontologie-orientée-objet développée par Graham Harman, qui consiste à admettre que les objets extramentaux existent, ainsi que les relations entre objets qui n’impliquent à aucun moment l’humain. L’ancestral pensé par Quentin Meillassoux va également dans ce sens. Meillassoux caractérise par ce terme les «  événements antérieurs à l’avènement de la vie comme de la conscience13  », dans le cadre de son livre Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence (2006), où il cherche à éviter de tomber dans l’idée que, si la chose en soi est inaccessible, seule la foi pourrait y donner accès. Fradet et Garcia précisent  : «  Meillassoux cherche à déterminer la façon dont on peut parvenir à connaître ce qui existe en dehors du cercle corrélationnel, tout en tenant compte de l’existence d’un sujet connaissant14.  ».

17Enfin, les coordinateurs du dossier soulignent à quel point le réalisme spéculatif serait opposé aux idées répandues dans les sphères artistiques, où penser l’indépendance de l’objet vis-à-vis de son appréhension serait naïf. C’est ce qu’ont notamment mis en lumière les readymades de Marcel Duchamp, qui devaient rendre explicite la position du spectateur conditionnant l’appréciation de toute œuvre d’art. Plus tard, les théories de George Dickie ou Arthur Danto nous ont invité à ne plus penser les œuvres en elles-mêmes mais à les situer dans leurs relations aux acteurs et actrices des mondes de l’art, et aux institutions, réseaux et formes de diffusion et de légitimation qui les constituent. Comme nous allons le détailler, on retrouve cette manière d’envisager l’art aux prises avec les jeux de pouvoir institutionnels dans les revendications de TZK à ses débuts, en 1990 – une approche dont le dossier de 2014 se trouve fort éloigné.

  • 15 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.
  • 16 Steven Shaviro, «  Speculative Realism. A Primer  », TZK, n°  93, 2014, p. 44.

18La préface signée par Avanessian, Ekardt, Graw et Magauer ainsi que l’article de Shaviro mettent en avant certains éléments du réalisme spéculatif. Il ressort des deux textes qu’ils tirent la spéculation vers le non-humain  : d’après la préface, la spéculation «  conceptualise ou même confère un sens possible au non-humain, à ce qui est indépendant du sujet, mais qui peut, par exemple, être vérifié scientifiquement15  ». Shaviro invite lui aussi à prendre véritablement en compte le monde autre, non-humain (ce serait même le propre de la spéculation)  : «  Nous devons spéculer, pour échapper à notre anthropocentrisme invétéré et pour prendre au sérieux l’existence d’un monde fondamentalement autre, non-humain16.  ».

  • 17 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.
  • 18 ibid.

19Une contradiction se fait néanmoins jour entre les deux articles. Ainsi, la préface affirme d’emblée que «  la spéculation saisit le non-existant17  » et qu’elle est «  dirigée vers ce qui est fondamentalement incertain18  ». Cela permet de conserver une place à l’examen critique  : en s’autorisant le jugement sur le non-existant, les auteurs et autrices de la préface nuancent largement le rejet du jugement promu par les philosophies réalistes. Si la préface ramène le non-humain au non-existant, Shaviro semble plutôt retenir du non-humain la notion de chose en soi (la réalité telle qu’elle pourrait être pensée indépendamment de toute expérience possible). Il reprend à son compte l’anti-corrélationnisme des réalistes spéculatifs  : ils refusent de reconnaître l’impossibilité de connaître la chose en soi (dans le système kantien, on ne peut avoir accès qu’aux phénomènes).

20En quelques pages sont ainsi soulevés des problèmes philosophiques importants et pluriséculaires, avec des contradictions qui ne seront pas explorées (le non-humain, est-ce la chose hors de notre accès à elle, ou est-ce une ouverture de possibles, de ce qui est encore non-existant  ?). Les incohérences sont laissées en l’état, car le propos des articles porte plutôt sur l’état de l’art contemporain, de la critique d’art et de l’esthétique.

21Pourtant, ce propos sur l’état de l’art contemporain, de la critique d’art et de l’esthétique, ne s’appuie sur aucune analyse d’œuvre ou de mouvement artistique. Il semble dès lors utile de donner une idée des artistes, œuvres et mouvements auxquels les prises de position des auteurs et autrices du dossier peuvent être référées, puisqu’ils en restent dans ce dossier à un niveau très théorique. En explorant d’autres publications des contributeurs et contributrices, il est frappant de constater un certain décrochage entre les réflexions théoriques et les œuvres, puisque les réflexions sont rarement présentées explicitement en regard d’œuvres, d’artistes ou de mouvements artistiques précis.

  • 19 Ingrid Luquet-Gad, «  Armen Avanessian  », Zérodeux. https://www.zerodeux.fr/interviews/armen-av (...)

22Par exemple, Avanessian, dans un entretien accordé à la revue Zéro-deux, dit s’intéresser «  à des collectifs comme DIS magazine ou K-HOLE, à certains artistes post-Internet aussi19  », sans donner plus de détails et tout en soulignant l’importance de ses collaborations avec des écrivains et des illustrateurs.

23De même, dans Realism Materialism Art, les œuvres montrées ne sont quasiment jamais citées et analysées dans les articles mais simplement présentées en quelques phrases dans la liste finale des figures  : Nina Canell et ses installations qui attirent l’attention sur des forces difficilement perceptibles (électromagnétisme, son)  ; Rosemarie Trockel qui rapproche, dans What it is like to be what you are not (1993), l’expérience humaine et l’expérience des araignées  ; Ian Cheng et ses logiciels d’intelligence artificielle comme prolongement et mutation du développement humain  ; ou encore Pierre Huyghe, dont le nom, ainsi que celui de Ian Cheng, revient souvent dans la nébuleuse des artistes rattachés au réalisme spéculatif.

24De manière générale, on dira que les œuvres rapportées au réalisme spéculatif se caractérisent souvent par une attention aux croisements entre les règnes humains et non-humains, voire par la pénétration plus directe d’univers non-humains, qu’il s’agisse d’objets géologiques anciens (en tension avec l’anthropocène), de la matérialité des infrastructures des technologies digitales, de mondes bactériens microscopiques ou de création par des logiciels auto-apprenants, entre autres exemples.

25Le large spectre des œuvres auxquelles peuvent être référées les réflexions associées au réalisme spéculatif semble ainsi se doubler d’une invisibilisation des œuvres au cours de l’écriture. Les textes explorant le réalisme spéculatif en art sont souvent moins critiques envers les œuvres que plus abstraitement théoriques, cherchant plutôt à décrire – voire à prescrire – à nouveaux frais le positionnement des humains dans la complexité des interactions biologico-techniques. Le dossier de TZK sur la spéculation en est représentatif.

  • 20 Pour plus de précisions, voir Catherine Chevalier et Andreas Fohr (sld), Une anthologie de la re (...)
  • 21 Stefan Germer, «  Die schwierigen Zeitgenossen. Über die Probleme der Historisierung aktueller K (...)
  • 22 Thomas Schlesser, L’Univers sans l’homme, Paris, Hazan, 2016.

26On notera aussi que ce dossier de 2014 marque un tournant, ou du moins une contradiction assez marquée, à l’égard du positionnement originel de la revue quant aux œuvres qu’elle met en lumière. La revue TZK est fondée à Cologne en 1990 par Isabelle Graw et Stefan Germer, dans le but de faire dialoguer les critiques d’art contemporain de part et d’autre de l’Atlantique20. TZK cherche à offrir un terrain commun à deux branches de la théorie contemporaine. D’une part, les créateurs de TZK souhaitent dialoguer avec les héritiers de Clement Greenberg réunis notamment par la revue
October, qui donne une solide assise à la critique d’art aux États-Unis. D’autre part, ils souhaitent donner toute leur place aux renouvellements proposés par la critique institutionnelle et les théories des cultures populaires ou minorisées (théories culturelles, féministes, de genre et postcoloniales). C’est pour défendre un certain type de productions artistiques que ce dialogue fécond doit être encouragé, comme Stefan Germer l’indique  : «  C’était une nécessité stratégique de privilégier, par rapport aux autres, les propositions qui thématisaient les conditions de leur production et de leur réception ou concevaient la pratique artistique comme une recherche et les ouvraient ainsi sur le monde social. Notre décision se trouvait confortée par le travail d’artistes comme Christian Philipp Müller, Fareed Armaly, Andrea Fraser, Mark Dion, Clegg & Guttman, Renée Green, Thomas Locher et d’autres qui étaient en prise avec notre propre production, nous orientaient vers des thèmes ou des théoriciens ou devenaient eux-mêmes auteurs21.  ». On voit donc l’écart entre la faveur d’œuvres qui montraient leurs conditions et leurs contextes sociaux et institutionnels de production, et la mise en avant d’œuvres appelant à une attention au non-humain. Il ne revient pas au cadre de cet article de trancher quant à l’interprétation de ce tournant, ou de cette contradiction  : doit-on y voir le signe d’une évolution historique des unes aux autres, ou se rappeler de leurs cohabitations plus anciennes, l’attention à l’univers sans l’humain ayant des racines anciennes22  ?

Une ligne commune  : il faut spéculer

  • 23 Philipp Ekardt et Joseph Vogl, «  In the Pull of Time. A Conversation between Joseph Vogl and Ph (...)

27Hors des problèmes philosophiques, il se dégage une cohérence entre les articles retenus. Les auteurs et autrices partagent un même constat  : l’incertitude de l’avenir dans nos sociétés engendre une gestion du risque, qui repose sur l’anticipation et se matérialise notamment dans le calcul des possibles par la finance. En finance, on transforme les futurs en probabilités et on mise dessus  : on calcule les possibles. La préface, puis les articles d’Avanessian, Malik, Harrasser et la discussion entre Vogl et Ekardt situent tous la spéculation en tant que question temporelle, qui tourne autour de l’anticipation du futur. Vogl et Ekardt décrivent cette spéculation financière comme une «  attaque du futur sur le reste du temps23  ».

  • 24 Peter Szendy, Le Supermarché du visible. Essai d’iconomie, Paris, Éditions de Minuit, 2017, p. 3 (...)
  • 25 Elena Esposito, «  La circulation des possibilités. Art, argent et avenir ouvert  », dans Emmanu (...)

28On notera que l’exposition «  Le Supermarché des images  » présentée au Jeu de Paume à Paris à l’hiver 2020 développe cette même idée en la radicalisant encore. Elle est conçue dans le prolongement de l’essai de Peter Szendy intitulé Le Supermarché du visible. Essai d’iconomie (2017) qui postulait que l’image est argent, et donc dette infinie, au sens où il n’y a jamais d’immédiateté dans l’image. Elle est toujours échangeable mais relève d’un échange inégal, d’une équivalence impossible (Szendy en donne pour exemple les duels oculaires dans les films de western). L’image est sans cesse «  prête à être substituée par une autre24  ». Pour Szendy, cette temporalité des images est celle de la société capitaliste, avec la financiarisation des échanges et la spéculation qui l’accompagne. Elena Esposito décrit ainsi dans le catalogue les sociétés modernes comme tournées vers l’avenir, vers l’ouverture et l’indétermination des relations temporelles dont l’argent serait le symbole  : «  L’avenir est le grand problème de la société moderne  : un avenir indéterminé et inconnu – et par conséquent menaçant, inquiétant. C’est en réponse à cette menace que, selon de nombreux auteurs depuis John M. Keynes, il faut percevoir la fonction de l’argent et l’explication de son rôle central dans la société moderne25.  ».

29Pour en revenir au dossier de TZK, de ce constat commun sur l’incertitude de l’avenir découle une même exigence  : il faut spéculer, en philosophie d’une part, et dans la pratique artistique et critique d’autre part.

  • 26 Steven Shaviro, «  Speculative Realism. A Primer  », op. cit., p. 42.

30Du côté de la philosophie, Shaviro se réfère à Harman qui affirmait, à l’opposé de Kant, la nécessité de spéculer (en particulier par l’allusion et par les pratiques artistiques)  : «  Kant a dénoncé la spéculation parce qu’elle outrepassait les limites de la connaissance. Pour les penseurs spéculatifs d’aujourd’hui, au contraire, la spéculation est nécessaire précisément en raison des limites de la connaissance26.  ».

  • 27 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.
  • 28 Armen Avanessian, «  The Speculative End of the Æsthetic Regime  », TZK, n°  93, 2014, p. 62.

31Du côté de la pratique (artistique-critique), la préface en appelle à «  penser des possibles […]  : ainsi entendues, la spéculation et la critique se complèteraient mutuellement dans leur refus d’accepter le simple statu quo27  ». Par la suite, Avanessian dessine une voie possible en promouvant la poétique en tant qu’expérience de la transgression entre être et non-être par les possibles. La poétique prendrait dès lors la place de l’esthétique, qui est par définition limitée par nos possibilités de connaissance (la relation sujet/objet y est fondamentale). Selon Avanessian, en ne résorbant pas la puissance de la poiesis et les possibles qu’elle déploie, en acceptant le penser dans le faire, on autoriserait enfin le potentiel spéculatif du matériau à «  altérer les critères de jugement ou nos facultés
de jugement28  ». L’auteur cherche à encourager une critique d’art novatrice qui ne se contenterait pas d’énoncer ses conditions d’énonciation pour montrer d’où le jugement est proféré, mais qui permettrait au matériau même de transformer notre jugement.

  • 29 Diedrich Diederichsen, «  It’s all in the Game ! », dans «  On the Advantages and Disadvantages (...)
  • 30 ibid., p. 148.
  • 31 ibid.
  • 32 ibid.

32Diederichsen invite lui aussi à pratiquer la spéculation, en empruntant la notion d’ancestral à Meillassoux  : «  ceux qui la pratiquent [la spéculation] le font tous dans le but de regagner une connexion émotionnelle avec le monde29  ». Une telle pratique permettrait à ses yeux d’en finir avec ce qu’il décrit comme les «  ruminations postmodernes  » qu’il juge «  détestables30  » (il pense à l’injonction à situer notre position dans les champs de force sociaux comme préalable à toute prise de parole)  : «  Oui, je suis un homme blanc hétérosexuel – mais assez  ! Ne voyez-vous pas que je suis occupé à jouer avec mon nouveau jouet, l’ancestralité31  ?  ». La spéculation est en fait pour lui un jeu sérieux, qui permet de se redemander ce que sont les choses et de s’autoriser à nouveau le jugement  : «  Quelque chose est mis en jeu, mais seulement (enfin  !) les compétences, le jugement et la pensée de chacun – il ne s’agit plus du moi, de la maladresse [awkwardness], de la masculinité ni de la sexualité propres à chacun32.  ».

  • 33 Une telle affirmation prête le flanc à la critique, qui pourra être développée au-delà du cadre (...)
  • 34 Karin Harrasser, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. ci (...)
  • 35 ibid., p. 152.

33Harrasser relève quant à elle que les artistes utilisent le vocabulaire des réalismes spéculatifs pour récupérer l’imagination et l’anticipation. Ces dernières auraient été rendues indésirables d’une part par l’art féministe, l’art post-colonial et l’art critique des institutions (qui prendraient en charge le monde tel qu’il est dans ses rapports de forces inégaux, plutôt que des mondes radicalement différents33), et d’autre part par l’industrie culturelle et l’économie financiarisée dont l’intérêt principal serait de «  représenter et monétiser des futurs possibles – parfois de manière profondément malveillante34  ». Elle sous-entend ainsi que l’anticipation serait récupérée par la finance aujourd’hui, état de fait qu’il faudrait combattre au moyen de l’art pour rouvrir d’autres possibles. Faisant référence à la spéculation propre à la science-fiction féministe (Donna Haraway, Ursula K. Le Guin, Anne McCaffrey, Marge Piercy), elle insiste sur la possibilité d’ouvrir la réalité contemporaine au moyen de la question «  et si  ?  », montrant ainsi que la spéculation, loin de se détacher du concret, en permet la critique35.

34Enfin, Jaskey affirme que l’art inspiré des réalismes spéculatifs permet de se dégager de l’humain et de l’idée que le monde est une construction langagière  ; en somme, d’un constructionnisme trop étroit. Elle se réfère aux travaux d’Elizabeth Grosz, théoricienne féministe de l’art et des médias d’inspiration deleuzienne  : l’art se trouverait du côté des forces et des intensités, et non du sens. L’art créerait de nouveaux mondes et des forces de vie, il actualiserait
les possibles de la matière, et ne se réduirait pas à la seule sensation humaine. Au contraire, l’art serait l’expression de la «  matière sentante  » (­aiesthesis).

35On voit donc se dégager au fil du dossier une même conception de l’art et de la critique, entendus comme expérience d’ouverture et d’actualisation des potentiels de la matière sentante, permettant la transgression des catégories établies (sujet/objet, humain/non-humain, activité du jugement d’un sujet conscient/passivité de l’objet jugé). Autour du terme «  spéculation  », les lexiques de l’ouverture, des possibles, de l’avenir, des futurs, du risque et de l’incertitude sont récurrents.

(Se) débattre avec l’esthétique

36On aurait pu s’attendre à ce que l’usage dans la pensée de l’art du réalisme spéculatif, qui insiste sur la décorrélation entre sujet et objet, concoure à un effondrement de l’esthétique, entendue comme discipline philosophique traitant des perceptions, des sens, et des jugements qui s’y rattachent (notamment, au sens restreint, sur l’art) – discipline explorant justement la corrélation entre sujet et objet. Un tel usage du réalisme spéculatif aurait pu défaire ce qu’on peut percevoir comme une trop grande prégnance de la perception et du jugement humain, dans un moment où l’univers sans l’humain est remis au cœur des débats. Mais il se dégage finalement de ce dossier un concept spéculatif de la critique d’art qui n’introduit pas une véritable rupture avec l’esthétique, puisque l’expérience y est réintroduite.

  • 36 Sam Lewitt, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. cit., p (...)

37Dans le dossier, la spéculation est traitée comme une expérience d’ouverture et d’actualisation des potentiels de la matière sentante. Avec l’art comme avec la critique, il s’agit de refuser de dompter ces possibles comme le fait la spéculation financière (qui cherche à minimiser les risques futurs, ou à gagner de l’argent avec). Les contributeurs et contributrices en appellent ainsi à se réapproprier le(s) futur(s) par cette double pratique, sans jamais d’ailleurs espérer parvenir à une parfaite adéquation entre théorie, art et marché36.

  • 37 Elizabeth Grosz, Chaos, Territory, Art. Deleuze and the Framing of the Earth, New York, Columbia (...)
  • 38 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie  ?, Paris, Éditions de Minuit, 19 (...)
  • 39 Gilles Deleuze, Le Bergsonisme, Paris, PUF, 1966  ; Id., Différence et répétition, Paris, PUF, 1 (...)
  • 40 Ronald Bogue, «  L’art du possible  », Nouvelle revue d’esthétique, vol.  18, n°  2, 2016, p. 13 (...)

38Une telle conception de l’art comme domaine des possibles n’est pas nouvelle. Sa généalogie deleuzienne en est d’ailleurs indiquée implicitement par Jaskey dans sa référence à l’ouvrage de Grosz, Chaos, Territory, Art. Deleuze and the Framing of the Earth (2008)37. Gilles Deleuze et Félix Guattari avaient défini «  le possible comme catégorie esthétique38  » (à la philosophie revenait le virtuel, et aux sciences l’actuel). Ils insistaient, comme le font les auteurs et autrices de TZK, sur la réalité des possibles. Dans plusieurs ouvrages39, Deleuze s’opposait philosophiquement à Henri Bergson qui parle, lui, d’un possible non réel, d’un possible qui ne possède pas d’existence jusqu’à ce qu’il se réalise (et certains possibles ne se réalisent jamais)40.

  • 41 Karin Harrasser, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. ci (...)

39Sans entrer dans les détails de cet héritage deleuzien dans le cadre de cet article, je soulignerai seulement que cette réappropriation des possibles est perçue par les auteurs et autrices comme nécessaire et même réjouissante  : Harrasser parle d’une «  expérimentation très agréable41  ».

40La réappropriation des possibles est source de joie, car elle permet de se libérer des contraintes imposées par le constructivisme qui postule (au moins depuis Kant) qu’il n’y a pas de savoir d’un réel préétabli, mais seulement d’un réel tel que nous le questionnons, dans une société donnée. Shaviro rappelle effectivement que, depuis Kant, c’est un lieu commun de dire que nous aurons toujours des lentilles déformantes, humaines. Mais Jaskey appelle à se dégager désormais de l’idée que le monde est une construction langagière humaine, tandis que Diederichsen propose de ne pas rester bloqué à l’obligation postmoderne de définir depuis quel point de vue nous prenons la parole.

41On notera que, sur ce point, une tension fondamentale n’est pas résolue  : en quoi revenir aux choses nous dégagerait-il de nos biais anthropocentrés  ? Ces biais ne se déplacent-ils pas imperceptiblement depuis les rapports de pouvoir intra-humains vers les relations entre humains et non-humains  ? On ne peut que constater que nos catégorisations (y compris des choses en soi, du non-humain) sont le résultat de régimes de savoirs changeants. Les approches spéculatives courent toujours le risque de renoncer à l’analyse de ces changements et de ces conflits, si elles absentent la contextualisation de nos situations d’énonciation et de nos ancrages épistémologiques – au risque de faire retomber au niveau le plus pauvre la confrontation entre positivisme et constructivisme.

  • 42 Emmanuel Alloa, Partages de la perspective, Paris, Fayard, 2020.
  • 43 Emmanuel Alloa et Elie During, Choses en soi. Métaphysique du réalisme, Paris, PUF, 2018.
  • 44 Emmanuel Alloa, Partages de la perspective, op. cit., p. 229-270, et sur Ferraris en particulier (...)

42Plutôt que d’évincer l’auto-réflexivité de nos conditions de jugement, comme semblent y inviter les philosophies réalistes spéculatives selon l’appropriation qu’en fait le dossier de TZK, ne peut-on pas penser avec Emmanuel Alloa un véritable pluralisme des points de vue, comme il le propose dans Partages de la perspective (2020)42  ? Cet ouvrage peut être lu dans la continuité du débat initié avec les réalistes spéculatifs lors du colloque «  Choses en soi  » qu’il avait co-organisé en 201643. Alloa renvoie dos à dos les relativismes hérités de certaines branches du constructivisme et les nouveaux réalismes qui tendraient à ne s’attacher qu’aux choses et aux faits. Parmi ces derniers, il vise notamment les approches qui, à l’instar du Manifeste pour un nouveau réalisme de Maurizio Ferraris, incriminent Nietzsche comme s’il avait commis l’erreur logique suivante  : s’il n’y a que des interprétations, il n’y a plus d’interprétable44, plus de socle «  réel  ».

  • 45 Graham Harman, Object-Oriented Ontology. A New Theory of Everything, Londres, Penguin, 2018.
  • 46 Emmanuel Alloa et Elie During, «  Soyez réalistes, demandez l’impossible  !  », dans Choses en s (...)

43On pourra adjoindre à l’appel perspectiviste lancé par Alloa l’apport des perspectives non-humaines que l’ontologie-orientée-objet (développée notamment par Graham Harman45) a mis en lumière. Dans la préface rédigée par Alloa avec Elie During pour les actes du colloque «  Choses en soi  », il est reconnu à l’ontologie-orientée-objet de ne pas penser un réel en général indépendant de la pensée, au profit d’une déclinaison des choses en soi au pluriel et d’une déliaison des choses d’avec les formes de la représentation habituellement attachées à la position d’un sujet46  : avec l’ontologie-orientée-objet, il ne s’agirait pas de poser abruptement qu’existent telle chose en soi ou l’ensemble des choses en soi, mais de les penser plutôt comme point de butée opposé à la pensée.

44La piste perspectiviste apparaît comme une réponse indirecte à la position prise dans le dossier de TZK sur la spéculation. Suivant ces auteurs et autrices, la critique d’art devrait cesser de toujours expliciter et confronter ses conditions d’énonciation, et s’occuper directement des possibles contenus dans la matière. Les positions défendues par la revue TZK ont ainsi bien changé depuis ses débuts, lorsqu’elle promouvait au contraire l’art et la critique comme porteurs d’une critique des rapports de forces institutionnels. Le dossier ne laisse aucune place à une quelconque interrogation de l’institution qu’est la critique d’art elle-même, avec ses rapports de forces inhérents.

45C’est finalement une position médiane qui est défendue dans le dossier  : le réalisme spéculatif est ici entendu au sens où s’attacher aux choses et à leurs possibles n’empêche pas le jugement, mais le ré-ouvre plutôt au cœur de l’expérience, sans plus s’encombrer des contraintes du constructivisme. Les auteurs et autrices retournent à la valorisation de l’expérience artistique et critique. Un tel retournement semble contre-intuitif et c’est pourquoi il est tentant de le tester sur la philosophie réaliste spéculative elle-même  : quand les philosophes spéculatifs décrivent l’impossible connaissance de certains objets, n’est-ce pas leur expérience de cette impossibilité qu’ils décrivent  ? On pourrait dire qu’ils expriment cet impossible sous la forme d’une expérience de pensée, d’une expérience de spéculation. Spéculer serait alors tenter de faire l’expérience, à nouveaux frais, de ce qui nous dépasse et nous échappe, de l’altérité.

  • 47 Philipp Ekardt et Joseph Vogl, «  In the Pull of Time. A Conversation between Joseph Vogl and Ph (...)
  • 48 ibid.

46La discussion entre Vogl et Ekardt aborde ce problème du rapport à l’altérité dont ils déplorent qu’elle soit posée comme tout autre, comme grand Dehors. Selon eux, lorsqu’on veut, comme les réalistes spéculatifs, penser notre expérience du non-humain, le risque est de réifier le non-humain perçu comme radicalement autre, dans ce que Vogl appelle une «  philosophie xénophobe47  » et, en retour, d’expulser de l’humain ses aspects non-humains. Ainsi  : «  Un sujet empirique – qui, il faut le noter, a un nom propre, qui penche la tête sur son bureau, qui écrit et fait peut-être aussi de la philosophie – expulse des aspects précis de l’altérité dont il est doté, des aspects qui font, pourrait-on dire, partie de sa dotation anthropologique, dans le domaine du strictement non-humain et du non-anthropomorphe. […] Il n’y a plus de déconcertation, plus d’éclats d’altérité intégrés  ; dans un tour de main audacieux, ils ont été antidatés dans le domaine ancestral, ce monde étranger au-delà et en deçà de l’humain48.  ».

Conclusion

47Abordée superficiellement, la spéculation empruntée aux nouveaux réalismes philosophiques inviterait à ne plus s’en tenir à l’humain ni à son jugement, à ses accès au réel, aux conflits épistémologiques et à l’héritage kantien. Or, ce qui se dégage de la lecture précise de ce dossier proposé par TZK est tout à fait humain, et n’est pas nouveau dans l’histoire des systèmes esthétiques depuis Kant, et même antérieurement  : il s’agit de valoriser l’expérience directe, plutôt qu’une réflexion sur les conditions de l’expérience.

  • 49 Quentin Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, op. cit., p. 1 (...)

48C’est que l’expérience n’avait jamais été totalement abandonnée par les philosophes réalistes spéculatifs eux-mêmes – tout au plus, elle avait pu être niée. Dès les premières pages d’Après la finitude de Meillassoux, il est clair que le rapport au sensible n’est en rien éliminé. «  La couleur éclatante d’un tableau n’est pas vue par le pigment coloré de la toile. […] Le sensible, en vérité, n’est ni simplement “en moi” à la façon d’un rêve, ni simplement “en la chose” à la façon d’une propriété intrinsèque  : il est la relation même entre la chose et moi49.  ».

  • 50 Timothy Morton, Hyperobjects. Philosophy and Ecology After the End of the World, Minneapolis, Un (...)

49Certes, quand on souhaite penser l’ancestral (Meillassoux) ou des hyperobjets comme le réchauffement climatique (Timothy Morton50), tous ces éléments qui excèdent la sensibilité humaine, ce n’est pas aussi simple qu’avec un tableau offert à notre perception. Mais il demeure bien un rapport et une expérience de ce rapport. Cette expérience aboutit le plus souvent à remettre en cause nos catégories admises, et notre focalisation sur les seules perspectives humaines.

  • 51 Isabelle Thomas-Fogiel, Le Lieu de l’universel. Impasses du réalisme dans la philosophie contemp (...)

50Néanmoins, si le dossier proposé par TZK en appelle à l’expérience des possibles grâce à la spéculation plutôt qu’à la réflexion sans fin sur les conditions de possibilité de cette expérience, les auteurs et autrices n’explicitent pas le risque encouru à court-circuiter les conditions qui nous donnent accès au réel, à se couper de la réflexion sur notre propre position face aux objets, si insensibles à nous soient-ils. Le risque encouru peut être de ne plus se donner l’occasion de confronter les critères qui nous font dire que le réel est tel ou tel, ou que l’œuvre d’art a tel ou tel effet sur chacun et chacune d’entre nous. On aboutit alors à se soumettre à un réel décrété unilatéralement «  tel qu’il est  ». On peut par là même perdre l’ouverture des possibles qui était visée, par exemple dans l’article de Harrasser, car si le réel est tel qu’il est, comment espérer le changer  ? On risque alors de se renier comme instance rationnelle à même d’entrer en dialogue avec d’autres points de vue. La pluralisation perspective soutenue par Alloa et During et débattue plus largement en philosophie51 peut ainsi constituer une réponse alternative à celle des anti-corrélationnistes face à la nécessité de renoncer à l’absoluité métaphysique de l’assignation du sens aux choses. Cette remarque sur les risques encourus ne s’applique pas uniformément à tous les philosophes réalistes spéculatifs, comme nous l’avons vu, mais pointe une impasse possible pour toute pensée trop expéditive de l’anti-corrélationnisme.

  • 52 Quentin Meillassoux a été co-commissaire de l’exposition «  Un Coup de dés  » dans le cadre du N (...)

51Quel regard porter sur cette entreprise d’appropriation par une revue d’art contemporain de notions empruntées aux philosophies contemporaines  ? Elle semble à double tranchant. Elle permet de proposer un renouvellement de la critique et de la pratique artistique, pour qu’elles ne s’en tiennent plus seulement à une réflexion sur nos conditions d’énonciation mais valorisent plutôt l’expérience (y compris de ce dont on ne peut faire l’expérience en tant qu’humains), les intensités et les possibles ouverts dans la matière au-delà de l’humain. Mais il semble qu’aient été réglés un peu trop facilement les débats philosophiques pluriséculaires sur la possibilité ou non d’une expérience directe des intensités, dégagée de nos biais trop humains. Cette appropriation, toute vivifiante qu’elle soit – y compris en retour pour les philosophes qui ont promu les nouveaux réalismes, qui travaillent pour la plupart avec des artistes et des théoriciens et théoriciennes de l’art52 –, court le risque de se heurter rapidement à des impasses voire à une régression (l’oubli total de nos positions d’énonciation) si elle néglige les complexités philosophiques de ces questions en n’y puisant qu’en surface. On pourra également regretter que des théoriciens et théoriciennes qui s’attachent à revaloriser l’expérience directe de la matérialité des œuvres n’en citent quasiment aucune, au risque de les invisibiliser.

52Le positionnement du dossier reste ainsi ambigu. S’il est proposé de ne plus thématiser nos positions d’énonciation pour mieux se plonger dans l’expérience des intensités de la matière comme ouverture de possibles, nous sommes donc invités à comprendre qu’il est décidément impossible de penser le non-humain hors de l’humain, puisqu’il faut toujours en faire l’expérience. La question posée est donc celle de la place que les humains s’accordent dans le temps long et dans la complexité des interactions entre le vivant et le non-vivant. Cette question est aujourd’hui prégnante, comme tendent à le montrer deux éléments, choisis parmi bien d’autres.

  • 53 Maria Stavrinaki, Saisis par la préhistoire. Enquête sur l’art et le temps des modernes, Dijon, (...)
  • 54 Cécile Debray, Rémi Labrusse, Maria Stavrinaki (sld), Préhistoire. Une énigme moderne, Paris, Éd (...)
  • 55 Emmanuel Alloa, «  Spaced-Out Time. On Time Axis Manipulation  », dans Antonio Somaini, Éline Gr (...)
  • 56 Antonio Somaini, Éline Grignard, Marie Rebecchi (sld), Time Machine. Cinematic Temporalities, op (...)

53Le premier concerne les expériences de l’ancestral, si l’on tient à conserver ce terme propre à la philosophie de Meillassoux. De telles expériences sont déjà anciennes, si l’on pense par exemple aux découvertes sur les temps dits préhistoriques dès la fin du 18e siècle, qui ont abouti à son «  invention  » au cours du 19e siècle, ainsi que l’a démontré Maria Stavrinaki dans Saisis par la préhistoire (201953) et dans l’exposition «  Préhistoire, une énigme moderne  » (Musée national d’art moderne, Paris, 201954). Être saisi par la préhistoire, c’est faire l’expérience de la malléabilité du temps et de la multiplicité des temporalités, humaines et non-humaines (géologiques, minérales, biologiques, cosmiques, entre autres). L’invention de la préhistoire participe à ce changement de paradigme, au tournant du 20e siècle, qu’a constitué la conception de la relativité du temps, au même titre que les théories de la relativité générale et restreinte d’Albert Einstein  : l’idée que la durée d’un événement ne peut plus être mesurée en termes objectifs, mais dépend du mouvement, a porté un coup décisif à la conception newtonienne du temps comme absolu, vrai et mathématique, tout autant qu’à l’idée kantienne du temps comme structure a priori de l’accès au monde55. Participe également à ce changement de paradigme l’invention du cinématographe  : le montage, qui conteste l’irréversibilité du temps, permet de porter ce que le théoricien des médias Friedrich Kittler a désigné comme la «  time axis manipulation  » à sa quintessence. Selon lui, l’écriture pouvait certes déjà retranscrire les événements temporels, mais seuls les médias technologiques peuvent enregistrer et modifier le temps des événements. Ce croisement entre préhistoire, cinématographe et relativité générale, qui permet de comprendre à nouveaux frais la place des humains dans le temps long, est exploré dans le catalogue de l’exposition «  Time Machine. Cinematic Temporalities  » présentée à Parme au début de l’année 202056.

  • 57 Cycle de conférences organisé à Paris par l’École Normale Supérieure, l’Université Paris 3 Sorbo (...)

54Le deuxième élément que nous signalerons pour comprendre l’impossible pensée du non-humain hors de l’humain est la réflexion proposée depuis 2018 par Ada Ackerman, Alice Leroy et Antonio Somaini autour de la «  machine vision  » et de la «  machine hearing57  ». Ils explorent les enjeux des images faites par des machines pour des machines (dont des exemples seraient d’une part la vidéo-surveillance avec logiciel de reconnaissance ou le contrôle robotisé de qualité, et d’autre part les assistants vocaux tels Alexa, Siri ou Google Home). Le simple fait que nous cherchions à penser les rapports entre les machines sans pouvoir utiliser d’autres termes que ceux renvoyant à la perception humaine (voir, entendre) reste hautement symptomatique. Ici encore, c’est notre expérience du rapport au non-humain qui prévaut. Ici encore, une telle exploration de l’expérience du rapport au non-humain doit permettre in fine de déplacer nos lignes de perception et de jugement encore et toujours trop anthropocentrées.

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Notes

1 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », TZK, n°  93, 2014, p. 6. (Toutes les traductions sont de l’autrice).

2 Ray Brassier, Iain Hamilton Grant, Graham Harman, Quentin Meillassoux, «  Speculative Realism  », dans Robin Mackay (sld), Collapse. Philosophical Research and Development, vol. III, Falmouth/Cambridge, Urbanomic/MIT Press, 2007, p. 307-450.

3 Le pluriel semble indiqué, tant les disparités d’approche entre les auteurs et autrices réunis sous cette étiquette sont grandes.

4 www.spekulative-poetik.de, consulté le 4­ novembre 2020.

5 Susanne Pfeffer (sld), Speculations on Anonymous Materials. Nature after Nature. Inhuman, cat. exp., Cassel/Londres, Documenta-Museum Fridericianum/Koenig Books, 2018.

6 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 7.

7 Armen Avanessian, Suhail Malik (sld), Genealogies of Speculation. Materialism and Subjectivity since Structuralism, Londres, Bloomsbury Academic, 2016.

8 Armen Avanessian, Suhail Malik (sld), The Time-Complex. Postcontemporary, Miami, Name, 2016.

9 Steven Shaviro, The Universe of Things. On Speculative Realism, Minneapolis, Minnesota University Press, 2014.

10 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.

11 Spirale, n°  255 («  Le réalisme spéculatif  »), 2016. http://magazine-spirale.com/numero-magazine/le-realisme-speculatif, consulté le 4 novembre 2020.

12 Pierre-Alexandre Fradet et Tristan Garcia, «  Petit panorama du réalisme spéculatif  », Spirale, n°  255, 2016.

13 Quentin Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Le Seuil, 2006, p. 24.

14 Pierre-Alexandre Fradet et Tristan Garcia, «  Petit panorama du réalisme spéculatif  », op. cit.

15 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.

16 Steven Shaviro, «  Speculative Realism. A Primer  », TZK, n°  93, 2014, p. 44.

17 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.

18 ibid.

19 Ingrid Luquet-Gad, «  Armen Avanessian  », Zérodeux. https://www.zerodeux.fr/interviews/armen-avanessian/, consulté le 7 août 2020.

20 Pour plus de précisions, voir Catherine Chevalier et Andreas Fohr (sld), Une anthologie de la revue Texte zur Kunst de 1990 à 1998, Dijon, Les Presses du réel, 2011.

21 Stefan Germer, «  Die schwierigen Zeitgenossen. Über die Probleme der Historisierung aktueller Kunst  », dans Germerana Unveröffentliche oder übersetzte Schriften von Stefan Germer zur zeitgenössischen und modernen Kunst, Cologne, Oktagon, 1999, p. 219.

22 Thomas Schlesser, L’Univers sans l’homme, Paris, Hazan, 2016.

23 Philipp Ekardt et Joseph Vogl, «  In the Pull of Time. A Conversation between Joseph Vogl and Philipp Ekardt on Speculation  », TZK, n°  93, 2014, p. 110.

24 Peter Szendy, Le Supermarché du visible. Essai d’iconomie, Paris, Éditions de Minuit, 2017, p. 37.

25 Elena Esposito, «  La circulation des possibilités. Art, argent et avenir ouvert  », dans Emmanuel Alloa, Peter Szendy, Maria Ponsa (sld), Le Supermarché des images, cat. exp., Paris, Gallimard, 2020, p. 239.

26 Steven Shaviro, «  Speculative Realism. A Primer  », op. cit., p. 42.

27 Armen Avanessian, Philipp Ekardt, Isabelle Graw, Hanna Magauer, «  Preface  », op. cit., p. 6.

28 Armen Avanessian, «  The Speculative End of the Æsthetic Regime  », TZK, n°  93, 2014, p. 62.

29 Diedrich Diederichsen, «  It’s all in the Game ! », dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively. A Survey with Statements by Diedrich Diedrichsen, Karin Harrasser, Jenny Jaskey, Jutta Koether, and Sam Lewitt  », TZK, n°  93, 2014, p. 146.

30 ibid., p. 148.

31 ibid.

32 ibid.

33 Une telle affirmation prête le flanc à la critique, qui pourra être développée au-delà du cadre de cet article.

34 Karin Harrasser, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. cit., p. 150.

35 ibid., p. 152.

36 Sam Lewitt, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. cit., p. 156-160.

37 Elizabeth Grosz, Chaos, Territory, Art. Deleuze and the Framing of the Earth, New York, Columbia University Press, 2008.

38 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie  ?, Paris, Éditions de Minuit, 1991, p. 168.

39 Gilles Deleuze, Le Bergsonisme, Paris, PUF, 1966  ; Id., Différence et répétition, Paris, PUF, 1968.

40 Ronald Bogue, «  L’art du possible  », Nouvelle revue d’esthétique, vol.  18, n°  2, 2016, p. 133-144.

41 Karin Harrasser, dans «  On the Advantages and Disadvantages of Working Speculatively  », op. cit., p. 152.

42 Emmanuel Alloa, Partages de la perspective, Paris, Fayard, 2020.

43 Emmanuel Alloa et Elie During, Choses en soi. Métaphysique du réalisme, Paris, PUF, 2018.

44 Emmanuel Alloa, Partages de la perspective, op. cit., p. 229-270, et sur Ferraris en particulier, p. 239-240.

45 Graham Harman, Object-Oriented Ontology. A New Theory of Everything, Londres, Penguin, 2018.

46 Emmanuel Alloa et Elie During, «  Soyez réalistes, demandez l’impossible  !  », dans Choses en soi, op. cit., p. 11.

47 Philipp Ekardt et Joseph Vogl, «  In the Pull of Time. A Conversation between Joseph Vogl and Philipp Ekardt on Speculation  », op. cit., p. 122.

48 ibid.

49 Quentin Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, op. cit., p. 14.

50 Timothy Morton, Hyperobjects. Philosophy and Ecology After the End of the World, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2013.

51 Isabelle Thomas-Fogiel, Le Lieu de l’universel. Impasses du réalisme dans la philosophie contemporaine, Paris, Le Seuil, 2015.

52 Quentin Meillassoux a été co-commissaire de l’exposition «  Un Coup de dés  » dans le cadre du Nouveau Festival du Centre Pompidou (Paris) intitulé «  Air de jeu  », du 15 avril 2015 au 20 juillet 2015. Ray Brassier est crédité comme artiste de l’exposition «  Reds and Triangulars  » au New Museum (New York) en 2013. Graham Harman intervient dans des institutions d’art contemporain, tel que l’Institute of Contemporary Arts (Londres) où il a donné en mars 2014 une conférence intitulée «  Objects and the Arts  ». Ray Brassier, Iain Hamilton Grant et Quentin Meillassoux ont collaboré aux côtés de Steven Shaviro, Suhail Malik et Armen Avanessian au film de Christopher Roth, Hyperstition, 2016. http://www.hyperstition.org/, consulté le 4 novembre 2020.

53 Maria Stavrinaki, Saisis par la préhistoire. Enquête sur l’art et le temps des modernes, Dijon, Les Presses du réel, 2019.

54 Cécile Debray, Rémi Labrusse, Maria Stavrinaki (sld), Préhistoire. Une énigme moderne, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2019.

55 Emmanuel Alloa, «  Spaced-Out Time. On Time Axis Manipulation  », dans Antonio Somaini, Éline Grignard, Marie Rebecchi (sld), Time Machine. Cinematic Temporalities, cat. exp., Milan, Skira, 2020, p. 57.

56 Antonio Somaini, Éline Grignard, Marie Rebecchi (sld), Time Machine. Cinematic Temporalities, op. cit. Sur le croisement entre préhistoire, cinématographe et relativité générale, voir en particulier Marie Rebecchi, «  Time-Lapse Machine. Plants, Crystals and Clouds : The Kaleidoscope of Time  », p. 197-210.

57 Cycle de conférences organisé à Paris par l’École Normale Supérieure, l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle et au BAL depuis 2018. À paraître  : Antonio Somaini, Ada Ackerman et Alice Leroy, Machine Vision. Qu’est-ce qu’une image à l’âge des algorithmes  ?, Dijon, Les Presses du réel, 2021.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Salles, « (Se) débattre avec l’esthétique  : l’appropriation par la revue Texte zur Kunst de la philosophie spéculative »Marges, 32 | 2021, 81-98.

Référence électronique

Claire Salles, « (Se) débattre avec l’esthétique  : l’appropriation par la revue Texte zur Kunst de la philosophie spéculative »Marges [En ligne], 32 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/marges/2483 ; DOI : https://doi.org/10.4000/marges.2483

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Auteur

Claire Salles

Normalienne, prépare une thèse en Théorie des arts et des médias à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 (Paris).

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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