1Un cube de plâtre blanc de 35 cm de côté, créé spontanément par l’artiste Michel François, exposé 15 ou 20 fois et néanmoins toujours renvoyé inexorablement vers son créateur. Un cube au milieu de la scène sur laquelle Gregory Buchert, l’artiste, fait jouer une lampe de poche, comme dans un geste pour indiquer l’espace du white cube, l’espace conventionnel de centre d’art contemporain. Extrait sonore d’un entretien que Buchert a fait avec François dans son atelier à Bruxelles. Cette forme de plâtre créée par l’artiste dans son atelier, et résidant temporairement dans plusieurs institutions et galeries d’art contemporains, est avec le temps devenue finalement un objet errant et sans cesse revenant, comme Buchert le dit « un objet qui reste sur les bras » encombrant, qui finalement s’est installé dans l’espace domestique de son créateur. Dans ce genre de cas très nombreux en fait, comment l’essence d’une œuvre est-elle maintenue ? Une œuvre donc qui revient dans l’espace quotidien d’un artiste sans appartenir à une quelconque collection, en dehors des cimaises, du sol neutre et de l’éclairage artificiel d’une institution d’art ? Comment cette œuvre supportera le temps ? Les nombreux contextes d’expositions différentes que l’œuvre a traversé, les textes distribués dans telles institutions, écrits par des commissaires, critiques ou médias font-ils toujours référence à l’œuvre en dehors de l’institution ? Comment le contexte, la mémoire et l’authenticité de l’œuvre elle-même changent-ils dans l’espace privé de l’artiste, ce lieu extérieur à l’institution ? 

2Recensant des histoires d’œuvres d’art qui n’ont jamais fait l’objet de la moindre acquisition, la lecture-performance Le Musée domestiqué de Gregory Buchert invite le public dans sa propre collection fictive et spéculative. L’artiste a conçu un musée imaginaire composé de deux étages et d’un sous-sol appelé « Le Musée domestiqué (MUSDOM) », et le public participe à une visite audiovisuelle guidée par l’artiste lui-même. MUSDOM est visuellement incarné par une maquette architecturale sur la table d’où l’artiste fait sa conférence, qui fonctionne comme un dispositif crucial pour matérialiser la visite à l’aide de diverses diodes s’allumant. La visite guidée nous mène partout dans des espaces morcelés du musée, et ces espaces, comme s’ils se déplaçaient à travers le temps et l’espace, sont connectés à des espaces privés ou à des lieux bruts, non-institutionnels dans lesquels des œuvres non collectées sont placées ; l’atelier de Michel François à Bruxelles, le garage de Didier Mencoboni à Ivry sur Seine, la cave de Francisco Tropa à coté de la ville Sintra au Portugal, etc. Des histoires d’œuvres transformées, recyclées, supprimées dans des espaces domestiques ou parfois transformées par l’usure, des monologues de créateurs, des interviews et l’histoire d’un centre d’art disparu dans les années 1990 s’entremêlent pendant la visite du musée imaginaire. Le Musée domestiqué, tissé sur la base de la recherche méticuleuse de Gregory Buchert, met la lumière littéralement sur les matériaux, en particulier leur matérialité, des œuvres quittant des institutions en partageant la création et l’exposition des œuvres et des souvenirs qu’elles transportent.

Gregory Buchert est né en 1983 à Haguenau, dans le Bas-Rhin et vit actuellement à Lille. Artiste, il est passé par la Haute École d’Art du Rhin, Le Fresnoy-Studio National des Arts Contemporains et le post-diplôme des Beaux-Arts de Lyon. Consacré pour l’essentiel à la vidéo et à la performance, son travail a notamment été vu au Festival Hors-Pistes du Centre Pompidou, à la Kunsthaus de Bâle, au Magasin de Grenoble, et a bénéficié en 2015 d’une première exposition personnelle à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen). Ses œuvres sont présentes dans les collections du CNAP, du Frac Alsace et du département de Seine Saint-Denis. Malakoff, son premier roman, a paru en 2020 aux éditions Verticales-Gallimard. Gregory Buchert travaille actuellement à l’écriture d’un nouveau récit, toujours à la frontière des arts plastiques et de la littérature.