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Comptes rendu d'ouvrages et d'expositions

« La Couleur en Fugue »

Paris, Fondation Louis Vuitton, 4 mai – 29 août 2022
Kévin Bideaux
p. 172-173
Référence(s) :

« La Couleur en Fugue » – Paris, Fondation Louis Vuitton, 4 mai – 29 août 2022

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Texte intégral

1Pour sa programmation estivale, la Fondation Louis Vuitton mettait à l’honneur la couleur dans une exposition réunissant cinq peintre·sse·s d’origines et de nationalités différentes : le récemment disparu Sam Gilliam, Katharina Grosse, Steven Parrino, Megan Rooney et Niele Toroni. La Couleur en Fugue se veut appréhender la peinture dans son rapport au subjectile, ou plutôt dans son rapport traditionnel à la toile tendue sur un châssis, cadre physique autant que conceptuel dont les artistes présenté·e·s cherchent à s’émanciper.

2Connu pour son esprit nihiliste, l’États-Unien Parrino tord la toile sur son châssis, quand il ne s’en affranchit pas simplement, amassant les toiles peintes en tas informes maintenus à l’aide de ruban adhésif. Une sélection de quatre tondi et un carré est présentée, au pied de laquelle deux autres œuvres, entre peinture et sculpture, jonchent le sol comme les cadavres de peintures, dont l’histoire de l’art a annoncé la mort à maintes reprises. Même abandon du cadre rigide du châssis pour Gilliam, figure majeure de l’abstractionnisme américain d’après-guerre, dont trois Drape paintings monumentaux traversent la Galerie 9 de part en part. Dans la même salle, ces larges pans de tissu suspendus entrent en écho avec le Blob (Fuckheadbubblegum) (1996) et les Aluminium Clouds […] or Lost Hope and the End of Painting (1995) de Parrino, devenant des « fantômes de tableaux » qui suggèrent un renouveau sinon une résurrection de la peinture qui serait donc à la fois morte et vivante.

3Dans la Galerie 11, plus petite et à la géométrie torturée, plusieurs toiles de Toroni – membre historique du groupe BMPT – sont présentées, les mêmes tableaux qu’il réalise depuis plus de cinquante ans, marqués des mêmes empreintes monochromes de pinceau n° 50 (plat et large de 5 cm) répétées à intervalles régulier de 30 cm. Présentées les unes à côté des autres et sur toute la hauteur des murs, les couleurs de Toroni ne remplissent pas la promesse de fugue de l’exposition mais semblent au contraire doublement prisonnières : de la toile d’abord, et de l’exiguïté de la salle qui semble les étouffer comme elle étouffe le public.

4Aux côtés de ces figures historiques de la peinture abstraite, deux peintresses plus jeunes ont été invitées à intervenir sur les murs mêmes du bâtiment, en dialogue avec l’architecture de Frank Gehry. Artiste pluridisciplinaire, Rooney a ainsi investi la Galerie 8, aux murs courbes et hauts qui s’ouvrent au plafond par une fenêtre avec vue sur le ciel, souvent ensoleillé en cette saison. C’est justement « avec le soleil » (With Sun, 2022) qu’elle agence une palette de couleurs chaleureuses dominées par des nuances d’orangé, de vert et de rose. Dans une composition semi-abstraite – presque enfantine – improvisée, l’artiste sud-africaine guide le regard du public jusqu’à la lucarne où elle a peint une forme circulaire jaune répondant au soleil parfois visible derrière la vitre.

5Grosse pulvérise quant à elle la peinture plus qu’elle ne peint : une brume de couleurs vives envahit le vaste espace de la Galerie 10 du sol au plafond (Splinter, 2022). Elle nous invite à plonger au cœur de la peinture, à nous projeter dans un espace polychrome, à habiter la peinture. Dans la continuité de Splinter, la Fondation Louis Vuitton a commandé à l’artiste allemande une œuvre sculpturale destinée à s’intégrer à l’architecture des lieux dès l’automne 2022. La maquette de Canyon (2022) est ainsi présentée dans une salle adjacente : l’œuvre sera un assemblage de huit pans d’aluminium peints qui fera exister la couleur de manière autonome, en dehors de l’espace clos des lieux d’exposition, sans sol et sans mur.

6Impressionnante de par les dimensions des œuvres proposées – notamment celles, immersives, de Rooney et Grosse –, l’exposition pèche par le nombre des propositions : La Couleur en Fugue n’offre qu’un registre restreint de moyens – peut-être les plus évidents – d’affranchir la couleur de son cadre historique comme technique. On peut ainsi s’interroger sur le titre de l’exposition qui s’intéresse moins à la couleur en général qu’à l’une de ses manifestations dans l’art : la peinture, entendue dans sa définition traditionnelle comme un pigment mélangé à un liant. La sélection d’artistes aurait ainsi pu être complétée par d’autres approches de la couleur qui auraient enrichi le propos, qu’il s’agisse de teinture (Cécile Bart, Adrien Vescovi…), de lumière (Ann Veronica Janssens, James Turrell…), de performance (Joël Hubaut, Judy Chicago…), de « couleur importée » (Rebecca Bauman, Antoine Perrot…) ou – pourquoi pas – de son (Neil Harbisson).

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Pour citer cet article

Référence papier

Kévin Bideaux, « « La Couleur en Fugue » »Marges, 36 | 2023, 172-173.

Référence électronique

Kévin Bideaux, « « La Couleur en Fugue » »Marges [En ligne], 36 | 2023, mis en ligne le 19 avril 2023, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/marges/3291 ; DOI : https://doi.org/10.4000/marges.3291

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Auteur

Kévin Bideaux

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