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Comptes rendus d’ouvrages et d’expositions

« 200 Years of Manchester Art Gallery »

Manchester 2023-2026
Jérôme Glicenstein
p. 176-177
Référence(s) :

« 200 Years of Manchester Art Gallery », Manchester 2023-2026

Texte intégral

1À l’occasion de son bicentenaire la Manchester Art Gallery décide de proposer aux visiteurs de découvrir la manière dont elle gère sa collection, à travers le programme « Taking Stock » [faire le point]. Une galerie du musée est ainsi consacrée sur plusieurs années à la découverte de ses 6000 œuvres, qui toutes font l’objet de discussions à propos de leurs procédures d’acquisition, de conservation, de restauration et de leur pertinence dans le contexte contemporain. Parallèlement à cela, l’ensemble du bâtiment accueille des présentations complémentaires, conçues en partenariat avec des groupes spécifiques. Dès l’entrée les principales questions qui se posent à la fois aux visiteurs mais aussi aux acteurs de l’institution – depuis les conservateurs jusqu’aux gardiens, en passant par les techniciens de maintenance ou les médiateurs – sont mises à plat lors d’entretiens films. Certaines œuvres sont présentées et font l’objet de discussions. Un peu plus loin, « Out of the crate » [hors de la caisse] expose dans plusieurs salles une réflexion sur le traitement des sculptures par l’institution. Toutes les procédures sont détaillées : depuis le moment où une œuvre est proposée à l’acquisition, jusqu’au moment où elle est enregistrée, stockée, prêtée, exposée, voire aliénée. La salle « Cold Cases », traite spécifiquement des œuvres dont la provenance est obscure et qui font l’objets d’enquêtes afin de retracer leur histoire. Dans le même esprit, l’accrochage « Trading Station » [station commerciale], au sein de la section des arts décoratifs, s’intéresse quant à lui aux implications du commerce triangulaire sur la consommation du thé, du café ou du chocolat en Grande-Bretagne, avec l’ambition de faire changer le regard sur les objets qui participent du cadre de vie des classes aisées à l’époque victorienne.

2D’autres salles ont un parti pris plus polémique. « Climate Justice » [justice climatique] rend compte d’une invitation faite à un collectif composé d’activistes, d’artistes et d’employés du musée. Ces personnes ont effectué un travail au sein du musée sur ce que celui-ci peut faire face à la situation actuelle de crise climatique. Certaines œuvres sont mises en relation avec les changements hérités de l’ère industrielle, d’autres sont commentées en fonction de leur bilan carbone, d’autres encore permettent de pointer les manques de prise de conscience de la part de l’institution muséale. La section « Rethinking the Grand Tour » est une initiative comparable, mais réalisée cette fois avec des universitaires. Il s’agit ici de mettre en doute toutes les formes d’appropriation culturelle que l’on a pu observer en Grande-Bretagne. Des œuvres de l’époque victorienne évoquent le fait que les aristocrates des 17e-19e siècles voyageaient à travers l’Europe, au Moyen-Orient et plus tard en Inde, rapportant des objets achetés sur place, des souvenirs de voyage, mais aussi un goût pour l’exotisme, mis en pratique à leur retour et nourrissant le projet colonial. Le propos est de montrer comment, au-delà des peintures orientalistes, c’est toute une relation de domination de l’Occident qui est en germe. Dans un registre un peu différent « Uncertain Futures » [futurs incertains] est également un projet collaboratif, mais initié par une seule personne, l’artiste américaine Suzanne Lacy. Il s’agit pour elle d’accompagner un groupe d’une cinquantaine de femmes de plus de 50 ans, souvent d’origine immigrée, qui vivent à Manchester et ses environs et de témoigner, sur plusieurs années, de leurs conditions de vie et de leurs difficultés dans le monde du travail. Bien que la tonalité d’ensemble du musée soit d’avoir des propositions critiques vis-à-vis de la collection, il y a une exception : deux salles qualifiées de « Rooms to breathe » [salles où respirer], où une étude est menée par des psychologues sur les conditions optimales d’appréciation des œuvres d’art. Les salles sont plongées dans une obscurité relative, avec des canapés confortables et des audioguides et les visiteurs sont invités à y passer un certain temps, à se reposer et ultérieurement à témoigner de leur expérience.

3Le programme des présentations de la Manchester Art Gallery fait en partie écho à la critique institutionnelle, mais il est surtout emblématique des questions qui se posent aujourd’hui aux musées d’art. Souvent ces musées ont été initiés avec la volonté d’acquérir les œuvres les plus importantes de l’époque et ils ont été constamment enrichis par des ensembles d’objets jugés exemplaires. Pourtant leur relation au monde qui les entoure a progressivement changée, autant que le regard que leur portent les visiteurs. Est-il encore possible de faire comme si de tels musées peuvent rester insensibles aux questions contemporaines ? Le musée de Manchester ne propose pas de réponse définitive et procède plutôt à une mise en doute généralisée. Tout ce qui semblait aller de soi est questionné : une tasse de café n’est pas simplement un bel objet, pas plus qu’une nature morte ou un paysage ; un portrait d’homme noir n’est pas n’importe quel portrait ; les projets non-aboutis méritent parfois aussi d’être exposés ; les cartels peuvent donner la parole aux visiteurs ou aux techniciens de maintenance… En 2018, l’artiste Sonia Boyce avait provoqué un scandale en obtenant qu’une œuvre de John William Waterhouse, Hylas et les nymphes (1896), soit décrochée. Son but était de mettre en évidence la complaisance de l’institution vis-à-vis d’une culture misogyne aux relents pédophiles. Six ans plus tard, la polémique est retombée et l’œuvre est à nouveau présentée, mais cette fois accompagnée d’une « réponse » en forme d’installation vidéo de Boyce, ainsi que d’une vitrine rendant compte de l’ensemble de la polémique. Les présentations actuelles sont à l’image de cette évolution introspective : à l’instar de ce que préconisait Dan Cameron dès 1971, la Manchester Art Gallery ambitionne de transformer le temple en forum.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « « 200 Years of Manchester Art Gallery » »Marges, 40 | 2025, 176-177.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « « 200 Years of Manchester Art Gallery » »Marges [En ligne], 40 | 2025, mis en ligne le 01 avril 2025, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/marges/5114 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13r4p

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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Droits d’auteur

CC-BY-ND-4.0

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