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Actualité de la recherche
Comptes rendus

Fabíola Cristina Alves, A lição viscontiana

Héloïse Elisabeth Ducatteau
Référence(s) :

Fabíola Cristina Alves, A lição viscontiana, Tese de doutoramento (Artes visuais), Universidade Estadual Júlio de Mesquita Filho, São Paulo, 2016, 267 p.

Disponible en open access : http://hdl.handle.net/11449/141988

Texte intégral

1Une perspective picturale outre-Atlantique. Il s’agit là d’une thèse de doctorat en arts visuels réalisée à l’Université Júlio de Mesquita Filho au Brésil sous la direction de José Leonardo do Nascimento. Elle mérite d’être connue en France entre autres parce que l’autrice y a réalisé une partie de sa formation doctorale. Elle a effectivement suivi des séminaires auprès du Professeur Jacinto Lageira à Paris 1-Panthéon Sorbonne. Les Archives Nationales et la bibliothèque de l’Institut National d’histoire de l’art (INHA) à Paris lui ont particulièrement été utiles pour retracer la figure du plasticien Eliseu d’Angelo Visconti. On pourra reprocher au titre de la thèse de ne pas préciser le nom complet du peintre. À première vue, on peut être tenté de croire que La leçon viscontienne revient sur le réalisateur italien Luchino Visconti, nettement plus connu. L’intérêt du travail doctoral réside en ceci qu’il transcende les délimitations disciplinaires puisqu’il fait entrecroiser presse, références anthropologiques et philosophiques.

2L’introduction résume la vie du peintre Visconti qui comme le réalisateur est d’extraction italienne. Peu de temps après sa naissance en Europe, il part avec ses parents au Brésil dont il acquerra plus tard la nationalité. Sa formation est binationale puisqu’à l’issue de ses études au lycée artistique, à l’École nationale (ex-Académie impériale) des Beaux-Arts de Rio de Janeiro et à l’Atelier libre, il rejoignit la France dans les années 1890. C’est sans doute Luiz de Rezende, l’un des mécènes de l’Atelier libre, qui lui a instillé le goût des salons symbolistes parisiens. En France, sa formation fut plurielle entre les Beaux-Arts de Paris, l’Académie Julian et l’École Guérin. Lié officiellement au Brésil, il ne peut participer au Salon des Indépendants mais ne manque pas de marquer de sa présence le Salon des Champs-Élysées et l’Exposition Universelle. Sa francité se renforce par son mariage avec Louise qui l’amène à voguer entre l’Hexagone et le Brésil jusqu’en 1920, année où il s’installe définitivement sur la terre du futur pour reprendre la périphrase de Stefan Zweig. Il s’agit de Teresópolis où il construit sa maison.

3La critique le considère alternativement comme un pré-raphaélite, un impressionniste, un symboliste ou un archétype de l’Art Nouveau. Ce dernier mouvement lui a été insufflé en grande partie par Eugène Grasset à l’École Guérin. Bien que le cubisme et le fauvisme ne soient pas au centre de son œuvre, ils sont décelables. En fait, à la différence d’autres artistes comme Tarsila do Amaral qui cofonda le Mouvement Anthropophagique avec le poète Oswald de Andrade, Eliseu Visconti ne s’est jamais revendiqué d’un mouvement en particulier et n’a jamais rejeté aucun courant artistique. Il déclarait juste prendre en considération le passé sans le reproduire à l’identique.

4Deux thèses doctorales en histoire en portugais ont déjà été consacrées à lui (Molina 2004 et Seraphim 2010) et une en histoire de l’art en français (Tavares Cavalcanti 1999). Elles offrent un panorama de son parcours en s’attardant sur sa place dans le cadre de la Semaine d’Art Moderne en 1922 mais aussi au Théâtre Municipal de Rio de Janeiro. La plus récente de ces thèses regroupe 501 œuvres sous forme de catalogue. L’objectif du présent travail est de se pencher sur sa peinture de paysage. Il met en exergue « Visconti diante das modernas gerações » (« Visconti au regard des générations modernes »), un article de presse écrit par le penseur marxiste Mário Pedrosa et publié le 1 janvier 1950 dans le Correio da Manhã, soit quatre ans après le décès d’Eliseu Visconti. Ce texte fondamental de la réception viscontienne se trouve dans les annexes en fin d’ouvrage (pp. 254-266). Selon lui, le peintre est tombé injustement dans l’oubli et n’a été reconnu qu’après sa mort car il a été marginalisé par les autres artistes modernes entre autres parce qu’il a développé une interrelation homme-nature distincte de celle de sa période. Tarsila do Amaral, Di Cavalcanti, Portinari attachaient d’autres priorités. Pedrosa, cofondateur du Parti des travailleurs en 1980, s’appuie sûrement sur l’exposition de 1949 dédiée à l’artiste qui s’est tenue au Musée des Beaux-Arts de Rio de Janeiro ainsi que sur la biographie publiée en 1944. Cette dernière situe Visconti à l’intersection de l’académisme (auquel correspond le symbolisme) et du modernisme (auquel correspond l’impressionnisme), à l’encontre de Sérgio Milliet qui était d’avis qu’il s’agissait d’Almeida Júnior. Une exposition organisée en 2011/2012 à la Pinacothèque de São Paulo, puis au Musée National des Beaux-Arts de Rio de Janeiro, est l’occasion de se repencher dessus.

5On regrettera que les coupures de journaux (pp. 74-75, p. 99, p. 101), en partie illisibles, et les reproductions de toiles ne soient pas de meilleure qualité pixellique. Par ailleurs, c’est seulement à la page 86 que l’on découvre que l’artiste n’a pas produit que des toiles mais aussi des céramiques. Une chronologie initiale ou finale récapitulant ses toiles les plus connues aurait été pertinente. C’est par ailleurs seulement à partir du cinquième chapitre que le titre de la thèse devient réellement pertinent lorsque l’attention est attirée sur ses carnets. Il y a théorisé les différents regards que l’on peut porter sur la nature en s’appuyant sur Ruskin, Velasquez, Rembrandt, etc. Le premier regard consiste à percevoir la nature avec condescendance, considérant l’homme comme supérieur, le deuxième consiste à regarder avec plus d’individualité et le troisième à habiter la nature, à penser que celle-ci a conscience de l’existence de l’homme, qu’elle est en mesure de développer avec lui une complicité. Cette évolution se réverbère dans ses toiles. Si « Le champ de blé » (1916) est fidèle au mythe de la supériorité de l’homme sur la nature, « Après-midi à Saint-Hubert » (1917) affiche la cohabitation homme-nature. Dans le passage sur les maisons closes (p. 169), on s’étonnera de ne pas trouver mention de l’exposition sur la prostitution de 2015/2016 au musée d’Orsay. Un grand nombre de références mentionnées dans le cours du texte sont escamotées dans la bibliographie finale : Emerson, Nerval, etc. Bien que les titres des toiles soient majoritairement donnés dans leur langue originale, ce n’est pas le cas pour Koloman Moser (p. 197) et Carl Moll (p. 198). Et le Projeto Eliseu Visconti initié en 2004 par le petit-fils du peintre n’est pas du tout abordé. Il regroupe pourtant sur son site web de foisonnantes informations à la fois biographiques, bibliographiques et imagières. Il permet de constater que notre artiste suscite de l’engouement ces dernières années. Si cette thèse vient à être publiée, elle devra intégrer les travaux de jeunes chercheuses, entre autres le mémoire de master de Christine Senra Moulin soutenue l’année dernière et celui de Renata Cristina Garcia Prado l’année précédente.

6En définitive, accorder de l’attention à Eliseu Visconti, c’est reconnaître la valeur d’un plasticien qui a su sortir d’un anthropocentrisme encore dominant. Au fur et à mesure, il a en effet aboli la hiérarchisation homme-nature. Cette démarche, précurseure pour son époque, mériterait d’être davantage mise en relief par le biais d’expositions sur le territoire français. Qu’il n’ait pas cherché à s’affirmer dans une unique mouvance artistique a sûrement joué sur sa notoriété post-mortem hors du Brésil. Les multiples confluences auxquelles il a contribué le rendent néanmoins encore plus unique et propice à des mises en relation avec d’autres peintres.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Héloïse Elisabeth Ducatteau, « Fabíola Cristina Alves, A lição viscontiana »Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 52-2 | 2022, mis en ligne le 13 octobre 2022, consulté le 19 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/mcv/17023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mcv.17023

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