1Cet ouvrage collectif coordonné par Guillermina del Valle Pavón s’inscrit dans la suite des recherches menées depuis 25 ans sur le mercantilisme et la monarchie absolue, tout en insistant sur l’importance des échanges économiques entre les différents espaces connus à cette époque-là (La nouvelle Espagne, le Pérou, les Philippines, la Havane ou Buenos Aires entre 1610 et 1814) ; qu’il s’agisse des flux de marchandises, d’argent ou d’informations constitutifs du commerce mondial. Cet ouvrage réunit donc huit d’études dont les résultats ont été présentés lors du séminaire sur les corporations, le commerce et la corruption dans l’Amérique hispanique entre le xvii^e et le xix^e siècle de l’Instituto de Investigaciones Dr. José María Luis Mora (Mexico) qui s’est tenu en 2020 et 2021. Les auteurs de ces huit études ont l’ambition de renouveler l’histoire des flux, des échanges de longue distance et des réseaux commerciaux qui les soutiennent, par le recours à la micro histoire et l’étude de nouvelles sources historiques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur les petites histoires de la mondialisation. Quatre des travaux scientifiques proposés ici font de la contrebande un élément clé pour comprendre le commerce maritime à l’origine de la première expansion mondiale européenne aussi bien dans l’océan atlantique que dans l’aire pacifique. Les autres travaux sont consacrés à l’échelle locale du commerce et du crédit, permettant de mieux comprendre les connections économiques de différents espaces jusqu’alors peu étudiés. Une autre étude revient sur le discours du consulat de La Havane concernant la controverse sur le contrôle commercial des Caraïbes à la fin du xviii^e siècle. Divers aspects des pratiques commerciales sont ainsi passés en revue, comme l’organisation des échanges à l’échelle de l’individu ou de l’entreprise, et le rôle central de l’argent et du crédit. Toutes les contributions à cet ouvrage s’achèvent par une ample bibliographie sur les divers sujets abordés.

2Dans une introduction détaillée Guillermina del Valle Pavón dresse une présentation approfondie de chaque contribution à l’ouvrage tout en reliant les problématiques abordées à l’historiographie des vingt dernières années sur la thématique commerciale de l’Amérique espagnole et des Philippines.

3Bruno de la Serna Nasser étudie le rôle du vice-roi de Nouvelle Espagne (1612-1621), le marquis de Guadalcázar et du vice-roi du Pérou, le prince d’Esquilache (1615-1621) dans les relations commerciales des deux vice-royautés par le biais de leurs relations et de leur corruption, soulignant ainsi l’arbitrage du Conseil des Indes dans leurs désaccords. Il montre comment les deux vice-rois, convaincus de l’impossibilité d’interdire la contrebande, ont su intégrer le commerce illicite par le biais d’intermédiaires et l’exercice d’un patronage sur certains ports. Marie Christine Duggan propose une étude sur les réseaux de commerce et de contrebande dans le golfe de Californie entre Acapulco, Chacala, Sinaloa et le fleuve Colorado dans la deuxième partie du xvii^e siècle, pris en main par les élites de Nouvelle Espagne qui finirent par financer les missions jésuites (1696-1701) avec l’accord du vice-roi le comte de Moctezuma. En ce sens la contrebande devint un facteur de l’expansion jésuite entre 1665 et 1701. Guillermina del Valle Pavón montre comment se structure la contrebande entre Mexico et Manille en passant par le port d’Acapulco à la fin du xvii^e siècle dans un travail précis qui s’appuie sur une riche cartographie. Francisco Cebreiro Ares part de la figure de Benito Blanco de Sotomayor, l’alcalde mayor de Sayula, décédé en 1761, et sa correspondance avec le secrétaire du duc d’Arcos, pour reconstruire sa stratégie sociale et commerciale, soulignant ainsi le rôle primordial des réseaux familiaux dans son ascension sociale et ses limites. Si le clan familial des Bermúdez permit à Benito Blanco de Sotomayor d’intégrer le commerce et le monde des offices coloniaux comme intermédiaire entre les groupes dominants et le territoire de la vice-royauté, son histoire reste celle d’un échec, qui n’en est pas moins révélatrice des mécanismes à l’œuvre dans la négociation entre Madrid et la bourgade de Sayula. Le travail d’Álvaro Alcántara López est une analyse du parcours de Juan Bautista Riaño (1797-1803) et de son procès pénal pour contrebande à Veracruz, compris comme le témoignage de la circulation de l’argent mexicain dans la mondialisation d’alors. Les différentes pièces du procès, dont un mémoire dicté par le principal accusé et les aveux du lieutenant Antonio de Arenas en 1802, démontrent en effet la participation de l’intendant de Vera Cruz à travers ses domestiques, d’un certain nombre de militaires et du gouverneur lui-même à la contrebande des marchandises déposées sur la plage. Iliana Quintanar Zárate explique la culture corporative des marchands du consulat de La Havane à partir de leurs intérêts communs entre la fin du xviii^e siècle et le début du xix^e. Leurs stratégies de défense de leurs privilèges sont à resituer dans le débat politique sur le contrôle de la mer Caraïbe et les positions adverses des marchands de Cadix, Mexico et Veracruz. En s’imposant comme le principal centre de réexpédition des marchandises espagnoles en Amérique, ils obtiennent des concessions du roi, qui face à la puissance de leurs réseaux jusqu’aux États Unis, ne peut que tolérer la contrebande pour conserver le bastion politique, militaire et économique que représente La Havane. C’est à partir d’une lecture critique d’une correspondance et d’une riche cartographie que José Sovarzo concentre son analyse sur un autre cas particulier, celui du marchand Jacinto de Castro qui fit fortune dans le commerce entre le Río de la Plata et le royaume du Chili à la fin de la période coloniale (1771-1810). L’étude de sa correspondance commerciale (1768-1807) conservée aux Archives Générales de la Nation Argentine (AGNA) permet à l’auteur de reconstituer le circuit commercial terrestre utilisé par Jacinto de Castro entre le Río de la Plata et Santiago du Chili. Enfin, Viviana L. Grieco montre le changement de politique opéré dans le Río de la Plata entre 1790 et 1820 pour faciliter le commerce avec les étrangers et accroitre les revenus douaniers alors que le commerce avec le Potosí commençait à décliner. L’exemple du commerçant espagnol Sebastian de Torres et son influence sur les marchés de consommation est utilisé dans ce sens.

4En choisissant le plus souvent de se focaliser sur des études de cas et bien souvent sur des correspondances commerciales, les auteurs de cet ouvrage renouvellent notre compréhension de la mondialisation de l’époque moderne et le rôle de l’empire espagnol dans son développement.