1Voir Programme : https://www.casadevelazquez.org/​es/​investigacion/​actividades-pasadas/​novedad/​2008-2024-la-agitacion-de-la-escena-politica-del-sur-de-europa

2Les 17 et 18 octobre 2024, la vingtaine de chercheurs et chercheuses réunies à la Casa de Velázquez ont offert un tour d’horizon des enjeux et défis socio-politiques auxquels se confrontent les pays de l’Europe du Sud. Les recompositions des champs politiques, l’émergence de mouvements contestataires et des rapports ordinaires à la politique régis par la méfiance, voire la défiance, ont ici été saisis comme autant d’effets des politiques d’austérité menées en réponse à la récession économique des années 2010. Ainsi, le concept de « crise » s’est régulièrement vu convoqué, tout comme la notion de « bouleversement » sous l’égide de laquelle était d’ailleurs placée la rencontre. Tel que ce fut souligné lors de la conférence inaugurale, ces journées visaient aussi à confirmer la pleine inscription des travaux portant sur « l’Europe du Sud » au sein du sous-champ des études aréales en science politique.

4Les sociologues du politique Federico Tarragoni et Daniel Gaxie ont respectivement inauguré et clôturé ces journées. Dans sa conférence inaugurale, « Le populisme de gauche : comment institutionnaliser la critique démocratique ? », Federico Tarragoni a pris le parti de défendre la boite conceptuelle du populisme en tant que cadre analytique heuristique en sociologie politique. Il a ensuite procédé, par ce biais, à une caractérisation des formes prises par les mouvements contestataires et partis politiques en Espagne, Italie, France et Grèce à la suite de la crise de 2008. Dans sa conférence de clôture intitulée « Affaiblissement et transformations des partis ouvriers et disparition des ‘votes de classe’ des ouvriers » (en France), Daniel Gaxie a discuté les ressorts du réalignement du vote des catégories populaires en mettant à l’épreuve l’hypothèse que la subjectivité en soit la variable explicative lourde. Il a démontré le processus historique de désorientation puis de réorientation des visions des divisions du monde social et a affirmé que les déterminants sociaux du vote, loin d’avoir disparu, sont en revanche désormais rendus plus complexes à appréhender. Il a plaidé pour que soient considérées ensemble la situation sociale, la condition sociale, la position sociale, la trajectoire sociale et les appartenances sociales des électeurs et électrices.

5La distribution des deux journées a été opérée sur la base d’une rationalisation thématique des prises de parole en six panels : « L’essor des droites radicales » ; « Las reconfiguraciones post-2008 de la izquierda española » ; « Radical left and the populist movement » ; « Enjeux sociaux, questions migratoires et mobilisation politique » ; « État des autonomies et nationalismes périphériques en Espagne » ; « La politique saisie par le local ». Ainsi, les approches macro ont généralement été privilégiées lors de la première journée, tandis que la focale micro a été largement adoptée lors de la seconde journée. Tous les panels ont conjugué des interventions centrées sur des processus toujours à l’œuvre avec d’autres mobilisant plutôt le registre du bilan. Les premières ont singulièrement concerné l’essor électoral des partis d’extrême droite, mais aussi le fait indépendantiste ou les enjeux migratoires. Les approches en termes de bilan ont quant à elles concernées les expériences partisanes à gauche de l’échiquier politique, à l’échelle locale ou nationale. La diversité des sous-champs de la sociologie politique s’est vue représentée : la sociologie électorale, la sociologie du militantisme, la sociologie des élus, et ponctuellement la sociologie du travail. Il en fut de même concernant les outils, avec l’exposé d’études basées sur des corpus de presse et de discours, mais également d’autres reposant sur des résultats d’enquêtes qualitatives et quantitatives particulièrement fouillées.

6À titre d’illustration, signalons le grand intérêt de trois communications parmi celles présentées, et ce, pour l’originalité des objets, la solidité de la méthodologie employée ou encore leur pleine insertion dans les discussions actuelles de la discipline. Ainsi, Valentina Nava, candidate au doctorat, a livré les premiers résultats d’une enquête par entretien concernant les ressorts de l’évolution de la sociologie du « vote ouvrier » en faveur de l’extrême droite en se concentrant sur les milieux ruraux du nord de l’Italie. Andrea Gallinal-Arias, candidate au doctorat, a restitué une étude de terrain sur le processus de frontérisation des Iles Canaries, en s’attardant sur la fabrique et le déploiement des dispositifs de gestion migratoire. Arthur Guichoux, Docteur en sociologie, post-doctorant à l’Université de Liège, s’est saisi des enjeux afférents à l’« uberisation du travail » en présentant l’ethnographie qu’il a réalisé à Barcelone auprès de travailleurs et travailleuses organisées en « contre-plateforme » de livraison.

7Par ailleurs, les prises de parole successives ont mis au jour de solides points communs entre les différents terrains investis et des préoccupations partagées entre les orateurs et oratrices. En premier lieu, l’attention particulière portée aux stratégies électorales mises en œuvre par les acteurs politiques, enjeu transversal aux trois panels de la première journée. En second lieu, la boite conceptuelle usitée par de nombreux participants, celle du « populisme », ainsi que les analyses discursives également centrales lors de la première journée. En dernier lieu, une préoccupation commune quant aux ressorts des récentes recompositions politiques vers la droite de l’échiquier politique s’est faite jour.

8Si de multiples terrains d’études ont été explorés lors de la rencontre, relevons toutefois une certaine inégalité dans l’approfondissement des problématiques afférentes à chacun d’entre eux. Ainsi, la part belle a été faite à l’Espagne, à laquelle deux des six panels étaient explicitement dédiés et à laquelle se sont, de fait, rapportées les interventions du panel « enjeux sociaux, questions migratoires et mobilisation politique ». En miroir, relevons que les enjeux afférents au Portugal n’ont malheureusement pas été investis. Finalement, on regrette que les approches relatives au genre soient restées marginales, en dépit de la curiosité manifeste du public en ce sens et du vif intérêt qu’elles représentent pour appréhender les bouleversements de la scène politique sud-européenne. C’est particulièrement vrai concernant l’Espagne et l’Italie où les mobilisations contre les violences de genre et les révoltes conservatrices continuent de structurer la vie politique. Ces deux journées d'études internationales dédiées aux «bouleversements politiques de la scène sud-européenne» ont ainsi dressé un état des lieux utile aux chercheurs et chercheuses de la discipline. Elles sont un rappel de l'intérêt d'élargir la focale afin de mieux saisir les enjeux politiques contemporains.