Louis Marin, l’un des principaux hommes politiques de droite de la III^e République

1Louis Marin, à ne pas confondre avec son homonyme philosophe plus jeune que lui, bénéficiait à son époque d’une notoriété immense. Jean Moulin, en novembre 1942, explique ainsi que les Américains n’ont pas confiance en de Gaulle puisque, pour eux, seules comptent les vedettes de la politique, c’est-à-dire Blum, Herriot, Reynaud et Marin.

2Vivant en Lorraine, le petit Louis est, dès l’origine, marqué par une germanophobie très forte qui l’incite à se lancer en politique. Après une brillante scolarité à Nancy, il se lance dans des études, poussées et éclectiques, droit, histoire, lettres, philosophie, Sciences Po, École du Louvre, avant d’entamer une double carrière, d’ethnologue et d’homme politique.

3Passionné par les civilisations du monde, il voyage plusieurs années, dans la plupart des pays européens, et dans toute l’Asie, en ramenant de nombreux objets et photos qui sont aujourd’hui présentés au Musée des Arts premiers et au Musée Guimet à Paris.

4En 1903, il rejoint la Fédération républicaine, parti de centre-droit, et, deux ans après, devient député de Nancy, à 34 ans. Occupant les plus hautes fonctions à la Chambre des députés, en étant rapporteur général du Budget, il fait partie, en 1919, des rares députés de droite à voter contre le traité de Versailles qu’il juge insuffisant. Principal inspirateur des grandes lois sur les dommages de guerre, il s’oppose à la politique d’apaisement vis-à-vis de l’Allemagne d’Aristide Briand.

5En 1924, l’arrivée du Cartel des gauches lui ouvre les bras de l’opposition, lui permettant de devenir le patron de la Fédération républicaine. De ce poste qu’il occupa une vingtaine d’années, il devient un personnage central de la vie politique. Président de nombreuses commissions d’enquête, il conduit aussi la commission de la hache qui supprima de nombreux tribunaux et sous-préfectures en 1926, sous Poincaré. Il devient aussi président du Conseil général de Meurthe-et-Moselle en succédant à Albert Lebrun, élu président de la République en 1932, qu’il avait toujours combattu car moins à droite que lui.

6Partisan de l’égalité des hommes et des femmes, de la liberté scolaire, de la décentralisation, du libéralisme économique, il consacre l’essentiel de ses forces à la lutte contre l’Allemagne dont il dénonce l’antisémitisme après le congrès de Nuremberg.

7Huit fois ministre, il est toutefois abandonné par beaucoup de ses amis politiques dans les années 1930 qui le jugeaient trop germanophobe et se retrouve soumis à la concurrence à la fois de la démocratie chrétienne et des ligues. C’est en 1940 que la rupture est la plus forte quand, ministre d’État, il s’oppose à l’armistice alors que plusieurs de ses responsables du parti, notamment Xavier Vallat et Philippe Henriot, décident de soutenir le régime de l’État français. Étonnamment, il reste à Vichy, refusant ostensiblement de serrer la main de tous ceux qui ont voulu l’armistice, y compris le maréchal, qui semble s’en amuser. Membre du réseau de résistance Hi-Hi, il sert d’intermédiaire entre les résistants et l’ambassade des États-Unis. Il n’est exfiltré à Londres qu’en avril 1944 quand les Allemands veulent l’arrêter.

9La même année, il décide de s’apparenter avec la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) dans une tentative désespérée de garder son siège de député. L’abbé Pierre se présentant alors encore une fois contre lui, tous deux échouent ; il a déjà 80 ans.

10Sans enfant, il vécut en union libre avec une ancienne étudiante, docteur ès lettres, qu’il épousa à l’âge de 84 ans. Homme de droite, patriote, mais aussi écorché vif et hyperactif, Louis Marin défendait son pays mais aussi toutes les minorités nationales persécutées ; c’était un passionné du monde, un homme des libertés. Il mourut à l’âge de 90 ans, en 1960.

Louis Marin, cofondateur de la Casa de Velázquez

11Louis Marin qui toute sa vie demanda à l’État de réduire son train de vie, fut paradoxalement l’un des plus grands défenseurs de la présence culturelle de la France à l’étranger. Professeur d’ethnologie, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, il s’était tourné, par un curieux tropisme, vers l’Orient, enjambant l’Allemagne, et se passionnant pour l’Europe de l’Est, la Russie et l’Asie.

13Il préside ainsi la Société de propagation des langues étrangères en France, qui avait été fondée en 1891 par le Vosgien Jean-Baptiste Rauber. Le conseil d’administration comprenait un inspecteur général de l’enseignement des langues vivantes et des professeurs de collège et de lycée. La Société enseignait les principales langues à plus de 6 000 élèves (un inventaire montre qu’il y avait 39 groupes en anglais, 14 en espagnol, 13 en allemand, 5 en italien, 4 en russe, 1 en portugais, 1 en suédois.

14Plus généralement, il soutient tous les projets visant à développer l’influence française à l’étranger, comme la création d’instituts français et d’ambassades dont il est souvent le rapporteur. Il s’investit tout particulièrement dans le projet de création de la Casa de Velázquez à Madrid pour résister aux « progrès de la propagande germanique ».

16Puis un lycée est créé à Madrid en 1919, faisant porter le nombre d’écoles de 6 à 18. La note souligne la puissance des artistes espagnols, notamment ses écrivains comme Galdós, Blasco Ibáñez, Palacio Valdés ou le philologue Menéndez Pidal. La Casa devient ainsi « une pépinière de conférenciers ou de jeunes maîtres capables d’enseigner dans les universités » sur le modèle de l’expérience tentée à Oviedo en 1921. En contrepartie, il sera créé à Paris un Institut espagnol.

17L’Académie des Beaux-Arts, l’université de Bordeaux mais aussi le protectorat du Maroc, qui a tant de liens avec l’Espagne, participeront aux frais de fonctionnement de la Casa, sur un terrain de deux hectares offert par le roi Alphonse XIII, qui s’était intéressé au projet dès 1916. La ville de Madrid a offert les portes sculptées de l’ancien palais d’Oñate, un des chefs-d’œuvre du style castillan du xvii^e siècle, style qui a inspiré l’architecte Léon Chifflot, ancien prix de Rome, pour les plans du futur édifice. Le personnel sera composé ainsi : directeur, secrétaire, concierge, gardien-jardinier, trois garçons, cuisinière, lingère. Le 22 mai 1920, le roi, accompagné de la reine mère, du président du Gouvernement et de l’ambassadeur de France, pose la première pierre de l’édifice.

18Quelques années après la Première Guerre mondiale, une nouvelle étape est franchie. Un projet de loi relatif à la construction d’une maison de France à Madrid est annexé à la séance du 5 décembre 1922, par Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et Charles de Lasteyrie, ministre des Finances. Il souligne, dans son exposé des motifs, « l’importance que peut avoir pour le pays l’établissement de relations intellectuelles plus intimes entre la France et les nations de langue espagnole » afin d’éviter les « incompréhensions réciproques » qui bénéficient par contrecoup au « germanisme » avec lequel la France a été en guerre : en effet, des collèges hispano-allemands ont été créés à Madrid, Saint-Sébastien, Barcelone, Valence, Séville. La création de l’École des hautes études hispaniques et de l’Institut français de Madrid, rattachés respectivement aux universités de Bordeaux et de Toulouse, consacrés aux études archéologues et littéraires, n’est pas suffisante, expliquent les auteurs, car aucun organisme n’existe pour l’étude de l’art sur le même modèle qu’en Italie. Il est donc décidé de créer, au sein de la Casa, à côté de l’École d’études hispaniques, une École franco-espagnole des beaux-arts pour que les élèves se familiarisent avec « Murillo, Velázquez, Goya ». « Tandis que la villa Médicis ne s’ouvre qu’aux grands prix de Rome, la Casa de Velázquez accueillera, « par une sélection très large et sans concours préalable, tous les artistes peintres, graveurs, sculpteurs, architectes, musiciens, comme tous les écrivains qui en feront la demande : elle devra servir de foyer aux artistes et aux littérateurs français de passage dans la péninsule, aux conférenciers envoyés de France, et aussi aux étudiants et aux artistes espagnols désireux d’entrer en rapports intellectuels avec notre pays ».

19Aujourd’hui, au moment où nous fêtons le centenaire de sa création, la Casa a renoué avec la volonté initiale de ses fondateurs de concilier archéologie, histoire, littérature et création artistique.