1Ce livre rassemble les actes d’un colloque organisé au printemps 2021 par le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM) de Poitiers – colloque qui, en raison des restrictions sanitaires en vigueur au moment de sa tenue, s’est déroulé entièrement en ligne. Il y paraît à peine dans le volume publié : en dehors de quelques allusions aux échanges par tchat, on semble avoir affaire à la publication d’une rencontre scientifique des plus ordinaires, avec une introduction, quatorze communications et deux « ateliers » reproduisant des échanges de type table ronde (ces derniers, de manière tout à fait regrettable, ne sont pas mentionnés dans la table des matières), puis une conclusion.

2Les diverses thématiques abordées dans l’ouvrage sont bien résumées dans le titre ; elles sont aussi explicitées par le sous-titre du colloque : « Rejet, accompagnement ou appropriation ? », qui n’a pas été repris dans la publication. Depuis un peu plus de quarante ans (Vincent Ferré pointe en particulier l’année 1979, qui vit à la fois la création de la revue Studies in Medievalism et la tenue d’un cycle de conférences de Paul Zumthor sur la « Modernité du Moyen Âge »), les médiévistes ont été progressivement amenés à interagir de plus en plus avec la vaste sphère du médiévalisme – une sphère mouvante, en expansion croissante et qui semble résister à toute définition stable. Et de fait, les définitions ou délimitations du médiévalisme données par les divers contributeurs ne concordent pas toujours, ce qui ne doit ni inquiéter ni surprendre : car le médiévalisme, entre autres distinctions utiles, est à la fois un phénomène qui existe dans la modernité – à travers la présence, l’utilisation, voire l’instrumentalisation dans le champ social, politique ou culturel de références identifiées comme médiévales – et une pratique scientifique – à travers le repérage, l’étude et la mise en perspective de ces références et de leurs usages. Le choix qui consiste à parler des médiévalismes au pluriel est donc judicieux.

4Il s’agit donc d’explorer la variété des réponses des médiévistes, toutes disciplines confondues, face à la diversité des usages contemporains du Moyen Âge et face à l’étude de ces phénomènes. Pour reprendre le triptyque avancé dans le sous-titre du colloque, le « rejet » est régulièrement mentionné, mais plutôt comme un épouvantail, tous les auteurs s’accordant pour le déplorer. L’« accompagnement » est omniprésent, les médiévistes pouvant apporter leur expertise aux études médiévalistes, s’intéresser aux objets médiévalistes, voire participer activement à diverses formes de création médiévaliste, par exemple en écrivant un scénario de bande dessinée ou en étant commissaire d’une exposition articulant art médiéval et art contemporain. Quant à l’« appropriation », elle est bien sûr ambivalente et chargée de connotations morales et politiques : au risque parfois assumé du militantisme, mais en cherchant toujours à trouver la bonne articulation entre science et engagement, plusieurs contributions prétendent distinguer les bonnes et les mauvaises appropriations du Moyen Âge (par les médiévalismes) et des médiévalismes (par les médiévistes). Dans ce dernier cas, le sujet toujours sensible du marquage des territoires disciplinaires n’est jamais loin.

5Au cœur des problématiques abordées par le colloque, celles qui touchent à la délimitation du médiévalisme sont en effet omniprésentes, en particulier dans la quatrième partie. Ce problème est, on l’a vu, inhérent à l’objet même, à la fois réalité socioculturelle et domaine d’études. La question des rapports institutionnels et disciplinaires entre études médiévales et études médiévalistes – les premières doivent-elles intégrer, voire annexer les secondes ? faut-il au contraire regarder la médiévistique comme une simple dimension du médiévalisme ? convient-il plutôt de les garder séparés ? – est abordée de front par Tommaso di Carpegna Falconieri, mais elle est présente en arrière-plan dans de nombreux chapitres. De fait, ce qu’on entend par médiévalisme peut différer d’une discipline à l’autre, au sein des études médiévales ou en dehors, car les approches, les méthodes et le contenu même du médiévalisme peuvent varier selon la formation des praticiens. En d’autres termes, le médiévalisme des médiévistes est parfois différent de celui des non-médiévistes – et cela concerne le phénomène socioculturel tout autant que le champ d’études : Martin Bostal montre par exemple que le médiévalisme « vécu » dans les associations de reconstitution historique est souvent le fait d’étudiants ou anciens étudiants en histoire ou archéologie médiévales. Or le médiévalisme des médiévistes n’est pas toujours le plus pertinent : Joanna Pavlevski-Malingre rappelle combien il est parfois nécessaire dans les études médiévalistes de mettre les hypotextes médiévaux à distance et de ne pas surestimer leur importance. La notion de « réplicateurs », que William Blanc emprunte au sémioticien Gérard Chandès, est des plus éclairantes. De fait, chez les bédéastes comme chez les concepteurs de jeux vidéo ou les auteurs jeunesse, et même chez les reconstituteurs soucieux d’authenticité, la référence – la « source », pour parler comme ces derniers – est tout aussi médiévaliste que médiévale, le même casque viking étant répliqué à l’infini dans tous les festivals.

6On finira donc en soulignant le fait que, sur les vingt-six contributeurs, plus des trois quarts sont des médiévistes : cela est parfaitement logique vu le thème du colloque, mais les voix des non-médiévistes, qui sont venus au médiévalisme par le biais de la littérature contemporaine ou à travers une pratique (par exemple celle de l’enseignement), pourront sembler quelque peu noyées, voire discordantes ; elles apportent en tout cas un contre-point bienvenu. On notera aussi que la moitié des contributeurs sont des historiens, les archéologues, historiens de l’art et littéraires étant donc moins représentés – un fait en soi intéressant, car il montre que, si le médiévalisme est plutôt né du côté des études littéraires, nombre d’historiens s’en soucient et ne craignent plus de l’intégrer à leur réflexion. On nous permettra de nous en réjouir.