Introduction

1Le paysage du transport urbain dans la plupart des villes algériennes s’est transformé après le désengagement de l’État et la libéralisation du marché des transports en 1988 (Boubakour et Bencherif, 2013), puis son réengagement à travers les EPIC dans les années 2000. Il se caractérise aujourd’hui par la coexistence d’un réseau public structurellement organisé et d’un réseau artisanal auto‑organisé (Lammoglia, 2013).

2Ce travail qui porte sur Mila, ville moyenne du nord-est algérien, se base sur une enquête réalisée auprès de 923 citoyens, pour montrer les spécificités et les limites du système de transport collectif de la ville, composé essentiellement de deux réseaux.

1. Un réseau privé artisanal dense (qui regroupe près de 160 opérateurs), à caractère atomisé (Godard 2008), relativement flexible, fonctionnant sans horaire ni fréquence fixe (Wilkinson et al., 2012 ; Behrens, McCormick, et Mfinanga 2016) et qui, malgré le décalage entre planification urbaine et planification des transports (Baouni, 2008), arrive à proposer un service adaptable qui suit quelque part les évolutions de l’agglomération (Wester 2018), comme c’est le cas dans plusieurs villes en Afrique et en Amérique latine (Beyer 2012 ; Meshesha Fenta, 2014 ; Lesteven et Boutueil, 2018).
   Il s’agit d’un réseau venu satisfaire un besoin important en mobilité lors de l’épisode de désengagement de l’état de la gestion du transport urbain, via une offre abondante. Cependant, la prolifération excessive (Boubakour, 2006 ; Chabane, 2014) du nombre d’opérateurs en son sein, et la logique de rentabilité qui régit son fonctionnement, constituent de véritables éléments de blocage qui freinent l’évolution et l’optimisation du système et ralentissent le développement de rapports de complémentarité et de concurrence avec le réseau public.

2. b-Un réseau public institutionnel (Godard, 2001), structuré et régulier, mis en place environ 20 ans après le réseau privé, afin d’assurer une mission abandonnée de service public (Lombard et Zouhoula Bi, 2008) et qui ne faisait pas partie des priorités des opérateurs privés. Il supporte des contraintes spatiales et organisationnelles qui peuvent constituer un danger pour la stabilité de son modèle économique.
   Nous montrerons en quoi cette organisation hybride ne répond que partiellement aux besoins de mobilité des habitants de Mila et dégagerons un certain nombre de pistes d’amélioration susceptibles d’être transposées dans d’autres agglomérations algériennes de même taille.

1 - Une approche empirique au service de l’analyse de la performance des transports collectifs

1.1 - Un réseau influencé par la topographie et la croissance urbaine

3Chef-lieu de wilaya depuis le découpage administratif de 1984, la situation de Mila au cœur d’une cuvette entre djebel Marechou et djebel Sgaou (photo 1), sur un terrain à fortes pentes (5 à 15 %), au relief très accidenté (fig. 1), ne l’a pas empêché de s’étendre sur près de 2 000 ha et d’accueillir 75 000 habitants (dont la plupart installés après 1984), et de se doter d’un système de transport collectif très diversifié, aux composantes plus ou moins planifiées.

4Cette promotion administrative a provoqué une forte croissance urbaine, métamorphosant la ville sous forme d’étalement le long des grandes artères routières, dans la limite de ce que permettaient les contraintes naturelles (ravins, pentes.). L’offre actuelle de transport en commun (TC) est le résultat de cette évolution.

5En l’absence de mécanismes d’optimisation de la coproduction urbanisme-transport, un déséquilibre spatial est apparu dans le domaine des équipements et des services générateurs de flux, principalement regroupés en centre-ville (fig. 2).

1.2 - Coexistence de services de transport publics et privés

6Ainsi, Mila est une ville toujours en expansion et très dépendante de son hypercentre. Cette forme de monocentralité plurifonctionnelle a un impact direct sur les pratiques de déplacements des Mileviens, et par conséquent, sur la configuration et la structuration des flux et des itinéraires des services de transport publics et privés.

7En effet, le réseau de transport artisanal, de forme étoilée, est composé de neuf lignes rectilignes relativement courtes, qui ne se croisent pas et qui ont toutes une extrémité en centre-ville. Ce type de réseau est organisé de façon à permettre une agrégation des flux et une réduction des coûts (Cordeau, 2014), ainsi qu’une desserte rapide et fréquente (Zembri, 2005) de l’hypercentre afin de répondre aux besoins de déplacements pendulaires tout en assurant une rentabilité maximale des services (fig. 3).

8Sur ce réseau opérationnel depuis le début des années 90, la desserte est assurée par 153 opérateurs (petites entreprises fonctionnant selon le modèle propriétaire-chauffeur), via des minibus d’une capacité de 25 passagers, effectuant des rotations selon la vitesse de remplissage en terminus, pour un tarif de 20 da/trajet (environ 0,13 €).

10La desserte sur le réseau public est assurée via un parc de 12 autobus pouvant transporter jusqu’à 100 passagers, effectuant des rotations régulières à intervalle temporaire fixe, pour un tarif de 15 da/trajet (environ 0,10 €).

11D’autre part, une lecture plus approfondie des données permet rapidement de s’apercevoir que le réseau privé propose une desserte conséquente uniquement dans l’hypercentre, les quartiers les plus anciens et les plus peuplés, et autour des grandes artères routières ; et que dans plusieurs zones de la ville, la desserte est très faible. Le réseau public, qui peine à trouver un modèle de développement adéquat, ne parvient pas à compenser ce déficit, notamment en zones d’interquartiers et dans les nouvelles extensions à l’ouest de la ville. La figure 4 est une cartographie résultant de la superposition de tampons de 300 m appliqués à chaque itinéraire pour définir les zones de desserte (distance moyenne domicile-arrêt considérée comme acceptable pour un transport urbain par bus). Ainsi, les zones les plus foncées correspondent aux espaces les mieux desservis par l’offre publique et privée de transport en commun.

12En l’absence d’une autorité organisatrice des transports urbains à Mila (malgré l’existence du cadre réglementaire permettant sa création), les missions de régulation, d’organisation et de contrôle de l’activité au sein de ce système de transport urbain sont en grande partie assurées au niveau local par la direction des transports de la wilaya. Cependant, le cadre institutionnel permettant et exigeant parfois la consultation du ministère des Transports, des collectivités et de plusieurs administrations locales, rend difficile l’instauration d’un mode de gouvernance efficace et peut être source d’inertie et de retards (Chabane, 2014).

13En réalité, c’est à travers la direction des transports de wilaya que l’entreprise publique est en train de subir le diktat de l’administration centrale qui, devant une société civile très silencieuse (Lestevens et Boutueil, 2018), s’inscrit face aux pressions des opérateurs privés dans une logique d’achat de la paix sociale (un bras de fer est engagé par les opérateurs privés qui refusent à l’entreprise publique l’intégration de bus sur leurs itinéraires, la création de nouvelles lignes et le développement de la taille de son parc roulant).

1.3 - Comprendre la mobilité pour évaluer la capacité des TC à répondre aux besoins

14La performance territoriale des réseaux de transports en commun repose sur leur capacité à répondre aux besoins de déplacements des habitants. L’analyse de la mobilité quotidienne à Mila et de la place des transports collectifs dans les comportements de déplacement s’avère donc essentielle. Pour cela, nous nous appuyons sur les résultats d’une enquête de terrain réalisée entre septembre 2018 et janvier 2019 auprès de 923 Mileviens.

15Une enquête pilote réalisée début 2018 (Adjeroud et al., 2019) avait montré la nécessité de conduire une investigation plus approfondie. En effet, une différence relativement importante a été observée entre les résultats des indicateurs de mobilité tirés des rapports du plan de circulation (Direction du Transport de la wilaya de Mila, 2014), et certains chiffres issus de l’enquête pilote de 2018 (tableau 1). Ce sont ces résultats qui ont orienté le choix des indicateurs produits et la construction du questionnaire de l’enquête approfondie.

16Ce travail ne se substitue pas à une enquête ménage-déplacement. L’enjeu est de relever des indicateurs spécifiques sur la mobilité des usagers à Mila, leur connaissance de l’offre et leur satisfaction par rapport au service fourni dans le but d’évaluer les performances du réseau de transport urbain milevien et d’avoir une vision plus claire sur les aspirations des habitants.

18La structure de l’enquête est conçue de façon à s’adapter aux exigences locales. Il est en effet difficile d’obtenir certaines données, notamment en ce qui concerne les ménages (Guentri et Boubakour, 2013), leurs caractéristiques socio-professionnelles, leurs revenus, etc.

19Les entretiens ont été réalisés en face à face, sur un territoire divisé en 19 zones, en tenant compte de la configuration naturelle du terrain, du fonctionnement socio-spatial des zones, et de la répartition conventionnelle des quartiers adoptée par Algérie Poste, dans le but de créer des districts morphologiquement et fonctionnellement homogènes.

20Étant donné que les questions portent sur les déplacements de la veille, les entretiens ont eu lieu entre le lundi et le vendredi pour éviter le recensement des déplacements du week-end (vendredi et samedi). Les questionnaires ont été structurés en quatre parties de manière à inclure :

• les informations personnelles et sur la motorisation ménage ;

• les informations sur la connaissance de l’offre de transport et sur les niveaux de satisfaction des usagers ;

• les pratiques de déplacement ;

• les opinions et les recommandations.

22L’observation de terrain nous permet d’estimer qu’il y a une homogénéité en matière d’occupation des constructions à usage d’habitation individuelle. Le calcul d’un taux universel d’occupation par construction (TOC = [habitants de Mila – habitants des ensembles collectifs] / nb de constructions individuelles) permet enfin de déterminer le nombre d’habitants dans l’individuel et le total par zone (tableau 2). Ce taux (5,82 habitants/construction) paraît relativement élevé par rapport au taux d’occupation par logement collectif parce qu’il y a beaucoup de constructions individuelles abritant plusieurs ménages (immeuble familial).

23Dans le quartier Benmaamar, à titre d’exemple, 89 logements collectifs sont recensés par la Direction du logement et 392 constructions à usage résidentiel individuel ont été repérées lors de ce travail. Sur la base des ratios fixés (4,43 et 5,82), le nombre d’habitants dans ce quartier est estimé à 2 676.

24La taille et la répartition de l’échantillon d’enquête par quartier sont ensuite définies à travers un échantillonnage empirique par quotas.

25La figure 5 montre la taille et la répartition spatiale de l’échantillon en amont (taux objectif de représentativité de 1,5 % de la population mobile), en comparaison avec le nombre et la répartition des entretiens réalisés (923 questionnaires représentant 1,62 %). Cette différence résulte du recours à l’aide d’une personne de sexe féminin au cours de l’enquête pour préserver la diversité de l’échantillon (pour des raisons culturelles, c’est souvent un homme qui ouvre la porte du domicile lorsqu’un visiteur masculin se présente).

26Cette répartition des tâches sur la durée de l’enquête fait que, selon le rythme et le nombre de questionnaires remplis par chacun des deux enquêteurs chaque jour, de légers décalages et dépassements de seuil sont apparus dans la plupart des quartiers.

27La population enquêtée est constituée de 54,4 % d’hommes et de 45,6 % de femmes, contre une proportion réelle de 50,42 % d’hommes et 49,58 % de femmes. Par ailleurs, la population de l’échantillon est très jeune, ce qui reflète la structure démographique de la ville et du pays. Plus de 75 % des personnes enquêtées ont moins de 40 ans (fig. 6).

28La figure 7 porte sur la composition socio-professionnelle de chaque quartier. Les personnes exerçant leur activité en libéral sont davantage présentes dans l’hypercentre (vocation commerciale) et les quartiers attenants (Sidi Bouyahia, Benalah, Vieux Mila) tandis que les salariés se concentrent dans les quartiers où l’habitat collectif domine (240 logements, DNC, Sennaoua inférieur).

2 - La place des transports collectifs dans la mobilité à Mila

2.1 - Structuration spatiale et temporelle des déplacements quotidiens

29La moyenne du nombre de déplacements quotidiens à Mila, calculée à partir du recensement de tous les déplacements réalisés par les enquêtés la veille de l’enquête (question directe exigeant une réponse détaillée), s’élève à 2,62 déplacements/personne/jour, ce qui semble être plus important que dans les grandes villes du pays, y compris à Alger où le niveau de mobilité était estimé à 1,69 déplacement/personne/jour (EMA/BETUR & CNEAP, 2004). Ceci est fort probablement lié aux caractéristiques morphologiques des villes moyennes, dans lesquelles les distances sont réduites, et aux conditions de déplacement plus fluides.

30Il faut également noter que les déplacements à pied de moins de 300 m à l’intérieur des quartiers (distance moyenne considérée comme acceptable pour rejoindre un arrêt de transport en commun) ne sont pas recensés. Les explications de l’enquêté permettent dans la majorité des cas d’avoir une estimation fiable de la distance parcourue.

31Au niveau des quartiers, le nombre de déplacements a tendance à diminuer lorsqu’on se rapproche du centre : les déplacements interquartiers ne sont pas indispensables, et une grande partie de la population se contente d’une circulation de proximité (fig. 8).

32Cependant, une tendance, plutôt familière, domine les pratiques de mobilité tout au long de la journée (fig. 9), avec des pics de déplacements aux heures de pointe (le matin vers 8 h 00 et l’après‑midi entre 16 h 00 et 17 h 00) qui coïncident avec les déplacements pendulaires domicile‑travail et domicile‑lieux d’études, plutôt favorables aux transports collectifs. Comme beaucoup de personnes, notamment les élèves et les actifs, rentrent à leur domicile pour la pause-déjeuner (spécificité des villes moyennes et petites), une augmentation (moins importante) du nombre de déplacements est observée à midi.

33En soirée, les mouvements deviennent rares, notamment après 18 h 00-19 h 00. Les usagers qui se déplaçaient très peu la nuit dans les années 1990 pour des raisons sécuritaires peinent à changer leurs habitudes, renforcées par le manque d’activités culturelles (fermeture puis reconversion de la salle de cinéma, calendrier très léger des salles de spectacles, etc.) et de dynamique économique nocturne (commerces et restaurants qui ferment tôt, sauf en été et pour les périodes de fêtes).

34Les opérateurs de transport public et privé se sont systématiquement alignés sur ces horaires (19 h 00 pour l’ETUSM, 18 h 00 pour la majorité des opérateurs privés, notamment en hiver), ce qui rend les mouvements encore plus difficiles le soir, et laisse la place à des taxis clandestins qui prennent le relais pour assurer des courses en soirée.

2.2 - Un budget de transport conséquent

35Le budget de transport est évalué par le niveau approximatif des dépenses mensuelles consacrées par l’usager à ses déplacements en milieu urbain, que ce soit en transport collectif ou en voiture particulière. La question « combien dépensez-vous approximativement par mois pour vos déplacements en ville selon vos pratiques les plus récurrentes ? » est posée aux enquêtés. Ces derniers sont assistés par l’enquêteur afin de parvenir à une estimation fiable des dépenses correspondant aux pratiques et au niveau de mobilité de chacun.

36À Mila, les usagers ont un budget médian de transport urbain de 1 500 da (10 €) par personne et par mois (fig. 10), ce qui représente 8,33 % du salaire minimum garanti (18 000 DA), et 3,66 % du salaire moyen en Algérie (41 000 DA selon l’Office national des statistiques).

37Logiquement, la population des quartiers éloignés du centre‑ville (Thenia, Sennaoua supérieur, 240 logements) a tendance à dépenser plus, avec des niveaux qui dépassent les 3 000 DA dans certains cas (fig. 11). Ce sont d’ailleurs les quartiers où l’on a rarement recours à la marche à pied pour circuler en milieu urbain, aussi bien à cause de la distance que du relief très accidenté, notamment au sud de la ville. L’usage des transports collectifs y est largement privilégié.

38Il faut noter, cependant, que dans les quartiers nord de Bensalah et Sidi Bouyahia, à proximité du centre‑ville, une forte concentration de professionnels indépendants (commerçants), qui se déplacent beaucoup et principalement en véhicule particulier, est apparue dans l’échantillon, ce qui influe sur la moyenne des dépenses.

39Les habitants des quartiers sud tels que Thenia et Sennaoua présentent des niveaux de satisfaction plus élevés par rapport aux tarifs des transports collectifs que dans le reste de la ville, car ils empruntent au même prix des itinéraires plus longs que ceux desservant les quartiers proches du centre-ville, et bénéficient d’une fréquence de passage beaucoup plus élevée en raison de la densité de population supérieure de ces quartiers. Ce qui n’est pas le cas par exemple pour le lotissement nord et le quartier Kherba, zones peu denses, principalement constituées d’habitat individuel, dont une grande partie est récente, et qui se trouvent loin des cités d’habitat collectif et des équipements générateurs de flux, ce qui diminue systématiquement la qualité et la diversité de l’offre TC, et par conséquent les niveaux de mobilité et de dépense par rapport aux autres quartiers périphériques.

40Globalement, 65,5 % des Mileviens se déclarent satisfaits de la tarification des transports collectifs. Une tendance qui se répète dans la majorité des quartiers, à l’exception de Châaba et Kamounia, qui ont subi une augmentation de tarifs sur leurs lignes malgré des itinéraires assez courts.

41Ces niveaux de satisfaction s’expliquent par une tarification qui reste dans la limite de l’acceptable à cause du prix du carburant très faible en Algérie (29 da/l (0,18 €)) et de la tarification plafonnée par l’opérateur public sur un seuil de 15 da qui ne permet pas aux opérateurs privés de rester compétitifs en cas d’augmentation importante de leur tarif.

2.3 - Des flux fortement polarisés, favorables aux TC

42La matrice origine/destination réalisée après le dépouillement des données de l’enquête a permis de créer une carte de flux sur laquelle nous pouvons visualiser l’impact de la monocentralité polyfonctionnelle à travers les flux très importants polarisés par le centre-ville. La même carte révèle une mobilité périphérique non négligeable, dont le développement est freiné par la structure étoilée du réseau de transport collectif (qui rend les déplacements périphériques plus compliqués). Les flux les plus importants se polarisent sur les quartiers administratifs (fig. 12).

2.4 - Une part modale des TC majoritaire malgré une forte motorisation des ménages

43Le taux de motorisation des ménages à Mila s’élève à 68,25% (fig. 13), un taux relativement élevé si on le compare aux autres pays africains. Cependant, il convient de noter que le taux de multi-motorisation reste limité à 15,87 %, loin de celui des pays du nord (presque 40% en France), ce qui se répercute sur la part modale, puisque l’usage de la voiture ne représente que 25 % des déplacements effectués.

44Globalement, les transports en commun (bus privés et publics) représentent le moyen de déplacement le plus utilisé (38,75 %). La part de la marche à pied reste importante (32,44  ), alors que l’usage de la voiture est estimé à 25,44 % (fig. 14) (7 % de plus que l’estimation du rapport du plan de circulation (Direction du Transport de la wilaya de Mila, 2015). Le recours aux deux roues est faible à cause du relief très accidenté de la ville. Ces données démontrent à quel point le développement d’une offre de transport en commun efficace à l’échelle de l’agglomération est un enjeu majeur.

45La marche à pied domine dans les quartiers à proximité du centre où l’usage des transports en commun est très réduit, tandis qu’en périphérie les transports en commun priment, notamment à travers l’offre privée (fig. 15).

46Par ailleurs, en observant les motifs de circulation on remarque que 63 % des déplacements effectués à Mila sont considérés comme obligatoires (travail ou études). Cette situation est généralement favorable aux transports collectifs, réguliers et répétitifs. La part des déplacements pour loisirs ou visites est respectivement limitée à 8 % et 6 % (fig. 16).

47À l’échelle des quartiers, la distribution des taux est relativement similaire (fig. 17). On remarque que les déplacements pour achats sont très rares en centre-ville et au Château d’eau (très proche du centre-ville) à cause d’une activité commerciale très polarisée. Inversement, la structure en étoile des lignes de transport collectif favorise le report TC entre la périphérie et le centre pour raison d’achat.

3 - Quelles perspectives d’amélioration des services de transport collectif ?

3.1 - Renforcer la connaissance du réseau de transport public

48Le niveau de connaissance du réseau de transport collectif chez les usagers est calculé sur la base d’une moyenne globale des notes obtenues par les enquêtés dans chaque zone. Il s’agit d’une note sur cinq points correspondant à une échelle qui va de un (très mauvaise connaissance) à cinq (très bonne connaissance), attribuée par l’enquêteur à chaque personne qui répond correctement à deux séries de cinq questions (une série de questions sur le réseau public et une autre sur le privé) choisies préalablement par l’enquêteur (concernant les itinéraires, la localisation des stations, le tarif, la congestion et la qualité de service) et permettant d’évaluer sa connaissance du réseau.

Réseau public

49Globalement, les Mileviens affichent un niveau de connaissance acceptable du réseau public de transport collectif, avec une dégradation constatée dans la cité 240 logements. Sur le plan spatial, le niveau de connaissance du réseau est très différencié, notamment entre les secteurs Est et Ouest de la ville. La connaissance est bonne en centre-ville, au Vieux Mila et dans les quartiers Est, qui sont les plus anciens et qui ont subi les plus grandes opérations d’urbanisation planifiée. L’habitat collectif et les équipements sont plus nombreux, et la demande de transport à satisfaire est plus importante, ce qui a rendu les itinéraires de desserte de ces quartiers plus rentables et a favorisé leur développement.

50La situation est plus difficile à l’ouest de Mila, parce qu’une seule ligne du parc très limité de l’ETUSM dessert cette zone (quartier Kherba uniquement) avec une faible fréquence de passage, ce qui pousse les habitants à faire le choix du réseau privé, plus ancien, plus connu et plus développé.

Réseau privé

51Contrairement au réseau public, il y a une bonne connaissance du réseau privé de transport collectif dans la ville de Mila. Sans surprise, étant donné la structure du réseau (étoilé, avec des terminus qui se situent tous dans l’hypercentre), le centre-ville (mais aussi dans le quartier Lotissement Nord/Tyayba) émerge positivement, tandis que la cité des 240 logements (quartier excentré situé en dehors de l’agglomération) affiche des résultats dans la limite de l’acceptable (fig. 19).

52Ceci est principalement dû au fait que le réseau privé de transport collectif présente une offre, une couverture spatiale et une fréquence de passage beaucoup plus importantes que le réseau public et que les opérateurs privés étaient les seuls à opérer sur le territoire depuis le début du déploiement du réseau dans les années 1990, jusqu’à l’introduction du réseau public en 2012 (puis du service de taxis). Pendant longtemps cette option était la seule disponible, avec la voiture particulière, ce qui a créé une forme de familiarisation systématique.

3.2 - Améliorer la qualité de service de l’offre privée

53Le niveau de satisfaction du réseau de transport collectif chez les usagers est calculé sur la base d’une moyenne des notes que les personnes enquêtées s’attribuent. Il s’agit de donner une note sur quatre points, correspondant à une échelle qui va de 1 (très insatisfait) au 4 (très satisfait).

Réseau public

54Globalement, les enquêtés à l’échelle de la ville sont « plutôt satisfaits » du réseau public de transport collectif. Cependant, au niveau des quartiers, quoique la partie la plus peuplée de la ville et la mieux desservie est « plutôt satisfaite », les habitants des quartiers de la zone ouest et nord, du fait de l’absence de lignes publiques de desserte, et de la fréquence de passage assez faible sur les lignes les plus proches, sont « plutôt insatisfaits » de la performance du réseau (fig. 20).

55En réalité, la méconnaissance de la structure du réseau chez les habitants provoque en partie l’insatisfaction dans la partie ouest de la ville (absence de desserte, fréquences faibles des lignes limitrophes).

Réseau privé

56Dans l’ensemble, les usagers du réseau privé de transport collectif sont « plutôt insatisfaits ». Le problème semble aussi bien fonctionnel que spatial. On remarque que les niveaux de satisfaction augmentent au centre-ville et dans les quartiers les plus peuplés et les plus lointains où la fréquence est importante et où les circuits deviennent plus longs (Sennaoua, Thenia, DNC...). À l’inverse, l’insatisfaction est de mise dans beaucoup de quartiers (10/19) aux alentours de l’hypercentre et dans les zones les moins denses (fig. 21).

57Mis à part les facteurs de confort, de qualité de service et de régularité, la configuration spatiale du réseau fait que la majorité des quartiers de la première couronne autour du centre‑ville sont d’une part positionnés au milieu des itinéraires, et d’autre part traversés par une seule ligne de transport collectif privé (voire aucune, pour la cité ESTE-Boutout). De ce fait, les habitants trouvent à la fois les itinéraires empruntés à partir de leurs quartiers trop courts et la structure du réseau peu optimisée, car ils sont obligés d’aller en centre-ville (généralement à pied en raison du rapport distance/prix) à chaque fois qu’ils essayent de rejoindre la majorité des quartiers de la ville en transports collectifs privés.

58Par ailleurs, les habitants des quartiers peu denses, généralement à vocation résidentielle (lotissement nord, Benmahdjoub et la cité 240 logements), gardent aussi un niveau de satisfaction des services privés plutôt réduit à cause des faibles fréquences de passage, des temps d’attente très longs aux terminus durant les heures creuses, et de pratiques peu professionnelles du personnel en charge du parc roulant.

3.3 - Perspectives d’amélioration de la performance territoriale des transports collectifs

59L’enquête a permis d’identifier, du point de vue des usagers, les points forts et les points faibles des deux réseaux de transport collectif, et de recenser les avis, les propositions et les attentes des enquêtés qui sont pratiquement tous liés aux points faibles identifiés.

Atouts et faiblesses des services de transports collectifs

60Les usagers ont répondu à deux questions ouvertes sur la performance et la qualité de service des deux offres de transport. Leurs réponses (positives ou négatives) ont ensuite fait l’objet d’une catégorisation pour être rattachées aux six principaux indicateurs de performance que l’enquête fait ressortir. La figure 22 représente l’ensemble des points forts et faibles de chaque réseau de transport selon les usagers.

61Le réseau public offre une plus grande régularité, une meilleure organisation, un confort supérieur et un personnel à bord plus agréable, mais propose moins de zones desservies et une faible fréquence de passage. À l’inverse, l’offre « artisanale » bénéficie d’une bonne fréquence de passage et d’une desserte spatiale relativement équilibrée (malgré l’obligation d’une correspondance en centre-ville pour tout déplacement périphérique). Elle apparaît cependant moins confortable, moins organisée, moins régulière et le personnel à bord est perçu la plupart du temps comme désagréable.

Attentes et propositions des usagers

62Le tri synthétique des réponses aux questions ouvertes sur les attentes des usagers révèle que des réponses techniques (conception des circuits, choix des gabarits…), financières (renforcement et renouvellement du parc roulant), mais aussi politiques sont attendues. Ce constat illustre une fois de plus le rôle insuffisant de la direction des transports de la wilaya de Mila (placée « malgré elle » dans la situation d’une autorité organisatrice des transports urbains), dans un contexte régi par les pressions socio-professionnelles qui conditionnent l’action publique. L’opérateur public est officieusement empêché de développer son réseau, car les intervenants privés défendent leurs circuits et logiques de fonctionnement par peur d’une concurrence ruineuse qui pourrait éroder leurs marges de profit (Gicheru, Migwi, et M’Imanyara, 2011).

63C’est la raison pour laquelle on retrouve ci-dessous plusieurs problèmes d’ordre technique, repris dans la case des préconisations politiques (tableau 3), car nécessitant un travail de concertation, de négociation, et la mise en place de mécanismes de gouvernance appropriés, permettant l’articulation la plus optimisée des relations entre les différents acteurs, principalement basées sur la compétitivité et la complémentarité des offres.

Des leviers d’action clairement identifiés

64Ce travail met en exergue les limites du réseau hybride de transport urbain à Mila qui peine à satisfaire les besoins des usagers, aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif, bien qu’il présente une offre diversifiée, avec la coexistence d’opérateurs publics et privés sur un même territoire.

65Au vu des résultats de l’enquête, il est clair que le niveau de desserte de l’offre publique reste largement insuffisant. Les citoyens déplorent un niveau et une qualité de desserte perfectibles, voire l’inexistence d’une liaison en transport collectif public dans certaines zones de la ville, ainsi que des fréquences de passages très faibles.

66Bien que les niveaux de desserte et la fréquence de passage pour le transport collectif privé ressortent en points forts du réseau, il est clair que le résultat global est influencé par la taille importante des échantillons d’enquêtés dans les quartiers les plus anciens et les plus peuplés, qui sont généralement les mieux desservis. Par ailleurs, dans plusieurs zones de la ville, la desserte est très faible, et la qualité de service et le confort des usagers restent très limités.

67De plus, les résultats mettent en évidence l’existence d’une rupture entre la configuration de l’offre et la nature de la demande. En effet, la matrice Origine-Destination montre que 20% des flux reçus et émis par l’hypercentre sont des escales permettant de transiter vers d’autres destinations en changeant de station en centre-ville et qui peuvent être supprimées en créant des liaisons directes « interquartiers ».

68Comme dans plusieurs pays en développement, le mode de fonctionnement à la demande du réseau artisanal, aux horaires flexibles (Adeniji, 1987), basé sur la rentabilité et conditionné par un taux de remplissage élevé à la station de départ, bien qu’il s’adapte bien aux variations de la demande, notamment en heures de pointe, sur les lignes les plus fréquentées, reste inadapté aux zones peu denses et sur les lignes les moins fréquentées, où les temps d’attente sont sensiblement prolongés.

69Enfin, l’offre de transport de l’ETUSM, qui tente de combler les lacunes du réseau privé, opère via un parc très restreint, demeure insuffisante et présente une grande vulnérabilité économique à cause du choix presque exclusif d’itinéraires peu rentables.

Conclusion

70À l’issue de ce travail, nous pensons que le réseau privé freine le développement du réseau public en monopolisant les itinéraires les plus rentables sur lesquels il offre un service plutôt performant en matière de fréquence, mais très limité en matière de desserte spatiale, de confort et de régularité. Alors que l’opérateur public, avec un confort plus acceptable et une desserte plus étendue, peine à trouver le modèle économique lui permettant d’assurer une autonomie et un développement de son offre qui est plus orientée vers la qualité de service et l’équité spatiale. La question de l’équilibre financier du service avait d’ailleurs été longuement développée lors d’un entretien avec le directeur technique de l’entreprise publique de transport urbain à Mila, qui parle d’une dépendance permanente de l’ETUSM aux subventions de l’État (Adjeroud et al., 2019).

71En réalité, contrairement à ce qu’avancent Cervero et Golub en 2007 sur la fragilité politique des opérateurs de transport artisanal, les opérateurs privés à Mila se trouvent plutôt en position de force ; et c’est à cause de ce rapport de force déséquilibré, de pressions sociales aux effets subis par l’opérateur public, et de l’absence d’un cadre réglementaire permettant un travail de concertation et une meilleure articulation du jeu d’acteurs dans le secteur des transports urbains qu’une forme de concurrence déloyale s’est instaurée. Cela empêche la collectivité d’optimiser le fonctionnement du réseau et donc d’améliorer de façon effective la couverture spatiale qui demeure insuffisante et de résoudre les problèmes qui se posent concernant la qualité de l’offre (sécurité, régularité, confort, pollution...) (Boubakour et Merzaga, 2006). Cette relation complémentarité / compétitivité semble déséquilibrée et a des répercussions très visibles sur les niveaux de connaissance de l’offre et sur la satisfaction de l’usager par rapport au service fourni. C’est la raison pour laquelle il nous semble indispensable de repenser la forme de coexistence public/privé et d’explorer des méthodes d’optimisation opérationnelle.

72In fine, cette analyse soulève des interrogations sur les relations entre les différents acteurs du système de transport urbain et les changements possibles des mécanismes de conception et de configuration de l’offre. Les visions des différentes parties concernant la configuration optimale du système ne se ressemblent pas, et c’est bien de la mise en cohérence des objectifs des différents acteurs du système de transport urbain dont il est question (Bavoux et al., 2005). Une réforme des modes de gouvernance dans le secteur des transports urbains dans la ville de Mila s’impose, notamment à travers le travail de terrain et l’intégration de la dimension participative de l’usager-citoyen dans le processus décisionnel.