Alexandre Grondeau, Altermétropolisation. Une autre vi(ll)e est possible
Alexandre Grondeau, (2022), Altermétropolisation. Une autre vi(ll)e est possible, Aix-en-Provence, La Lune sur le Toit, Hic et nunc collection, 337 p.
Full text
Innovation urbaine et métropolisation 3.0 : inventer d’autres modèles
1Dans cet ouvrage très dense, Alexandre Grondeau, par ailleurs romancier à succès, présente une synthèse des travaux qu’il a menés au cours des vingt dernières années en tant que géographe. L’HDR correspondante a été soutenue en 2021 à Aix-Marseille Université. En plus de la publication papier, cette œuvre bénéficie d’une plateforme numérique qui permet d’accéder à diverses ressources audiovisuelles (https://www.altermetropolisation.com/).
2L’objet de l’étude est la ville innovante, analysée sous l’angle technologique et social. L’auteur se fixe pour but de décrypter l’évolution des villes et métropoles à l’époque post-industrielle sous l’effet conjugué des révolutions technologiques et de leur contrepartie, résistance et innovation sociale. L’idée de départ est que la diminution de la capacité productive des villes a été compensée par divers mécanismes à l’origine d’un changement de modèle : la ville industrielle, partitionnée, programmée par les autorités, « subie » par les citadins-citoyens aurait cédé la place à une métropolisation 3.0 fondée sur les loisirs, les services à haute valeur ajoutée, l’entrepreneuriat et le tourisme, mais aussi le spectacle et les grands événements. Ce modèle assimilé au néolibéralisme serait amorti par des dispositifs en mode « alter » : conversion et réappropriation spontanée des espaces reliques, initiatives citoyennes, intégration spatiale et inclusion sociale contrebalancent la progression vertigineuse des inégalités pour rendre la ville plus résiliente et limiter la propagation des conflits. L’ altermétropolisation est définie comme étant « l’ensemble des actions et des territoires produisant de l’innovation sociale et constituant de facto une autre manière de fabriquer la ville actuelle ». La notion est « à la jonction des concepts d’innovation sociale, de droit à la ville, de biens communs et de zones autonomes temporaires ». La perspective est plus restreinte que celle proposée précédemment (Géographie urbaine, Hachette, 2020, co-écrit avec Guy Burgel) : « formes de métropolisation qui conserveraient l’accumulation économique, sans les désavantages des inégalités sociales ».
3Alexandre Grondeau adhère à l’idée que villes et métropoles sont engagées dans un processus de renouvellement profond où l’image domine. À l’âge post-industriel, le symbole l’emporte sur le réel, les territoires showroom supplantent les quartiers, et l’univers digital triomphe de la matérialité analogique.
4Ce livre comporte deux parties principales divisées en sept chapitres précédés d’une introduction charpentée.
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L’introduction est héritée de l’exercice d’HDR. L’auteur y retrace son itinéraire intellectuel et expose son positionnement épistémologique et philosophique. De multiples concepts sont abordés et définis, ce qui permet de lever nombre d’ambiguïtés liées à la polysémie des nombreux néologismes et anglicismes.
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La première partie porte sur l’innovation technologique. De nombreux exemples de villes start-up, créatives, innovantes, smart, technopolisées ou siliconisées sont passés en revue. L’exposé révèle la variété étonnante des initiatives soutenues par les métropoles qui ont relevé le défi de la modernisation compétitive. La stratégie de développement sur fondement « communication-technologie » s’est révélée bénéfique dans de nombreux cas, sans résoudre complètement les défis posés par une désindustrialisation massive. Numérisation des services, ubérisation, labellisation et événementialisation sont parmi les thématiques couvertes.
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La seconde partie traite de la dimension sociale de l’altermétropolisation. Alexandre Grondeau aborde ici le nouveau droit à la ville, les biens communs urbains, l’économie sociale et solidaire, puis il approfondit son propos à travers l’examen de deux catégories d’initiatives : l’innovation de compromis - qui s’arrange avec les autorités pour négocier son acceptation sociale et spatiale- et l’innovation radicale - qui s’inscrit en rupture avec le système dominant.
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La conclusion reste très ouverte. Elle soulève notamment la question de l’essoufflement du modèle innovant-technologique, en passe d’atteindre ses limites.
5Cet ouvrage très structuré et remarquablement bien écrit servira de référence aux lecteurs, en particulier étudiants, intéressés par une grille d’analyse originale des mutations urbaines récentes. Pour illustrer ses propos autant que nourrir ses recherches, l’auteur se réfère à des exemples variés, dispersés à travers le monde : Bangalore, Nice Sophia-Antipolis, Singapour, Marseille, Paris, Copenhague, Lisbonne et la Silicon Valley. La réflexion est très internationale et le prisme assez fondamentalement (franco-)anglo-saxon, notamment à travers les références bibliographiques.
6La cartographie est dressée sous un double angle d’attaque micro/macro. Les échelles intermédiaires sont sous-représentées, mais ce choix fait corps avec la thématique : le développement métropolitain se pense désormais essentiellement en référence au local et au global. L’analyse hérite ainsi des défauts de l’urbanisme contemporain, à savoir l’incapacité des métropoles à exister comme ensembles cohérents, en particulier d’un point de vue institutionnel. On peut aisément valider, avec Alexandre Grondeau, que la cité est un processus, extrêmement puissant, plutôt qu’une forme, aux contours flous. La cartographie des périmètres expérimentaux de la ville innovante couvre donc des territoires restreints, enclaves ou exclaves.
7La pensée de l’auteur se veut universaliste, téléologique, et progressiste. Les prises de position politiques sont clairement assumées, mais les propos sont mesurés et les positions contradictoires considérées avec attention. L’auteur a pleinement conscience que les sujets qu’il aborde sont particulièrement polémiques. Sur le fond, Alexandre Grondeau adhère à l’idée que la ville se transforme à travers l’innovation. Ceci l’amène peut-être à sous-estimer l’importance des pesanteurs : les révolutions technologiques peuvent se cumuler en couches successives, mais le substrat, élément fondamental de stabilité, évolue beaucoup plus lentement. Les territoires-vitrine focalisent l’attention et flattent les valeurs à la mode, mais les espaces périurbains et productifs de la métropolisation 1.0 et 2.0 sont invisibilisés. Les grandes masses citadines sont éclipsées.
8Qu’il nous soit permis de soulever trois questions qui débordent du cadre de cette HDR, adressées à la géographie française en général, sous forme d’invitation à l’élaboration de recherches futures :
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On ne peut ignorer que la révolution techno-sociale s’est déployée dans un contexte de financiarisation aigüe de l’économie et qu’elle s’est nourrie d’endettement. La ville nouvelle, numérique, résiliente, intégrative, durable, ludique s’est épanouie sur la spéculation (foncier-immobilier, en particulier), tout en rejetant les productions classiques (délocalisation-mondialisation). Le succès de la métropolisation 3.0 semble ainsi précaire, mais la contre-proposition altermétropolitaine ne s’en trouve-t-elle pas également fragilisée ? Le sort des villes innovantes qui concilient économie industrielle, croissance et promotion technologique (Suisse, Corée, Chine, par exemple), où la schizophrénie urbaine semble moins prégnante, est rarement étudié.
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Innovation et technologisation des métropoles sont souvent vues dans la littérature sous un angle institutionnel quasi -exclusif. Les territoires de la contestation sont presque toujours acceptés par les institutions qui leur concèdent une existence spatiale et temporelle limitée et/ou conditionnelle. Le jeu de ping-pong entre dissidence et formalisation légale est constant. Derrière ces compromis et les stratégies connues d’« achat » de la paix sociale, ne faut-il pas aborder de front les territoires réellement disruptifs et radicaux, ceux où se développe la logique de la violence ? L’altérité des opérations douces d’innovation culturelle menées par les autorités n’est-elle pas battue en brèche par une altérité autrement plus radicale, celle des gangs et quartiers de la Kalashnikov, qui se déploient sur des territoires métropolitains de plus en plus vastes ?
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Enfin, si le lien entre métropolisation et innovation technologique/sociale est désormais connu, la distinction entre espaces urbains et ruraux reste délicate. Technologisation et contestation sociale ne sont pas propres aux métropoles. L’exemple du mouvement des gilets jaunes est symptomatique d’une indistinction catégorielle. Les analystes ont souvent associé ce mouvement à une radicalité liée aux modes opératoires d’occupation des ronds-points en périphérie des villes. Cela fait-il des gilets jaunes un mouvement de contestation urbain, qui plus est radical ? Faut-il voir dans les ronds-points des lieux d’expérimentation politique et sociale ou plus simplement des lieux de lutte opérationnelle par défaut, les lieux centraux étant devenus des forteresses sécuritaires ? Avec ce mouvement de masse, on est loin de l’expérience expérimentale.
9Pour revenir aux termes utilisés par Alexandre Grondeau, on peut légitimement se demander si l’« alter » sous contrôle résistera encore longtemps au chaos organisé de la crise ambiante…
References
Electronic reference
Régis Darques, “Alexandre Grondeau, Altermétropolisation. Une autre vi(ll)e est possible”, Méditerranée [Online], Urban Spaces, Online since 13 June 2024, connection on 23 April 2025. URL: http://journals.openedition.org/mediterranee/15283; DOI: https://doi.org/10.4000/11ua9
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