1Parmi les métropoles étrusques, Vulci est peut-être celle sur laquelle pèsent encore aujourd’hui le plus les vicissitudes des fouilles, qui ont profondément conditionné la possibilité de reconstruire son histoire et d’apprécier convenablement son rôle dans le cadre plus large de l’Italie préromaine. De nombreux facteurs sont à l’origine de cette situation qui affecte la cité, l’une des plus étudiées et des moins connues du sud de l’Étrurie. Si d’une part les recherches convulsives menées depuis le XIX^e siècle à des fins antiquaires ont conduit à la destruction de nombreux contextes et à une immense dispersion de son patrimoine archéologique dans des musées et des collections du monde entier, d’autre part le pillage aveugle de ses nécropoles perpétré par des fouilleurs clandestins depuis les années 1950 a continué, malgré les tentatives de contrôle, à provoquer la diaspora systématique d’objets d’exception qui, décontextualisés, ont perdu à jamais leur statut de documents historiques pour ne devenir que de « beaux objets » destinés à enrichir des collections muséales ou privées, notamment à l’étranger.

2Pour ces raisons, l’École française de Rome et le secteur d’Etruscologia e Antichità italiche du Dipartimento di Scienze dell’Antichità de la Sapienza Università di Roma, avec le patronage de l’Istituto Nazionale di Studi Etruschi e Italici, ont organisé entre février et mai 2022 le cycle de rencontres Chroniques vulciennes : séminaire sur l’histoire des fouilles et des collections archéologiques dispersées / Cronache vulcenti: seminario sulla storia degli scavi e sulle collezioni archeologiche disperse, dans le but d’aborder le thème de la dispersion du patrimoine archéologique de Vulci, à travers la récupération de la documentation d’archives relative aux fouilles menées au cours des siècles passés et grâce à l’implication de chercheurs qui ont étudié ce sujet sous différentes perspectives.

4Les actes de cette manifestation sont publiés dans deux numéros des Mélanges de l’École française de Rome, historiquement liée au site par les importantes fouilles scientifiques de Stéphane Gsell en 1889 et les travaux ultérieurs de ses membres. Cette première livraison rassemble une série de contributions qui se concentrent principalement sur l’histoire des fouilles du XIX^e siècle.

5Après la préface éclairante de Francesco Buranelli, la première contribution d’Anna Maria Moretti Sgubini nous offre une introduction précieuse, fondée sur son expérience d’archéologue, de fonctionnaire en charge du territoire de Vulci, puis de surintendante. Son témoignage met en évidence les conditions requises pour aborder l’histoire complexe du site, si exploité depuis la fin du XVIII^e siècle. Cette chronique pour nos Chroniques montre que fouiller à Vulci implique de connaître les événements complexes de ces grandes entreprises archéologiques qui ont contribué à faire de la cité un point de référence pour l’étruscologie européenne. Il était nécessaire de dépasser ce plateau historiographique et de fournir, grâce aux multiples activités de recherche sur le terrain, d’étude, de valorisation et de protection, de nouvelles connaissances qui profitent aujourd’hui au domaine des études vulciennes.

6Les deux premiers articles entrent dans le vif du sujet : Christian Mazet propose, à la suite de l’important travail de Francesco Buranelli, une réévaluation de l’histoire et des découvertes des fouilles Bonaparte dans les nécropoles orientales, de 1828 à 1833, à partir des données largement inédites des archives Faina de Pérouse. La contribution de Stefano Bruni nous amène à suivre les nombreuses découvertes faites dans la région de Camposcala par les frères Candelori de 1828 à 1834, ainsi que les enchevêtrements historico-archéologiques et les réactions du milieu antiquaire liés à la redécouverte de la célèbre amphore d’Exékias du Museo Gregoriano Etrusco représentant Achille et Ajax jouant aux jetons. Il présente en particulier, grâce à l’étude d’une lettre retrouvée dans la correspondance de Bettino Ricasoli, le rôle joué dans cette affaire par le jeune Alessandro François, qui doit désormais être considéré comme l’un des découvreurs du célèbre vase du Vatican au printemps 1834. Pour clore cet itinéraire dans l’« âge d’or » des fouilles vulciennes, c’est-à-dire le deuxième quart du XIX^e siècle, Mariachiara Franceschini et Paul Pasieka s’intéressent aux disiecta membra des fouilles Campanari, en mettant l’accent sur leur dispersion sur le marché européen des antiquités, notamment à Londres, un thème qui sera également abordé plus en détail dans la deuxième livraison de nos Chroniques vulciennes.

7Au cours des décennies qui suivent l’unification, Vulci est au centre des problématiques de protection et des tentatives d’implantation dans le domaine de l’archéologie italienne des instituts étrangers, en particulier l’École française de Rome avec les fouilles Gsell, comme le souligne Filippo Delpino. Barbara Arbeid et Claudia Noferi développent l’histoire du matériel de Vulci arrivé à Florence à partir des années 1890, à la fois avec le projet de la Sala vulcente du Museo topografico dell’Etruria, avec les diverses négociations menées par Luigi Adriano Milani dont beaucoup sont restées inachevées, et avec la biographie d’objets singuliers acquis par le musée au début du XX^e siècle. Le nom de Francesco Marcelliani, figure de proue de l’archéologie vulcienne de l’époque, revient fréquemment dans ces affaires florentines, et est également au centre des deux derniers articles qui concluent ce numéro. Une série de documents du début du XX^e siècle permet à Alessandro Mandolesi de répertorier les sculptures funéraires en nenfro de la nécropole orientale présentes au château de Musignano, propriété de Torlonia, provenant des fouilles Bonaparte et Marcelliani. Vincent Jolivet et Benjamin Houal proposent un état de l’art et des perspectives de recherche sur la nécropole de Cavalupo, initialement fouillée par les Bonaparte mais dont le plan hellénistique est principalement connu par les fouilles Marcelliani de 1879 à 1884.

8Nous espérons que les Chroniques vulciennes pourront représenter une expérience pilote applicable à l’avenir à d’autres centres de l’Étrurie et de l’Italie antique, dont le patrimoine culturel doit être sauvegardé de toute urgence, dans la certitude également que la diffusion des résultats à différents niveaux est fondamentale pour la sensibilisation au problème de la dispersion de la mémoire et la prise de conscience des communautés locales. Ces dernières ont un rôle important à jouer en participant activement aux processus de protection et de valorisation du patrimoine.

9Nous dédions affectueusement cette initiative à Marcello Barbanera, qui a présidé avec enthousiasme et compétence la deuxième session des Chroniques et qui, en tant que président du Polo museale Sapienza, a accueilli avec grand intérêt l’organisation de l’exposition et l’a soutenue avec conviction.