• 1 Ventes Canino : 17-20 mars 1834, 08 mai 1837, 3-16 janvier 1840, 04 avril 1843, 22 avril 1845, 22  (...)
• 2 Vente Canino 1845, p. 4.

1Les fouilles de la fin du XVIII^e siècle et de la première moitié du XIX^e siècle sont pour la plupart faites par des particuliers et enrichissent des collections privées. Celles-ci, passant de main en main, alimentent un marché de l’art de plus en plus dynamique au cours du XIX^e siècle. Entre 1800 et 1848, plus de 130 ventes présentant des antiques sont organisées à Paris. L’examen, vente par vente et objet par objet, montre que le marché suit les découvertes archéologiques et l’évolution des goûts. Les objets sortis des fouilles de Vulci, en particulier celles menées par le prince de Canino à partir de 1828, sont ainsi rapidement vendus lors de multiples ventes aux enchères organisées à Paris entre 1834 et 1849, pour un total d’environ 1200 lots1. Elles rendent visible, avec les ventes Durand, Beugnot ou Magnoncour, la richesse des découvertes du début du XIX^e siècle. En 1845, l’avertissement du catalogue de la vente Canino regrette que : « Les fouilles en Étrurie semblent épuisées ; les tombeaux ne livrent plus rien à l’avidité des archéologues. » Mais il souligne la vitalité de la place parisienne : « Il faut le dire, cette mise en vente qui réunit une foule de sujets intéressants peut être considérée comme le dernier reflet de ces belles collections de vases vendues à Paris, depuis une dizaine d’années2 ! »

• 3 https://www.inha.fr/fr/recherche/le-departement-des-etudes-et-de-la-recherche/domaines-de-recherche (...)
• 4 Ces procès-verbaux sont conservés aux Archives de la ville de Paris (D21E3-D149E3).

3De manière à mieux reconstituer et appréhender le parcours moderne et la réception des œuvres issues de fouilles, un programme de recherche, initié en 2011 à l’Institut national d’histoire de l’art en partenariat avec le musée du Louvre3, se propose de recenser systématiquement les ventes comprenant des antiques qui se sont tenues à Paris au XIX^e siècle, et de dépouiller les catalogues ainsi que les procès-verbaux des ventes, rédigés par les commissaires-priseurs (fig. 1)4. Ces officiers ministériels, dont le statut a été défini à Paris par la loi du 18 mars 1801, sont en effet tenus de relever le nom des acheteurs, mais également les prix d’adjudication pour chaque objet ou lot d’objets passé sous leur marteau.

• 5 https://agorha.inha.fr/database/47.
• 6 https://ventesdantiques.inha.fr/ ; un carnet de recherche accompagne aussi le programme : https:// (...)
• 7 Vente Choiseul-Gouffier 1818 ; Vente Mainvielle-Fodor 1828 ; Vente Révil 1830 ; Vente Canino 1834  (...)
• 8 Vente Choiseul-Gouffier 1818 ; Vente Canino 1837 ; Vente Magnoncour 1839 ; Vente Pembroke 1839 ; V (...)

4Les informations sur les œuvres, mais également les prix, les vendeurs et les acheteurs notés dans les catalogues annotés ou les procès-verbaux sont collectées et croisées pour être mises à disposition des chercheurs dans un Répertoire des ventes d’antiques, intégré à la base de données de l’INHA, Agorha5, ou visualisées sur un site dédié6. Vingt-cinq ventes sont actuellement traitées, de celle de Choiseul-Gouffier en 1818 à la vente Tyszkiewicz de 18987. La datavisualisation Sur la piste des œuvres antiques, qui offre une cartographie de la trajectoire des œuvres, du site de création au lieu de conservation actuel, en intègre neuf à ce jour8. L’ensemble de ces données permet de reconstituer l’historique des œuvres conservées aujourd’hui dans les musées en retraçant la succession des différents propriétaires, mais également de recomposer l’histoire d’un site archéologique et de sa découverte en réunissant virtuellement les différents objets supposés en provenir.

• 9 Vente Signol 1850.
• 10 Sur l’histoire de ces fouilles, voir principalement Bonamici 1980 ; Buranelli 1995 ; Halbertsma 20 (...)
• 11 Gerhard 1831.
• 12 Raoul-Rochette 1829.
• 13 Bonaparte 1829, 1830.

5Pourtant, le lieu de découverte des objets archéologiques est évidemment loin d’être systématiquement indiqué dans les catalogues de vente ; la plupart du temps, il n’apparaît pas. Mais parmi les provenances qui sont citées, Vulci figure largement à la première place. En décembre 2022, sur les 7 000 œuvres répertoriées environ, presque 1 200 sont renseignées avec Vulci comme lieu de découverte. D’une manière générale, une grande partie des objets antiques qui apparaissent dans les salles de vente parisienne au XIX^e siècle provient d’Italie, sans que soit toujours précisé le site exact de découverte : plus de 3 000 dans notre base (l’indication est parfois générale pour la vente, voir par exemple le catalogue de la vente de la collection du marchand Armand Signol en 1850, ainsi titré : Catalogue d’une précieuse collection d’objets d’art et de curiosité […], antiquités grecques, romaines et byzantines, provenant d’une collection récemment arrivée d’Italie9). Souvent, une région est précisée : par ordre décroissant, Étrurie (env. 570 objets), Basilicate (env. 450 objets), Grande-Grèce (env. 275 objets), Pouilles (env. 60 objets), Sicile (env. 50 objets), Apulie (env. 20 objets)… Après Vulci, le second site est Nola, avec plus de 560 œuvres. En Étrurie, les autres sites apparaissent de manière sporadique : Bomarzo (18 objets), Chiusi (11 objets), Arezzo (8 objets), Tarquinia (7 objets), Cerveteri (3 objets)… Cette très large prééminence de Vulci est évidemment due aux découvertes de Lucien Bonaparte et Alexandrine de Bleschamp sur leurs terres de Canino dès 182810. On sait l’importance pour l’histoire de l’archéologie de l’apparition de ces milliers d’objets de grande qualité, vases grecs principalement, bronzes étrusques, bijoux en or, et le retentissement de ces découvertes dans le milieu archéologique. Eduard Gerhard, avec son rapport à l’Institut de correspondance archéologique en 1831, a permis de mesurer pour la première fois l’étendue du panorama dessiné par les découvertes des vases peints en Étrurie11 ; en France, dès décembre 1828, Désiré Raoul-Rochette faisait une allocution à l’Académie sur les vases de la collection Dorow découverts à Vulci, parue l’année suivante12. Lucien Bonaparte lui-même rédigea en 1829-1830 un catalogue en italien puis en français destiné à faire connaître les œuvres les plus marquantes, et aussi à préparer leur vente13. En effet, on l’a évoqué, ce patrimoine fut rapidement dispersé lors de ventes successives organisées à Paris en 1834, 1837, 1840, 1843, 1845, 1848 et 1849, pour un total d’environ 1 200 lots.

• 14 Archives de la ville de Paris, étude de Benoist-Antoine Bonnefons de Lavialle, D48E3 27.
• 15 Ibid.
• 16 Merlin 1946 ; Giroux 2002, p. 128-129.
• 17 Filippi 2004 ; Colonna – Bernard 2017.
• 18 Giroux 2002, p. 129.
• 19 AN, 20140044/11.

6Si le site était auparavant largement inconnu des collectionneurs et musées français, il acquit rapidement à Paris dans les années 1830 une certaine notoriété, due à la qualité des objets proposés lors des ventes Canino de 1834 et 1837, notamment les vases attiques qui devinrent particulièrement recherchés. Pourtant, les premiers objets de Vulci sont passés discrètement dans le marché parisien dès 1832 et 1833. Les premières mentions ont maintenant été repérées dans le catalogue d’une vente anonyme des 7-8 février 1832 ; le procès-verbal de la vente nous apprend que le requêteur de la vente est Théodore Moreau, dont nous ne connaissons rien14. La première section est consacrée à trente « vases en terre peinte », dont certains ont des provenances, notamment Canino pour huit d’entre eux et Corneto (Tarquinia) pour cinq autres. Le reste de la vente comprend d’autres objets antiques, des sculptures et des tableaux modernes. L’année suivante, les 28 et 29 mai 1833, dans une autre vente anonyme, six autres vases sont annoncés comme trouvés à Canino ; ils sont dans le catalogue à nouveau mêlés à treize vases dits trouvés à Corneto (Tarquinia) et vingt et un autres vases antiques, et vendus en même temps que 102 lots d’armes et armures. Si la vente est anonyme, le procès-verbal nous apprend qu’elle est faite pour le compte d’une veuve Thuillier ou Lethuillier15. Son mari était Jean-Baptiste-Édouard Lethuillier, personnage dont nous ne savons rien et qui, comme Théodore Moreau, ne semble pas avoir été lié au milieu des collectionneurs d’archéologie. Il est probable que dans les deux ventes ils aient agi comme prête-noms ; N. Plaoutine supposait que l’origine des vases de la vente de 1833 fût à rechercher du côté de l’archéologue romain Melchiade Fossati16, et c’est certainement aussi le cas pour la première, dont le catalogue est d’ailleurs titré Notice des antiquités, copies de l’antique, bronzes, tableaux, dessins, médailles, pierres gravées, etc, formant le cabinet de M. de F***. Fossati avait en effet participé à des fouilles à Vulci, avec les Candelori et les Campanari, comme à Tarquinia, avec Pietro Manzi. Il avait des attaches à Paris : il était marié à Marguerite-Geneviève Bissonnet, dont il eut une fille, née en 1833. On trouve aussi la trace de plusieurs ventes qu’il aurait conclues directement : un grand nombre de fragments provenant de Tarquinia au duc de Luynes en 1831-1832 et deux reliefs en terre cuite du même site en novembre 1832 au Cabinet des médailles17. L’hypothèse est donc plausible. Les vases Canino de la première vente ont été acquis par des particuliers : Edme Durand (quatre vases), James Pourtalès, Baptiste-Victor Rondel. Les antiquités sont absentes du procès-verbal de la seconde vente ; pourtant, selon le registre d’entrée du musée, le Louvre y a acquis quatre des six vases de Vulci et deux des vases de Tarquinia, sans doute de gré à gré (fig. 2)18. Une lettre de Léon-Jean-Joseph Dubois, directeur des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, au sous-directeur des Musées royaux, le 25 mai, indique qu’il était même intéressé par l’achat de plus de lots (neuf vases et quelques armures)19.

• 20 Un catalogue, conservé à La Haye (Rijksbureau voor kunsthistorische en ikonografische Documentatie (...)
• 21 Vente Canino 1834, p. vii.
• 22 Jenkins 1992 ; Detrez 2014 ; Detrez – Pic 2014.
• 23 Gerhard 1831, p. 117.
• 24 Vente Canino 1837, n^os 11, 59, 78, 83, 89, 94, 155, 246, 254, 283, 299.
• 25 Vente Magnoncour 1839, n^os 3, 24, 34, 40, 44, 49, 65, 122, 145, 149-150.
• 26 Amphore attique à figures noires, inv. L 978 ; psykter attique à figures rouges, attribué au Peint (...)
• 27 Copenhague, Nationalmuseet, Chr.VIII 320.
• 28 Mazet 2020. Il est cité dans le Rapporto de Gerhard dès 1831 comme un des principaux acheteurs de (...)
• 29 Vente Beugnot 1840, n^o 349, p. 118-119, non localisé.
• 30 Vente Pourtalès 1865 ; Vente Paravey 1879.

7C’est avec les ventes Canino que les objets de Vulci arrivent en nombre à Paris. La première vente de 1834 comprenait 83 lots pour 117 vases ; son procès-verbal n’a malheureusement pas été retrouvé20. On remarque que, comme lors des ventes précédentes, le terme « Vulci » n’apparaît pas ; le titre mentionne des « vases grecs provenant des fouilles de M. Lucien Bonaparte, prince de Canino » et l’en-tête indique « provenant des fouilles de Canino ». De même, la vente suivante en 1837 précise dans l’avertissement : « Il a été inutile d’indiquer les provenances de ces monuments, puisque tous ont été trouvés depuis 1828 dans l’Étrurie21. » Elle est plus importante que la première : ce sont alors 300 vases qui sont vendus, et le catalogue, rédigé par Jean de Witte, est bien plus précis dans ses descriptions. C’est la grande vente posthume de la collection d’Edme Durand en 1836 qui comprend pour la première fois la mention du site de Vulci, pour 388 œuvres (sur les 3 336 vendues)22. Sur celles-ci, quatre proviennent de la vente Fossati de 1832 et quatre de la vente Canino de 1834 ; les autres ont très certainement été acquises par le collectionneur lors d’un de ses nombreux séjours en Italie, effectués jusqu’à sa mort à Naples en 1835. Son nom apparaît d’ailleurs dans le Rapporto de Gerhard dès 1831 comme un des principaux acheteurs de vases de Vulci23. Enfin, 554 autres objets de la vente ont comme simple provenance « Étrurie ». Cela nous rappelle qu’à côté des salles de vente, les collectionneurs parisiens pouvaient bien sûr aussi acquérir des objets de Vulci auprès de collectionneurs, intermédiaires ou marchands en Italie, ou bien dans les boutiques des marchands parisiens. Une fois insérés dans le circuit du marché de l’art, il est fréquent que les objets se retrouvent de vente en vente, parfois de manière assez rapprochée ; ainsi, Flavien de Magnoncour achète sept vases attiques, trois candélabres en bronze et « un verre antique de couleur bleue » lors de la seconde vente Canino en 183724. Ils repassent tous sous le marteau deux ans après, quand Magnoncour se défait de sa collection d’antiques à la vente des 17-19 avril 1839. Le catalogue est alors rédigé par le même Jean de Witte ; le renvoi au précédent catalogue n’est pas fait, mais Vulci est indiqué comme provenance25. C’est Jean de Witte lui-même qui achète alors neuf des onze objets ; il vend cinq vases au collectionneur Antoine Vivenel, qui donne peu après sa collection pour fonder un musée dans sa ville natale de Compiègne26. Nous perdons la trace d’une coupe signée par Épictétos, du verre et des bronzes. L’amphore éponyme du Peintre de Copenhague est achetée par le marchand Rollin et vendue au roi Christian VIII du Danemark ; elle entre au musée national de Copenhague à sa mort en 1848 (fig. 3)27. La vente Beugnot de 1840 comporte elle aussi un certain nombre d’objets vulciens, acquis en partie en Italie par le collectionneur lui-même, qui se rendait volontiers sur les fouilles28 : ainsi, la notice d’un candélabre précise : « Ce monument a été trouvé le 27 février 1833, à Vulci dans une tombe ouverte sous les yeux de M. Le vicomte de Beugnot29. » Les deux dernières ventes à contenir un nombre significatif d’objets de Vulci, celles de Pourtalès en 1865 et de Paravey en 1879, ont été elles majoritairement composées sur le marché de l’art, et on y retrouve beaucoup d’objets Canino, Durand, Magnoncour ou Beugnot30.

• 31 Mazet 2022.
• 32 Vente Magnoncour 1839, n^o 38, p. 27-29.
• 33 Gerhard 1831, 368a, p. 150, 660, p. 171, 671I, p. 174, pl. AII9, 10, 14, 21.
• 34 Hirt 1833, p. 232-233.
• 35 BnF, département des monnaies, médailles et antiques, 202.

9De plus, tous ces chiffres sont à prendre avec prudence, car la fiabilité des données n’est pas toujours assurée. Le cas des ventes Canino est à part, puisqu’elles sont liées aux fouilles faites par Alexandrine et Lucien Bonaparte, et leur origine est la plus largement documentée par les publications et les archives Bonaparte31. Lors des autres ventes, l’ « étiquette » Vulci peut s’avérer erronée. La célébrité du site a pu inciter à le donner comme provenance à des œuvres issues d’autres sites, ou sans provenance connue. Dans la majorité des cas, la seule source est le catalogue de vente, et il est alors impossible de la considérer comme assurée. Quand la découverte a par ailleurs été publiée, on peut confirmer ou corriger la donnée. Ainsi, une amphore chalcidienne à figures noires avec Héraclès contre Géryon, attribuée au Peintre des inscriptions, figure dans la vente Magnoncour de 1839 et la notice du catalogue commence ainsi : « F. 16 (Amph. Tyrrh.). Peint. n. et violettes. Vulci. – Combat d’Hercule contre Géryon32. » Le collectionneur ne l’avait pas acquise lors d’une vente Canino, mais très certainement lors du voyage en Italie qu’il fit en 1832-1834. Or, les publications archéologiques contemporaines apportent quelques précisions. L’amphore est d’abord publiée par Eduard Gerhard dans son rapport sur les vases de Vulci de 1831, ce qui confirme la provenance33 ; le même archéologue, dans une note à un article d’Aloys Louis Hirt dans les Annali de 1833, précise même qu’elle faisait partie de la collection d’Agostino Feoli à Rome34. C’est peut-être directement auprès de lui que s’est fourni le collectionneur français. En 1839, à la vente Magnoncour c’est le marchand Rollin qui l’acquiert pour une forte somme (2 205 francs), sans doute comme intermédiaire pour le duc de Luynes. L’amphore est donnée avec le reste de sa collection en 1862 au Cabinet des médailles35.

• 36 Vente Magnoncour 1839, n^o 58, p. 46-48.
• 37 Paris, musée du Louvre, G 373.
• 38 Bullettino dell’Instituto di corrispondenza archeologica, 1831, p. 6.
• 39 Pottier 1897, III, p. 240.
• 40 Baglione 1976 ; Inventaire de la Commission auxiliaire des beaux-arts du Vatican, qui inventorie u (...)

10Au contraire, parfois, les sources extérieures infirment la provenance des catalogues de vente. Ainsi, lors de la même vente Magnoncour, un vase dont la notice indique Vulci a en fait été découvert à Bomarzo (fig. 5). Il s’agit d’une péliké attique à figures rouges avec l’enlèvement de Thétis, n^o 58 du catalogue : « F. 19. (Peliké). Peint. r. Vulci. – L’enlèvement de Thétis36. » Elle est achetée 981 francs par James-Alexandre de Pourtalès pour sa collection ; elle figure donc dans la vente Pourtalès de 1865 où elle est acquise par le musée du Louvre pour 1 000 francs37. Les véritables circonstances de sa découverte à Bomarzo par l’archéologue Ruggeri en 1830 avaient pourtant été signalées dès 1831 dans le Bullettino par Melchiade Fossati et Pietro Manzi38. Il y a ensuite eu une certaine confusion qu’Edmond Pottier raconte en détail dans son catalogue des vases du Louvre de 1897, car Eduard Gerhard lui a même indiqué dans ses publications Viterbe comme provenance, ce qui a fait croire un temps à l’existence de deux vases distincts39. La provenance a été encore assurée par les recherches de Maria Paola Baglione aux archives de la Commission des beaux-arts du Vatican : le vase est bien dans les listes du matériel de la fouille de Bomarzo40.

• 41 Cochet 1868.
• 42 Inv. 359, Vente Durand 1836, n^o 28 et Vente Beugnot 1840, n^o 2.
• 43 Inv. 359, Vente Durand 1836, n^o 263 et Vente Beugnot 1840, n^o 46.
• 44 Inv. 447, Vente Canino 1843, n^o 134.

11Il faut donc prendre ces mentions avec prudence, d’autant que leur signification n’est sans doute pas aussi nette que nous ne l’appréhendons de prime abord. En effet, la simple mention d’un site, « Vulci », « Nola », en tête des notices des catalogues de vente ne signifiait pas obligatoirement pour le rédacteur comme pour les lecteurs de l’époque la mention du site archéologique de découverte (fig. 6). Le souci de précision dans le domaine n’était pas très élevé : on a vu comme la mention des ventes Canino se contentent le plus souvent de dire que les objets proviennent de fouilles en Étrurie, car c’est la principale information considérée importante à l’époque. Cette imprécision des catalogues des ventes Canino a d’ailleurs, paradoxalement, occulté la provenance vulcienne des œuvres vendues, alors que le site est resté attaché aux œuvres passées dans d’autres ventes le citant explicitement. Par exemple, dans le catalogue du musée des Antiquités de Rouen, en 1868, on lit au n^o 18 « Vase peint, de Vulci », et au n^o 19 « Vase peint. Amphore tyrrhénienne, découverte à Vulci »41. Il s’agit des deux vases passés par les ventes Durand en 1836 et Beugnot en 1840 : une amphore attique à figures noires42 et un stamnos attique à figures rouges attribué au Peintre de Syriskos43. Par contre, au n^o 22 est indiqué : « Vase peint, en terre cuite, avec son couvercle, provenant des fouilles de l’Etrurie (n^o 134 du Catalogue du Prince de Canino, année 1843). » Il s’agit d’une amphore attique à figures noires attribuée au Peintre de Rycroft, qui a bien été trouvée à Vulci44.

• 45 Reinach 1891, p. ix.

12En fait, la grande question qui occupait à l’époque les savants est de savoir où ont été fabriqués ces vases que l’on savait maintenant grecs : avaient-ils été importés en Étrurie ? Et si oui, depuis la Grèce ou bien depuis une cité grecque d’Italie ou de Sicile ? Ou bien avaient-ils été fabriqués par des artisans grecs installés dans les cités étrusques ? Ainsi que le rappelle Salomon Reinach en 1891 dans son édition des recueils de Millin et Millingen, « on s’est efforcé de les classer par provenances, par écoles, d’introduire dans cette masse confuse de poteries un commencement d’ordre chronologique45 ». Il rappelle le jugement d’Otto Jahn dans le catalogue des vases de Munich de 1854, qui est le premier catalogue véritablement raisonné consacré à cette typologie d’objets :

• 47 Vente Canino 1843, n^o 24.
• 48 Vente Dubois 1847, n^o 15.
• 49 Vente Janzé 1866, n^o 119.
• 50 Vente Paravey 1879, n^o 50.
• 51 Inv. MNB 1697, G 240.

13On s’explique alors mieux les incohérences que l’on peut lire parfois au gré des passages de vente en vente : prenons une œnochoé attique à figures rouges, attribuée au Peintre de Dutuit, figurant dans la vente Canino de 1843 et qui passe ensuite dans trois autres ventes parisiennes en trente-six ans47. Elle a été achetée par le conservateur du Louvre Dubois 200 francs pour sa collection personnelle, et figure dans la vente posthume de la collection en 184748. Le catalogue est extrêmement succinct et ne mentionne aucun site. C’est alors le marchand Rollin qui l’achète pour 61 francs ; elle passe ensuite dans la collection d’Hippolyte de Janzé, vendue après sa mort en 186649. Le catalogue est aussi muet que le précédent sur une éventuelle provenance. Rollin l’achète à nouveau, pour 550 francs ; elle entre ensuite dans la collection de Charles Paravey. Lors de la vente posthume de sa collection en 1879, le catalogue mentionne à nouveau un site, Nola, qu’il faut alors comprendre comme une caractéristique de son style50. Elle est achetée par Félix Ravaisson pour le musée du Louvre pour 1 250 francs51.

• 52 Lenormant 1844a et b.

14Ces débats savants sur les lieux de productions avaient un écho en salle des ventes, car à l’époque les liens entre archéologie et marché étaient très forts, et archéologues, amateurs, collectionneurs, experts et marchands faisaient partie d’un même monde où tout le monde se côtoyait, se lisait et se connaissait. À titre d’exemple, le texte de l’allocution faite par Charles Lenormant en 1844 à l’Académie à propos des vases peints, qui fait le point sur ces différentes hypothèses, est publié la même année à la fois dans le premier numéro de la Revue archéologique et dans le troisième fascicule du Cabinet de l’amateur, la publication d’Eugène Piot destinée aux collectionneurs52.

• 53 Lausanne, musée cantonal d’archéologie et d’histoire, inv. 4017 ; notice : https://digitalmuret.in (...)

15Sur le marché parisien, et ce ne sera pas une surprise après les exemples déjà donnés, les objets de Vulci sont principalement des vases (plus de neuf sur dix), et parmi ces vases, ils sont à 95 % attiques ; on trouve quelques vases étrusques ou corinthiens, comme le petit vase plastique rhodien en forme de lièvre, aujourd’hui à Lausanne et à l’historique longtemps perdu (fig. 7). Ce petit vase a été acquis par le chevalier Durand, sans doute en Italie ; lors de la vente après décès de sa collection en 1836, il a été acheté par Flavien de Magnoncour, qui a vendu toutes ses antiquités trois ans plus tard. C’est alors Hippolyte Varnier, employé au ministère des Finances, qui s’en est porté acquéreur. Sa collection est à son tour vendue aux enchères en 1840 ; c’est peut-être à ce moment que le dessinateur Jean-Baptiste Muret l’acquiert (le procès-verbal qui l’attesterait n’a pas été retrouvé). Il est ensuite vendu par son fils Ernest après sa mort au banquier et numismate Arnold Morel-Fatio ; ce dernier l’a donné au musée de Lausanne, dont il est nommé directeur, en 186753.

• 54 Lissarrague 1992.
• 55 Mazet 2016.

16Parmi les vases attiques, la figure noire domine (plus de 60 %) par rapport à la figure rouge ; et dans les formes, l’amphore et la coupe représentent chacune un tiers de l’ensemble. Cette composition a une répercussion sur le faciès des collections formées sur le marché dans les années 1830-1840 : ainsi, les amphores attiques à figures noires dominent dans les fonds formés par Charles Panckoucke54 ou Antoine Vivenel55.

• 56 Achetés par James Millingen pour le British Museum, inv. 1837,0609.91 et 1919,0930.1
• 57 Vente Durand 1836, p. 425.
• 58 Lenormant 1833, p. 214.
• 59 Inv.56.114, 138, 139, 487, 489.

17La place et la typologie des vases sont à la fois représentatives des découvertes contemporaines (où les amphores à figures noires et les coupes attiques à figures noires et rouges abondent), mais aussi des choix des acteurs du marché. On trouve ainsi très peu de bijoux avec une provenance de Vulci, où l’on sait pourtant qu’ils ont été découverts en nombre. Il n’y en a aucun dans les ventes Canino ; Lucien Bonaparte et Alexandrine de Bleschamp n’ont pas inclus ceux trouvés dans leurs fouilles dans les ventes parisiennes (sauf une couronne funéraire en or, associée à un casque à la vente de 183756). Aucune provenance n’est donnée dans le catalogue pour les nombreux bijoux de la vente Durand ; une note en début de section indique : « Cette collection remarquable de bijoux provient presque en totalité des fouilles de l’Étrurie57. » Plusieurs notices renvoient toutefois à des articles publiés dans le Bullettino ou les Annali. Par exemple, les notices de plusieurs bijoux en feuille d’or au décor en relief repoussé renvoient à un même article de Charles Lenormant (qui a écrit en partie le catalogue Durand avec Jean de Witte) dans les Annali de 1833 ; une bague avec un couple qui s’embrasse (n^o 2147), une autre avec le char du Soleil (n^o 2148), une troisième avec un corbeau sur l’omphalos (n^o 2153), une bulle avec la naissance de Dionysos (n^o 2165), une autre avec trois personnages autour d’un cratère (n^o 2167), un collier avec quinze plaques (n^o 2169). Dans l’article de 1833, Lenormant mentionne que E. Durand possède un ensemble de bijoux trouvés à Vulci à la technique semblable : « M. Durand a réuni un grand nombre de ces objets, découverts presque tous dans le même tombeau58. » Les six bijoux de la vente Durand y sont évoqués. Cinq sont acquis par Raoul-Rochette pour le Cabinet des médailles (fig. 8)59. Mais comme la provenance n’est pas explicitement mentionnée dans le catalogue de vente, leur origine a le plus souvent été perdue dans les inventaires et dans les publications ultérieures.

• 60 Vente Durand 1836, p. 403.
• 61 Comme l’œnochoé de la vente Beugnot, n^o 155, non localisée.
• 62 Comme la sirène de la vente Beugnot, n° 198, aujourd’hui au Cabinet des médailles, reg. C.150.
• 63 Vente Canino 1837, n^o 233, achetés par le British Museum, 1837,0609.83.

18Pour les objets en bronze, on trouve dans les catalogues de vente plus de mentions de provenance, surtout pour les objets les plus prestigieux : des miroirs, des candélabres et des trépieds. Le trépied n^o 1884 de la vente Durand, aujourd’hui au musée de Berlin, est même un des rares objets pour lesquels la date de découverte est précisée : « Trépied découvert à Vulci, en 183360. » Enfin, pour terminer cette rapide typologie, on trouve encore quelques verres61, lampes, reliefs de terre cuite62, des haltères en plomb63, en très petit nombre.

• 64 Jenkins 1992.

19Si on regarde où se trouvent aujourd’hui les objets de Vulci passés par le marché parisien au XIX^e siècle, on constate que quelques musées en rassemblent une bonne partie. Le principal est le British Museum avec environ 30 % de l’ensemble. Cela s’explique par une politique d’achats très soutenue, dès la vente Durand de 183664 ; et c’est d’ailleurs une plainte récurrente des conservateurs français, qui ne peuvent rivaliser avec l’or anglais, de voir partir une telle quantité du patrimoine archéologique issu, sinon du sol français, du moins de collections françaises. Le musée britannique achète de manière habituelle grâce à des intermédiaires, comme Peter Oluf Brøndsted à la vente Durand de 1836, James Millingen lors de la vente Canino de 1837 ou encore Rollin et Feuardent à la vente Pourtalès de 1865 – ce qui peut parfois déconcerter les participants de la vente.

• 65 Oxford, CARC, archives Beazley, lettre de N. Plaoutine du 9 mars 1836.
• 66 Delepierre.ca .27 ; Plaoutine 1940, n^o 3, p.73.

20Les deux collections d’antiques de Paris recueillent respectivement environ 15 % des objets de Vulci passés par Paris pour le Louvre, et deux fois moins pour le Cabinet des médailles. Ces achats se sont effectués pour une part par les conservateurs directement en salle de vente, mais beaucoup sont entrés par le biais de collections, parfois longtemps après. On peut prendre l’exemple d’une hydrie à figures noires du groupe de Léagros, n^o 42 de la vente Canino de 1834, n^o 648 de la vente Durand de 1836, n^o 64 de la vente Signol de 1862 et n^o 56 d’une autre vente du même marchand Signol en 1866. On perd ensuite sa trace jusqu’à la vente Platt organisée à Paris le 25 mars 1936, qui disperse la collection du comte de Saint-Léon. Nicolas Plaoutine y reconnaît un vase Durand, comme il le signale à son ami John Davidson Beazley dans une lettre du 9 mars 1936 : « I now see that #90 is Durand 1836, n^o 648, and was sold to a certain Jarry in 1836 for 320 francs. This information is for you, because I would like, if possible, that this beautiful vase was purchased by you or the Louvre65. » C’est en fait le numismate Jean Delepierre qui l’a acquise lors de cette vente, et l’hydrie a été donnée avec le reste de la collection Delepierre au Cabinet des médailles par sa veuve en 196766.

• 67 Hirt 1833 ; Monumenti, I, 1829-1833, pl. LI.
• 68 Rumpf 1927, pl. 12 ; LIMC I, 1981, Achilleus, n^o 850, p. 182, pl. 140.

23Dernier point, d’importance : sur l’ensemble des œuvres répertoriées avec Vulci comme provenance, presque un tiers reste aujourd’hui sans localisation, une part énorme qui rappelle que le marché ne disperse pas uniquement, mais efface aussi les connaissances et fait entrer dans l’oubli de nombreux pans des collections anciennes. Parfois, seule la mention du catalogue de vente subsiste en témoin de l’existence de ces objets ; dans de rares cas, une illustration ancienne documente aussi ces antiquités perdues. Il peut s’agir de gravures publiées dans des revues ou ouvrages savants ; ainsi, cette amphore chalcidienne avec la mort d’Achille, achetée à la vente Pembroke de 1839 par Laurent Durand-Duclos, est revue à la vente Christies des 14-16 juin 1849 de la collection Hope, et nous perdons ensuite sa trace. Elle est uniquement connue par une gravure parue dans le premier volume des Monumenti accompagnant l’article d’Aloys Louis Hirt qui l’étudie (fig. 10)67. Grâce à ce témoignage illustré, l’amphore a été attribuée au Peintre des inscriptions, et elle est régulièrement prise en compte dans des publications savantes, comme le LIMC, plus de 150 ans après avoir disparu68.