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Le « jour d’après » : comment s’établit une nouvelle domination

Catherine de Médicis face au « jour d’après »

L’expérience de l’échec au service de la prise du pouvoir (décembre 1560)
Sophie Tejedor
p. 35-45

Résumés

Cet article analyse la manière dont, en décembre 1560, Catherine de Médicis parvient à se réserver la régence du royaume de France au nom de son fils, Charles IX. Après la crise politique et religieuse ouverte par le règne de François II, l’objectif est double pour la reine-mère : préserver l’autorité des Valois menacée par l’audace grandissante des protestants de France et rétablir un ordre civil indispensable à un retour en douceur à l’unité de la foi. Sous les regards d’une noblesse de cour espérant profiter du changement de règne, la veuve d’Henri II tire les leçons du règne précédent pour maîtriser ces « jours d’après » déterminants pour l’autorité royale. Convaincue, par expérience, qu’il n’y a pas d’outil politique plus profitable que le consensus, elle mène une habile politique de redistribution des charges et des honneurs. En dépit des oppositions auxquelles elle fait face, elle parvient alors à prendre le pas sur l’ambition des princes du sang, le désir de revanche des Grands et les revendications des États Généraux convoqués au même moment.

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Texte intégral

1Le 5 décembre 1560, alors que François II succombe à la fièvre qui l’affaiblit depuis près de quinze jours, sa mère, Catherine de Médicis, se tient prête pour le pouvoir. La minorité de l’héritier du trône, son deuxième fils Charles à peine âgé de dix ans, exige de recourir à une régence que la reine-mère a en effet déjà prévu de gérer. Le royaume vient pourtant de basculer dans une période périlleuse pour le pouvoir royal : après la mort d’Henri II en juillet 1559, le court règne de François II a déclenché la crise politico-religieuse ouvrant les troubles du second XVIe siècle français. Exacerbées par le jeune âge du roi – à peine âgé de 16 ans –, par l’exclusivité du pouvoir remis à ses deux oncles – le cardinal Charles de Lorraine et le duc François de Guise – ainsi que par la répression menée contre les protestants du royaume, les tensions latentes depuis la fin des années 1550 se sont ouvertement révélées en mars 1560 lors de la conjuration manquée d’Amboise. Perçu comme un seuil historique par les contemporains, l’épisode a déclenché de violents troubles dans la majeure partie des provinces. Interrompues par la maladie du roi, les premières tentatives d’apaisement, dont la reine-mère a été du royaume à l’initiative, n’ont qu’à peine eu l’occasion de porter leurs fruits.

2Dès qu’elle sent François II perdu, Catherine de Médicis se décide à relever le défi du pouvoir en dépit des difficultés qui s’annoncent. Guidée par ses devoirs de veuve et de mère, elle se fixe deux objectifs : préserver l’héritage royal de ses fils et restaurer l’unité civile et religieuse du royaume. Un préalable s’impose néanmoins, celui de faire accepter un pouvoir qui ne lui est pas naturellement réservé. Selon les coutumes, le gouvernement des affaires pourrait en effet revenir à Antoine de Bourbon, roi de Navarre, qui en tant que premier prince du sang a lui aussi des droits sur la couronne. Mais en 1560, la situation politico-religieuse du royaume est trop grave, les ambitions des Grands trop menaçantes et l’autorité royale trop fragilisée pour que la veuve d’Henri II, dernière garante de la lignée des Valois, accepte de confier, ne serait-ce que temporairement, le pouvoir de son fils à un autre.

  • 1  Nawrocki 2015, p. 669-675.

3La reine-mère n’est pas novice en matière politique. Sa culture du pouvoir s’est forgée au contact des cours de François Ier et Henri II. Catherine s'est également construit sa propre expérience des affaires : en 1552 d’abord, lorsque Henri II lui confie pour quelques mois la régence du royaume1, mais aussi à l’été 1559 lorsque, tout en portant le deuil de son mari, elle prend part au changement de règne qui place François II sur le trône et les Guise aux affaires. Toutefois, c’est la conjuration d’Amboise qui, au mois de mars 1560, l’incite à entrer véritablement dans le jeu politique. Notre étude se donne alors pour objectif de comprendre comment neuf mois plus tard, sa connaissance du système monarchique se met au service d’une autorité de délégation autour de laquelle elle entend créer le consensus.

4Sa prise en main des affaires et la consolidation de sa position s’étendent sur les mois de décembre 1560 et janvier 1561. Elle se déroule en trois temps qu’il faut envisager comme les épisodes d’un astucieux processus d’avènement au pouvoir. Une micro-analyse de chacune de ces étapes permet alors d’apprécier la manière dont la reine-mère, placée en situation d’urgence, se saisit de l’espace-temps resserré que constitue le changement de règne. Plus précisément, cet examen minutieux opéré sur le temps court met en lumière la manière dont elle mobilise et manie le répertoire d’outils politiques mis à sa disposition pour faire accepter son pouvoir. C’est une mise en pratique de la culture politique du premier XVIe siècle qu’il s’agit alors d’examiner pour comprendre comment Catherine entend s’imposer à un royaume en proie à une division tant politique que religieuse. Plus simplement, c’est une culture politique en acte qui se dévoile et révèle alors les mécanismes d’un jeu que la reine-mère s’efforce de maîtriser tout au long des « jours d’avant » et surtout des « jours d’après » la mort de François II.

Acte I. Le « jour d’après » anticipé : la prise en main de la régence

La situation du « jour d’avant » : deux légitimités en concurrence

  • 2  Discours 1561 ; Romier 1923, p. 277-288.
  • 3  Lettres du cardinal 1998, p. 434, no 746. Le cardinal de Lorraine rassure l’évêque de Dax dans une (...)

5D’après un imprimé anonyme dressant le récit des derniers jours du règne de François II, l’agonie du jeune roi débute le 16 novembre 1560 alors qu’il est à Orléans pour y attendre l’ouverture des États Généraux convoqués quatre mois plus tôt2. Pendant son dîner à l’hôtel Groslot, le souverain est pris de maux de tête, de fièvre et de fortes douleurs à l’oreille gauche provoquées par la formation d’un abcès purulent. Jusqu’au 29 novembre, la cour est optimiste mais après quelques jours d’amélioration, la fièvre monte à nouveau. L’attente de la mort du roi se fait alors dans le plus grand secret : tout en censurant les informations sur son état de santé, Catherine et les Guise font fermer les portes de la chambre royale et contrôler les courriers sortant d’Orléans. Parallèlement, des nouvelles officielles minimisant la maladie du roi sont diffusées tandis que des processions s’organisent sous le prétexte de la réception d’une bulle apostolique3. Cette pratique du secret et de la dissimulation en pleine agonie royale n’a rien d’inédit ; peu d’informations avaient filtré en juillet 1559 lorsque Henri II succombait à ses blessures. Toutefois, si ces stratégies ont en théorie pour but de maintenir l’ordre en ne révélant rien de l’instabilité du pouvoir, en décembre 1560, elles s’expliquent aussi par la marge de manœuvre que Catherine entend se préserver. Elles participent en effet d’une série d’actions tactiques que la reine-mère enchaîne à partir de la fin du mois de novembre pour faire obstacle à ceux qui tenteraient de profiter du changement de règne. En 1560, le jour d’après est, en ce sens, anticipé et Catherine se met en position de maîtriser l’enchaînement des événements.

  • 4 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).
  • 5 Chantonnay à Philippe II, 5 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 497).

6Ce ne sont pas les Guise que la reine-mère redoute. Un an auparavant, elle les a vus agir pour s’imposer au gouvernement ; en 1560, elle sait qu’avec les sévères critiques dont ils sont la cible depuis le mois de mars et dans la perspective d’une minorité royale qui ne leur donne aucun droit légitime, ils ne sont pas en position de force pour revendiquer leur maintien aux affaires. Le danger vient d’Antoine de Navarre qui est, selon ce qu’écrit Catherine elle‑même, « le premier et auquel les loys du roi donnent beaucoup davantage4 ». Comme on en a pris l’habitude en cas d’incertitude juridique, celles-ci ont été consultées5. Or, selon les ordonnances de Charles V et Charles VI fixant les questions de régence, si la reine-mère peut se réserver la tutelle et la garde de la personne royale, le prince du sang peut, quant à lui, légitimement prétendre à la gestion des affaires politiques. Certes, les précédents historiques fournissent des exemples de mères ayant exercé la régence mais en 1560, la légitimité de Catherine ne rivalise que difficilement avec celle d’Antoine de Navarre. Celle-ci doit dès lors manœuvrer au mieux pour s’imposer aux affaires. Et le temps presse car compte tenu de la situation du royaume et de la nécessité de faire officiellement reconnaître son pouvoir, les États Généraux ne peuvent être trop longtemps différés.

À la veille du « jour d’après » : échec au roi de Navarre

  • 6 Ibid., p. 499.
  • 7 Le même au même, 3 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 494-496).

7Dès les premiers jours de décembre, Catherine profite de l’agonie de François II, officiellement encore détenteur de l’autorité royale, pour manœuvrer dans un contexte qui lui est favorable. Peut-être inspirée par la prise de pouvoir des Guise en juillet 1559, la reine-mère se positionne pour maîtriser le changement de règne. Prétextant l’immensité de son chagrin, elle refuse, pour ne rien laisser transparaître de ses intentions, toutes les audiences qui lui sont demandées6. Le 2 décembre, peut-être le 3, elle fait déployer la garde royale dans Orléans, demande que tous les étrangers de la ville soient recensés et fait renforcer la surveillance de Louis de Condé7. Frère cadet d’Antoine de Navarre et second prince du sang, il est soupçonné d’avoir secrètement servi de capitaine aux conjurés d’Amboise. Arrêté le jour de son arrivée à Orléans qu’il rejoignait pour assister aux États, il est assigné à résidence et attend l’ouverture d’un procès qui peut le mener jusqu’à la peine capitale. C’est ce même 2 (ou 3) décembre qu’aurait eu lieu un entretien entre le roi de Navarre et la reine-mère au sujet de la prise en main de la régence. Dans une lettre adressée à Sébastien de l’Aubespine, ambassadeur du roi de France en Espagne, Catherine laisse entendre la facilité avec laquelle le Bourbon lui aurait remis le pouvoir lors de cette entrevue :

  • 8 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).

Le roy de Navarre [écrit-elle] s’est si doulcement et franchement porté en en mon endroict que j’ay grande occasion de m’en contenter s’estant du tout mis entre mes mains et despouillé du pouvoir et d’auctorité soubz mon bon plaisir [...] je l’ay tellement gaigné que je fays et dispose de luy tout ainsi qu’il me plaist8.

  • 9 Sutherland 1984, p. 64-65.

8Si les nombreuses contradictions des sources n’autorisent pas à se prononcer sur le contenu de cet entretien, le rapport de forces dans lequel celui-ci se déroule est dans tous les cas plus favorable à la reine-mère qu’au roi de Navarre9. À la mauvaise réputation des Bourbon et à la menace qui pèse sur son frère, s’ajoutent en effet les soupçons qui pèsent sur lui tant pour l’aide qu’il aurait pu fournir aux conjurés que pour ses accointances supposées avec la reine d’Angleterre protestante, Élisabeth Ire. Le Bourbon, dont la sensibilité réformée n’est plus vraiment un secret, sait aussi qu’en plus de l’armée du duc de Guise réunie à Orléans, Catherine peut compter sur le soutien militaire du roi d’Espagne avec lequel il entretient des relations tendues depuis la paix du Cateau‑Cambrésis. De son côté, la reine-mère appuie sa stratégie sur la bonne connaissance qu’elle a désormais de la personnalité du prince. À l’été 1559, alors que les ministres de l’Église réformée de Paris et le connétable de Montmorency l’avaient assuré de leur soutien, il avait renoncé à s’imposer au gouvernement. En 1560, alors qu’il n’est question de rien de moins que de la vie de son frère, Catherine n’a donc que peu de doute sur le fait qu’il finira par renoncer à la régence ; et elle ne se trompe pas.

  • 10 Catherine de Médicis à Limoges, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).
  • 11 Ludovic Gonzague au duc de Ferrare, 12 décembre 1560 (ASMn, b. 652) ; BNF, ms. fr. 3950, f° 8.
  • 12  Alessandro Fiaschi au duc de Ferrare, 5 et 6 décembre 1560 (ASMo, b. 54) ; Ludovic Gonzague au duc (...)
  • 13 Lettres historiques 1966, p. 61-62.

9Quelques concessions ont peut-être permis à la reine-mère de négocier sa prise en main du pouvoir : la promesse de la libération de Condé ; l’accord pour le mariage de Marguerite de Valois avec le jeune Henri d’Albret ; le renoncement au titre officiel de « régente » qu’elle ne porte donc pas. Il n’en reste pas moins que « le lieu que ledit roy de Navarre tient icy n’est que soubz[elle] et [s]on auctorité10. » Sans dénier à Catherine la primauté de l’autorité, le prince du sang aurait de son côté tenté d’obtenir quelques compensations politiques : il aurait notamment réclamé, en vain, la garde du cachet royal. Catherine finit par le conserver au même titre qu’elle obtient du prince la signature d’un accord écrit résumant leurs négociations11. Déjà membre de droit du Conseil privé, Navarre n’est pas pour autant écarté du gouvernement. En cas d’absence, maladie ou incapacité de la reine-mère, il aura temporairement la garde du sceau particulier12. Sans que les sources ne permettent d’en dire davantage, il semble que le titre de lieutenant général du royaume lui ait également été remis et avec lui la gestion des affaires militaires13.

  • 14 Sur cette régence, voir Nawrocki 2015, p. 669-675 et la préface de D. Crouzet, p. 23.
  • 15 Catherine de Médicis à Guillaume Desaulx, 4 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 730).
  • 16 « Inventaire des bagues et joyaux de la couronne remis par la reine Marie après le décès du roi Fr (...)

10La volonté de Catherine de ne voir lui échapper aucune part de l’autorité est manifeste. Son action est peut-être guidée par le souvenir de sa régence de 155214. Ne tente-t-elle pas d’éviter que son pouvoir soit à nouveau limité par des conseillers trop ambitieux ? Le 4 décembre dans tous les cas, alors que François II n’est toujours pas mort, Catherine est en mesure d’annoncer à Guillaume Desaulx que Dieu « n’a pas laissé ce royaulme despourveu de légitimes et vrays successeurs dont [elle est] la mère qui pour le bien d’icellui, prendra en main la charge du debvoir qu’il fauldra rendre en l’administration qui y sera nécessaire15. » Le lendemain, le souverain meurt. Le 6 décembre, les portes de l’hôtel Groslot, où le corps du roi défunt est exposé, s’ouvrent à nouveau et la cour est mise devant le fait accompli : la reine-mère, désormais installée au couvent des Cordeliers où elle a rejoint l’héritier du trône, reçoit les joyaux de la Couronne16. Ce même jour, elle reçoit également le serment des Grands et obtient une première reconnaissance de sa régence grâce au Conseil stratégique qu’elle est parvenue à réunir autour d’elle.

Acte II. En quête d’adhésion : un outil du « jour d’après », l’équilibre entre les Grands

Une noblesse réconciliée autour du service royal

  • 17 Sur les conseillers favoris, voir Nawrocki, 2015.

11Pendant toute la première moitié du XVIe siècle, les penseurs politiques n’ont cessé de réaffirmer l’importance du principe consultatif dans la conception du pouvoir monarchique. Si ce principe est admis comme l’un des piliers du bon gouvernement, les dérives que sa mise en pratique a entraînées depuis le règne de François Ier suscitent depuis longtemps de vives critiques et tensions. La systématisation d’un Conseil restreint – le Conseil des affaires – écartant certains conseillers du processus décisionnel de même que l’apparition de conseillers favoris ont en effet alimenté les rivalités entre les grandes familles de la cour et transformé le droit de conseil en enjeu de la compétition nobiliaire17. En juillet 1559, la monopolisation de la faveur royale par les Guise a poussé cette dérive jusqu’à son paroxysme.

  • 18 « Relation de ce qui se passa à Orléans le lendemain de la mort du roi François II » (Négociations(...)
  • 19 Catherine de Médicis à Élisabeth de Valois, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 791).
  • 20 Michele Suriano au doge de Venise, 8 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 8) ; Chantonnay à Philippe (...)

12Catherine assiste depuis longtemps à ces rivalités dont la cour est le théâtre, en particulier entre les Guise et les Montmorency. Pendant le règne de François II, elle a vu ces antagonismes se creuser encore à la faveur d’une division confessionnelle qui n’a pas épargné la noblesse de cour. Elle a pu saisir les effets néfastes de ces tensions sur le fonctionnement du gouvernement ainsi que sur la réputation et l’autorité de la figure monarchique. Lorsqu’en décembre 1560 il s’agit de faire accepter son pouvoir, elle tire donc les leçons de sa propre expérience du jeu politique. Dans le respect des anciennes coutumes du royaume et rompant avec la tradition valésienne d’un pouvoir réservé à quelques conseillers privilégiés, Catherine appelle auprès d’elle les représentants laïcs et ecclésiastiques des principaux lignages de la noblesse. Tous sont mentionnés dans une relation conservée par le secrétaire Claude de l’Aubespine dressant la liste des conseillers convoqués au Conseil privé au jour du 6 décembre 156018. Au côté du chancelier de L’Hospital maintenu à sa charge et de fidèles serviteurs du pouvoir comme le cardinal de Tournon ou le maréchal de Saint-André, les Bourbon-Vendôme-Montpensier, les Guise-Lorraine et les Montmorency-Châtillon sont tous représentés. La plupart faisait déjà partie, de droit, du Conseil privé de François II. Ils avaient toutefois pris l’habitude de ne plus se présenter à ce qui était devenu un conseil d’enregistrement de décisions prises en amont par le roi et par les Guise. En décembre 1560, le retour des « vyeulx serviteurs19 » de François Ier et Henri II entend mettre fin à cette dérive et redonner au Conseil privé son rôle effectif. Le Conseil des affaires, jusqu’ici tenu par les Guise, redevient lui aussi le lieu d’une plus large consultation de la noblesse. Outre le chancelier, en font désormais partie : le roi de Navarre, le connétable de Montmorency, les cardinaux de Lorraine et de Tournon, le duc de Guise et les maréchaux de Saint-André et de Brissac20.

  • 21 Crouzet, 2005, passim.

13La ligne de conduite de la reine-mère est claire : il faut composer avec les chefs des principaux lignages pour garantir l’équilibre des forces nobiliaires et éviter les jalousies. Comme l’a montré Denis Crouzet, la reine-mère est d’abord guidée par une conviction inspirée du néoplatonisme renaissant : l’État royal doit être le reflet de l’harmonie que le souverain doit chercher à faire régner dans le royaume21. Mais de manière plus pragmatique, cet équilibre nobiliaire doit aussi permettre à Catherine de s’assurer le soutien des Grands qui prendront part aux affaires. Il constituera un gage appréciable à donner aux États Généraux, un garde-fou face aux dérives que font toujours craindre les situations de régence. Les intentions de la reine-mère vont aussi au-delà de la reconnaissance et de la consolidation de son propre pouvoir. Comme elle l’écrit à l’Aubespine, elle a d’abord « mis peyne à unir et accorder d’amytié et bonne intelligence » ces seigneurs « affin que, toutes choses du passé oubliées, ils ne tendent que au bien de [s]on fils et de son royaulme ». Comme en août 1560, lorsqu’elle prend l’initiative de convoquer l’assemblée de Fontainebleau, c’est une réconciliation des Grands que la reine-mère appelle de ses vœux. La conjuration d’Amboise, à laquelle une part non négligeable de notables a participé, a montré à quel point la division de la noblesse pouvait être préjudiciable à l’ordre politique. Pour, comme elle l’écrit, « rabiller doulcement tout ce que la malice du temps peult avoir gasté », les tensions doivent alors être apaisées. L’appel à se rassembler autour du service royal devient alors pour la reine-mère l’instrument d’une réconciliation destinée à restaurer l’unité politique.

  • 22 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).
  • 23 Négociations 1841, p. 786.

14Si cette réconciliation marque les observateurs de la cour, Catherine sait qu’elle reste fragile. « Considérant, qu’il est malaisé que ceste farce se joue à tant de personnages sans ce qu’il en y ayt quelqu’un qui ne face mauvaise myne22 », elle s’efforce d’« employe[r] tous moyens pour contenir ung chacun avecques contentement23 ». L’organisation du quotidien politique devient précisément l’un de ces moyens.

Une réorganisation équilibrée du quotidien politique

  • 24 Dupuy 1722, p. 43-45.

15Le 21 décembre, le roi réunit ses conseillers pour leur présenter le fonctionnement du nouveau gouvernement. D’après la relation rédigée à l’issue de la réunion, l’organisation du quotidien politique répond à un double objectif : préserver la prééminence politique de la reine-mère tout en assurant l’équilibre entre les Grands24. Si Catherine est sans surprise présentée comme celle à qui le roi a entièrement délégué son pouvoir, les deux Conseils, en particulier celui des affaires, n’en sont donc pas moins décrits comme essentiels dans le processus décisionnel.

  • 25 Dupuy 1722, p. 45.
  • 26 « Relation de ce qui se passa à Orléans le lendemain de la mort du roi François II » (Négociations (...)

16La relation en question révèle que la reine-mère accorde une importance toute particulière à la gestion de la correspondance royale. Sous Henri II et François II, les Guise, et Anne de Montmorency avant eux, avaient pris l’habitude, en tant que conseillers favoris, de lire les dépêches adressées au roi et d’en faire préparer les réponses. Pour se réserver la maîtrise de l’information, en décembre 1560, la reine-mère exige « que le controlleur des postes mette dorénavant tous les paquets qu’il recevrait entre les mains des secrétaires d’état [...] lesquels sans aucunement les ouvrir, les présenteront tout fermez incontinent à ladite Dame Reine25 ». Les lettres et les réponses à leur apporter seront ensuite soumises aux délibérations du Conseil. Parallèlement, les secrétaires sont sommés de ne rien expédier qui n’ait été commandé par la reine-mère laquelle se réserve par ailleurs le contrôle de la correspondance de Charles IX26. De nouvelles règles s’imposent également en matière d’accès aux personnes royales. Celui‑ci n’est plus contrôlé par les conseillers, comme ce fut le cas avec le connétable de Montmorency ou le cardinal de Lorraine. Une fois encore, les secrétaires d’État, dont la fonction a indéniablement profité de cette réorganisation politique, tirent leur épingle du jeu. L’accès aux chambres du roi et de la reine-mère leur est confié sans qu’il soit nécessaire aux visiteurs de les informer des motifs de leur visite. Les instructions précisent néanmoins que les décisions prises par la reine-mère à l’issue de ces audiences feront l’objet d’une délibération au Conseil.

  • 27 Romier 1924, p. 34. Le connétable récupère, par exemple, la gestion effective des armées qu’il ava (...)
  • 28 Michele Suriano au doge de Venise, 8 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 8).

17À côté de cette gestion faussement collective de l’administration royale, des prérogatives spécifiques sont également réparties entre les conseillers, le plus souvent en fonction de leur domaine de compétences27. Le seul conseiller à bénéficier d’un statut à part faisant de lui le second personnage du royaume est, comme le prévoyaient les négociations avec la reine-mère, Antoine de Bourbon28. S’il n’a pas en théorie plus d’influence que les autres lors des délibérations du Conseil, sa place à la tête des affaires militaires lui confère un droit de regard sur les dépêches envoyées par les gouverneurs de provinces, les lieutenants ou les capitaines des places fortes du royaume. À la différence des autres conseillers qui ne sont cités que sur le mode du collectif, son nom est systématiquement mentionné dans les courriers et actes officiels. Si d’après les ambassadeurs toscans, il s’agissait là d’une requête directement formulée par Antoine, rien n’empêche de penser que Catherine ait pu être à l’origine de cette initiative par laquelle elle aurait cherché à se préserver le soutien du Bourbon.

  • 29  Despatches 1891, p. 8.

18En ce qui concerne les autres conseillers, c’est par le maintien de l’équilibre que la reine-mère tente d’éviter que l’un d’eux ne se fasse « président du Conseil29 ». L’expérience des règnes passés la guide. Mais en fondant le fonctionnement politique de la régence sur le principe du gouvernement par conseil et en assurant l’égalité entre les conseillers, elle étouffe aussi par anticipation toute critique ou revendication qui remettrait en cause sa légitimité à gouverner. Une fois encore, c’est par l’application de principes politiques reconnus comme vertueux que la reine-mère entend faire accepter son pouvoir. En 1560, le « jour d’après » vient en fait réactiver une mémoire collective du bon gouvernement pour fonder la légitimité de l’autorité qui s’installe. Cette stratégie, qui s’appuie donc sur une légitimité institutionnelle – celle du Conseil royal – et un système de pouvoir idéal, permet à la reine-mère de forcer un consensus qu’elle sait indispensable à la pérennité de son pouvoir. Ce consensus doit notamment lui permettre d’affronter une autre épreuve, celle des États généraux qui, dès leur ouverture, la mettent en difficulté.

Acte III. Officialiser le « jour d’après » : la mise au pas des États Généraux ou l’imposition du consensus

L’échec d’une mise en scène de la concorde

  • 30 « Tableau de l’ordre et séance des États tenus à Orléans en 1560 » (Recueil de pièces 1789, p. 39) (...)
  • 31 Harangue de Michel de L’Hospital, 13 décembre 1560 (Petris 2002, p. 383-405).
  • 32 Crouzet 2005, p. 21-41 en particulier.
  • 33 Petris 2002, p. 389.

19Le vendredi 13 décembre 1560, soit une semaine après la prise de pouvoir de la reine-mère, les États Généraux de France s’ouvrent après soixante-seize ans sans convocation. L’enjeu est de taille pour Catherine : puisque la légitimité n’est pas de son côté, elle doit faire valoir son pouvoir comme le plus à même de restaurer l’ordre et l’unité du royaume. Lors de la première séance, qui se tient sur la place de l’Étape à Orléans, la disposition de la salle édifiée pour l’occasion informe les représentants du royaume du gouvernement qu’elle est parvenue à composer30. La séance s’ouvre surtout avec la longue harangue de Michel de L’Hospital31. Le langage, dont les vertus apaisantes sont depuis longtemps sollicitées par la reine-mère32, se présente immédiatement comme support de la réconciliation qu’elle entend mener. Tout en mentionnant la division religieuse, le chancelier insiste sur la division civile du royaume en comparant notamment la France de 1560 à l’Italie des « Guelphes et des Gibelins33 ». Les États Généraux sont alors présentés comme un espace de réconciliation possible dont le gouvernement formé par la reine-mère prouve qu’elle n’est pas un horizon inatteignable. Après avoir officiellement annoncé l’avènement politique de Catherine, le chancelier confirme en effet la concorde que le nouveau Conseil est parvenu à créer entre les Grands. Laissant dans l’ombre les manœuvres de la reine-mère, il explique ainsi aux députés du royaume comment le visage de Charles IX :

  • 34 Petris 2002, p. 389.

A percé jusques au fond des cueurs des princes du sang, et autres seigneurs, a chassé et osté tous suspeçons, passions et affections qu’ils pouvoyent avoir, les a pacifiez, liez et unis tellement ensemble, qu’il n’y a maison privée, où les frères soient si bien unis, accordans et obéissans à leurs pères, comme sont lesdicts princes et seigneurs avec le roy leur seigneur, et entre eux : n’ayant autre chose devant les yeux, que de bien et fidèlement servir ledict seigneur, luy obeyr et à la roine sa mère34.

  • 35 Petris 2002, p. 384.

20Comme pour compenser une légitimité qui fait défaut à la reine, Antoine de Navarre devient le garant de ce nouveau gouvernement ainsi que la caution du pouvoir de Catherine : c’est lui qui « comme premier prince du sang, a premier monstré le chemin aux autres, et donné exemple d’obéissance35 ». La stratégie de légitimation du pouvoir de la régente affleure dans les paroles du chancelier. Mais celle-ci s’appuie également sur le cérémonial en lui‑même, lequel a été pensé pour rendre compte de l’importance que Catherine entend donner au sang royal dans la construction de son pouvoir. Par la place qu’il accorde au Bourbon-Vendôme, l’ordre rituel suivi lors de cette séance d’ouverture donne l’occasion à la reine-mère de modifier subtilement la conception du gouvernement monarchique : pour gagner l’adhésion du plus grand nombre, la représentation du Conseil témoigne de ce que le sang de France a retrouvé sa primauté sur les conseillers « faits » par la seule volonté royale. La stratégie sert autant les intérêts de la lignée des Valois que le pouvoir d’une reine-mère s’attachant à manifester, comme le réclamaient les libelles protestants circulant à l’issue de la conjuration d’Amboise, tout le respect dû aux princes du sang. Si le chancelier invite les États à suivre l’exemple du roi de Navarre et à œuvrer pour la réconciliation du royaume que Catherine entend mener au nom de son fils, les députés de la noblesse ne l’entendent toutefois pas de cette oreille.

  • 36 Jouanna et al. 1998, p. 79-81.
  • 37 Chantonnay à Philippe II, 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 511) ; Throckmorthon à Élisabet (...)
  • 38  Michele Suriano au doge de Venise, 9 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 9).

21De manière inédite, après la première séance commune, les députés des trois ordres se séparent pour tenir leurs délibérations. Alors que les députés du clergé votent le soutien à la reine-mère, une majorité des députés de la noblesse s’y refusent. Pour Arlette Jouanna, cette opposition fait partie d’une stratégie plus générale visant à ajourner les États pour se soustraire aux requêtes fiscales du gouvernement36. Pour justifier leur position, les députés avancent l’argument de l’invalidité de leur mandat lequel, ayant pris fin avec la mort de François II, ne les autorise plus à s’exprimer au nom de leurs électeurs37. Parallèlement, un autre refus s’exprime, celui de s’adresser à un gouvernement de régence que les États n’auraient pas eux‑mêmes constitué ou tout du moins confirmé dans ses droits38. Une fois encore, les libelles du printemps semblent avoir laissé des traces dans les esprits du temps. Parmi ces imprimés dénonçant l’illégitimité du pouvoir des Guise, l’Histoire du tumulte d’Amboise rappelait que, selon l’ordonnance de Charles VIII promulguée à l’issue des États de 1484 :

  • 39 « Histoire du tumulte d’Amboise, l’an 1560 » (Mémoires 1743, p. 320).

Si la Couronne de France eschet par succession à celuy qui seroit en bas aage : alors les susdicts trois Estats, assavoir, des Nobles, des ecclésiastiques et du peuple, soyent assemblez, et par iceux le Roy soit pourveu d’un Conseil, pour le gouvernement et administration de son Royaume39.

  • 40 Chantonnay à Philippe II, 9 et 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 506 et 511) ; Julio Alvaro (...)

22Cet argument, présent dans d’autres imprimés du temps, a pu servir de point de départ aux revendications des députés de la noblesse. Toutefois, il côtoie aussi des critiques ciblant plus directement la reine-mère. Les dépêches diplomatiques témoignent ainsi du peu d’enthousiasme que suscite l’idée de voir une femme, étrangère qui plus est, prendre les rênes du royaume. Un autre argument, celui de la loi salique, est également avancé mais celui‑ci, difficilement recevable, ne masque qu’à peine le soutien en réalité apporté au roi de Navarre. Que ce soit parce qu’il est un homme, en raison de sa légitimité de sang ou de sa sympathie envers une Réforme qui attire de plus en plus de nobles, le Bourbon-Vendôme est, pour beaucoup, le plus à même de diriger le royaume40. L’ouverture des États Généraux se fait ainsi dans un contexte défavorable à la reine-mère. Après la relative aisance avec laquelle elle est parvenue à se réserver les affaires auprès des Grands, l’officialisation de son pouvoir la met en difficulté.

Forcer le consensus

  • 41 Michele Suriano au doge de Venise, 20 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 10).

23Pour autant qu’ils soient anticipés, le caractère irrémédiablement imprévisible des « jours d’après » oblige la reine-mère à adapter son action politique. Pour faire advenir le consensus, Catherine opte alors pour une nouvelle stratégie : casser l’opposition de la noblesse en utilisant le soutien que le Conseil lui témoigne. Elle sait que les députés du second ordre ne sont pas unanimes sur le refus qui lui est exprimé ; elle entend bien profiter de leur division pour briser leur résistance. Originaires de Guyenne, Normandie, Bretagne, Languedoc ou Île‑de‑France, les députés réticents à sa prise du pouvoir viennent essentiellement de provinces à forte concentration protestante attachées aux Bourbon ou aux Montmorency41. Catherine comprend la conjonction des revendications politiques et confessionnelles. C’est donc sur l’influence des deux clans que repose sa première tentative d’apaisement des élus de la noblesse.

  • 42 Chantonnay à Philippe II, 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 511) ; Romier 1924, p. 33.
  • 43  Gualterio à Charles Borromée, 18 décembre 1560 (Correspondance 1977, p. 293) ; Michele Suriano au (...)
  • 44  Romier 1924, p. 34 ; Major 1951, p. 82.

24Le 15 décembre, la décision d’intégrer d’autres princes du sang au Conseil des affaires répond à cet objectif : deux jours après l’ouverture des États, le cardinal de Bourbon, le duc de Montpensier et le prince de la Roche-sur-Yon rejoignent les conseillers déjà nommés42. Condé, dont la libération est décidée le 17 décembre, est lui aussi invité à y prendre part dès qu’il se sera justifié. À Paris, une autre libération est décidée, celle de François de Vendôme, vidame de Chartres, accusé d’avoir participé au complot visant la ville de Lyon au début du mois de septembre 156043. Un Châtillon, François d’Andelot, dont la foi réformée est notoire, bénéficie lui aussi des manœuvres de Catherine : en tant que colonel, le commandement effectif de l’infanterie, qui lui avait été retiré à l’avènement de François II, lui est rendu. Plus encore qu’Antoine de Navarre, le connétable œuvrait depuis quelques temps pour obtenir la libération des deux prisonniers et la réintégration de ces neveux aux affaires. Si ces pratiques les obligent l’un comme l’autre à intervenir en retour auprès des députés de la noblesse, ces derniers refusent toutefois d’obtempérer44. La stratégie de la conciliation a échoué, il faut donc passer à la fermeté.

  • 45  Michele Suriano au doge de Venise, 20 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 9).
  • 46 Chantonnay à Philippe II, 28 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 517) ; Recueil des cahiers 1789 (...)
  • 47 Philippe de Montherolle à Catherine de Médicis, 31 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 780) ; Rom (...)
  • 48 Gualterio à Charles Borromée, 5 janvier 1561 (Correspondance des nonces 1977, p. 298).

25Sûre du soutien du Conseil qu’elle est parvenue à réunir autour d’elle, Catherine s’affaire à forcer le consensus. Partant du principe que « la mort saisit le vif », le Conseil conclut que la convocation des États n’a pas été invalidée par la mort de François II et que ceux-ci doivent bel et bien se tenir. La reine diffère toutefois les harangues des trois ordres au 1er janvier pour faire comprendre aux députés qu’aucune délibération n’aura lieu tant que sa régence n’aura pas été acceptée. Une fois encore, la maîtrise des « jours d’après » passe par celle du temps et des acteurs qui tentent de le confisquer. Le 21 décembre, la publication de la relation réglant le fonctionnement du Conseil répond au même objectif, celui de s’imposer coûte que coûte à la tête du royaume. La reine-mère convoque enfin le porte-parole des députés de la noblesse, Jacques de Silly, pour exiger de lui qu’il dresse la liste de ceux qui s’opposent au gouvernement45. En maître de la parole, du 25 au 28 décembre, Catherine se terre ensuite dans un silence stratégique remarqué par les observateurs. Comme prévu, la division s’installe entre les députés. Le 24 décembre, ils parviennent tout de même à produire une remontrance qu’ils présentent devant le Conseil quatre jours plus tard46. Comme les libelles d’Amboise, le texte prend appui sur les anciennes minorités ou incapacités de Charles V, Charles VI et Charles VIII pour prouver l’importance historiquement donnée à « l’avis desdits états ». Forte du soutien de son Conseil, la stratégie de Catherine aboutit néanmoins : le 31 décembre, Philippe de Montherolle, meneur de la faction loyaliste des députés de la noblesse, prie la reine-mère de continuer au gouvernement47. Le 1er janvier, les États reconnaissent officiellement son autorité48. Quelques jours plus tard, les députés se refusant à voter les subsides, les États sont clôturés en vue d’une prochaine convocation. Les États Généraux d’Orléans n’auront donc abouti qu’à une seule chose : officialiser le pouvoir de la reine-mère.

  • 49 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine (Lettres de Catherine de Médicis 1880, p. 162).

Au demeurant, je vous advise que je suis sur la conclusion des Estatz, par lesquelz je vous veulx bien advertir que le gouvernement et administration de la personne du Roy monsieur mon filz et du royaume m’ont esté confirmez49.

  • 50 J.-P. Genet, 2017, p. 58.

26C’est en ces termes que le 15 janvier 1561, Catherine prévient l’Aubespine de l’officialisation de sa régence. Au terme d’un mois et demi de manœuvres, elle est parvenue à faire accepter un pouvoir qui ne lui était pas acquis d’avance. Pour la reine, les « jours d’après » la mort de François II ont ainsi été marqués par la quête déterminée d’un consensus qu’elle considère, par expérience, comme un préalable indispensable au consentement politique. La reine-mère s’appuie sur deux moyens pour s’approprier le changement de règne qui doit la porter au pouvoir. Le premier repose sur une maîtrise des événements et des acteurs amenés à y prendre part. À cet égard, Catherine s’appuie sur les enseignements livrés par l’histoire : les exemples du passé, notamment ceux des règnes de François Ier, d’Henri II et bien sûr de François II, lui apparaissent comme des grilles de lecture des événements. Pour en retenir l’accélération, elle s’efforce de contrôler le temps politique et la parole qui l’accompagne. Catherine s’appuie en outre sur la représentation d’un pouvoir rassembleur qu’elle envisage comme la preuve des bienfaits à attendre de sa régence. Pour créer le consensus, un ordre politique en apparence idéal inspiré des miroirs des princes et des principes du bon gouvernement s’installe en effet au cours des mois de décembre 1560 et de janvier 1561. Les « jours d’après » la mort de François II s’appuient, en ce sens, sur une culture collective du consensus dont on estime qu’il pourra dédramatiser les temps incertains ouverts par la disparition précoce du jeune roi et l’avènement politique d’une femme. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : le consensus n’est pas une fin en soi à la fin de l’année 1560 ; il s’agit d’une mise en scène destinée à masquer les tensions et à rassurer les esprits inquiets devant l’installation d’une régence50. Ses effets, tout comme les stratégies mises en œuvre pour les besoins des « jours d’après », se révèlent d’ailleurs éphémères : moins de deux ans après la prise de pouvoir de la reine-mère, le dissensus refait surface et fait tomber le royaume dans le temps des guerres civiles.

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Bibliographie

Archives

ASMo = Archivio di stato di Modena.

ASMn = Archivio di stato di Mantova.

BNF = Bibliothèque Nationale de France.

Ouvrages à caractère de source

Calendar 1865 = Calendar of State Papers Foreign: Elizabeth, 1560-1561, J. Stevenson (éd.), Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1865.

Correspondance 1977 = Correspondance des nonces en France Lenzi et Gualterio, légation du cardinal Trivultio (1557-1561), J. Lestocquoy (éd.), Rome, Université pontificale grégorienne et École française de Rome, 1977.

Despatches 1891 = Despatches of Michele Suriano and Marc Antonio Barbaro, Venetian ambassadors at the Court of France, 1560-1563, H. Layard (éd.), Huguenot Society of London, 1891.

Discours 1561 = Discours contenant toutes les choses notables, qui sont aduenues en France, depuis le commencement de la maladie du feu Roy Francoys second, iusques au Roy Charles qui regne a present, Lyon, Benoît Rigaud, 1561.

Dupuy 1722 = P. Dupuy, Traité de la majorité de nos rois, et des régences du royaume avec les preuves tirées tant du trésor des chartes du roi que des registres du Parlement et autres lieux, t. 1, Amsterdam, chez les Jansons a Waesberge, 1722.

Lettres de Catherine 1880 = Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, H. de La Ferrière (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1880.

Lettres du cardinal 1998 = Lettres du cardinal Charles de Lorraine (1525-1574), D. Cuisiat (éd.), Genève, Droz, 1998.

Lettres historiques 1966 = Lettres historiques pour les années 1556-1594. Estienne Pasquier, D. Thickett (éd.), Genève, Droz, 1966.

Mémoires 1743 = Mémoires de Condé ou recueil pour servir à l’histoire de France, contenant ce qui s’est passé de plus mémorable dans le royaume, sous le règne de François II, t. 1, Rolin Fils, Londres, 1743.

Negociaciones 1950 = Negociaciones con Francia I. 1559-1560, Archivo documental español, t. 1, M. Goméz del Campillo (éd.), Real Academia de la Historia, Madrid, 1950.

Négociations 1841 = Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne de François II tirées du portefeuille de Sébastien de l’Aubespine, évêque de Limoges, L. Paris (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1841.

Négociations 1859 = Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. 3, A. Desjardins (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1859.

Recueil de pièces 1789 = Recueil de pièces originales et authentiques concernant la tenue des États généraux, t. 1, Barrois l’aîné, Paris, 1789.

Recueil des cahiers 1789 = Recueil des cahiers généraux des trois ordres aux États-généraux : d’Orléans en 1560, sous Charles IX, t. 1, Barrois l’aîné, Paris, 1789.

Études secondaires

Crouzet 2005 = D. Crouzet, Le Haut cœur de Catherine de Médicis, Paris, 2005.

Jouanna 1998 = A. Jouanna et al., Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, 1998.

J.-Ph. Genet – D. Le Page – O. Mattéoni 2017 = J.-Ph. Genet, D. Le Page, O. Mattéoni (dir.), Consensus et représentation. Le pouvoir symbolique en Occident (1300-1640), Rome-Paris, 2017.

Petris 2002 = L. Petris, La plume et la tribune : Michel de l’Hospital et ses discours (1559-1562), Genève, 2002.

Romier 1923 = L. Romier, La Conjuration d’Amboise. L’aurore sanglante de la liberté de conscience. Le règne et la mort de François II, Paris, 1923.

Romier 1924 = L. Romier, Catholiques et Huguenots sous Charles IX, Paris, 1924.

Major 1951 = J.R. Major, The Estates General of 1560, Princeton, 1951.

Nawrocki 2015 = Fr. Nawrocki, L’amiral Claude d’Annebault, conseiller favori de François Ier, Paris, Garnier, 2015.

Sutherland 1984 = N.M. Sutherland, Princes, politics and religion (1547-1589), Princeton, 1984.

 

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Notes

1  Nawrocki 2015, p. 669-675.

2  Discours 1561 ; Romier 1923, p. 277-288.

3  Lettres du cardinal 1998, p. 434, no 746. Le cardinal de Lorraine rassure l’évêque de Dax dans une lettre du 1er décembre en faisant croire à de fausses rumeurs : « Il ne faut point que vous soyez en peine pour la maladie que sa majesté a eue ces jours passés, que l’on vous auroit peut être voulu dépeindre plus grande. » Sur les processions, voir Discours 1561, p. 3 ; Michele Suriano au doge de Venise, 3 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 6-7) ; Niccoló Tornabuoni à Cosme Ier, 3 décembre 1560 (Négociations 1859, p. 427).

4 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).

5 Chantonnay à Philippe II, 5 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 497).

6 Ibid., p. 499.

7 Le même au même, 3 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 494-496).

8 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).

9 Sutherland 1984, p. 64-65.

10 Catherine de Médicis à Limoges, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).

11 Ludovic Gonzague au duc de Ferrare, 12 décembre 1560 (ASMn, b. 652) ; BNF, ms. fr. 3950, f° 8.

12  Alessandro Fiaschi au duc de Ferrare, 5 et 6 décembre 1560 (ASMo, b. 54) ; Ludovic Gonzague au duc de Ferrare, 12 décembre 1560 (ASMn, b. 652) ; BNF, ms. fr. 3950, f° 8 ; Chantonnay à Philippe II, 9 décembre (Negociaciones 1950, p. 505) ; Romier 1923, p. 286-287.

13 Lettres historiques 1966, p. 61-62.

14 Sur cette régence, voir Nawrocki 2015, p. 669-675 et la préface de D. Crouzet, p. 23.

15 Catherine de Médicis à Guillaume Desaulx, 4 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 730).

16 « Inventaire des bagues et joyaux de la couronne remis par la reine Marie après le décès du roi François II, son mari, au roi Charles IX » (Négociations 1841, p. 738).

17 Sur les conseillers favoris, voir Nawrocki, 2015.

18 « Relation de ce qui se passa à Orléans le lendemain de la mort du roi François II » (Négociations 1841, p. 730-733).

19 Catherine de Médicis à Élisabeth de Valois, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 791).

20 Michele Suriano au doge de Venise, 8 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 8) ; Chantonnay à Philippe II, 8 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 503).

21 Crouzet, 2005, passim.

22 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine, 19 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 786).

23 Négociations 1841, p. 786.

24 Dupuy 1722, p. 43-45.

25 Dupuy 1722, p. 45.

26 « Relation de ce qui se passa à Orléans le lendemain de la mort du roi François II » (Négociations 1841, p. 730-733).

27 Romier 1924, p. 34. Le connétable récupère, par exemple, la gestion effective des armées qu’il avait perdue au profit du duc de Guise, ce dernier demeurant toutefois grand maître et chambellan.

28 Michele Suriano au doge de Venise, 8 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 8).

29  Despatches 1891, p. 8.

30 « Tableau de l’ordre et séance des États tenus à Orléans en 1560 » (Recueil de pièces 1789, p. 39) ; « L’ordre gardez en la convocation et assemblée des trois estats du royaume de France… » (Négociations 1841, p. 789-791).

31 Harangue de Michel de L’Hospital, 13 décembre 1560 (Petris 2002, p. 383-405).

32 Crouzet 2005, p. 21-41 en particulier.

33 Petris 2002, p. 389.

34 Petris 2002, p. 389.

35 Petris 2002, p. 384.

36 Jouanna et al. 1998, p. 79-81.

37 Chantonnay à Philippe II, 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 511) ; Throckmorthon à Élisabeth Ire, 31 décembre 1560 (Calendar 1865, no 832).

38  Michele Suriano au doge de Venise, 9 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 9).

39 « Histoire du tumulte d’Amboise, l’an 1560 » (Mémoires 1743, p. 320).

40 Chantonnay à Philippe II, 9 et 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 506 et 511) ; Julio Alvarotti au duc de Ferrare, 17 décembre 1560 (ASMo, b. 36, f. 59-61) ; Gualterio à Charles Borromée, 19 décembre 1560 (Correspondance 1977, p. 293) ; Nicholas Throckmorthon à Élisabeth Ire, 31 décembre 1560 (Calendar 1865, no 832).

41 Michele Suriano au doge de Venise, 20 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 10).

42 Chantonnay à Philippe II, 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 511) ; Romier 1924, p. 33.

43  Gualterio à Charles Borromée, 18 décembre 1560 (Correspondance 1977, p. 293) ; Michele Suriano au doge de Venise, 20 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 10) ; Chantonnay à Philippe II, 24 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 511) ; Throckmorton à Élisabeth Ire, 31 décembre 1560 (Calendar 1865, no 832).

44  Romier 1924, p. 34 ; Major 1951, p. 82.

45  Michele Suriano au doge de Venise, 20 décembre 1560 (Despatches 1891, p. 9).

46 Chantonnay à Philippe II, 28 décembre 1560 (Negociaciones 1950, p. 517) ; Recueil des cahiers 1789, p. 77-187.

47 Philippe de Montherolle à Catherine de Médicis, 31 décembre 1560 (Négociations 1841, p. 780) ; Romier 1924, p. 37-38.

48 Gualterio à Charles Borromée, 5 janvier 1561 (Correspondance des nonces 1977, p. 298).

49 Catherine de Médicis à Sébastien de l’Aubespine (Lettres de Catherine de Médicis 1880, p. 162).

50 J.-P. Genet, 2017, p. 58.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Tejedor, « Catherine de Médicis face au « jour d’après » »Mélanges de l’École française de Rome - Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 132-1 | 2020, 35-45.

Référence électronique

Sophie Tejedor, « Catherine de Médicis face au « jour d’après » »Mélanges de l’École française de Rome - Italie et Méditerranée modernes et contemporaines [En ligne], 132-1 | 2020, mis en ligne le 30 décembre 2020, consulté le 04 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/mefrim/7392 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mefrim.7392

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Auteur

Sophie Tejedor

Sorbonne Université/Centre Roland Mousnier/IRCOM – sophie_tejedor@hotmail.com

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