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In memoriam

Claire Boudreau (1965-2020). Le parcours peu commun d’une médiéviste

Kouky Fianu et Serge Lusignan

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Le 17 novembre 2020, vaincue par la maladie contre laquelle elle avait lutté avec courage et lucidité, Claire Boudreau nous a quittés. Sa force de caractère s’est affichée jusqu’au terme de ses jours, comme en ont témoigné nos échanges. Elle parlait de son état de santé avec sérénité, sans en dissimuler la gravité. Nous passions plus de temps à nous rappeler nos séjours de recherche en équipe à Paris et aux fêtes qui les ponctuaient. Nous partagions également les souvenirs de moments joyeux à Ottawa ou au chalet dans les bois. Claire resta joyeuse jusqu’à la fin.

Claire a grandi à L’Assomption, dans Lanaudière, mais elle est restée toute sa vie profondément attachée à son coin d’Acadie, au Cap-Breton, berceau de la famille Boudreau. Au cours de l’été 2020, elle a eu le bonheur de passer d’ultimes vacances dans sa maison à Chéticamp.

Après des études de premier cycle en histoire à l’Université de Montréal, elle a poursuivi une maîtrise à l’Institut d’études médiévales de Montréal. Elle rédigea, sous la direction de Bruno Roy, un mémoire intitulé Une traduction française médiévale de l’« Ars amatoria » d’Ovide, déposé en 1991. Ce champ de recherche, qui lui permit de s’initier aux méthodes de l’étude des sources médiévales, ne satisfaisait pas sa passion de jeunesse pour les armoiries. Elle s’inscrivit donc en thèse à l’École pratique des hautes études avec Michel Pastoureau, le maître incontesté de l’héraldique en France.

Claire séjourna quelques années à Paris où elle soutint en 1996 sa thèse de doctorat intitulée Les Traités de blason en français (xivexvie siècles). Rappelons qu’au Moyen Âge tardif, le héraut d’armes était un officier au service des princes, qui se distinguait par sa vaste connaissance des armoiries. Son savoir était essentiel sur les champs de bataille ou lors des tournois puisque les combattants, le visage caché sous leur heaume, n’étaient identifiables que par leurs emblèmes personnels, peints sur leur écu ou toute autre pièce d’équipement. Avec le temps, les hérauts codifièrent les règles héraldiques – le blason – et mirent leur savoir par écrit dans des traités. C’est cette littérature technique qui fit l’objet de la thèse de Claire, puis de son dictionnaire en trois volumes paru au Léopard d’or (Paris), en 2006 : L’héritage symbolique des hérauts d’armes. Dictionnaire encyclopédique de l’enseignement du blason ancien, xivexvie siècles.

  • 1  D’après la définition donnée à l’URL : https://www.gg.ca/fr/heraldique/autorite-heraldique-du-cana (...)

Avant même l’achèvement de sa thèse, Claire avait attiré l’attention de l’Autorité héraldique du Canada, soit « le service gouvernemental chargé de créer des armoiries, drapeaux et insignes »1, un service qui relève directement du Gouverneur général du Canada. En 1997, Claire fut recrutée par l’Autorité héraldique, qui lui attribua le titre de Héraut Saguenay et, plus tard, de Héraut Saint-Laurent. Lorsqu’elle prit la direction de l’Autorité héraldique en 2007, elle eut droit au titre prestigieux de Héraut d’armes du Canada.

  • 2 La cinquantaine d’articles de cette chronique sont disponibles en ligne sur le site de la revue.

En marge de son travail à Ottawa, Claire Boudreau poursuivait ses recherches sur l’héraldique médiévale. Elle participait régulièrement à des colloques internationaux sur la question et publia une dizaine d’articles savants sur l’art du blason ou le rôle des hérauts d’armes au Moyen Âge. Elle tenait en outre à partager ses connaissances avec un public plus vaste, non spécialisé, comme l’illustre la chronique « L’Héraldique et vous » qu’elle publia pendant dix ans dans L’Ancêtre, la revue de la Société de généalogie de Québec2.

Tout aussi importante fut la contribution de Claire à l’adaptation des règles traditionnelles de l’héraldique dans l’élaboration d’armoiries exprimant les réalités actuelles. Elle releva avec bonheur le défi de réconcilier la modernité avec la tradition, mais aussi de rendre public le registre des armoiries conférées par l’Autorité héraldique depuis sa création en 19883. Elle avait acquis son expertise au fil des centaines de demandes de création de nouvelles armoiries, qui lui venaient de personnes ou d’institutions les plus diverses. Cela n’était pas toujours simple. Pour reprendre le vocabulaire imagé qu’elle affectionnait, certains dessins soumis par des demandeurs ressemblaient davantage à une pizza qu’à une armoirie. On pouvait compter sur le tact et l’expérience de Claire pour proposer des solutions en harmonie avec les règles de l’art.

Au moment de son départ, l’autorité héraldique canadienne reconnut l’immense contribution de Claire Boudreau au développement de l’héraldique au Canada en lui accordant le titre de Héraut Margaree-Chéticamp émérite. Ce titre résume ses deux grandes passions : l’héraldique et l’Acadie.

Serge se souvient

Durant son séjour à Paris, Claire fut l’une de mes assistants de recherche. J’estimais au plus haut point sa capacité à mettre de l’ordre dans des données caractérisées par une multitude de variables dont les convergences sont indiscernables à première vue. Avec un jeu de fiches et de pastilles de couleurs, elle mit en évidence les rapports entre les quinze ou vingt manuscrits qui se rattachaient à la transmission du formulaire de chancellerie d’Odart Morchesne (vers 1427).

En ce temps, il m’arrivait de croiser Michel Pastoureau, qui, invariablement, me demandait quel poste Claire Boudreau allait pouvoir occuper au Canada en se prévalant de sa formation en héraldique. Je ne pouvais que partager ses inquiétudes, ignorant alors qu’elle deviendrait héraut d’armes auprès de l’Autorité héraldique du Canada. Son recrutement en 1997 me permit, lors d’une rencontre subséquente, de demander à Michel Pastoureau si, avant Claire, il avait déjà formé un héraut d’armes professionnel. Un éclat de rire partagé fut la réponse.

Kouky se souvient

Tout comme Serge, j’ai eu la chance d’avoir Claire comme assistante de recherche. En 1995, j’étais fraichement installée à Ottawa où j’enseignais l’histoire médiévale depuis peu. Comme Claire était à Paris avec un accès facile aux Archives nationales, elle dépouillait pour moi des registres du Parlement criminel, à la recherche de faussaires de documents. C’est ainsi que j’ai compris l’importance des couleurs et combien elles formaient pour Claire une véritable grammaire et un mode de représentation des idées extrêmement efficace. C’est alors que se sont tissés les liens d’amitié qui allaient se renforcer avec les années.

  • 4 La panthère en cimier, « Ardente » en devise, cette image voulue par Claire pour la représenter ill (...)

Ce « talent chromatique » qui habitait Claire s’est à nouveau manifesté entre 2001 et 2004, alors que nous travaillions ensemble (avec Michel Hébert à l’UQAM et Claude Gauvard à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne) à l’organisation et à la publication des actes d’un colloque tenu à Montréal et Ottawa, consacré à Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge. Pour moi, elle est dès lors devenue « Madame couleurs ». La panthère ardente de ses armoiries ne viendra pas me contredire4 !

Installée à son tour à Ottawa, Claire a entretenu des rapports de plus en plus étroits avec le Département d’histoire de l’Université d’Ottawa. Entre 2007 et 2011, elle a donné une dizaine de cours dans le programme d’Études médiévales, suscitant l’intérêt des étudiants pour l’héraldique. Elle a surtout accueilli à l’Autorité héraldique plusieurs jeunes femmes et hommes dans le cadre de stages coopératifs destinés aux étudiants de l’Université d’Ottawa. Parmi eux, quelques-uns sont restés, ont fait leurs premiers pas dans le monde professionnel, ont exercé leurs premières fonctions sous sa direction bienveillante ; ils en gardent un souvenir ému et reconnaissant.

Les hérauts d’armes du Commonwealth ont souligné son départ, rappelant qu’elle a été la première femme au monde à diriger une autorité héraldique ; les héraldistes et les généalogistes avec lesquels elle a travaillé pendant trois décennies ont manifesté leur estime. Il fallait que les médiévistes lui rendent hommage à leur tour : nous qui l’avons côtoyée sommes heureux de partager nos souvenirs d’une amie, médiéviste hors du commun.

Notes

1  D’après la définition donnée à l’URL : https://www.gg.ca/fr/heraldique/autorite-heraldique-du-canada.

2 La cinquantaine d’articles de cette chronique sont disponibles en ligne sur le site de la revue.

3 Consultable à l’URL : https://reg.gg.ca/heraldry/pub-reg/main.asp?lang=f.

4 La panthère en cimier, « Ardente » en devise, cette image voulue par Claire pour la représenter illustre son goût des couleurs et son attachement au Moyen Âge : « Reprenant le symbolisme du cimier, les panthères multicolores sont inspirées de miniatures médiévales. Les livres ensachés qu’elles tiennent sont des livres de voyage que l’on transportait au Moyen Âge attachés à sa ceinture par un nœud ajouté à leur reliure. Ils rappellent que les plus belles inventions sont le plus souvent simples et pratiques. » (Symbolisme des supports, description des armoiries de Claire Boudreau dans le Registre public des armoiries, drapeaux et insignes du Canada, en ligne).

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