Bénédicte Sère, L’invention de l’Église. Essai sur la genèse ecclésiale du politique, entre Moyen Âge et Modernité, Paris, Presses Universitaires de France, 2019, 288 pages, ISBN 978‑2‑13‑078655‑9, 24 €.
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compte rendu, L’invention de l’Église, Essai sur la genèse ecclésiale du politique, entre Moyen Âge et Modernité, Bénédicte SèreGéographique :
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Moyen ÂgeTexte intégral
1Le projet de Bénédicte Sère est alléchant : « Il s’agit de se situer à une certaine distance par rapport à l’objet “Église” et à la tradition de “l’histoire religieuse” ou de “l’histoire de l’Église”, et d’ériger l’“Église” en objet d’étude sans entrer dans le contenu de son histoire, mais en suivant la trace de son récit ou, plus exactement, de sa mise en récit » (p. 7). Son traitement est décliné en sept chapitres qui constituent autant de dossiers, certains plus essentiels que d’autres. Ce que le livre perd en cohérence thématique, il le gagne sur le plan de la méthode en offrant une approche semblable du conciliarisme, du constitutionalisme, de la collégialité, de la réforme (comme de l’anti-réformisme), de l’antiromanisme, des rapports avec le modernisme et de l’infaillibilisme. Un grand nombre d’-ismes, on le voit, qui pourrait faire craindre une approche excessivement théorique qui manquerait de traiter concrètement des sources et de leur analyse. Heureusement, le livre ne se contente pas d’échafauder des théories mais propose de réelles analyses de certains éléments clés.
- 1 A. Jamme, « Renverser le pape. Droits, complots et conceptions politiques aux origines du Grand Sch (...)
2Il convient de souligner la masse considérable de lectures que l’auteure mobilise pour sa réflexion, et ce, dans les principales langues de culture. Une bibliographie de trente-cinq pages, organisée par dossier, ne rend pas entièrement hommage à l’érudition déployée, même si elle constitue un excellent panorama de démarrage pour qui voudrait développer les intuitions exposées. Les présentations historiographiques sont souvent lumineuses. Elles permettent en quelques paragraphes ou en quelques pages de donner des directions de recherche foisonnantes qui pointent les chantiers à ouvrir. Pour ne citer qu’un exemple, l’historien du Grand Schisme se voit encouragé à relire son objet sous l’angle de l’antiréformisme cardinalice et curialiste (p. 153), une idée qui se marie fort bien avec les analyses politiques proposées par exemple par Armand Jamme dans un article important sur l’éclatement de la crise au printemps et à l’été 13781.
3Bien sûr, tous les sujets sélectionnés ne se prêtent pas autant au prisme choisi que l’auteure veut le faire paraître et on repère des développements qui n’emportent pas l’adhésion ou qui apparaissent encore singulièrement perfectibles. Ainsi en est-il du chapitre sur l’antiromanisme dont le terme central même pose des problèmes de définition à peu près insolubles (p. 164) et dont la transposition au Moyen Âge apparaît au moins douteuse. Mais cela n’amène pas à oublier les belles pages que l’on peut lire à propos du conciliarisme, présenté comme la pierre de fondation essentielle de la réflexion.
4À peine convient-il de regretter la rhétorique parfois inutilement brutale que l’auteure réserve à certains aspects de son sujet. Qu’elle traite de « négationniste » la tendance de certains historiens à confiner le conciliarisme au xve siècle (p 40), qu’elle déplore l’absence de réception française de plusieurs courants anglo-saxons et fustige la tendance au « recopiage » des travaux qui en émanent en histoire de l’Église (p. 54) ou qu’elle considère « abyssal » le rapport qu’entretient l’Église avec sa propre histoire (p. 66), on ne peut que sourciller en questionnant l’intérêt de formules si emportées. Une approche plus apaisée n’invaliderait nullement ses conclusions et faciliterait la réception d’un corpus de réflexions stimulant et utile. Cela permettrait de croire pleinement par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’une entreprise polémique, mais de la recherche d’un gain herméneutique, comme affirmé en introduction (p. 9).
5De même, on ne peut s’empêcher de trouver la lecture des sources trop rapide tout en reconnaissant que traiter de monuments comme Pierre d’Ailly ou Gerson en à peine quelques pages tenait de la gageure. On reconnaît volontiers l’intérêt des conclusions de l’auteure dans le cas d’école du conciliarisme, mais on peine à suivre ses affirmations quand elles confinent au procès d’intention – le cardinal « prétextant de missions diplomatiques ou de maladie » (p. 25) – ou à des jugements de valeurs taillés à la serpe : « son conciliarisme n’est donc ni convaincu, ni plénier » (ibid.). Ce sont des affirmations fortes qui ont besoin de démonstrations bien plus probantes pour être reçues, ou qui nécessiteraient plus probablement d’être exprimées avec une once de nuance.
6Mais ne boudons pas notre plaisir : le livre offre de la matière pour penser, et repenser, des certitudes bien ancrées et d’autres déjà soumises à des questionnements d’importance. Il permet de parcourir en moins de 250 pages des notions centrales de la conception que l’Église a d’elle-même ou qu’elle aimerait que l’on ait d’elle, du Moyen Âge aux débats les plus récents. L’exploit et les multiples chantiers ébauchés valent bien une lecture attentive, non seulement pour les spécialistes de ces questions, mais plus globalement pour toute historienne ou tout historien qui souhaite scruter les questions de méthode parmi les plus difficiles de la profession dans une enquête appliquée à un objet central de l’Occident.
Notes
1 A. Jamme, « Renverser le pape. Droits, complots et conceptions politiques aux origines du Grand Schisme d’Occident », Coups d’État à la fin du Moyen Âge ? Aux fondements du pouvoir politique en Europe occidentale, éd. F. Foronda, J.‑P. Genet, J. M. Nieto Soria, Madrid, Casa de Velázquez, 2005, p. 433‑482.
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Référence électronique
Philippe Genequand, « Bénédicte Sère, L’invention de l’Église. Essai sur la genèse ecclésiale du politique, entre Moyen Âge et Modernité, Paris, Presses Universitaires de France, 2019, 288 pages, ISBN 978‑2‑13‑078655‑9, 24 €. », Memini [En ligne], 27 | 2021, mis en ligne le 29 novembre 2021, consulté le 22 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/memini/2012 ; DOI : https://doi.org/10.4000/memini.2012
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