Introduction

2La question de l’émergence de préoccupations citoyennes pour cette nouvelle échelle se pose avec d’autant plus d’acuité que les intercommunalités restent marquées par un déficit démocratique, la politique se révélant le plus souvent « confisquée » dans ces arènes (Desage et Guéranger, 2011). Dès 2005, Bernard Jouve (2005) observe un décalage entre la démocratie participative, le plus souvent mise en place à l’échelle municipale, voire à celle du quartier, et la montée en puissance des métropoles. Dans ce cadre, les organisations collectives, lorsqu’elles tentent de peser sur les décisions publiques, sont susceptibles de connaître « un rééchelonnage métropolitain », en déplaçant leurs contestations à l’échelle des métropoles (Halbert, Pinson et Sala Pala, 2021). Par exemple, des citoyens opposés aux conséquences sociales et environnementales associées à la métropolisation contestent l’institution métropolitaine, dans le cadre de luttes urbaines (Zanetti, 2021) ou dans celui d’une campagne municipale (Mehtali et Rivière, 2021), identifiée comme responsable de ces changements urbains et sociaux. Cela dit, ces travaux portent sur des intercommunalités urbaines ou des métropoles. Un des apports de cet article se situe dans sa perspective périurbaine. Pour les intercommunalités comprenant uniquement des communes périurbaines, les formes de coopération intercommunale sont moins abouties que dans le centre des agglomérations. Les intercommunalités périurbaines disposent en effet de moins de compétences, de ressources techniques et de moyens que les métropoles (Charmes, 2019). Toutefois, dans les premières couronnes périurbaines, les communes se sont urbanisées et diversifiées socialement et les dynamiques socio-politiques se rapprochent parfois de celles des centres urbains (Jaillet, 2004).

3Les conséquences du changement d’échelle sur le fonctionnement des associations, en particulier sur les logiques de professionnalisation de celles-ci, restent peu étudiées. Les effets sur les associations se jouent probablement différemment en fonction du profil de l’association concernée. Le monde associatif est en effet très divers. Viviane Tchernonog (2008) distingue trois grands types d’associations. Le premier correspond aux associations, de taille importante, ayant des salariés et gérant des missions de services publics, le plus souvent destinés à des publics fragiles. Le deuxième comprend les associations qui portent un projet militant, s’appuyant le plus souvent sur un travail bénévole qualifié et ayant de petits budgets. La Pie verte correspond à ce deuxième type. Le troisième type correspond aux associations de petite taille dirigées vers la pratique d’une activité, comme le sport. La professionnalisation des associations est une tendance importante du monde associatif. Elle se traduit par la salarisation, mais ne s’y réduit pas (Bernardeau Moreau et Hély, 2007). Denis Bernardeau Moreau et Matthieu Hély définissent la professionnalisation comme « un processus de rationalisation à la fois en termes de compétence dont le degré de spécialisation devient plus élevé et en termes de statut s’exprimant par une salarisation mais aussi par l’institutionnalisation de professions » (Bernardeau Moreau et Hély, 2007, p. 11).

4La dimension économique est un élément clé pour comprendre le positionnement de l’association. Les financements publics des associations peuvent s’inscrire dans une « logique de subvention », où aucune contrepartie n’est demandée à l’association, ou bien dans une « logique de prestations » (Tchernonog, 2001). Simon Cottin-Marx et al. (2017) s’intéressent aux dynamiques de recomposition des relations entre les collectivités locales et les associations et mettent en avant que le régime de financement de certaines associations peut les conduire à se mouler « en douceur » dans les grandes orientations fixées par la puissance publique. La contractualisation en particulier est une forme d’orientation de l’action des associations par les pouvoirs publics (Cottin-Marx et al., 2017). Par ailleurs, l’État se saisit de la sphère associative comme voie privilégiée d’insertion professionnelle pour les publics éloignés de l’emploi (Cottin-Marx, 2019). La Pie verte est un cas d’étude pertinent pour s’intéresser à ces processus généraux.

5Cet article s’appuie sur une enquête menée dans le cadre d’une thèse qui a porté sur les mobilisations collectives pour l’environnement des classes moyennes périurbaines (Dupuit, 2020). Située dans le quadrant sud-est du périurbain lyonnais, La Pie verte se mobilise sur des actions se structurant autour de trois pôles. Un premier pôle concerne l’activité naturaliste. Les activités de ce pôle comprennent la réalisation d’études et d’expertises scientifiques ainsi que l’initiation à la nature et à l’environnement auprès d’un large public. Un deuxième pôle, appelé « environnement gris » par les militants, concerne le cadre de vie et la lutte contre les impacts négatifs des activités humaines sur l’environnement. Un troisième pôle concerne la question des transports, qui inclut tous les modes de déplacement et leurs infrastructures. En particulier, il vise le développement du vélo comme moyen de transport quotidien. En octobre 2014, La Pie verte a ouvert dans le centre-ville de Bourgoin-Jallieu un atelier vélo, La tête dans l’guidon, dans le cadre duquel les bénévoles de l’atelier aident les adhérents à entretenir et réparer leur bicyclette. L’association a également un local à Villefontaine, où se situent ses bureaux. Forte de trois cents adhérents, l’association emploie actuellement trois salariés : l’animateur de l’atelier vélo et deux chargées d’études naturalistes.

7Pour étudier l’engagement local au sein de cette association, une démarche qualitative a été adoptée. L’entretien semi-directif et l’observation participante constituent les deux principales méthodes de recherche. Cet article s’appuie sur vingt-quatre entretiens (dont deux collectifs), réalisés entre 2016 et 2017, avec trois ensembles d’acteurs : des militants de La Pie verte (vingt entretiens dont un collectif), des élus communaux et/ou intercommunaux de la CAPI (trois entretiens) et des techniciennes des services intercommunaux de la CAPI (un entretien collectif). En interrogeant les élus et les techniciens, le but était de comprendre la nature de leur relation avec l’association et les militants. Pour ce qui est de l’observation participante, nous avons réalisé des observations de réunions entre militants et élus, de réunions internes à l’association et d’actions. L’observation du fonctionnement de l’atelier vélo a été possible avant, pendant et après les entretiens avec les bénévoles réalisés dans les locaux de l’atelier.

8Cet article se centre en grande partie sur les activités vélo de l’association, car il s’appuie sur un travail de thèse dont l’objet central était les mobilisations en faveur du développement du vélo quotidien. Il se divise en deux parties. La première partie rend compte des raisons qui ont amené une partie des militants à investir l’intercommunalité, mais aussi de l’importance, toujours significative, de l’échelle communale dans l’engagement militant périurbain. La deuxième partie examine les conséquences du changement d’échelle sur l’organisation militante, en particulier les logiques de professionnalisation qu’il entraîne.

1. Le mouvement partiel de La Pie verte des communes vers l’intercommunalité

9Le développement de l’intercommunalité a entraîné l’apparition de nouveaux interlocuteurs pour les associations locales. Certains militants des associations locales du Nord-Isère ont souhaité investir cet échelon afin de rester des acteurs importants sur la scène politique locale, impulsant pour cela le regroupement de plusieurs de ces associations. Ce changement d’échelle introduit de nouvelles contraintes pour l’association nouvellement créée, La Pie verte. À ce rééchelonnage intercommunal s’ajoute un ancrage communal, qui reste déterminant dans les actions de l’association.

1.1. Se mettre à l’échelle de l’intercommunalité pour investir les lieux de pouvoir nouvellement ouverts

11Les militants issus du CEBJ et de Nature et vie sauvage ont été les plus moteurs dans le regroupement des associations, comme le déclare le président de La Pie verte :

« Il y a eu des tractations pendant une petite année à peu près et ça a donné naissance à La Pie verte, avec comme tête de pont effectivement deux associations. Donc CEBJ et puis Nature et vie sauvage. Donc on a formé La Pie verte avec relativement peu de ressources, c’est-à-dire qu’il y avait le trésor de guerre de Nature et vie sauvage, et puis c’est tout. Et le local de Nature et vie sauvage, c’est à peu près tout ce qu’on avait comme richesse. » (entretien avec le président de La Pie verte, 09/11/16).

12Les militants issus du CEBJ et de Nature et vie sauvage ont ainsi joué un rôle clé dans le regroupement des associations. La prégnance de ces deux associations est ainsi visible dès le commencement. De plus, la plus grosse partie des fonds de la nouvelle association provient de Nature et vie sauvage.

13Certaines des associations à l’origine de La Pie verte ont été complètement dissoutes dans cette nouvelle structure, tandis que d’autres conservent une faible activité, ou que d’autres existent encore administrativement, mais n’ont plus d’activité, comme le déclare un membre de l’association Amis du patrimoine et de la nature : « Nous on existe sur papier, mais elle existe plus dans la réalité. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 11/10/17).

14Le territoire d’action de l’association correspond à trois intercommunalités : la communauté d’agglomération Porte de l’Isère (CAPI), la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné (CCCND) et l’ancienne communauté de communes des Vallons de la Tour (CCVT). Cette dernière communauté de communes a fusionné, au 1^er janvier 2017, avec trois autres communautés de communes pour former la communauté de communes des Vals du Dauphiné (CCVD).

15La création de la communauté d’agglomération a entraîné l’apparition de nouveaux interlocuteurs pour les associations locales, comme l’observe le secrétaire de La Pie verte :

« [Le regroupement des associations correspondait à] une mise à l’échelle par rapport aux communautés de communes pour pouvoir discuter, avoir la structure. […] On voulait discuter de la problématique eau, la compétence eau était passée à la CAPI. Pour Bourgoin-Jallieu, c’était le maire de Saint-Quentin-Fallavier, qui était à la CAPI, qui était en charge du dossier eau et du coup de la station d’épuration de Bourgoin-Jallieu. Donc l’association de Bourgoin-Jallieu, le CEBJ, était obligée d’aller discuter avec le maire de Saint-Quentin-Fallavier où il y avait une autre association. C’est là où on a dit, on n’est pas à la bonne échelle, il y a un truc qui ne va pas. » (entretien avec le secrétaire de La Pie verte, 10/01/17).

16Lors de la création de la CAPI la compétence eau et assainissement a été transférée des communes à la communauté d’agglomération et le maire de Saint-Quentin-Fallavier, en tant qu’élu communautaire, s’occupait de ce dossier. Le CEBJ ne se sentait pas légitime à échanger avec le maire d’une commune sur laquelle se trouvait une autre association. C’est la raison pour laquelle l’organisation militante a suivi le mouvement accompli par les élus au travers du développement de l’intercommunalité.

17De plus, la communauté d’agglomération est identifiée comme le lieu stratégique à investir afin de pouvoir peser sur les décisions concernant les aménagements cyclables et l’environnement, comme le déclare une militante de La Pie verte :

« Tout ce qui concerne par exemple les prises de décisions sur l’aménagement du territoire, maintenant elles sont prises au niveau de la CAPI, elles ne sont pas prises dans chacune des communes. Donc autant se regrouper et qu’il n’y ait qu’un seul interlocuteur, c’est-à-dire La Pie verte, qui s’adresse à la CAPI. Ça c’est le côté un peu institutionnel, sinon pour les habitants du territoire c’est un peu aussi se sentir quand même faisant partie d’une même entité. » (entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17).

18L’association est ainsi envisagée comme une structure ayant pour objectif de dialoguer avec les élus de la communauté d’agglomération. Celle-ci est en effet identifiée comme détenant les compétences en lien avec les domaines d’intervention de l’association. De manière générale, l’action de La Pie verte se concentre sur la CAPI. L’enjeu pour les militants d’investir la communauté d’agglomération est ainsi de peser sur les politiques menées par celle-ci.

19Le regroupement rend le poids politique de l’association plus important, comme le soulignent ces militants : « [Quand les associations n’étaient pas regroupées,] c’était un peu chacun chez soi et l’adage qui dit l’union fait la force, c’était un peu ça. C’était un petit peu ça, se faire entendre. » (entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17), « Quand vous êtes une petite association de rien, vous êtes reconnus par qui ? Pour pas grand-chose. Quand vous êtes plus gros et quand il y a des projets qui posent problème, quand on s’exprime, on a une voix qui porte. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 10/11/17). La mise à l’échelle de l’intercommunalité permet à La Pie verte d’être représentée dans des instances intercommunales, comme l’explique cette militante avec l’exemple du conseil local de développement :

« J’ai fait partie d’un conseil local de développement. […] Je suis mandatée par La Pie verte. […] La Pie verte n’a pu être représentée que parce que justement on était au niveau du territoire. C’est plus facile, si on avait été uniquement une association d’une des communes la représentativité était moins acquise, tandis que là beaucoup plus. […] La Pie verte peut avoir un rôle à jouer, dans d’autres instances aussi. La Pie verte est reconnue parce que justement elle est suffisamment implantée sur le territoire. » (Entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17).

20Le regroupement a ainsi permis à La Pie verte de devenir un acteur important sur la scène politique locale. Ainsi, cette organisation militante se construit selon le paysage institutionnel et les « structures d’opportunités politiques » (Tarrow, 1989) qui s’offrent à elle.

1.2. De nouvelles contraintes entraînées par le passage à l’échelle intercommunale : le cas de l’atelier vélo

21Cette sous-partie se concentre sur le cas de l’atelier vélo La tête dans l’guidon. Il s’agit en effet de celui qui fait le mieux ressortir les contraintes entraînées par le rééchelonnage intercommunal de l’association. La plus grande partie des adhésions à La Pie verte se fait désormais via l’atelier vélo. Un militant déclare : « [Avant la création de l’atelier vélo,] La Pie verte tournait en gros à quatre-vingts adhérents par an. […] On en est à trois cents en moins de deux ans, on sera un peu plus de cent cinquante par an, entre cent cinquante et deux cents par an, donc par rapport à l’association du début, il y a plus d’adhérents pour l’atelier. » (entretien avec le salarié de La Pie verte, 21/09/16). De nombreux militants soulignent ce déséquilibre : « La majorité des adhérents de La Pie verte, ils viennent de La tête dans l’guidon » (entretien avec un militant de La Pie verte, 19/06/17), « Il y a eu, depuis l’atelier, deux cents adhérents de plus, sur trois cents, c’est beaucoup. » (entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 26/01/17), « Aujourd’hui, il y a plus d’adhérents vélo, si on peut dire, que d’adhérents canal historique [c’est-à-dire intéressés par les activités naturalistes ou l’environnement gris]. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 07/02/16). Dans ce cadre, les militants de La Pie verte doivent gérer l’augmentation importante du nombre d’adhérents à l’atelier.

22Le débat sur le développement de l’association et, en particulier, de l’atelier vélo La tête dans l’guidon est source d’importants désaccords entre les militants de La Pie verte, comme le déclare ce militant :

« On a un souci, je dirais, c’est plutôt positif d’ailleurs, c’est une crise de croissance. Ce n’est pas une crise de décroissance, c’est une crise de croissance, donc c’est mieux. Comment on fait ? Alors tout le monde n’est pas d’accord. Et la crise de croissance abondée par les élus donc c’est ça qui est bien, c’est-à-dire que les élus sont demandeurs au COPIL [comité de pilotage] et on le sent bien. […] On a une vraie discussion de croissance. » (Entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 26/01/17).

23Dans le même ordre d’idées, ce militant affirme : « C’est un peu tendu à l’atelier vélo, parce qu’il y a deux courants qui se dessinent. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16). En effet, deux orientations possibles de développement pour l’atelier vélo se dégagent parmi les membres de La Pie verte. Ces deux orientations sont portées par deux groupes distincts de militants.

24Un premier groupe de militants se prononce en faveur d’une répartition égale de l’action sur l’ensemble des communes de la communauté d’agglomération, comme le déclare Renaud :

« La CAPI, la communauté de communes qui nous finance à une certaine hauteur, nous couvre un loyer, plus une partie du salaire d’une personne, mais on est positionné sur une seule et unique commune. Et quand on regarde tous les ateliers de France et de Navarre, grosso modo, un atelier ça aspire sur un rayon d’environ cinq kilomètres autour de l’atelier. Donc si on fait cinq kilomètres autour de l’atelier, là où il est centré, on reste dans Bourgoin, on va aspirer un peu L’Isle-d’Abeau, mais pas trop. Moi je serais élu dans une petite commune du fin fond de la CAPI, qui se situe à dix ou quinze kilomètres de l’atelier, au moment de la votation du budget, on dit “on balance 20 000 euros à l’atelier qui est basé au centre de Bourgoin”, je me dis “Mais qu’est-ce qu’ils font pour ma commune ? Rien !”, je ne sais pas si je voterais pour la subvention. On veut pérenniser l’atelier, ça veut dire qu’il faut aller chercher et proposer des choses aux autres communes pour rester et consolider cette action sur la globalité de la CAPI. Parce que la CAPI, les autres communes peuvent dire au bout d’un moment “Bourgoin, le truc il est chez vous, vous prenez tout, vous vous débrouillez avec, et nous on fera autre chose.” Ça, ça peut nous pendre au nez. » (Entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16).

25L’ensemble des vingt-deux communes de la CAPI participe au financement de l’atelier. Ce militant met en avant le paradoxe entre ce financement provenant de l’ensemble des communes et l’adhésion majoritaire d’habitants de Bourgoin-Jallieu à l’atelier vélo. Il exprime sa crainte que les autres communes de la CAPI décident de ne plus financer l’atelier. Le développement de l’intercommunalité entraîne ainsi la contrainte de constituer le territoire intercommunal comme nouvel espace d’action pour les associations locales.

26Dans ce cadre, certains élus d’autres communes importantes de la CAPI souhaiteraient l’implantation d’ateliers vélo sur leurs territoires, comme le déclare le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte :

« Ça marche tellement et je le sais, c’est qu’il faut maintenant qu’on ouvre une demi-journée de plus, rien que sur Bourgoin-Jallieu. Au moins une demie, si on avait les moyens on l’ouvrirait une journée complète. Et là il y a un élu de Villefontaine que je connais bien et un élu de L’Isle-d’Abeau qui me disent : “Mais pourquoi vous ne venez pas ?”. Sur les deux cents adhérents, deux cent vingt adhérents qui sont venus à l’atelier, le quatre cinquième c’est des gens de Bourgoin, ce n’est pas des gens de Villefontaine ou de l’Isle-d’Abeau, normal, normal. » (Entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 26/01/17).

27Le vice-président « Transports et déplacements », Pierre, défend, outre l’ouverture une demi-journée supplémentaire à Bourgoin-Jallieu, l’ouverture une demi-journée à Villefontaine et une demi-journée à l’Isle-d’Abeau, en trouvant des locaux à louer dans ces deux communes. Les élus communaux ont conscience que leur commune, à travers la communauté d’agglomération, participe au financement de l’atelier et, dans ce cadre, ils souhaiteraient que leurs administrés puissent également bénéficier de cette action de l’association.

« L’option de dire on va acquérir un véhicule de type fourgon, il est aménagé avec un atelier pour mettre le matériel, […] pourquoi pas, c’est une idée. Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure, mais moi j’y ai pensé fortement à ça, oui. Parce qu’en plus, ça nous permettrait d’aller dans des villages, les communes de moins de 5 000 habitants. » (Entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 26/01/17).

29Les militants de ce premier groupe disposent des ressources sociales et techniques pour accéder à la scène associative intercommunale. Ainsi, l’épouse d’un membre du conseil d’administration de La Pie verte a, dans le cadre professionnel, été amenée à côtoyer régulièrement des élus et certains services techniques de la CAPI. L’élu délégué au développement durable, à l’agriculture et à la transition énergétique de la CAPI déclare à ce propos :

« Comment ils se sont emparés du sujet vélo, bonne question. Je pense voir humainement comment les choses se sont faites. […] Il y a des personnes qu’on identifie dans La Pie verte qui sont assez proches du fonctionnement de la CAPI. On a notamment un des membres de la direction dont la femme travaille dans [une institution publique], qui a un poste élevé, donc elle connaît bien tout ce qui se passe à la CAPI. Vous voyez c’est un peu comme ça, de réseau personnel, de gens qui savent un peu ce qu’il se passe à la CAPI. » (Entretien avec un élu de la CAPI, 21/04/17).

30À la fin de sa carrière professionnelle, l’épouse d’un membre du conseil d’administration, elle aussi militante au sein de l’association, avait la direction d’une institution publique de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle déclare ainsi : « J’ai énormément travaillé sur […] l’organisation [de ce service public] à travers le prisme de l’intercommunalité et ça fait déjà pas mal d’années que je travaille là-dessus et du coup, la question de l’intercommunalité je l’ai beaucoup travaillée. » (entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17). Dans le cadre professionnel, cette militante a ainsi été amenée à être en contact avec des élus intercommunaux de la CAPI. Les militants de ce premier groupe ont connaissance des projets en cours au sein de la CAPI et ainsi ont la capacité de se positionner stratégiquement par rapport aux attentes des élus. Si dans le cadre de leur travail les militants de ce premier groupe ne sont pas directement amenés à rentrer en contact avec les élus de la CAPI, leur profession leur permet parfois l’insertion dans ces réseaux : « De [par] mon parcours professionnel, ce qui m’a facilité quand même pas mal de choses, des relations assez fortes avec les services techniques et puis quelques élus qui ont bien répondu. » (entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 26/01/17). Ainsi, ce militant, ancien chargé d’études en déplacements et transports au CERTU (Centre d’études sur les réseaux, les transports et l’urbanisme), possède les capitaux techniques pour dialoguer avec les services techniques intercommunaux. Ainsi, les élus et les militants se croisent sur différentes scènes sociales, en particulier les scènes associative et professionnelle. Si l’importance de l’autochtonie, c’est-à-dire l’insertion dans les réseaux locaux d’interconnaissance, a surtout été soulignée pour les jeunes des classes populaires rurales (Coquard, 2019 ; Renahy, 2005 ; Amsellem-Mainguy, 2021), cette notion a aussi été appliquée aux classes supérieures construisant une notabilité à partir de leur investissement dans des associations de quartier, par lesquelles elles acquièrent un contrôle sur un espace local (Tissot, 2010). Ce capital semble aussi s’appliquer pour les classes moyennes périurbaines à capital culturel légitime. Cette juxtaposition des scènes sociales fonctionne ainsi pour les militants comme une ressource pour leur insertion dans les instances intercommunales, qu’elles soient politiques ou techniques.

1.3. Une mise à hauteur de l’intercommunalité qui se double d’un ancrage communal

31Les actions de La Pie verte ne sont pas uniformément réparties sur l’ensemble de la zone géographique d’action de l’association, comme l’observe le président de l’association :

« L’intérêt pour un territoire vient du nombre de militants qui sont disposés dessus. Donc nous on a des territoires où on n’a pas de militants, donc c’est très difficile de s’y implanter ou d’intervenir sur ces sites. […] Quand on regarde les naturalistes, ce sont pour la plupart des vieilles barbes qui viennent de Nature et vie sauvage et qui sont cantonnées sur Villefontaine ou sa proximité. Mais dans la fusion avec La Pie verte, on n’a pas récupéré l’ensemble des observateurs de Nature et vie sauvage au moment où Nature et vie sauvage fonctionnait plein pot. » (Entretien avec le président de La Pie verte, 09/11/16).

32Le recrutement des forces militantes de La Pie verte s’est ainsi effectué en grande partie parmi les militants des associations à l’origine du regroupement. Le président de La Pie verte faisait d’ailleurs partie de Nature et vie sauvage, qui était une association naturaliste située à Villefontaine. Ainsi, l’activité naturaliste de La Pie verte reste aujourd’hui principalement sur la zone d’action de l’ancienne association Nature et vie sauvage. Dans le même ordre d’idées, un militant déclare : « Les bénévoles plutôt naturalistes, il y en a sur Vaulx-Milieu, et sur la grande commune, Villefontaine, mais eux ils ne sont pas vraiment dans la partie cycliste. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 07/02/16). De la même façon, les actions autour de l’impact négatif des activités humaines sur l’environnement restent très concentrées sur Bourgoin-Jallieu, où existait le CEBJ. Les militants les plus actifs sur ces thématiques résident ainsi à Bourgoin-Jallieu, un habite également à L’Isle-d’Abeau et un autre à Saint-Alban-de-Roche. D’ailleurs, la plupart des actions en faveur du vélo sont portées par d’anciens militants du CEBJ. Ainsi, au sein de La Pie verte, l’héritage des associations historiques est présent et les militants sont concentrés à divers endroits, correspondant le plus souvent à des communes, avec à chaque fois une spécialisation et des compétences particulières.

33La nécessité de doubler le rééchelonnage intercommunal par un ancrage communal des militants est soulignée par une militante de La Pie verte :

« Puisqu’on parle d’infrastructures, c’est la compétence de la CAPI. Enfin, les rues de Bourgoin-Jallieu, non ce n’est pas de la compétence de la CAPI, mais les voies autour et tout ce qui se développe autour, ou même les voies principales par exemple, oui. Et puis dans de nombreux domaines environnementaux, c’est de la compétence de la CAPI. Après charge à chaque adhérent ou militant qui habite la commune aussi de travailler, parce qu’il n’y a pas uniquement les élus de la CAPI, globalement, qui sont interpellés, il y a aussi les élus des communes. » (Entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17).

34Pour cette militante, l’interpellation des maires, si elle peut se faire au nom de La Pie verte, revient d’abord aux militants des communes concernées.

35La suite de cette sous-partie se centre sur la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné, car il s’agit du cas montrant, en creux, l’importance pour l’association d’avoir une répartition des militants sur tout le territoire d’action. C’est également un cas où une association locale à l’origine de La Pie verte est encore en activité sur une commune, permettant ainsi de comprendre quels rôles les militants attribuent à l’association communale et quels rôles ils considèrent être du ressort de La Pie verte. Un militant de La Pie verte, résidant à L’Isle-d’Abeau, déclare, alors qu’il parle du territoire d’action de l’association :

« On voudrait regrouper à peu près trois communautés de communes, la CAPI, les Vallons de la Tour et Nord Dauphiné, Heyrieux. […] Aujourd’hui, au niveau vélo, on ne peut pas dire qu’on est performant sur les trois territoires, c’est clair. […] À Heyrieux, il n’y a rien qui se passe, ce sont les locaux qui font comme ils peuvent. […] Aujourd’hui je ne me sens pas l’aptitude d’aller à Heyrieux et de faire le poil à gratter. Je ne suis pas légitime. Ça ne serait qu’un passage. Avec l’expérience de la CAPI, ils s’en fichent à Heyrieux. Il faudrait que ça vienne de quelqu’un d’Heyrieux, qu’on vienne peut-être pour aider, mais il faudrait qu’il y ait un petit noyau de deux ou trois personnes qui soient volontaires sur ce type d’action. Sinon ça ne marchera pas. » (Entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16).

36Ce militant souligne que l’association n’est pas présente sur la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné. Notons qu’il utilise le terme « Heyrieux », non pas pour désigner la commune, mais pour se référer à la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné. D’après lui, ne pas résider au sein de la communauté de communes empêche une action continue sur le territoire. Si cette action existait, elle resterait ponctuelle. Ce militant déclare que les élus de la commune d’Heyrieux, ou de la communauté de communes, ne reconnaissent pas la légitimité des militants de La Pie verte, résidant dans la CAPI, à les interpeller. Les élus d’Heyrieux peuvent ne pas tenir compte des militants résidant dans la CAPI puisque ces derniers ne participent pas aux élections de la commune, et aussi indirectement de l’intercommunalité, et n’influencent donc pas la reconduction de leur rôle d’élus. Dans ce cadre, résider sur une commune ou dans une intercommunalité semble nécessaire à ce militant pour interpeller les élus locaux.

37Un militant, à la fois membre de La Pie verte et de l’une des associations à l’origine du regroupement, située à Heyrieux et gardant encore une faible activité, déclare d’ailleurs :

« Moi je suis aux deux. Je suis président des Amis du patrimoine naturel d’Heyrieux et je suis au CA de La Pie verte. Je navigue entre les deux. Mais sur Heyrieux, c’est vrai que quand je suis en relation avec la municipalité d’Heyrieux, je me présente comme Amis du patrimoine naturel d’Heyrieux. » (Entretien collectif avec deux militants de La Pie verte, 22/05/17).

38Dans la suite de l’entretien, ce militant déclare que la mairie d’Heyrieux sollicite toujours Amis du patrimoine naturel d’Heyrieux dans la mesure où il s’agit d’une association implantée sur la commune. Ce militant renvoie les élus communaux vers La Pie verte lorsque leurs demandes dépassent le cadre des compétences d’Amis du patrimoine naturel d’Heyrieux, comme lorsque ceux-ci ont souhaité installer des panneaux explicatifs sur la faune et la flore autour d’un étang de la commune. Comme il l’explique dans l’extrait, il se réclame préférentiellement de l’association communale, plutôt que de La Pie verte, lorsqu’il s’adresse aux élus communaux. Dans ce cadre, l’échelle communale semble rester déterminante pour les militants. Les militants conçoivent La Pie verte comme une structure détenant les compétences techniques et ayant pour objectif de dialoguer avec l’intercommunalité.

2. La mise à l’échelle intercommunale des activités de La Pie verte : une professionnalisation de l’association

39Cette partie est consacrée à la professionnalisation de La Pie verte entraînée par la volonté de rééchelonnage intercommunal des activités de l’association. La première sous-partie se centre sur la contractualisation des relations entre la communauté d’agglomération et La Pie verte, sous forme de la signature d’une convention, qui a permis à l’association de recruter un salarié pour l’atelier vélo. La deuxième sous-partie montre que la mise en place des politiques intercommunales requiert l’acquisition de compétences et de diplômes au sein de l’association.

2.1. Une salarisation permise par la mise à l’échelle de l’intercommunalité

40Parallèlement au groupement de plusieurs associations locales implantées dans le Nord-Isère, une partie des militants a opté pour une professionnalisation de la nouvelle association :

« On s’est dit il faut peut-être qu’on soit un peu plus fort et donc ce souci de se voir plus, de mieux comprendre au plus tôt ce qui se passe et d’échanger [avec les collectivités] et après de se dire il y a 4 ou 5 associations pour qu’elles soient plus fortes faut en faire qu’une. […] Ce choix qu’on a fait, après ça s’est développé c’est-à-dire qu’il y a eu un passage aussi, Henri a dû vous le dire parce que moi j’étais encore président et lui, il [Henri, actuel trésorier] venait d’arriver à La Pie verte par une autre porte d’entrée, pas du tout militant d’ailleurs, de compétence et ça l’a intéressé beaucoup. Il s’est dit c’est une association, c’est une petite entreprise et tout de suite on s’est posé la question du développement de l’association. […] On s’est dit il faut un tout petit peu professionnaliser, ça serait bien d’avoir un salarié pour installer l’association parce qu’on sait très bien, les militants ça passe. Moi je sentais bien que sans salarié on aurait du mal à continuer à se voir toutes les semaines, c’est comme ça qu’on s’est dit il nous faut un salarié. Donc qui dit salarié, dit financement un peu plus important, après on met le doigt dans l’engrenage. Et donc c’est un choix qu’on a fait, alors je sais plus exactement ça devait être en 2011 ou 2013, donc de sortir du cadre purement de l’association militante et partenaire à une association à caractère à gestion économie et solidaire, donc avoir des budgets qui viennent essentiellement évidemment des collectivités territoriales, également des prestations. » (Entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 21/01/17).

41Le rapprochement qu’Henri établit entre l’association et une « petite entreprise » suggère un changement dans la façon d’envisager les activités de l’association, l’efficacité dans les actions devient primordiale. La référence à l’entreprise traduit aussi l’introduction de budgets plus importants qu’auparavant au sein de l’association. Il est d’ailleurs significatif qu’Henri ait intégré l’association non pas parce qu’il s’inscrivait dans une démarche revendicative sur les sujets environnementaux, mais parce qu’il possédait des compétences dans un domaine particulier. Dans le cadre du faible nombre de recrutements de militants actifs, la pérennité de l’association se traduit, d’après Pierre et Henri, par le recrutement d’un salarié. Le premier salarié de l’association l’est dans le domaine naturaliste.

42Le regroupement des associations locales permet, par la mise en commun des fonds, le recrutement de salariés, comme le mentionnent certains militants de La Pie verte : « C’était pour être plus efficace. Une association ne peut pas se payer un permanent, des associations regroupées peuvent le faire. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 11/10/17), « Chaque association était trop petite pour avoir des salariés donc on a fédéré les associations avec l’idée d’avoir une structure qui soit assez grande pour pouvoir avoir des salariés parce que ça permet quand même un fonctionnement plus important. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 07/02/16). Le regroupement est ainsi, entre autres, envisagé dans une optique de professionnalisation de l’association.

43La salarisation, dans le domaine des transports, a été rendue possible par la signature d’une convention avec la CAPI. En effet, une partie des militants de La Pie verte s’est impliquée dans les réunions de concertation avec la CAPI lors de la création du schéma directeur vélo, qui avait pour objectif de définir les aménagements cyclables à réaliser à l’horizon 2020. La communauté d’agglomération avait mandaté un cabinet d’études pour l’aider dans l’élaboration de ce schéma directeur. Renaud, Sébastien et Gilles ont ainsi soumis l’idée de la création d’un atelier vélo, comme Renaud l’explique ici :

« On était un petit groupe, surtout, au départ on était impliqué sur les infrastructures. […] On participait à la création du schéma directeur vélo. Sur ce schéma directeur vélo, il y avait un bureau d’études qui s’appelait Indiggo. […] Je crois que tous les trois, on bricolait les vélos. Gilles il en faisait un peu de bricolage au SEL, les trucs d’échanges. Sébastien à Environ [une autre association locale], c’était aussi le monsieur vélo. Et moi, dans mon quartier, j’étais monsieur vélo et, avec les ados du quartier, je faisais […] de la bricole autour des vélos. J’avais fait aussi des remorques pour faire de la publicité associative. J’avais fait différents bricolages autour, mais vraiment des petits bricolages pour se faire plaisir. Ces trois compétences, on a dit : “Pourquoi ne pas faire un atelier vélo ?” et le cabinet d’études Indiggo a dit : “Oui, il faut le mettre au schéma directeur vélo”. […] Quand Indiggo a rendu le schéma directeur vélo et qu’ils ont budgété avec la collectivité, ils ont mis une ligne budgétaire sur l’atelier vélo. » (Entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16).

44Sébastien et Gilles, l’actuel salarié, sont à l’origine de la création de l’atelier. La création de l’atelier a constitué une opportunité de retour à l’emploi puis de stabilisation professionnelle pour Gilles. Le salarié déclare ainsi : « On avait répondu à un appel à projets, […] dans l’idée c’était avec une création d’emploi à terme tout ça. » (entretien avec le salarié de La Pie verte, 21/09/16). Le salarié a ainsi fortement soutenu la création de l’atelier puisqu’il y voyait une opportunité pour accéder à l’emploi, comme le déclare Renaud, lui aussi à l’origine de l’atelier : « Il [Gilles] a été porteur de cet atelier, il a créé son emploi. Il était au chômage, Gilles, en plus il a des problématiques de santé. Il l’a porté l’atelier. Le gros travail de rédaction et de dossier. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16). En effet, Gilles avait auparavant été licencié pour inaptitude physique de l’usine implantée dans la CAPI dans laquelle il travaillait. Étant chômeur, il a alors disposé de davantage de temps que Sébastien et Renaud pour s’investir dans le montage du dossier et ensuite pour le soutenir auprès des collectivités. Dès la rédaction du dossier pour l’obtention de subventions, il est mentionné que l’embauche d’un salarié, dans le cadre d’un contrat aidé, est envisagée. Ainsi, dans un premier temps, Gilles a été embauché comme salarié en CUI-CAE (contrat unique d’insertion – contrat d’accompagnement dans l’emploi), pendant un an. Ce contrat a ensuite été renouvelé en CDI (contrat à durée indéterminée). L’atelier lui a ainsi permis d’accéder à une situation professionnelle stable. Dans les années 1980 et 1990, plusieurs dispositifs d’aide à l’emploi destinés au secteur non marchand, pouvant être regroupés sous le terme « contrats aidés », sont créés. L’État utilise ce secteur, et en particulier les associations, comme vecteur privilégié d’insertion professionnelle pour les publics éloignés de l’emploi (Cottin-Marx, 2019). Par ailleurs, comme le souligne Matthieu Hély, « la “professionnalisation” du monde associatif est d’abord une “salarisation” » (Hély, 2011).

45Une convention a ainsi été signée entre la CAPI et La Pie verte. La convention a pour objectif de contribuer aux dépenses d’investissement et de fonctionnement réalisées par La Pie verte dans le cadre de la mise en place de l’atelier vélo La tête dans l’guidon. Le financement s’élève à quelques dizaines de milliers d’euros par an. La convention explicite les actions que La Pie verte doit mener par rapport au schéma directeur vélo de la CAPI. Cette convention engage aussi l’association à participer aux groupes de travail pilotés par les services techniques de la CAPI et à réaliser des comptes rendus sur les actions menées lors de ceux-ci. Le financement de la CAPI ne doit pas couvrir la totalité du budget de l’atelier vélo. L’autre partie est financée par les prestations du pôle naturaliste de La Pie verte. Ces prestations consistent en la réalisation d’études d’impacts, d’inventaires naturalistes ou de diagnostics écologiques, et en la gestion d’une réserve naturelle.

46La salarisation est une des caractéristiques du processus de professionnalisation. L’État, et en particulier les collectivités territoriales, ont joué un rôle majeur dans le développement associatif. Avec la décentralisation, les collectivités territoriales gagnent un certain nombre de compétences et délèguent une partie des missions associées à celles-ci aux associations. Cette transformation des relations entre État, collectivités et associations entraîne une salarisation du secteur associatif (Cottin-Marx, 2019). Deux formes de financement public des associations existent. Le premier relève d’une « logique de subvention », selon laquelle les pouvoirs publics financent le fonctionnement et les activités des associations sans demande de contrepartie. La deuxième est une « logique d’achat de prestations », où les associations se trouvent mises en concurrence avec des entreprises et entre associations (Tchernonog, 2001). Cette deuxième forme de logique de financement se rapproche de la logique de « commande publique » décrite par Matthieu Hély (2011), où l’association est considérée comme un moyen de mettre en œuvre les politiques publiques. Les associations sont alors envisagées comme des « opératrices de politiques publiques », chargées des missions réservées à la main gauche de l’État (Hély, 2011). En tous cas, les financements du monde associatif ont évolué et, alors que la « logique de la subvention » dominait, la logique « d’achats de prestations » ou de « commande publique » devient aujourd’hui majoritaire (Hély, 2011 ; Tchernonog, 2001). Simon Cottin-Marx, Matthieu Hély, Gilles Jeannot et Maud Simonet (2017) mettent également en avant « l’orientation en douceur » de l’action des associations par la puissance publique. La contractualisation en particulier détermine les grandes orientations, fixées par les institutions, tout en laissant les associations libres des moyens pour y parvenir (Cottin-Marx et al., 2017). La contractualisation peut ainsi devenir un instrument de « contrôle à distance » des associations, comme c’est le cas dans le secteur du handicap (Robelet, 2017). Alors que les activités naturalistes de l’association s’inscrivent dans la logique de « l’achat de prestations », la contractualisation, dans le cadre d’une convention, permet à la CAPI de déterminer, « en douceur », les grandes orientations de La Pie verte.

47Le président de La Pie verte insiste sur la difficulté d’employer des salariés tout en gardant le potentiel de conflictualité de l’association :

« Et je suis souvent obligé d’insister au CA pour dire qu’on avait une responsabilité d’employeur qui n’était pas mince. On ne peut plus gérer cette association comme une association tranquillou, c’est-à-dire qu’on a la responsabilité de personnes qui mangent de temps en temps. Donc il faut ramener du pognon à l’association. On essaie que ça ne nous mange pas trop, qu’il y ait toujours une action militante, que ça reste association et pas bureau d’étude. » (Entretien avec le président de La Pie verte, 09/11/16).

48La professionnalisation, comprise ici comme salarisation, contraint l’association à avoir des entrées d’argent régulières. Le conseil d’administration de l’association est composé en partie de militants issus de l’époque où l’association n’avait pas de salarié, ce qui explique peut-être, entre autres, leur difficulté à prendre en compte la responsabilité d’employeur de La Pie verte. Le président souligne la difficulté pour l’association à ne pas transiger avec ses principes et à garder un discours fort en faveur de l’environnement. La dépendance financière aux collectivités peut éloigner les associations de leur capacité à peser dans les débats et à influencer les politiques locales (Abrioux, 2010). La mention du bureau d’étude suggère que la professionnalisation de l’association conduit La Pie verte à envisager la problématique environnementale d’abord sous un angle technique.

2.2. Une demande de compétences et de diplômes renforcée par le rééchelonnage intercommunal : le cas de la vélo-école

« Il y a une autre frange de l’association […] qui [dit :] “l’atelier il a un état, cet état il nous convient, [et] puisque l’indicateur nombre d’adhérents est toujours en croissance, on développe autre chose, la vélo-école”. À leur décharge, effectivement, on arrive, dans le [planning du] schéma directeur vélo de la Communauté de communes [CAPI], au [moment où la vélo-école doit démarrer]. Ils ont fait un business plan pour ainsi dire du schéma directeur vélo sur quatre ans, avec l’atelier vélo deux ans, et au bout des deux ans, on démarre la vélo-école, mais l’atelier continue. Mais [en vérité] on ne peut pas tout [faire]. » (entretien avec un militant de La Pie verte, 08/11/16).

50Les tensions internes concernant le développement d’une vélo-école sont ainsi attisées par le schéma directeur vélo de la CAPI, puisque celui-ci prévoyait la mise en place d’une vélo-école. Lors des entretiens réalisés avec les militants du deuxième groupe, soutenant le maintien de l’état actuel de l’atelier vélo et le développement de la vélo-école, très peu ont fait part de leurs arguments en faveur du développement de la vélo-école. C’est toutefois le cas du salarié de La tête dans l’guidon, qui déclare : « L’idée d’apprendre aux gens à faire du vélo, c’est clair que ça leur plaît [aux élus], puisqu’en fait, c’est un peu partout pareil, toutes les vélo-écoles qui existent, elles touchent 90 % de femmes, d’origine étrangère, mais pas seulement. » (Entretien avec le salarié de l’atelier vélo, 21/09/16).

51Le développement de la vélo-école est soutenue dans une perspective sociale, de solidarité.

52Le premier groupe de militants de l’association, ceux souhaitant étendre le rayonnement de l’atelier vélo, s’oppose toutefois au développement de la vélo-école dans la mesure où l’association ne dispose pas des ressources financières, ni des compétences, pour développer cette activité :

53« La vélo-école il y a un autre caractère qui est beaucoup plus préoccupant que l’atelier, on s’adresse à des personnes d’un point de vue assurance, d’un point de vue pédagogique, c’est quand même assez compliqué. On s’adresse à des personnes, on parle pas encore d’enfants, mais certaines vélo-écoles au niveau national s’adressent aussi à des enfants alors là vous tombez dans un autre cadre sécuritaire très marqué. Donc il faut une professionnalisation assez forte. […] C’est là qu’on discute en interne, qui est quand même une discussion assez forte, je prétends qu’on ne peut pas faire les deux en même temps, c’est pas possible. Si on veut être sérieux et crédible, je reviens à la notion de crédibilité. Et moi je préfère dire aux élus non on ne peut pas faire la vélo-école parce que pour le moment on a pas les moyens et ni les compétences. » (Entretien avec le vice-président « Transports et déplacements » de La Pie verte, 21/01/17).

54La mise en œuvre des politiques de la communauté d’agglomération dans le domaine des déplacements cyclistes, à travers le schéma directeur vélo, requiert, selon une partie des militants, l’acquisition de compétences au sein de l’association. Pour le vice-président « Transports et déplacements », La Pie verte est dans l’incapacité de mettre en place une vélo-école, car elle ne possède pas les compétences.

55Le manque de compétences internes à l’association pour assurer cette activité est également soulevé par une partie des élus locaux. Dans ce cadre, un diplôme est pour certains élus locaux nécessaire à la mise en place de la vélo école, comme le suggère cet extrait d’entretien avec un conseiller municipal de Bourgoin-Jallieu qui déclare :

« Il y a également des sujets de vélo-école adulte […] où, là, le sujet est un peu délicat en ce moment, […] parce qu’en fait ce qui se cache derrière une vélo-école adulte, en fait, c’est le tonton Roger. On a tous un tonton Roger qui nous apprend à faire du vélo. Seulement quelle est la différence entre tonton Roger et puis une vélo-école avec un moniteur ? Si le moniteur n’a pas de diplôme, il n’a pas de spécificité, il n’y a aucune différence. […] La vélo-école qu’essaie de mettre en place La tête dans l’guidon aujourd’hui, ils sont tout neufs, il n’y a qu’un seul formateur, qui a passé deux fois le diplôme qu’il n’a pas eu. Effectivement aujourd’hui, là on n’est pas tout à fait d’accord sur la mise en place de cette vélo-école sans diplôme. » (Entretien avec un conseiller municipal de Bourgoin-Jallieu, 20/04/17).

57Pour le pôle naturaliste de l’association, les compétences et le professionnalisme de l’association sont reconnus par les élus locaux et les techniciens. Une militante propose des explications à cette reconnaissance :

« S’il y a des appels à projets pour des études prospectives sur les espaces naturels sensibles, sur toutes ces questions-là, La Pie verte répond. Pourquoi ? Parce qu’elle a du personnel qualifié pour, et ça c’est une façon aussi très significative de se faire reconnaître, par l’efficacité et le professionnalisme des réponses. En fait, elle joue un rôle que les collectivités n’ont pas le temps de faire, n’ont peut-être pas le personnel d’ailleurs dans leur organigramme d’être sur le terrain, c’est une sorte de délégation de service si on peut dire. » (Entretien avec une militante de La Pie verte, 07/03/17).

58Les politiques de la collectivité territoriale sont ici largement mises en œuvre par les salariés de La pie verte. Cet extrait est à mettre en regard des dynamiques de recomposition de la fonction publique. Celle-ci repose de plus en plus sur la délégation de certaines de ses missions aux associations. Les salariés associatifs réalisent ainsi une partie des missions des fonctionnaires, mais ils exercent toutefois dans des conditions d’emploi dégradées par rapport à celles du secteur public (Hély, 2009).

Conclusion

59Avec l’affirmation et l’approfondissement de la logique des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), l’intercommunalité se constitue dans les territoires périurbains, parallèlement aux centres des agglomérations (Zanetti, 2021), comme une nouvelle échelle de dialogue et d’action pour les associations militantes locales. Dans ce cadre, des militants ont œuvré en faveur du regroupement d’associations locales de défense de l’environnement du Nord-Isère. Ce regroupement correspond à l’ajustement des associations à l’apparition de nouveaux interlocuteurs intercommunaux. L’objectif de ces militants était également d’acquérir un poids politique plus important dans la mesure où ils identifient l’intercommunalité comme un lieu stratégique à investir pour peser sur les décisions concernant leur environnement résidentiel. Les tensions entre militants autour de la question du développement de l’activité vélo et de l’atelier vélo ne peuvent se comprendre sans ces éléments de contexte. Un premier groupe de militants souhaite répondre aux contraintes entraînées par le passage à l’échelle intercommunale, en particulier répartir de façon égale les actions de l’association sur le territoire de la CAPI. Le second groupe de militants se satisfait de l’état actuel de l’atelier vélo. Le mouvement de l’organisation militante vers l’intercommunalité n’est que partiel. En effet, l’échelle communale reste déterminante dans la mesure où La Pie verte garde de forts ancrages dans certaines communes, dans lesquelles se concentrent des militants et leurs actions, et que certaines associations à l’origine de La Pie verte, toujours en activité, interviennent en leur nom auprès des communes.

60Le passage à l’échelle de l’intercommunalité a des effets sur le fonctionnement de l’association et en particulier approfondit les logiques de professionnalisation de celle-ci. La contractualisation avec la CAPI a permis à l’association de disposer des fonds nécessaires pour embaucher un salarié pour l’atelier vélo. Toutefois, la contractualisation avec la CAPI place également La Pie verte dans une position où elle est chargée de mettre en œuvre les politiques intercommunales. La professionnalisation conduit La Pie verte à rencontrer des difficultés à garder un discours revendicatif et entraîne un traitement majoritairement technique de la question environnementale. Le cas de la mise en place d’une vélo école est également générateur de tensions internes. Cette mise en place, soutenue par le second groupe de militants dans une perspective sociale, était inscrite dans le schéma directeur vélo de la CAPI. Les élus locaux, comme le premier groupe de militants, s’opposent à la mise en place de la vélo-école tant que l’association ne possède pas les compétences nécessaires pour cela. Le changement d’échelle de La Pie verte a ainsi un effet sur la professionnalisation de l’association, qui se traduit par une salarisation et une demande accrue de compétences.

61Cet article porte sur une association dont les mobilisations prennent place dans un cadre périurbain. Il est possible de se demander dans quelle mesure certains résultats ont une portée générale. La nécessité de répartir l’action de l’association sur l’ensemble du territoire de l’intercommunalité ou l’importance toujours déterminante de la commune dans l’action de l’association semblent des résultats transposables aux intercommunalités urbaines et aux métropoles. Toutefois, nous pouvons nous demander dans quelle mesure, dans le périurbain, les ressources techniques et les moyens à disposition des intercommunalités, moins importants que dans les métropoles, conduisent les intercommunalités à davantage déléguer aux associations la mise en place des politiques intercommunales et à davantage s’appuyer sur la sphère associative pour élargir les champs d’action publique, faisant écho à des processus existants d’enrôlement des associations pour la mise en œuvre des politiques publiques (Cottin-Marx et al., 2017 ; Robelet, 2017).

62Par ailleurs, nous pouvons nous demander dans quelle mesure la mise à l’échelle de l’intercommunalité est propre à certains domaines d’intervention associative, notamment au secteur de l’environnement. Les associations écologistes s’insèrent en effet dans une dynamique associative particulière. Dans les années 1960, l’État institutionnalise des associations environnementalistes pour soutenir certaines de ses administrations ayant des effectifs restreints ainsi que des moyens financiers et matériels insuffisants au regard de leurs missions (Spanou, 1971). Cette institutionnalisation fait des associations des relais privilégiés du ministère de l’Environnement sur les territoires (Lascoumes, 1994). Celle-ci a aussi eu pour conséquence la montée de l’expertise comme principal registre d’action des associations environnementalistes (Ollitrault, 2008), à tel point qu’aujourd’hui certaines associations évoluent pour devenir des groupes d’experts, participant régulièrement aux concertations avec les pouvoirs publics locaux (Sawicki, 2003). Depuis la loi MAPTAM de 2014, le transfert aux intercommunalités de certaines compétences, qu’il s’agisse de compétences obligatoires, comme l’aménagement de l’espace, ou optionnelles, comme l’environnement, favorise également le rééchelonnage intercommunal des associations portant sur ces thématiques. Pour répondre à ces questions, il faudrait étudier ce qu’il se passe pour des associations qui se mobilisent dans un cadre urbain ou dont les mobilisations prennent place dans le monde rural, ainsi que pour des associations portant sur d’autres domaines d’intervention.

63La question des effets du changement d’échelle sur la capacité des associations à tenir des positions conflictuelles se pose. L’ancrage dans la proximité des mobilisations périurbaines les expose à une qualification Nimby (Not in my back yard), par les universitaires (Subra, 2014 ; Jobert, 1998) comme par les professionnels de l’aménagement, insistant ainsi sur l’égoïsme des habitants du périurbain. Ces participations locales n’ouvrent pas sur des débats articulant enjeux locaux et métropolitains. Or, pour Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier (2011), cette articulation pourrait permettre une montée en généralité des revendications et une politisation des débats. Dans le cas des métropoles, l’échelon métropolitain permettrait d’échapper au localisme, tout en offrant des expériences concrètes, quotidiennes, qui sont le reflet de processus néolibéraux (Halbert, Pinson et Sala Pala, 2021). Toutefois, les contestations de la métropole sont très hétérogènes politiquement et la radicalité de la contestation l’est également (Halbert, Pinson et Sala Pala, 2021). S’ils identifient l’intercommunalité comme une échelle de prise de décision à surveiller, les habitants peuvent être réticents à politiser leurs revendications et préfèrent défendre leurs intérêts de proximité (Ségas, 2021). Cet article, sans le démontrer, suggère que le changement d’échelle éloigne l’association de ses capacités de mobilisation sociale. Face à ces constats, Guillaume Gourgues (2020) appelle de ses vœux une alliance entre mobilisations intercommunales et/ou métropolitaines et syndicalistes, également intéressés par cette échelle qui acquiert un rôle grandissant dans les choix économiques locaux, dans la mesure où cette alliance permettrait de faire de l’intercommunalité un objet de revendication commun.